Les atmosphères/La tête

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À compte d'auteur (p. 21-22).

La Tête


Quand la chaloupe toucha enfin la secousse de la grève où elle s’immobilisa, les bras du passeur tombèrent inertes le long de son corps, comme les rames qu’il venait de lâcher aux flancs de l’embarcation. Il eut un frisson, comme si des filets d’eau froide avaient coulé dans ses os creux. Il éprouva par tous ses membres le mal de ses reins, il eut sensation d’une fissure à ses reins par où toute la douleur se serait échappée pour envahir son corps. Il resta tordu sur sa banquette.

Alors, il advint la chose extraordinaire qui est la paralysie. Cela vint lentement qui le prit par les jambes ; cela vint la chose qui monta en lui en passant par tous ses membres, cela vint la chose qui monta et qui s’arrêta à sa tête.

Le corps fut envahi par transitions douces, comme s’il eût glissé le long de la grève qui amène l’eau jusqu’au cou et qui fait qu’il ne reste plus qu’une tête qui émerge.

Le passeur qui avait été des bras, des jambes, un dos et des reins, ne fut plus qu’une tête qui pensa les bras, les jambes, le dos et les reins.

Le lendemain, l’homme qui était déjà venu, revint, et il repartit cette fois sans rien dire. Un autre homme s’installa dans la maison, et le passeur reconnut son remplaçant, un autre passeur ; et il laissa faire.