Les cimetières catholiques de Montréal depuis la fondation de la colonie/0

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PRÉFACE



Notre aimable concitoyen, Monsieur Siméon Mondou, ancien Secrétaire de la Fabrique de Notre-Dame, a fait paraître en 1888 un livre qui n’a pas reçu du public l’accueil qu’il méritait. L’auteur m’a manifesté le désir d’en faire une nouvelle édition. Il est convaincu que ce serait rendre un service important à la société catholique. Il a raison, et nous nous rendons à son désir en écrivant cette préface ; Dieu veuille bénir son dessein et les sentiments qui m’animent en la dictant : Il faut que les catholiques joignent à leurs manuels de piété, à leurs paroissiens le manuel des tombes où gisent les cendres, les ossements de leurs chers défunts, hélas si vite oubliés.

En promenant nos pas à travers cette vaste métropole, une pensée surgit dans l’âme et l’étreint. — Il nous faut mourir — oui tous — c’est vrai. — Mais au point de vue chrétien nous pouvons, nous devons nous consoler et nous dire comme le grand saint Paul : « O mort : je serai ta mort. » Je vivrai saintement afin de bien mourir. La vie présente n’est pas la vraie ; elle ne doit être qu’une préparation à une vie meilleure, heureuse pour toujours. On nous l’a souvent redit du haut de la chaire sacrée. Il ne faut donc pas répéter que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, puisqu’en la vivant avec une pieuse générosité, elle nous servira de véhicule vers les parvis éternels. Mais il faut quand même fortifier nos âmes par une filiale résignation, je dis filiale, parce que nous sommes fils du Dieu qui a frappé l’humanité de son décret de mort. Ineffable compensation, nous sommes cohéritiers de Jésus-Christ, et dans cet héritage nous trouvons les moyens de force, de courage et d’énergie pour lutter et remporter de saints triomphes. Voilà pourquoi les mausolées somptueux comme les simples croix des pauvres ne doivent pas trop nous désoler. Allez, parcourez ces avenues endeuillées ; découvrez-vous et priez. De grâce, ne visitez pas en touriste ce champ béni de la mort. Si vous avez un peu d’âge, ayez en main ce livre que je vous annonce, il vous dira à qui appartiennent ces cendres, ces ossements.

Ah ! c’est ici que repose mon excellent confrère, mon parent, mon ami. Et puis, voici les tombeaux de nos hommes illustres, de nos lettrés, écrivains, poètes, artistes. Effeuillez ce livre. Il vous sera comme un guide intelligent et sûr à travers ce labyrinthe de croix et de tombes qui devraient vous être connues. « Oui, parcourez avec une pieuse mélancolie ces allées, ces monuments, ces milliers de modestes demeures des morts, les unes récentes, entretenues pieusement, les autres, en plus grand nombre délaissées ; il vous semblera de ce sol entendre s’élever comme une voix puissante. » (La Croix de Paris.) Je continue d’appliquer à mon sujet les touchantes paroles de cet excellent journal. Oui, visiteur pieux et recueilli de notre cimetière catholique, recueillez la plainte de ceux qui sont partis. Vous entendrez leur cri de dédain pour toutes les vanités terrestres, l’appel à la prière des fils, des filles et des amis, pour obtenir une prochaine délivrance. Cette voix d’outre-tombe vous impressionnera de plus en plus vivement, à mesure que vous pénétrerez plus avant dans la cité des morts. À l’aide de ce livre précieux, le tenant en main et le pressant sur votre cœur, vous vous arrêterez subitement. Qu’y a-t-il ? Je vois vos yeux pleins de larmes ; vous sanglotez. Ah ! je comprends, vous êtes penché sur des tombes qui vous sont bien chères, celles d’un père, d’une mère, d’un époux, d’une épouse. Peut-être est-ce la tombe de votre meilleur ami d’enfance, de collège, qui vous a toujours tant affectionné, si bien compris ? Dites-moi, en avez-vous rencontré beaucoup comme lui depuis son départ ? Quel sérieux examen de conscience vous devrez faire en présence de ces tertres muets ! Je me trompe, une légère brise déferlant la colline, viendra agiter les feuilles des arbustes comme pour mêler aux vôtres les larmes des défunts chéris. En vous ressaisissant, vous vous demanderez : Combien d’aumônes ai-je faites, combien de prières ai-je dites ou fait dire pour le soulagement de ces chères âmes ? Ah ! il est donc bien vrai que je me suis contenté d’une mise en scène de douleur, de larmes banales et vite taries. — Entraîné par la passion, arrêté par le respect humain, engourdi par la négligence et les excès, un jour, peut-être, vous vous êtes complu dans le témoignage que vos larmes devaient être séchées ; que du reste, après le deuil d’exigence sociale, vous pouviez reprendre une vie plus ou moins vertueuse, pour le moins négligente, comme si, à côté de vos morts vous ne deviez pas un jour être étendu. Non, gravissez plutôt la colline, et contemplez cette forêt de croix, c’est le Credo d’un peuple de morts (Frank). En l’écoutant vous vous rappellerez l’émouvante prière de l’Église, lorsqu’elle appelle la miséricorde divine sur les trépassés « parce qu’ils ont cru, parce qu’ils ont espéré — quia speravit et credidit. » Oui, la visite des cimetières est une pratique pieuse, des plus louables ; je devrais dire un impôt, une dette sacrée attachés aux plus chers souvenirs des cœurs bien faits. C’est ce qui a inspiré un fameux écrivain français les lignes suivantes (Georges Montorgueil) : « À peine franchi le seuil des nécropoles, nous nous sentons en communion avec tous ceux qui reposent là, illustres ou anonymes, et qui ont passé avant nous, par cette porte ouverte sur l’éternité, où nous passerons. Même sans avoir compté, même sans avoir été de ceux dont les noms avant d’être gravés sur la pierre, le furent dans les mémoires, simplement parce qu’ils ont vécu, nous leur devons une reconnaissance infinie ; nous venons d’eux. Leur cendre nous a créés. La visite à nos proches terminée, la tombe parée, le souvenir donné avec les chrysanthèmes, nous rentrons d’un pas raccourci, nous attardant aux épitaphes, aux dédicaces obscures. Elles nous disent que ceux-là sont venus qui ont lutté, souffert, aimé et pleuré. Et puis encore, qu’ont-ils fait ? Ils nous ont faits. Et c’est déjà une grande leçon, puisqu’ils nous disent, quels qu’ils soient, si humbles qu’ils soient, que l’individu sert l’œuvre commune, et que ceux qui y ont dormi, avant tous ceux qui y dormiront, sont les ouvriers fugitifs du labeur éternel, et que notre monde vaut parce qu’ils ont valu. »

Que de réflexions salutaires surgissent des tombes de nos cimetières ! À quoi sert de les étouffer dans l’âme ? Pour mieux fuir des plaisirs néfastes, en vue des festins somptueux, des indécences, des bals et des mauvais théâtres ? Mais penchez-vous donc sur certaines tombes. Elles renferment les restes d’hommes ou de femmes dont vous avez connu les navrants excès et les délirantes voluptés. Ils ont brûlé leur vie avant d’aller brûler dans le feu vengeur de Dieu pour expier leurs forfaits. Après avoir émerveillé tout le monde par leurs talents incontestés, ils se sont suicidés par leurs orgies, mettant ainsi une fin volontaire à leur précieuse existence. Le déploiement des plus majestueuses pompes funèbres, l’accumulation des fleurs sur leurs cercueils n’ont pas empêché le fossoyeur d’accomplir son œuvre. Les amis, ennemis même, admirateurs des dons de l’intelligence, se sont retirés en se disant avec profond regret : « Quel malheur d’avoir si tôt privé la société des bienfaits de talents si précieux ! » Aux réflexions précédentes, je dois en ajouter une autre. Je la résumerai en me faisant l’interprète des voix des morts « longtemps connus, si tôt oubliés ». Oui, l’oubli étend son manteau sur tous nos tombeaux ; et n’était la tendresse du divin amour de l’Église, nous serions tous oubliés. C’est dans ce but que les cimetières entouraient toujours nos temples. Les nécessités des villes, même des villages détruisent de plus en plus cette consolante coutume. On ne veut plus s’arrêter à l’avantage spirituel des paroissiens en passant du sanctuaire où ils ont chanté les louanges de Dieu aux tombes de leurs chers défunts. Et pourtant ils sortent de leurs cimetières en proie à une douce mélancolie, disposés à mieux vivre pour mériter de mourir comme ceux dont ils arrosent les tombes de leurs larmes. Et puis, ils se disent avec un écrivain : « Nous revenons d’auprès d’eux meilleurs et réconfortés. Les raisons de vivre, il faut les demander aux tombeaux. » (G. Montorgueil.)

La sollicitude de l’Église, son zèle constant à multiplier la visite de nos cimetières a arraché un aveu formel à l’impiété actuellement si déplorable en France : « Le culte des morts, écrit le Dr Bertillon, s’affaiblit avec les autres religions ; c’est dans les parties de la ville où il y a le plus d’enterrements civils que les tombes ont moins de visiteurs. » Rien en cela d’étonnant ! Ceux qui ont mené une vie de jouisseurs, qui ont ridiculisé toute croyance religieuse, qui ont vécu de la vie animale, meurent comme la brute sans raison. Dieu permet qu’ils soient ignorés de leurs meilleurs amis.

Parmi les œuvres de zèle et de piété qui ont orné l’épiscopat de Mgr Fabre, il en est une qui mérite une mention bien spéciale. Le saint Évêque déplorant l’usage de couvrir les cercueils de fleurs et d’en décorer les chambres mortuaires, introduisit les cartes de messes. Elles obtinrent de plus en plus une popularité d’autant plus estimable que les fleurs sont si coûteuses, qu’elles se fanent et perdent leurs parfums si vite. Aussi bien, elles ne peuvent remédier aux chagrins et soulager en aucune façon les âmes des défunts. Il est fortement désirable que l’on cesse ces envois de fleurs ; ne sont-ils pas plutôt un épanchement de vanité qu’un témoignage de sympathie ? Que nos catholiques comprennent donc de plus en plus la valeur consolante du culte des morts.[1] Qu’ils accueillent avec empressement et reconnaissance le livre que je leur présente. Il leur sera bien utile, indispensable, j’oserais dire, pour raviver les liens qui les rattachent aux tombes de leurs chers défunts. Rappelons-nous que la parenté ne meurt pas et qu’elle a droit à des relations. « Admirable commerce, s’écrie Chateaubriand, entre le fils vivant et le père décédé, entre la mère et la fille, entre l’époux et l’épouse, entre la vie et la mort… C’est une belle chose d’avoir, par l’attrait de l’amour, forcé le cœur de l’homme à la vertu ; et de penser que le même denier qui donne le pain du moment au misérable, donne peut-être à une âme délivrée une place éternelle à la table du Seigneur. » (Génie du Christ., du Purgatoire.)

Charles-P. Beaubien, ancien curé.
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ARCHEVÊCHÉ DE
  BORDEAUX
Bordeaux, le 16 octobre 1910.
Monsieur,

Pendant votre séjour au Canada, vous avez remarqué que sur cette terre toujours française par le cœur et par la foi, on témoigne sa sympathie aux défunts et à leurs familles, à l’aide de cartes de messes, que l’on dépose dans une corbeille de la maison mortuaire, après y avoir inscrit le nombre de messes que l’on a fait célébrer à l’intention de la personne décédée. Noble et touchante habitude, qui permet aux âmes détenues dans les prisons du Purgatoire de profiter largement des fruits libérateurs du saint Sacrifice ! Et l’on n’est pas étonné de la voir fleurir dans un pays où le catholicisme implanté par nos pères a poussé des racines si profondes et où l’on célébrait, il y a quelques jours encore, des fêtes si brillantes en l’honneur de la divine Eucharistie. En constatant cet usage, qui répond si bien aux exigences de la piété humaine et de la charité chrétienne, vous vous êtes demandé pourquoi on ne chercherait pas à l’importer de la nouvelle France dans l’ancienne, et vous vous y employez avec le zèle ardent qu’une forte conviction inspire ! Je souhaite que votre initiative soit secondée et que les catholiques français travaillent, tant par l’exemple que par la parole ou par la plume, à introduire une si louable habitude dans toutes nos familles qui ont quelque souci d’assurer à leurs membres et à leurs amis décédés le repos que nos croyances leur promettent.

Le souvenir que vous nous apportez du Canada et qui ne nous fait pas oublier ceux que vous y avez laissés, constitue un excellent moyen de soulager les morts et de dégager le culte dont nos contemporains les entourent de certaines pratiques quelque peu empreintes de paganisme. Il présente, en outre, un caractère d’opportunité qui n’échappe à l’esprit de personne. Tout le monde sait, en effet, que l’Église de France a été dépouillée de ses biens pour avoir refusé de se soumettre à une constitution contraire aux principes de la sienne et, depuis la mainmise de l’État sur le patrimoine des fondations pieuses, les défunts sont privés de nombreux secours spirituels. On ne saurait, dès lors, trop encourager les fidèles qui tâchent d’inspirer à leurs frères vivants de nouveaux sacrifices pour leurs frères trépassés.

Aussi, j’approuve entièrement votre projet et je demande au Christ Sauveur de bénir d’une main généreuse non seulement l’homme de bien qui l’a conçu, mais encore tous ceux qui l’aideront à le réaliser — En tombant sur les ouvriers, la bénédiction divine ne manquera pas de s’étendre jusqu’à l’œuvre qu’ils auront entreprise et dont le succès est d’autant plus désirable qu’elle intéresse à la fois la terre, le purgatoire et le ciel. Veuillez agréer, Monsieur, avec mes remerciements et mes félicitations, l’assurance de mes sentiments respectueux et dévoués en Notre-Seigneur.

+ Paulin, Card. Andrieu,
Archevêque de Bordeaux.
Semaine Religieuse de Montréal,
12 décembre 1910.
  1. La pieuse pratique des offrandes de messes vient de recevoir un précieux témoignage d’approbation de son Éminence le Cardinal Langénieux, Archevêque de Bordeaux. Un de ses diocésains, témoin de nos glorieuses fêtes eucharistiques, ayant sollicité l’autorisation, reçut la lettre que nous publions ici.