Les aventures de Perrine et de Charlot/16
XIV
Projet
Il est sept heures du soir. Une belle journée d’été vient de finir !… Dans le sentier en l’arrière de la maison des Bourdon, un jeune homme s’avance lestement. C’est Olivier Le Tardif. Il entre bientôt, l’air souriant, mystérieux. Aussitôt l’on fait cercle autour de lui dans la grande salle du rez-de-chaussée. Charlot se glisse près de son grand ami qui le prend sur ses genoux.
M. Olivier, vous gâtez cet enfant. Qu’en ferons-nous bientôt ?
Madame, à la première incartade du petit, je lui retire toutes faveurs et mon affection. Vous entendez, M. Charlot ?
Je suis un bon petit garçon, allez, M. Olivier. Demandez à M. l’abbé. Depuis une semaine je n’ai pas été puni du tout.
Bien, j’ai confiance.
Qu’avez-vous donc à nous raconter, Olivier ?
Jacqueline, ma mie, pas de travaux ce soir. Nous causons. Petite Perrine, soyez tout oreilles également.
L’un n’empêche pas l’autre, Jean, il me semble.
C’est égal. J’aime à voir vos mains actives se joindre dans le repos.
Voilà, Mesdames, voici, M. l’abbé et chers amis. Un groupe d’amis, dont je fais partie, partira d’ici, après-demain, au petit jour, en route pour Trois-Rivières. La décision s’est prise irrévocablement il y a une demi-heure à peine. Alors, je me suis dit que peut-être quelques-uns d’entre vous désireraient se joindre à nous. Et je suis venu.
C’est fort aimable à vous, Olivier. Mais dites, quel est ce groupe ? Je suis tenté, je l’avoue, de m’y rallier.
Quelques heures passées à la pêche dans ce lieu poissonneux, que sont les Trois-Rivières, quel ravissant projet n’est-ce pas, cher abbé ?
Je ne nie pas cette faiblesse, chez moi, Jean, allez. Je m’en excuse cependant en songeant aux apôtres de Jésus. Ils excellaient à la pêche. Et le Maître les encourageait. Ne faisait-il pas déborder leurs filets ? Rappelez-vous.
Bien riposté, M. l’abbé ! Quel groupe se rend aux Trois-Rivières, me demandez-vous ? La fine fleur du pays. Voyez. Les familles La Poterie, du Colombier, Repentigny,
Je me souviens maintenant. Mon fils Repentigny, m’a causé de ce projet. Depuis que les Michel Le Neuf se sont installés définitivement aux Trois-Rivières, l’on ne souhaite que ce plaisir d’aller leur rendre visite, et voir un peu ce côté du pays.
Pourquoi ne pas nous accompagner, Madame ?
Hélas ! je ne me sens ni assez robuste, ni assez jeune pour accomplir ce voyage. Et puis, ces frêles canots dans lesquels vous vous embarquez me font encore peur.
J’y vais quant à moi, Olivier.
Venez aussi, cher ami ? Le gouverneur vous accordera bien cette permission.
Et ma femme, croyez-vous qu’elle le permettra ? Voyez ses signes de dénégation, sa frayeur !
Vous irez plus tard, Jean. Je souhaite, en effet, que vous ne me quittiez pas en ce moment. Qui sait ? Certains événements peuvent surgir…
Et Perrine ? Et Charlot ? Madame Le Gardeur, sous la surveillance expresse de Julien et de la mienne, vous les laisserez bien venir, n’est-ce pas ? D’autant plus que ces petits ne seront pas les seuls enfants prenant part à l’excursion. Il y a aussi cette course aux Trois-Rivières, le 18 août prochain ! On ne saurait manquer cette fête. Quatre nations sauvages y assisteront. Oui Madame, quatre, vraiment !… Quel spectacle inoubliable ! Madame Le Gardeur je plaide ardemment pour Perrine et pour Charlot.
C’est donc sérieux, Olivier, ce pari dont a parlé Jean Nicolet ? L’un des Godefroy va tenter cette aventure ?
Comment ! Mais vous savez bien, M. de Saint-Jean, que les sauvages prennent tout gravement et qu’il ne fait pas bon les tromper ! Ou, c’est alors, « gare à votre peau ! »
Et ce jeune homme, Monsieur, ce brave enfant, ne redoute pas l’agilité reconnue des sauvages ?
Normanville ? Oh ! non, Madame. En ce pays, voyez-vous, on ignore la peur. Il nous faut tous apprendre à ne jamais reculer, quelque difficile que soit la tâche.
Bah ! le soldat de Marathon, que valait-il auprès de notre ami !… Normanville sera le vainqueur de la course, j’en mettrais dix fois ma main au feu. Vous verrez, Madame.
Quel enthousiasme !
Quelle amitié, voulez-vous dire, M. l’abbé ! Nous sommes très liés les Godefroy, Nicolet et moi.
Je sais, je sais.
M. Olivier, j’hésite encore à me séparer de Perrine et de Charlot.
Pourquoi, madame ? Il ne s’agit que d’un voyage de dix jours et sous bonne garde. Vous ne devez rien craindre, je vous assure.
Eh bien, c’est oui, alors. M. de Saint-Jean, souvenez-vous que vous levez mes dernières hésitations. Vous partagez ma responsabilité.
Fort bien. Je me souviendrai, Madame.
Quelle joie manifestera le père Le Jeune à notre arrivée ! Il est à la résidence de la Conception, aux Trois-Rivières, depuis quelques semaines. Il y a aussi, vous le verrez, beaucoup d’animation au fort. La traite bat son plein. Nipissiriniens, Algonquins, Montagnais, Hurons encombrent le magasin. Le commerce des fourrures n’a jamais été aussi florissant. Nicolet, Hertel, les Godefroy ont beaucoup à faire. Et croyez-vous, l’on m’apprend en outre, que plusieurs prisonniers iroquois sont détenus, par les Hurons, tout près du fort. Entre autres, une jeune femme, dont le courage comble de stupéfaction ses ravisseurs. Les quatre premiers jours qui ont suivi sa capture, elle n’a pris aucune nourriture mais n’en a pas moins continué à marcher de l’avant, fièrement, sans une plainte. Nos pères vont intercéder pour elle. Ils méditent de la conduire en France. Une telle âme intrépide mérite de connaître les bienfaits de la religion et de la civilisation. N’est-ce pas aussi votre avis, M. l’abbé ?
Comment donc !