Les catacombes/Tome VI/03

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Werdet, éditeur-libraire (Tome vip. 95-118).


LE DAGUÉROTYPE.


















À la fin, nous avons pu voir de nos yeux, toucher de nos mains cette incroyable et admirable invention de Daguerre. Il n’est pas besoin de s’occuper, comme nous faisons, des beaux arts et de leurs moindres détails, pour connaître Daguerre : son nom est populaire en Europe. Il a été d’abord un peintre habile ; mais son art même ne lui a pas suffi, et il a voulu trouver quelque chose un peu au-delà de la peinture. Ce quelque chose, c’était le Diorama. Par la toute-puissance de cet art qu’il agrandissait, Daguerre nous a fait entrer dans l’intérieur des tableaux, dont avant lui on ne voyait que la surface : vous avez pénétré à sa suite dans les vieilles églises en ruines ; vous avez gravi la montagne, descendu le vallon ; vous avez parcouru les fleuves et les mers ; l’enchanteur vous a promené sans fatigue dans les plus curieuses capitales. Cet homme habile s’il en fut se jouait de tous les effets les plus multipliés de la lumière et de la couleur, qu’il faisait agir à son gré, l’une et l’autre, comme s’il en était le maître souverain. À de pareils spectacles, si nouveaux pour lui, le public restait ébahi et confondu d’admiration. Les peintres disaient entre eux : « Mais quel dommage que Daguerre, ce grand peintre, s’obstine ainsi à faire des tableaux plus beaux que la peinture ! » À cette admiration et à ces reproches Daguerre répondait en souriant, car lui seul savait bien où il voulait aller.

À force donc d’étudier d’une façon si persévérante dans son sanctuaire du Diorama, où il produisait tant de chefs-d’œuvre, la nuance intimé de la lumière et de la couleur, à force de commander au soleil et de le porter çà et là, esclave obéissant et volontaire, sur tous les points où il avait besoin de son rayon vigoureux ou pâle, l’inventeur du Diorama devait arriver à des résultats étranges. Ce qui n’était pour nous, frivoles, qu’un jeu frivole en apparence, était en résultat une étude sévère et complète de cette science qu’il devait pousser jusqu’aux dernières limites. Vous souvient-il de deux tableaux célèbres du Diorama, la Vallée de Goldau et la Messe de Minuit à l’église Saint-Étienne-du-Mont ? Dans l’un et l’autre tableau la lumière agit ainsi : vous voyez d’abord la vallée, calme et sereine comme un beau paysage de la Suisse par un tranquille et frais soleil ; l’humble chalet est posé légèrement sur le versant de la montagne ; la verdoyante prairie étend son fin tapis sur les bords du petit ruisseau qui serpente ; la vie est partout dans ce doux petit recoin du monde : l’arbre s’agite, la chèvre broute, l’oiseau chante, le paysan travaille. Tout à coup… mais quelle horrible révolution ! voici que le sommet de ces montagnes s’ébranle, voici que le gazon disparaît pour faire place à la terre bouleversée… Au secours ! au secours ! Une avalanche de terre engloutit le petit chalet ; le ruisseau débordé devient un torrent terrible, l’arbre déraciné jette au loin ses branches et sa ruine. Vous assistez ainsi au plus terrible bouleversement et vous vous écriez : Quelle tempête ! quel affreux tremblement de terre ! Mais qui donc est l’auteur de tous ces ravages ? — L’auteur de tous ces ravages, c’est le même homme qui, tout à l’heure, semait autour de vous tant d’idées fraîches et riantes ; ce tableau terrible d’une dévastation sans bornes, c’est le même paysage si doux sur lequel vos yeux charmés se reposaient tout à l’heure. Par une certaine combinaison de l’ombre, de la lumière et de la couleur, il arrive que tout à coup le chalet est devenu un roc, la prairie une terre fraîchement remuée, le ruisseau un torrent, l’arbre une ruine, l’homme vivant un cadavre. Le vulgaire admirait toutes ces transformations incroyables sans nullement s’en rendre compte ; celui seul qui s’en rendait compte complètement, c’était Daguerre.

Il en était de même de la Messe de minuit. Vous entriez dans la vieille église ; elle était vide : pas une seule vieille femme agenouillée au pied de l’autel, pas un prêtre dans le sanctuaire, pas un enfant de chœur, pas même le donneur d’eau bénite à la porte ; la lumière seule remplissait le vide de ces arceaux gothiques ; elle allait se perdant au loin, éclairant toutes les profondeurs de l’édifice. Peu à peu, cependant, à la lumière décroissante, vous voyez entrer quelques fidèles, puis la foule arriver, puis l’église se remplir jusqu’aux combles. C’en est fait, les cierges s’allument, les prêtres sont dans leurs stalles, les femmes sont agenouillées sur leur prie-dieu, les hommes se tiennent debout dans l’attitude du respect. Dans la chaire gothique le prédicateur est monté, et il jette à tous la sainte parole. Quand tout est dit, la foule prosternée se relève, l’église se vide peu à peu, les prêtres rentrent dans la sacristie, le prédicateur descend de sa chaire, le sacristain ferme la porte du temple, le crépuscule du jour naissant redescend sur ces dalles sonores. Cette fois encore l’église est vide, et cependant c’est toujours la même église, c’est toujours le même tableau, rien n’a changé. Vous allez voir maintenant à quel but mystérieux ces essais persévérants devaient conduire Daguerre.

À force d’études ce peintre célèbre était parvenu à être un grand chimiste. Il avait observé, sans nul doute, que telle nuance, vigoureuse au grand jour, s’effaçait à mesure que s’effaçait la lumière et disparaissait complètement ; il savait en outre, ce que nous savons tous, l’action du soleil et de la lumière sur la couleur : il se proposa donc, avec cette persévérance acharnée qui est le génie, la solution du problème suivant : Trouver une couleur ainsi faite, que le soleil, bien plus, que la lumière seule l’enlève en partie pendant que l’autre partie résiste et reste immobile à sa place ; forcer le jour à agir sur cette ombre donnée comme ferait le burin divin de quelque Morghen invisible, et ainsi jeter sut cette planche unie et sombre la forme et la vie ; forcer le soleil, cet œil du monde, à n’être plus qu’un ingénieux ouvrier sous les ordres d’un maître… Voilà sans contredit le plus étrange, le plus difficile, le plus incroyable problème qu’un homme se soit proposé de nos jours. Pour la difficulté, nous ne disons pas pour l’utilité de l’œuvre, l’inventeur de la vapeur ne vient que le second.

Par quelle suite incroyable d’essais, de tentatives, de recherches, de péripéties de tous genres, l’auteur du daguérotype est arrivé au résultat que nous allons vous dire, c’est encore son secret. Plus tard il l’expliquera lui-même à toute l’Europe, quand la France, libérale et désintéressée entre toutes les nations du monde, lui aura fait, à l’Europe, ce noble présent. Toujours est-il qu’à force de persévérance et de génie, et par une suite infinie d’essais, M. Daguerre est arrivé au résultat que voici : Il a composé un certain vernis noir : ce vernis s’étend sur une planche quelconque ; la planche est exposée au grand jour ; et aussitôt, et quelle que soit l’ombre qui se projette sur cette planche, la terre ou le ciel ou l’eau courante, la cathédrale qui se perd dans le nuage, ou bien la pierre, le pavé, le grain de sable imperceptible qui flotte à la surface, toutes ces choses grandes ou petites, qui sont égales devant le soleil, se gravent à l’instant même dans cette espèce de chambre obscure qui conserve toutes les empreintes. Jamais le dessin des plus grands maîtres n’a produit de dessin pareil. Si la masse est admirable, les détails sont infinis. Songez donc que c’est le soleil lui-même, introduit cette fois comme l’agent tout-puissant d’un art tout nouveau, qui produit ces travaux incroyables. Cette fois ce n’est plus le regard incertain de l’homme qui découvre au loin l’ombre ou la lumière ; ce n’est plus sa main tremblante qui reproduit sur un papier mobile la scène changeante de ce monde que le vide emporte.

Cette fois, il n’est plus besoin de passer trois jours sous le même point du ciel ou de la terre pour en avoir à peine une ombre défigurée : le prodige s’opère à l’instant même, aussi prompt que la pensée, aussi rapide que le rayon du soleil qui va frapper là-bas l’aride montagne ou la fleur à peine éclose. Il y a un beau passage dans la Bible ; Dieu dit : Que la lumière soit, la lumière fut. À cette heure, vous direz aux tours de Notre-Dame : Placez-vous là, et les tours obéiront ; et c’est ainsi qu’elles ont obéi à Daguerre, qui, un beau jour, les a rapportées chez lui tout entières, depuis la pierre formidable sur laquelle elles sont fondées jusqu’à la flèche mince et légère qu’elles portent dans les airs et que personne n’avait vue encore, excepté Daguerre et le soleil.

Ce que nous disons là est bien étrange ; mais rien n’est incroyable comme certaines vérités. Napoléon lui-même, cet homme qui comprenait toute chose, n’a pas voulu croire qu’une légère vapeur enfermée dans un tube de fer pouvait soulever le monde, et il appelait un jouet d’enfant ce bateau à vapeur qui fonctionnait sous ses yeux. Il faudra bien cependant qu’on croie au daguérotype ; car nulle main humaine ne pourrait dessiner comme dessine le soleil, nul regard humain ne pourrait plonger aussi avant dans ces flots de lumière, dans ces ténèbres profondes : nous avons vu ainsi reproduits les plus grands monuments de Paris, qui, cette fois, va devenir véritablement la ville éternelle. Nous avons vu le Louvre, l’Institut, les Tuileries, le Pont-Neuf, Notre-Dame de Paris ; nous avons vu le pavé de la Grève, l’eau de la Seine, le ciel qui couvre Sainte-Geneviève ; et dans chacun de ces chef-d’œuvres c’était la même perfection divine.

L’art n’a plus rien à débattre avec ce nouveau rival, Il ne s’agit pas ici, notez-le bien, d’une grossière invention mécanique qui reproduit tout au plus des masses sans ombre, sans détails, sans autre résultat qu’un bénéfice de quelques heures d’un travail manuel ; non, il s’agit ici de la plus délicate, de la plus fine, de la plus complète reproduction à laquelle puissent aspirer les œuvres de Dieu et les ouvrages des hommes. Et notez bien encore ceci, que cette reproduction est bien loin d’être une et uniforme, comme on pourrait la croire encore : au contraire, pas un de ces tableaux, exécutés d’après le même procédé, ne ressemble au tableau précédent : l’heure du jour, la couleur du ciel, la limpidité de l’air, la douce chaleur du printemps, la rude austérité de l’hiver, les teintes chaudes de l’automne, le reflet de l’eau transparente, tous les accidents de l’atmosphère se reproduisent merveilleusement dans ces tableaux merveilleux qu’on dirait enfantés sous souffle des génies aériens.

C’est ainsi que dans une suite de tableaux créés par le daguérotype nous avons vu Paris reproduit par un chaud rayon de soleil : le soleil avait déteint sur ces nobles murailles, qui ressortaient vigoureusement de cette ombre fantastique ; après quoi nous avons vu Paris reproduit sous son voile de nuages, quand l’eau descend tristement goutte à goutte, quand le ciel est couvert d’un crêpe mouillé, quand le froid resserre tristement les moindres pierres de la ville. Ainsi, cette manière de reproduire le monde extérieur ajoutera au grand mérite d’une fidélité de détails impossible à dire le grand mérite d’une incroyable fidélité de la lumière. Il arrivera donc qu’au premier coup d’œil vous reconnaîtrez le dessin reproduit par le pâle soleil parisien et le dessin exécuté par l’ardent soleil d’Italie. Vous direz à coup sûr : Voici un paysage rapporté des froids vallons de la Suisse ; voici un aspect emprunté aux déserts de Sahara ; vous distinguerez le campanile de Florence des tours de Notre-Dame, par la seule inspection du ciel dans lequel elles s’élèvent l’une et l’autre, les deux tours élégantes ou terribles. Merveilleuse découverte en effet, qui conserve non-seulement l’identité des lieux, mais encore l’identité du soleil.

Et notez bien encore que l’homme reste toujours le maître, même de la lumière qu’il fait agir : une seconde de plus ou de moins consacrée à cette œuvre compte pour beaucoup. Tenez-vous aux détails plus qu’à la masse ? en deux minutes vous avez un dessin comme les fait Martinn, confusion poétique et tant soit peu voilée dans laquelle l’œil devine plus de choses qu’il n’en voit en effet. Voulez-vous au contraire, comme l’architecte, que le monument vienne en relief et se montre à vous tel qu’il a été construit et dégagé de tout entourage qui pourrait en diminuer l’effet ? cette fois encore le soleil obéira, il dévorera tous les accessoires, et votre monument restera isolé comme la colonne au milieu de la place Vendôme. Vous obtiendrez par le même procédé tous les effets que vous voudrez obtenir, depuis l’aube naissante jusqu’aux derniers crépuscules du soir.

Ce qui n’est pas un de nos moindres sujets d’admiration, c’est qu’une fois l’œuvre accomplie par le soleil ou la lumière, le soleil ou la lumière n’y peuvent plus rien : ce frêle vernis sur lequel le moindre rayon avait tant d’empire tout à l’heure, maintenant vous l’exposez en vain au grand jour ; il est durable, impérissable comme une gravure sur acier. Il est impossible de commander d’une façon plus impérieuse ; c’est dire vraiment à la lumière ; Tu n’iras pas plus loin.

Vous avez vu l’effet de la chambre obscure : dans la chambre obscure se reflètent les objets extérieurs avec une vérité sans égale ; mais la chambre obscure ne produit rien par elle-même ; ce n’est pas un tableau, c’est un miroir dans lequel rien ne reste. Figurez-vous maintenant que le miroir a gardé l’empreinte de tous les objets qui s’y sont reflétés, vous aurez une idée à peu près complète du daguérotype.

Mais, bien plus, la lune elle-même, cette incertaine et mouvante clarté, ce pâle reflet du soleil, dont il est éloigné de quarante millions de lieues, la lune mord aussi sur cette couleur, qu’on peut dire inspirée. Nous avons vu le portrait de l’astre changeant se refléter dans le miroir de Daguerre, au grand étonnement de cet illustre Arago, qui ne savait pas tant de puissance à son astre favori.

Soumettez au microscope solaire l’aile d’une mouche, et le daguérotype, aussi puissant que le microscope, va reproduire l’aile de cette mouche dans ces dimensions incommensurables qu’on dirait empruntées aux contes des fées. Maintenant est-il besoin de vous dire toutes les applications sans fin de cette immense découverte, qui sera peut-être l’honneur de ce siècle ? Le daguérotype est destiné à reproduire les beaux aspects de la nature et de l’art, à peu près comme l’imprimerie reproduit les chefs-d’œuvre de l’esprit humain. C’est une gravure à la portée de tous et de chacun, c’est un crayon obéissant comme la pensée, c’est un miroir qui garde toutes les empreintes, c’est la mémoire fidèle de tous les monuments, de tous les paysages de l’univers ; c’est la reproduction incessante, spontanée, infatigable des cent mille chefs-d’œuvre que le temps a renversés ou construits sur la surface du globe. Le daguérotype sera le compagnon indispensable du voyageur qui ne sait pas dessiner et de l’artiste qui n’a pas le temps de dessiner. Il est destiné à populariser chez nous, et à peu de frais, les plus belles œuvres des arts dont nous n’avons que des copies coûteuses et infidèles. Avant peu, et quand on ne voudra pas être soi-même son propre graveur, on enverra son enfant au Musée et on lui dira : Il faut que dans trois heures tu me rapportes un tableau de Murillo ou de Raphaël. On écrira à Rome : Envoyez-moi par le prochain courrier la coupole de Saint-Pierre, et la coupole de Saint-Pierre vous arrivera courrier par courrier. Vous passez à Anvers : vous admirez la maison de Rubens, et vous envoyez à votre architecte cette maison sans rivale dans les caprices flamands. Voilà, dites-vous, la maison que je veux bâtir ; et, sur ce dessin fidèle, l’architecte retrouve un à un tous les ornements de cette pierre devenue dentelle sous le ciseau du sculpteur. Désormais le daguérotype suffira à tous les besoins des arts, à tous les caprices de la vie : vous emporterez avec vous, et sans qu’elle le sache, la blanche maison sous laquelle se cache votre maîtresse ; vous ferez vous-même la copie de ce beau portrait de M. Ingres, dans lequel M. Ingres a reproduit la belle tête de ce noble écrivain, l’honneur de la presse en Europe, et vous direz : Que m’importe à présent que ce portrait n’ait point été livré à la gravure ? j’ai beaucoup mieux qu’une gravure : j’ai aussi bien qu’un dessin de M. Ingres. Mon Dieu ! pour se servir de cet ingénieux miroir, il ne sera pas besoin d’être un grand voyageur dans les pays déserts comme M. Combes, d’être un grand poëte comme M. de Lamartine, de marcher comme le comte Dermidoff à travers les déserts de la Russie méridionale, à la tête d’une armée de savants et d’artistes : dans les plus simples et les plus douces passions de la vie le daguérotype aura son utilité et son charme ; il reproduira à l’instant toutes les choses aimées : le fauteuil de l’aïeul, le berceau de l’enfant, la tombe du vieillard.

M. Daguerre espère bien qu’avant peu il parviendra aussi à obtenir le portrait, sans qu’il soit besoin du portrait préalable de M. Ingres. Il est déjà en train d’inventer une machine à l’aide de laquelle le sujet restera parfaitement immobile ; car, telle est la puissance de ce reproducteur acharné, le daguérotype, qu’il reproduit à l’instant même le coup d’œil, le froncement du sourcil, la moindre ride du front, la moindre boucle de cheveux qui s’agite. Prenez la loupe : voyez-vous, sur ce sable uni, ce quelque chose d’un peu plus obscur que le reste ? C’est un oiseau qui aura passé dans le ciel.


Nous vivons dans une singulière époque : nous ne songeons plus, de nos jours, à rien produire par nous-mêmes ; mais, en revanche, nous recherchons avec une persévérance sans égale les moyens de faire reproduire pour nous et à notre place. La vapeur a quintuplé le nombre des travailleurs ; avant peu les chemins de fer doubleront ce capital fugitif qu’on appelle la vie ; le gaz a remplacé le soleil ; on tente à cette heure des essais sans fin pour trouver un chemin dans les airs. Cette rage de moyens surnaturels a passé bientôt du monde des faits dans le monde des idées, du commerce dans les arts. Il n’y a pas déjà si longtemps qu’a été inventé le diagraphe-gavard, au moyen duquel les plafonds obéissants du palais de Versailles viennent d’eux-mêmes se poser sur le papier, reproduits par la main d’un enfant sans expérience. L’autre jour encore un autre homme de génie, le même qui a trouvé le moyen de reproduire en relief toutes les médailles antiques ou modernes, M. Colas, inventait une roue à l’aide de laquelle il a reproduit, avec une admirable et incroyable vérité, la Vénus de Milo. Voici maintenant qu’avec cet enduit étendu sur une planche de cuivre M. Daguerre remplace le dessin et la gravure. Laissez-le faire, avant peu vous aurez des machines qui vous dicteront des comédies de Molière et feront des vers comme le grand Corneille. Ainsi soit-il.

Une loi va être présentée aux chambres par M. Arago lui-même pour donner à M. Daguerre, non pas un brevet d’invention, il est tout disposé à démontrer publiquement son procédé, mais une récompense nationale qui lui donne le moyen de se ruiner encore une fois pour une nouvelle découverte. Certes, malgré toute sa mesquinerie de nation constitutionelle, représentée par des bourgeois très-peu éclairés et disposés à mépriser tout ce qui n’est pas une charrue, une forge, ou une truelle à bâtir, la France ne saurait trop récompenser ce génie et cette persévérance arrivés à un pareil résultat. Elle accordera sans nul doute à l’auteur de la gravure universelle, non pas la récompense qu’il mérite, mais seulement la récompense qu’il demande. Puis, quand elle aura fait de Daguerre un homme riche autant qu’il est célèbre, quand elle lui aura ouvert les portes de cet Institut qui le réclame, la France dira à l’Europe : Je vous ai déjà donné la vapeur ; maintenant baissez-vous et ramassez à mes pieds le nouveau présent que je vous fais.