Les cimetières catholiques de Montréal depuis la fondation de la colonie/1

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CHAPITRE PREMIER

Culte des morts chez les anciens et
chez les peuples modernes


« C’est Dieu qui fait nos jours
...et les récompense :
Dans la vie, dans la mort,
...Dieu veut être obéit ;
Son ciel nous est ouvert, mais
...il faut qu’on y pense ».
(Delaporte, S. J.)

Horace dit de la mort : « In æternum exilium », partir pour l’exil éternel, et le chrétien dit : « Retourner dans la patrie éternelle ».

Voyageurs d’un moment aux terres étrangères, consolez-vous, vous êtes immortels.
(Mme  Swetchine, Traité de la vieillesse.)


Monseigneur Gaume dans son admirable ouvrage « La vie n’est pas la vie » s’exprime ainsi : « Consoler ceux qui traversent avec nous la vallée des larmes, et nous consoler nous-mêmes, est l’un des plus chers objets de mes désirs. Pour tout l’or du monde, je voudrais qu’il me fût donné de réaliser ce bienfait, d’autant plus nécessaire que, sans exception, tous en ont besoin, continuellement besoin, soit pour porter dignement le fardeau de la vie, soit pour adoucir de cruels chagrins, soit pour prévenir de sanglants désespoirs. »

Notre illustre Archevêque, toujours prêt à procurer le bien de ses ouailles a compris depuis longtemps cette consolante pensée. Chaque année, à sa suite, tous nos concitoyens sans distinction d’origines, toutes les associations d’hommes et de femmes se dirigent en foule vers la grande nécropole et laissent vibrer leurs âmes avec celles des absents. « La mort n’est pas la mort : quel cauchemar de moins ! La certitude de la mort pèse sur l’homme, dès le jour où il s’éveille à la raison. Le matin, il ne peut se promettre la fin du jour ; et, le soir, il se dit : aurai-je un lendemain ? Cette pensée que tout ce qu’il voit, tout ce qu’il entend lui rappelle malgré lui, est pour les incrédules eux-mêmes une source intarissable de frayeurs et d’ennuis. La mort n’est pas la mort ; l’homme qui meurt ne cesse pas de vivre. Quelle immense consolation ! Nous voici dans une chambre mortuaire. Sur un lit funèbre gît expiré un père, une mère, une sœur, un frère tendrement aimé. Un époux, une épouse, de jeunes enfants désormais orphelins, plongés dans la douleur, pleurent celui qu’ils viennent de perdre et qui laisse après lui un vide affreux.

Tout à coup, le bruit des sanglots est suspendu. Le Dieu de la vie fait entendre sa voix. Il dit : « Ne vous attristez pas, comme si vous n’aviez plus d’espérance. La mort n’est pas la fin de la vie. Le père que vous pleurez n’est pas mort : il dort. La sœur que vous pleurez n’est pas morte : elle dort : Non est mortua, sed dormit.

« Ouvriers du père de famille, ils ont fini leur journée, et ils se reposent de leurs travaux. De mortels, ils sont devenus immortels. Ils vous attendent : vous les reverrez. Ils étaient à moi dans la vie, ils sont à moi dans la mort. J’ai tout créé et je n’anéantis rien. Je ne suis pas seulement la création, je suis la résurrection et la vie. »

La mort n’est pas la mort : cette parole tombée du ciel, était trop précieuse pour que l’Église catholique ne l’ait pas recueillie avec un soin jaloux. Personne ne la redit plus souvent, avec une éloquence plus touchante, avec une autorité plus haute. Mais c’est à l’heure des grandes tristesses, parce que c’est l’heure des grandes séparations, qu’elle verse à pleine coupe le baume de cette consolante parole dans le cœur déchiré de ses enfants. Avez-vous jamais réfléchi à ce que fait l’Église dans les derniers moments de leur pèlerinage, et pour ceux qui partent et pour ceux qui restent ? Venez avec moi contempler ce spectacle tout plein d’immortalité.

Aux yeux de l’Église, le chrétien qui meurt n’est pas un être éphémère qui retourne au néant, c’est un voyageur bien-aimé qui se met en route. Avec la plus prévoyante sollicitude, elle fait pour lui ce que la mère la plus attentive fait pour l’enfant de sa tendresse, qui entreprend une course lointaine. Plusieurs choses sont nécessaires au voyageur : un passe-port, une bonne santé, un viatique, et, s’il doit traverser des pays inconnus ou dangereux, des guides et une escorte. Comme l’Église pourvoit à tout cela !

Auprès de son fils mourant, elle appelle l’ambassadeur du Dieu de l’éternité, vers qui il doit se rendre. En effaçant ses péchés, l’absolution rétablit en lui l’image auguste, dont la vue le fera reconnaître pour un membre de la grande famille catholique, qui rentre dans sa patrie ; et les autorités invisibles, échelonnées sur la route, s’empressent de lui prêter aide et protection.

L’Église ne s’en tient pas là. Elle veut que son fils parte en bonne santé. Par le sacrement des malades, elle purifie son âme et rend l’intégrité à tous ses sens ; puis, afin qu’ils demeurent inviolables, elle les cachète avec le sceau du rédempteur, dont la seule présence met en fuite les légions ennemies.

Mais le voyageur a besoin de nourriture : l’Église lui apporte son viatique. Ce viatique est le pain des forts qui le soutiendra dans ses défaillances, c’est l’aliment de l’immortalité qui, lui communiquant ses propriétés divines, le rendra tel qu’il doit être, pour voir s’ouvrir devant lui les portes de la bienheureuse patrie ; en un mot, c’est son divin frère Jésus-Christ en personne, qui, se faisant le compagnon de son voyage, le tiendra par la main, pour lui faire franchir sans danger le passage décisif du temps à l’éternité.

Les préparatifs du voyage sont complets. Il ne reste plus qu’à donner le signal du départ et à placer le voyageur sous la conduite de guides fidèles et sous la garde d’une invincible escorte. Avec une assurance de foi, une tendresse de sentiments et une solennité de langage, à jamais inimitables, l’Église va s’acquitter de ce double soin.

S’approchant de son fils, elle lui dit : « Partez de ce monde, âme chrétienne, au nom de Dieu, le Père tout-puissant qui vous a créée ; au nom de Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, qui a souffert pour vous ; au nom du Saint-Esprit, qui a été répandu en vous ; au nom des anges et des archanges, etc… Quand on songe que tout cela est une réalité, on se demande quelle est la dignité de l’âme et quel monarque a jamais voyagé, défendu par une pareille garde, environné d’un si brillant cortège ?

Le voyageur est parti. Rien n’a été oublié pour assurer le succès de son voyage et préparer son entrée triomphante dans la terre des vivants. Reste à consoler ses amis et ses proches ; car, pour l’Église, la plus tendre des Mères, les douleurs de tous ses enfants sont ses propres douleurs…

À sa voix, ils suivent dans le temple la dépouille mortelle de celui qui vient de les quitter. Là, que fait l’Église ? Elle chante. Tandis qu’on n’aperçoit dans le temple que des images lugubres et qu’on n’entend que le bruit des larmes et des sanglots, l’Église chante, elle chante toujours ! Quel est ce contraste ? Une mère peut-elle chanter à la mort de ses enfants ? Et de toutes les mères, l’Église n’est-elle pas la plus aimante ? Quel est donc ce mystère ?

Les soins dont elle nous environne depuis le berceau, ne permettent pas d’en douter : l’Église nous aime, et son amour est d’autant plus vif qu’il est plus noble. Dépositaire des promesses d’immortalité, elle les proclame hautement en présence de la mort. S’il y a quelques larmes dans sa voix, il y a aussi de la joie. Plus heureuse que Rachel, elle se console et nous console, parce qu’elle sait que ses fils lui seront rendus. Ainsi, dans les larmes des parents, la nature gémit ; dans les chants de l’Église, la foi proclame. L’une s’attriste en disant : Mort ; l’autre se réjouit en répondant : Résurrection. C’est ce qui a fait dire à un fameux poète (Lamartine)

Je te salue, Ô Mort ! libérateur céleste,
Tu ne m’apparais point sous cet aspect funeste

Que t’a prêté longtemps l’épouvante et l’erreur,
Ton bras n’est point armé d’un glaive destructeur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles,

Viens, ouvre ma prison ; viens, prête-moi tes ailes ;
Que tardes-tu ? Parais ; que je m’élance enfin
Vers cet être immense, mon principe et ma fin !

Les cérémonies du temple étant achevées, elle conduit son enfant au lieu de son repos. Ce lieu s’appelle cimetière ; et cimetière veut dire dortoir : mot divin, mot révélateur, mot digne d’éternelles bénédictions. Nous appelons le cimetière, dortoir, dit la Bouche d’or de l’Orient, afin que vous sachiez que les morts ne sont pas morts, mais seulement endormis. Quelle consolation dans ce mot et quelle profonde philosophie ! Quand donc vous conduisez un mort au cimetière, ne vous désolez pas. Ce n’est pas à la mort que vous le conduisez, c’est au sommeil. Ce mot ne devrait-il pas suffire pour adoucir toutes les douleurs ? Le grand orateur a raison. Ce mot, non seulement console la nature, il donne encore à la douleur une dignité qui commande le respect et attire les sympathies. Connaissez-vous quelque chose de plus touchant, et à la fois de plus noble, que la conduite de saint Augustin à la mort de sa mère bien-aimée ?

« Nous étions arrivés à Ostie, où nous devions nous embarquer pour l’Afrique, lorsque ma tendre et digne mère, fut prise de fièvre. Ayant le pressentiment de sa mort, elle nous dit : Vous déposerez ici mon corps, et vous vous souviendrez de prier pour moi à l’autel du Seigneur. Le neuvième jour de sa maladie, âgée de cinquante-six ans, et moi de trente-trois, cette âme si religieuse et si bonne fut délivrée des liens du corps. Je pressais mes paupières pour retenir mes larmes ; mais ma douleur, douleur immense, refluait au fond de mon cœur : puis, s’échappait en larmes abondantes que mes yeux s’efforçaient d’absorber. Cette lutte m’était très pénible. Le petit Adéodat pleurait tout haut. Nous le fîmes taire ; car il ne nous paraissait pas convenable d’honorer cette mort par des gémissements et par des cris, attendu que c’est ainsi qu’on a coutume de déplorer la misère des mourants et en quelque sorte leur anéantissement. Or, ma mère ne mourait pas misérablement, ni elle ne mourait pas toute entière. Ses exemples, sa foi, des preuves certaines, nous en donnaient l’assurance. L’enfant calmé, Evodius prit le psautier et commença à chanter le psaume « Je chanterai la miséricorde du Seigneur ». Tous ensemble nous y répondions. Vos paroles, Seigneur, adoucirent ma douleur et me donnèrent la force de la concentrer ; tellement qu’on ne s’en aperçut ni à mes larmes ni à l’altération de mon visage. Le moment de la sépulture étant venu, nous portâmes le corps et nous le rendîmes à la terre sans larmes. Il en fut de même pendant l’offrande du sacrifice de notre rédemption. Je ne pleurai pas ; mais j’étais navré de douleur. Je me souvenais, Seigneur, de votre servante, je repassais dans ma mémoire sa vie, envers vous si pieuse et si sainte, et envers nous si douce et si exemplaire : et je m’en voyais subitement privé ; et seul je pleurai en votre présence sur elle et sur moi. Je donnai à mes larmes un libre cours, mon cœur s’y noya et y trouva le repos.

« Et maintenant, Seigneur, je vous le confesse dans cet écrit. Le lira qui voudra, et l’interprètera comme il voudra : S’il me trouve répréhensible d’avoir pleuré ma mère, pendant une petite partie d’une heure ; ma mère, que je voyais morte sous mes yeux, elle qui tant d’années m’avait pleuré pour me faire vivre à vos yeux, qu’il ne se moque pas de moi ; mais plutôt, s’il a une grande charité, qu’il pleure sur mes péchés devant vous, Père de tous les frères de votre Christ. » Tous les siècles chrétiens, toutes les familles chrétiennes nous offrent d’innombrables exemples de cette noble douleur, dans laquelle brille l’accord vraiment sublime de la nature qui s’afflige, et de la foi qui console. Pourquoi sublime ? Parce que, sur les ruines même de l’homme, il proclame hautement que, la vie n’étant pas la vie, la mort n’est pas la mort. Ces exemples sont si instructifs et si souvent utiles dans le cours de notre existence que je tiens à en citer un nouveau.

Saint Louis, aimait sa mère. Jamais tendresse filiale ne fut mieux justifiée. Aux exemples et aux leçons de sa pieuse mère, Louis devait la conservation de son innocence baptismale, et tous les trésors qu’elle renferme. Le saint roi, parti pour la croisade contre les Sarrasins, était à Jaffa, lorsqu’il apprit la mort de la reine Blanche, sa mère, arrivée le premier dimanche de l’Avent, premier jour de décembre 1262. Le cardinal légat, Eudes de Chateauroux, qui la reçut le premier, prit avec lui Gilles, archevêque de Tyr, garde du sceau du roi, et Geoffroi de Beaulieu, son confesseur, de l’ordre des Frères Prêcheurs. Le légat dit au roi qu’il désirait lui parler en secret dans sa chambre, en présence des deux autres. À son visage sérieux, le roi comprit qu’il lui apportait quelque triste nouvelle. Il les fit passer de sa chambre dans sa chapelle, où il s’assit devant l’autel et eux avec lui. Alors le légat représenta au roi les grâces que Dieu lui avait faites depuis son enfance, entre autres de lui avoir donné une mère qui l’avait élevé si chrétiennement, et qui avait si sagement gouverné son royaume. Enfin, ne pouvant plus retenir ses sanglots et ses pleurs, il ajouta qu’elle était morte ! À cette parole, le roi jeta un grand cri, puis fondant en larmes, il s’agenouilla devant l’autel, et, joignant les mains, il dit avec une sensible dévotion : « Je vous rends grâces, Seigneur, de m’avoir prêté une si bonne mère ; vous l’avez retirée quand il vous a plu. Il est vrai que je l’aimais plus qu’aucune créature mortelle, comme elle le méritait bien ; mais, puisque c’est votre bon plaisir, que votre Nom soit béni à jamais ! » Ensuite, le légat ayant fait une courte prière pour la défunte, le roi dit qu’il voulait demeurer seul dans sa chapelle, et retint seulement son confesseur. Il resta quelques temps à méditer et à pleurer devant l’autel, après quoi son confesseur lui représenta modestement qu’il avait assez donné à la nature, et qu’il était temps d’écouter la raison éclairée par la foi. Aussitôt le roi se leva et passa dans son oratoire, où il avait coutume de dire ses heures. Là, il récita avec son confesseur tout l’office des morts, et le confesseur admira que nonobstant la douleur dont il était pénétré, il ne fit pas la moindre faute en récitant un si long office. Outre les nombreux services qu’il fit faire en Palestine pour sa mère, le saint roi envoya en France la charge d’un cheval de pierreries à distribuer aux églises, demandant des prières pour elle et pour lui. Voilà le chrétien devant la mort.

À ces affirmations tant de fois réitérées, que la vie d’ici-bas n’est pas la vie, notre admirable Mère ajoute une nouvelle force, par un mot plus significatif encore que celui de dortoir. Le dortoir suppose le sommeil, et le sommeil suppose une demi-vie. Cela ne suffit point à la foi de l’Église. Quand des miracles lui ont appris que quelques-uns de ses enfants sont arrivés au terme heureux de leur pèlerinage, elle appelle le jour de leur mort, le jour de leur naissance.

Chaque page de son martyrologe répète l’affirmation de leur glorieuse immortalité : « À Jérusalem, à Rome, à Lyon, à Paris, etc… naissance de tel saint et de telle sainte qui, après la vie mourante, ou plutôt la mort vivante d’ici-bas, est entré en possession de la vie véritable. » L’Église est tellement sûre de leur bonheur, que ce jour est pour elle un jour de fête. En déployant, pour le célébrer, toute la pompe de ses cérémonies, que fait-elle ? À la face du ciel et de la terre, elle porte à la mort ce sublime défi : Ô mort ! où est maintenant ta victoire, où est ton aiguillon ? (1 Cor. xv, 55.) Et puis le chrétien résigné, s’écrie :

Mon Dieu, quand votre main me visite et me broie,
Quand la crainte ou le deuil ont pris toute ma joie,
 Puissé-je aussi
Garder, pour vous bénir, ma voix et mon courage,
Garder l’espoir qui chante au milieu du naufrage ;
 Et dire : « Merci ».

(Delaporte, S. J., Réc. et Lég.)

Après ces belles paroles que j’emprunte à Mgr  Gaume, je me sens instinctivement porté à citer cette lettre admirable de notre bien-aimé archevêque, à la mort de sa vénérable mère.



archevêché de
Montréal
Le 7 janvier 1908.
Nos très chers Frères,

Le 29 décembre dernier nous avions la douleur de perdre notre bonne mère. Elle s’est éteinte doucement, dans sa quatre-vingt-unième année, après quelques semaines de maladie, munie de tous les sacrements de notre sainte religion, et honorée de la bénédiction du Souverain-Pontife. Nous n’aurions jamais parlé publiquement d’une épreuve aussi intime, si vous ne nous en aviez fait une obligation, en quelque sorte, par la très grande part que vous avez daigné y prendre.

Il semble que tous, en effet, vous ayiez voulu faire de notre deuil votre deuil propre, et jamais nous n’avons mieux compris qu’aujourd’hui les liens tendres et forts qui unissent l’évêque aux fidèles, et les fidèles à leur premier pasteur.

La langue populaire ne se trompe pas lorsqu’elle parle de la « famille diocésaine ». Nous formons, en effet, par la grâce de Dieu, une grande famille dans laquelle les joies et les douleurs du père et des fils deviennent des joies et des douleurs communes.

Il est vrai, nos très chers frères, que jamais nous n’avons pu voir souffrir le plus petit d’entre vous sans souffrir nous-même, et que les plus douces consolations de notre ministère ont été de relever une âme abattue et de porter l’espérance à un foyer désolé. Mais que cela vient de nous être rendu au centuple ! Cet immense concours de prêtres et de peuple aux obsèques, ces services funèbres promis par des communautés religieuses, des collèges et bon nombre de nos paroisses, ces milliers de messes offertes pour celle qui nous est si chère, ces prières ferventes des amis, des enfants et des pauvres nous ont touché au-delà de toute expression. Joints aux condoléances si précieuses qui nous sont venues de Son Éminence le cardinal secrétaire d’État, de Mgr  le délégué apostolique, de nos vénérés collègues dans l’épiscopat, de notre dévoué clergé, de tant de familles, des plus hautes autorités civiles, de la presse et de nos frères séparés eux-mêmes, ils nous ont fait contracter une dette de reconnaissance que nous nous sentons incapable de solder. Mais nous en prenons ici l’engagement solennel, un seul jour ne passera pas désormais sans que nous recommandions à l’infinie bonté de Dieu, au saint autel, tous les bienfaiteurs spirituels de notre regrettée mère, et nos pieux consolateurs.

Frappé d’un deuil semblable à celui qui nous atteint, Mgr  Pie, l’illustre évêque de Poitiers, disait : « Tout fils se croit jeune aussi longtemps qu’il voit sa mère à ses côtés, du moment qu’il l’a perdue, la vieillesse commence et se précipite. » Belle parole d’une grande âme, et dont tous, nos très chers frères, vous reconnaîtrez la profonde vérité.

Ô vous qui avez encore votre mère, nous prions le Seigneur de vous la garder de longues années pour le bonheur et le soutien de votre vie. À quelque âge que vous soyez arrivés, entourez-la de votre affection et de votre tendresse d’enfants, car lorsqu’elle sera partie, ce sera une de vos meilleures joies de pouvoir vous dire que vous avez été bon fils pour elle qui vous avait aimé plus et mieux que personne ici-bas.

(Signé) † Paul,
Archevêque de Montréal.


Il résulte de tout ce qui précède que notre foi, notre piété, nos plus chers souvenirs doivent évoquer les accents d’une voix d’outre-tombe. Recueillons-les à chaque fois que nous visitons notre cimetière. Victor Hugo, en dépit de son impiété, regrettait l’indifférence humaine en face des tombes abandonnées, et il s’écrie :

La foule des errants rit et suit sa folie,
Tantôt pour son plaisir, tantôt pour son tourment ;
Mais par les morts muets, par les morts qu’on oublie,
Moi, rêveur, je me sens regardé fixement.

Puis le poète ajoute :

Moi, c’est là que je vis ! Cueillant les roses blanches,
Consolant les tombeaux délaissés trop longtemps,
Je passe et je reviens, je dérange les branches,
Je fais du bruit dans l’herbe, et les morts sont contents.

Voilà une affirmation plus que douteuse. Si les morts eussent pu reconnaître les pas du grand poète, ils lui auraient bien dit, il me semble, de ne pas tant se préoccuper, de prier plutôt et de lever ses yeux au ciel. Non, il n’y a pas dans ces vers une fleur de consolation pour les morts plus effacés par l’oubli que par les linceuls de leurs tombes. Je préfère l’aveu du poète désabusé, Alfred de Musset :

Les larmes d’ici-bas ne sont qu’une rosée
Dont un matin au plus la terre est arrosée,
Que la brise secoue, et que boit le soleil ;
Puis l’oubli vient au cœur, comme aux yeux le sommeil.

Mais notre illustre Crémazie a dicté d’aussi beaux vers, et bien supérieurs à cette poésie qui ne vous laisse que l’harmonie d’une lyre dont les sons s’éteignent sans retour. C’est qu’il y a au fond de toute poésie chrétienne, non pas seulement des descriptions douloureuses, mais toujours le souffle de la plus douce espérance. Écoutez :

Toutes les voluptés où notre âme se mêle,
Ne valent pas pour vous un souvenir fidèle,
................ Cette aumône du cœur
Qui s’en vient réchauffer votre froide poussière
Et porte votre nom gardé par la prière,
................ Au trône du Seigneur.