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Les carrosses à cinq sols/12

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Imprimerie de Firmin Didot (p. 66-74).


III.
COPIE D’UN IMPRIMÉ,
Étant dans un recueil d’édits et autres pièces, Biblioth. de l’Arsenal, Jurisprudence, no 2830.



Establissement des Porte-flambeaux, et Porte-lanternes à louage, dans la ville et faubourgs de Paris, et toutes autres villes du Royaume, par Lettres-patentes du Roy, verifiées en Parlement ; et réglement fait par ladite cour des salaires desdits Porte-flambeaux et Porte-lanternes.


Comme Sa Majesté prend plaisir à donner diverses commoditez à ses subjets, et surtout aux habitans de sa bonne ville de Paris, cela donne occasion aux esprits d’en rechercher tous les jours de nouvelles, comme entr’autres celle de porte-flambeaux et porte-lanternes à louage, pour conduire et esclairer de nuit ceux qui voudront s’en servir pour aller et venir partout où bon leur semblera, dont sadite Majesté par ses lettres-patentes du mois de mars dernier, vérifiées et registrées au Parlement le vingt-sixième jour d’aoûst ensuivant, en a permis l’establissement dans sa ville et faubourgs de Paris, et autres villes de son royaume, avec défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soyent, de s’immiscer en pareil establissement, sans avoir sur cela permission par escrit du propriétaire, qui a obtenu ledit privilége et don, privativement et à l’exclusion de tous autres, à peine de mille livres d’amende.

Pour donner l’intelligence de la commodité doit apporter au public cet establissement, il faut premièrement sçavoir à l’esgard des porte-flambeaux, que lesdits porte-flambeaux se placeront aux environs du Louvre, du palais, lieux d’assemblées, carrefours et places publiques, afin que ceux qui n’auront pas de valets et flambeaux, à point nommé, puissent se retirer chez eux, à toute heure qu’il leur plaira, et estre conduits et esclairez partout où bon leur semblera ; lesquels flambeaux seront du poids d’une livre et demie de bonne cire jaune, afin que la bonté et durée d’iceux oblige un chacun de s’en servir, et marquez des armes de la ville, pour estre connus de louage.

Et afin que ceux qui voudront estre conduits et esclairez par flambeaux, le puissent estre à si peu de frais qu’il leur plaira, la Cour par son arrest dudit jour, 26 aoust dernier, ordonne que lesdits flambeaux du poids et qualité cy-dessus, et marquez des armes de la ville, comme dit est, seront divisez par marques en dix portions esgales, sur lesquelles seront reservez trois pouces, qui seront enclavez dans un morceau de bois, afin que lesdites dix portions puissent brûler entièrement pour faire service ; pour chacune desquelles portions ceux qui se voudront servir desdits flambeaux payeront cinq sols ; et pour esviter toutes contestations, ordonne que celle desdites portions entamée sera payée comme si elle estoit consommée, et que lesdits flambeaux ne pourront estre faits ny fabriquez par autres que par les maistres espiciers de cette ville de Paris.

De sorte que tant pour le flambeau, que pour la peine et salaire de celuy qui le portera, il ne sera payé que cinquante sols. Quoique ledit flambeau (du poids et qualité cy-dessus, pris chez les marchands espiciers) reviendra à trente-cinq sols, et lorsque l’on se voudra servir desdits porte-flambeaux, on leur payera par advance la première portion.

Et à l’esgard des porte-lanternes, il faut scavoir que leurs lanternes seront à huille, et que la lampe d’icelle sera composée de six gros luminons, qui feront autant de clarté qu’aucun flambeau ; l’huille desquelles ne se peut respandre, quelque mouvement violent que l’on puisse faire, ny le feu s’esteindre, pour quelque pluye ou vent que ce soit ; ce qui ne se rencontre pas tousjours dans un flambeau : et lesdites lanternes seront à plusieurs lumières, pour estre distinguées de celles des bourgeois, comme il est porté par lesdites lettres-patentes et arrest de ladite cour de Parlement.

Et afin que ceux qui voudront estre conduits et esclairez par lanternes le puissent estre avec bien moins de frais que par flambeaux, la Cour par son dit arrest a réglé le salaire desdits porte-lanternes, scavoir, pour les gens qui vont à pied, à trois sols pour, quart-d’heure, et pour les gens qui vont en carrosses et en chaises, à cinq sols, et à cet effet ordonne que lesdits porte-lanternes auront un sable, juste d’un quart-d’heure, marqué aux armes de la ville, qu’ils porteront à leurs ceintures ; et lorsque tant les gens des carrosses et de chaises, que ceux qui vont à pied se voudront servir desdits porte-lanternes, ils leur payeront d’avance la susdite taxe, ensuite de quoy lesdits porte-lanternes tourneront leurs sables et marcheront.

Et comme il n’y a point de carrosses ny de chaises, qui dans une traitte d’un quart-d’heure ne se rendent où bon leur semble, en quelque endroit de la ville qu’ils puissent estre, ils trouveront un grand advantage à se servir de cette commodité, tant pour le peu de frais qu’il y a, que parceque ces lanternes feront autant de clarté qu’aucun flambeau, et que leur feu ne se peut esteindre, comme il est dit cy-dessus.

Lesdits porte-lanternes seront postez pareillement aux environs du Louvre, du palais, lieux d’assemblées, carrefours et places publiques, et à mesure que leur nombre augmentera, on les distribuera dans les autres lieux plus passants et plus nécessaires.

Et s’il arrivoit que le nombre d’iceux allast jusques à quinze ou seize cents, pour lors on pourra les poster aux coins et au milieu des rues, de trois cents en trois cents pas, ce qui donnera une troisiesme commodité au public d’estre éclairé de poste en poste ; pour chacun desquels postes sera payé un sol marqué, suivant le réglement de ladite cour. Lesquels porte-lanternes se relayeront les uns les autres et retourneront en mesme temps au poste d’où ils seront partis ; et en cas que, dans le poste où ils auront conduit et esclairé, il ne se trouve aucun porte-lanterne, à cause qu’il seroit party de son poste pour éclairer d’autres personnes, ils poursuivront à esclairer de poste en poste, jusques à ce qu’ils ayent trouvé un autre porte-lanterne, et prendront pareillement chacun desdits postes un sol marqué ; de sorte qu’en quelque endroit de la ville et des faubourgs que l’on puisse estre, on pourra trouver des porte-lanternes qui esclaireront et escorteront de rue en rue, et de poste en poste.

Et ceste commodité de pouvoir aller et venir, et d’estre esclairé à si peu de frais, fera que les gens d’affaires et de négoce sortiront plus librement, que les rues en seront bien plus fréquentées de nuit (ce qui contribuera beaucoup à exempter la ville de Paris de voleurs), et que l’on pourra fort souvent rencontrer des occasions d’estre esclairé sans que qu’il en couste rien, en suivant lesdits porte-flambeaux et porte-lanternes, lorsqu’ils éclaireront d’autres personnes.

Outre les commoditez que cet establissement apporte à ceux qui se feront esclairer, il en donne d’autres à ceux qui seront employez à cet exercice ; par exemple à quantité de manœuvres, de beaucoup de sortes de mestiers, qui, dans la saison de l’hyver, ne peuvent trouver aucun travail pour gaigner leur vie, et à quantité de pauvres gens d’y faire occuper leurs enfans de quinze à seize ans, qui bien souvent ne font rien, et leur sont à charge.

Ceux qui voudront estre employez à porter lesdits flambeaux et lanternes, s’adresseront au bureau estably à cet effet, où leur sera donnée la permission par escrit, et payeront audit bureau pour le droit quatre sols par jour.

Et aux porte-lanternes sera fourny une lanterne avec une lampe de léton, à six lumières, un sable d’un quart d’heure, et une affiche de fer blanc, où sera peinte une lanterne, qu’ils attacheront eux-mêmes aux postes qui leur seront distribuez, et ne payeront pour ladite lanterne, lampe, sable et affiche, que six livres, quoyque le tout revienne au maistre du bureau à onze livres ; et mesme il seront dispensez et exempts pour le premier mois de payer ledit droit de quatre sols par jour ; après lequel temps ils commenceront à le payer par advance de quinze en quinze jours. Et seront tenus lesdits porte-lanternes, en cas qu’ils quittent, de rapporter au bureau ladite lanterne, lampe et sable, et d’en donner bonne et suffisante caution. On prétend aussi que, tant les porte-flambeaux que porte-lanternes, soient gens connus et ayant leur domicile en cette ville, ou fauxbourgs de Paris, sans quoy il ne seront point reçeus.

Pour ce qui est de la dépense d’huille que lesdits porte-lanternes feront, quand même les six lumières de leurs lanternes seroient toujours allumées, elle ne va qu’à neuf deniers par heure, et ils ne seront obligez à les tenir toutes allumées que lorsqu’ils seront employez.

Et si ceux qui ont le soin des carrosses à cinq sols veulent se servir de la commodité desdites lanternes, ils s’adresseront au bureau estably à cet effet, où leur sera donnée la permission par escrit pour leurs valets, en payant le droit de quatre sols par jour pour chacun d’iceux

Le Bureau est estably rue Saint-Honoré, près les pilliers des halles, et sera ouvert le quatorziesme octobre 1662.


FIN.