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Les cavaliers de Miss Pimbêche/03

La bibliothèque libre.
George E. Desbarats, éditeur (p. 29-34).

SECONDE PARTIE.


L’amour est un état de guerre, c’est pour cela que tous les termes en sont militaires : vaincu, vainqueur, chaîne, conquête, etc., etc.
(M. Dubucq.)


— Eh bien ! que pensez-vous de Miss Pimbêche ? me demandait, à quelques jours de là, mon vieil ami.

— Je pense, lui répondis-je, que c’était une coquette achevée, peu sensible, pour ne pas dire tout-à-fait sans cœur, très-orgueilleuse et, bien que douée d’un esprit agréable, totalement dépourvue de sens commun.

— Et voilà comment, jeune homme impitoyable, vous jugez une pauvre femme que le monde, par sa méchanceté, a lancée dans une mauvaise voie, mais que le ciel avait créé, bonne, indulgente, sensible et dévouée !

— Je suis fâché de ne point partager votre opinion, mais je n’ai pas trouvé même le germe de toutes ces qualités dans les notes que vous avez bien voulu me communiquer ; j’y ai vu de l’aigreur, un désir impitoyable de vengeance, enfin, un égoïsme parfait, si je comprends bien la valeur de ce mot.

— Dites moi, si vous aviez été traité par une femme comme cette pauvre Pimbêche l’a été par l’officier du 4… de ligne, auriez-vous aujourd’hui l’âme bien disposée à la bienveillance ?

— Non, peut-être, mais je me contenterais de mépriser, d’abord, puis d’oublier la personne qui m’aurait trompé, et je ne songerais point à me venger sur des innocents d’un malheur qui n’atteint que moi.

— Fort bien, mais vous oubliez une distinction importante : vous êtes homme, mon cher ; vous êtes jeune et, partant, courageux ; si on vous inflige une insulte, vous avez mille moyens de vous en venger. Mais que reste-t-il à une femme ? La déception et les pleurs.

— Miss Pimbêche nous dit qu’elle a pleuré pendant quinze jours. L’orage passé, elle s’est levée furieuse, et elle veut s’occuper maintenant à défaire des mariages… Voilà un beau rôle pour une jeune personne de vingt-trois ans !

— Vous le pardonneriez à une jeunesse[1] de cinquante ans, je suppose ?

— Peut-être, car une femme de cet âge n’a pas toujours d’intérêt personnel à se mêler de négociations amoureuses, et je suis porté à croire que votre ancienne amie ne voulait faire ce petit manège qu’à son profit.

— Je vous trouve indulgent pour les Colin-Tampon du sexe féminin… Il suffit, pour les excuser à vos yeux, qu’elles aient atteint un certain âge… Mais vous ne sauriez pardonner ce travers dans une jeune personne ?

— Je ne le pardonnerais pas.

— Eh bien ! mon jeune ami, permettez moi de vous présenter mes compliments ; vous parlez comme un livre, et, je suis forcé de l’avouer, l’expérience et la logique des faits vous donnent raison dans bien des cas. Lisez la suite de ce « Journal »… faites en des extraits, si cela vous sourit ; quand vous aurez terminé votre travail, Monsieur Auguste Dickson,… car c’est moi qu’elle désigne ainsi, vous racontera, en peu de mots, la fin de l’histoire malheureusement trop véridique de Miss Pimbêche Caquet, comme vous l’avez si bien baptisée.

Le ton un peu ironique dont ces dernières paroles avaient été prononcées, ne manqua pas de m’intriguer et j’étais fort impatient de connaître la fin de ce roman de la vie réelle. En rentrant chez moi, je parcourus avidement la fin du « Journal » de Miss Pimbêche. Cette partie était plus décousue… On y voyait l’auteur en proie à une sorte d’agitation fébrile, cherchant des consolations dans le tourbillon du monde, flattant ceux qu’elle avait dénigrés et oubliant, ou du moins refoulant dans un coin stérile de son cœur, toutes ses premières affections. Après cette lecture, je commençai à mettre une partie des torts sur la société. D’accord avec « l’Ancien Canadien », je blâmai, en moi-même, la facilité avec laquelle on laisse nos jeunes personnes se créer des relations qui doivent souvent leur coûter bien des larmes et compromettre leur avenir. En un mot, sans excuser Miss Pimbêche, je commençai à la plaindre un peu.

Voici ce qui me parut le plus saillant dans ce brouillon écrit à la hâte et d’une main agitée :

  1. Expression canadienne qui est parfaitement française, et, comme le mot cavalier, consacrée par l’usage, au Canada.