Les cimetières catholiques de Montréal depuis la fondation de la colonie/3

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CHAPITRE TROISIÈME

Des funérailles et des sépultures chez les peuples modernes


« Les hommes vont tous ensemble se confondre dans un abîme, où l’on ne reconnaît plus ni princes, ni rois, ni toutes ces autres qualités superbes qui distinguent les hommes, de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire, mêlés dans l’océan avec les rivières les plus inconnues. »
(Bossuet, Or. fun. de Henriette d’Angleterre.)



ÉTUDIONS les rites funèbres chez les nations modernes en commençant par celles où domine le protestantisme, laissant pour plus tard les nations catholiques : la France, la Belgique, l’Italie, l’Espagne.

En Angleterre, en Écosse, dans la Confédération germanique du Nord, en Hollande, en Danemark, en Suède, en Norvège, les protestants sont en très grande majorité ; nous les voyons partout comprendre également leurs devoirs envers les morts, appeler la religion pour présider aux funérailles et accompagner les défunts jusqu’au lieu de la sépulture. Dans les villes, où il y a des temples, on y porte le corps du défunt, et là le pasteur, élevant la voix, s’écrie : « Mes frères, prions Dieu » et alors on prie, on médite, en répétant les textes des saintes Écritures, les mieux appropriés à la solennité funèbre. On récite ces belles paroles : « Après la mort suit le jugement. — Prenez garde à vous ; veillez et priez. — Je suis la résurrection et la vie. — Celui qui croit en moi, bien qu’il soit mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Les funérailles chez les protestants sont solennelles, religieuses et ils professent un grand et profond respect pour les lieux où dorment les défunts.

Les Juifs, disséminés dans le monde entier, méconnaissent la divinité de Jésus-Christ, mais ils croient en Dieu et en l’immortalité de l’âme. Quand un des leurs vient à mourir, ils s’inclinent devant la volonté de Dieu et s’écrient : « Maître de l’univers, j’ai commis bien des fautes devant toi, et tu ne m’as pas infligé la millième partie des peines que je mérite. » Les Juifs ont un recueil de prières des morts ; on le récite sur la tombe du défunt, qui en Judée, veut reposer dans la vallée de Josaphat, à l’ombre du temple de Salomon. Les obsèques ont toujours un caractère religieux : le rabbin y assiste ; au cimetière il prie pour le repos de l’âme du défunt, en union avec les parents. L’anniversaire de la mort d’un parent est chez les Juifs un jour de deuil. Tous les ans, ils honorent la mémoire du mort par le jeûne, les aumônes, les prières au temple et au cimetière. Une bien touchante légende exprime la résignation des Juifs aux décrets de la divine Providence ; en voici l’abrégé :

Béruvia, femme de Rabbi Mêir, docteur en Israël, vient de voir expirer dans ses bras ses deux jeunes fils. Malgré ses efforts pour les rappeler à la vie, leurs corps restent glacés. Tout à coup, elle pense à son mari qui expose au temple les vérités éternelles et frémit en songeant à sa douleur.

Elle place alors ses deux enfants sur son lit, les recouvre d’un drap mortuaire, puis refoulant ses larmes, elle attend avec un calme apparent le retour de son époux. Bientôt, il revient, et sa première parole est : « Où sont les enfants ? » Béruvia ne répond pas. « Où sont donc les enfants ? » répète le père, déjà pris d’inquiétude. « Écoute, dit alors Béruvia, hier vint chez moi un ami de notre maison qui me donna à garder deux joyaux de prix, aujourd’hui déjà, il me réclame ce dépôt. Hélas ! je ne pensais pas qu’il le ferait sitôt. Dois-je le lui rendre ou le détenir encore ? » « Femme quelle est cette demande ? » — « Ces bijoux sont si brillants, ils me plaisent tant. » — « Nous appartiennent-ils ? » — « Si tu connaissais la valeur inestimable qu’ils ont pour nous deux !

« Béruvia, s’écrie le Rabbi, que signifient de telles paroles ? Retenir un bien qu’on nous a confié ! Y songes-tu ? » — « C’est vrai, répond la pauvre mère toute en larmes ; viens donc que je te montre les joyaux qu’il nous faut restituer ! » Elle le conduit alors près du lit et soulevant le drap : « Voilà, dit-elle, les trésors que Dieu nous redemande ! » À cette vue le père éclate en sanglots. « Oh mes enfants, oh ! mes pauvres enfants. »

« Rabbi, ajoute Béruvia, ne viens-tu pas de me rappeler qu’il faut restituer un dépôt quand son propriétaire le réclame ? » Et le père, le visage baigné de larmes, les yeux levés au ciel, dit : « Oh ! mon Dieu, puis-je murmurer contre ta volonté, quand tu laisses à mes côtés une épouse si forte, si vertueuse ! »

Les malheureux parents s’assirent dans la poussière, déchirèrent leurs vêtements, se couvrirent la tête de cendres, en répétant ces paroles de Job : « Dieu nous les avait donnés ; Dieu nous les a repris. Que le nom du Seigneur soit béni ! »

Ces mêmes sentiments de culte des morts, de respect pour la sépulture, nous les voyons en Russie, dans cet état qui compte quatre-vingt millions d’habitants, qui occupe la moitié de l’Europe et dont la domination se développe sans cesse en Asie.

La Russie est une nation chrétienne, séparée seulement de l’Église catholique sur une question capitale ; elle n’admet d’autre chef de l’Église que Jésus-Christ, et elle repousse la suprématie du Pape, sa juridiction sur l’Église universelle. Le chel de l’Église russe est le tsar qui d’après un ukase de Paul Ier est le chef choisi par Dieu lui-même en toutes matières religieuses ou civiles. Mais on peut espérer voir un jour la Russie sortir de ce schisme, car, ainsi que le dit le P. Schouvaloff, barbanite, « Ce n’est pas pour rien que les Russes ont conservé parmi les trésors de leur foi le culte de Marie ; ce n’est pas pour rien qu’ils l’invoquent, qu’ils croient à sa Conception Immaculée et qu’ils en célèbrent la fête… Oui, Marie sera le lien qui unira les deux Églises et qui fera de tous ceux qui l’aiment un peuple de frères sous la paternité du vicaire de Jésus-Christ. »

Chez les Russes, dans cette sainte Russie, comme ses habitants l’appellent, les funérailles devaient être entourées de la pompe religieuse, sanctifiées par les prières du prêtre. C’est ce qui a lieu. Le convoi funèbre s’avance conduit par le pope, reconnaissable à sa longue barbe et à sa chevelure flottante, un diacre l’assiste. Arrivé au lieu de sépulture, le mort reçoit l’encens et l’eau bénite qui doit le purifier de ses souillures, puis le pope récite les prières liturgiques. Les Russes considèrent comme un honneur et s’estiment heureux de pouvoir s’assurer la sépulture dans un monastère ; c’est pourquoi souvent des princes, à la veille de leur mort, ont pris l’habit monastique.

Étudions maintenant les rites funèbres chez les Musulmans et pénétrons dans l’Afrique et dans l’Asie où ils sont plus de cent millions.

Les sectateurs de Mahomet qui le considèrent comme l’envoyé de Dieu et le dernier des prophètes, formulent ainsi leur foi : « Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. » Le Coran, le livre de la foi, dicté par Dieu lui-même à Mahomet exprime en plusieurs de ses textes la croyance en la résurrection des corps. La conséquence naturelle de cette croyance est l’intervention de la religion dans les funérailles des Mahométans. Si le mort est un personnage important, le Marabout ou le muphti préside les obsèques. Dans les autres cas, le derviche se rend au domicile mortuaire et y récite des prières. Ces prières terminées, on se presse autour du cadavre pour avoir la faveur de le porter, car le prophète a dit : « Chaque pas que vous ferez en portant un mort vous vaudra la remise de dix péchés ». Le cortège se grossit rapidement des personnes qu’il rencontre, désireuses qu’elles sont d’obtenir, selon la promesse du prophète, la rémission d’un péché en suivant le corps du mort « l’espace de quarante pas ».

Voici un convoi funèbre en Égypte. Il s’avance précédé des prêtres ; il chemine au milieu des sycomores et des palmiers, à travers les minarets avec leurs croissants dorés, et arrive à la mosquée, embellie par des artistes de génie qui souvent en ont fait une merveille. Après être passé par la mosquée on se rend au champ de repos. Là, l’iman élève les mains à la hauteur du visage, et répète cinq fois la formule : « Dieu est le plus grand ! » Il récite ensuite d’autres prières ; puis l’inhumation terminée, un des parents jette par trois fois une poignée de terre en disant la première fois : « Vous en avez été créé ; » la seconde fois : « Nous (Dieu) vous y ferons retourner ; » la troisième fois : « Nous (Dieu) vous en ferons sortir de nouveau. » Tout le monde se sépare alors en répétant de nouveau la solennelle profession de foi : « Dieu est Dieu, et Mahomet est son prophète. » Dans l’Inde, où l’islamisme compte vingt-cinq millions d’adhérents, le fond des doctrines est le même, mais les rites s’y modifient : le luxe et le faste indien remplacent la simplicité et l’austérité musulmane. Là, plus encore qu’ailleurs, le musulman se fait un devoir de célébrer les anniversaires et les fêtes des morts par des prières, des ablutions et des aumônes. Là, plus qu’en Europe et en Afrique, on professe le culte des tombeaux, dont la garde est confiée aux mullas, aux prêtres. En Asie, sur le continent indien, les peuples sont en proie au plus grossier fétichisme, à la plus grande idolâtrie à laquelle de courageux missionnaires, suivant les traces du glorieux apôtre des Indes, s’efforcent non sans succès de les arracher. Ces peuples adorent plus de trois cents millions de dieux : le soleil, la lune, la mer, les fleuves, les montagnes, les animaux, les substances minérales. Et malgré ces épaisses ténèbres, l’Hindou croit à l’immortalité de l’âme ; il a l’espoir des récompenses de l’autre vie ; il tremble devant les châtiments que le juge des morts, Yama, peut infliger au méchant dans le Naraca, l’enfer. Ces croyances se font jour dans les funérailles. Lorsqu’un Hindou va mourir, on appelle le brahmane pour la cérémonie de l’expiation ; on exhorte le malade à dire d’intention, s’il ne peut le faire distinctement, certaines prières, par l’efficacité desquelles il sera délivré de ses péchés. Une fois mort, après les ablutions et les purifications sacrées, on porte le corps au champ où il doit être brûlé. Là, le fils du défunt, se frappant la poitrine et prenant dans un vase d’airain le feu sacré qu’il a apporté, allume le bûcher, pendant que les brahmanes récitent des prières et que les assistants poussent des cris lamentables. C’était la coutume, il y a une dizaine d’années encore, que la veuve se jetât dans les flammes pour rejoindre son époux.

La Chine est idolâtre comme les Indes. Dans les nombreuses pagodes qu’on y rencontre, se voient les statues de Bouddha, aux yeux énormes, aux lèvres épaisses, aux oreilles pendantes ; plusieurs bonzes, prêtres, desservent ces pagodes.

Le sentiment religieux est universel en Chine : depuis l’empereur fils du Ciel, jusqu’au plus humble paysan chinois, tous sont de fidèles adorateurs de Bouddha, aussi, comme il considère l’heure de la mort comme solennelle, le Chinois demande plus que jamais les secours de la religion dans ce moment suprême.

Dès qu’un malade est en danger, on se hâte d’offrir un sacrifice à la pagode ; on s’y prosterne pendant que les bonzes récitent des prières. Après la mort, les sacrifices recommencent à la maison mortuaire, tendue de blanc, signe de deuil. Ces sacrifices ont lieu devant ces tablettes « qui, à défaut du dogme catholique si consolant de la communion des vivants et des morts, ont, au moins, l’avantage de disputer au néant le nom des aïeux, en faisant honorer leur mémoire. » Le nom du défunt est ajouté sur ces tablettes ; il est aussi inscrit à la pagode où il est conservé pendant trois générations.

Les nuits qui suivent le décès sont marquées par les cérémonies religieuses. Les bonzes, une lanterne à la main, viennent psalmodier des prières ; la première nuit ils brisent des tuiles pour faire une brèche à l’enfer, et en faire sortir l’âme, si elle y est entrée. La seconde, ils assistent le fils du défunt au moment où élevant une longue banderolle, il représente l’âme de son père montant au ciel. La troisième, ils mettent le feu à la banderole, et ils brûlent une certaine quantité de papier-monnaie, afin que le défunt ne manque pas d’argent dans l’autre monde.

Les bonzes président au convoi funèbre, lorsqu’au bruit des timbales, des flûtes et des tambours, il se rend au lieu de la sépulture. Les Chinois attachent une si grande importance à avoir des funérailles solennelles qu’on voit de simples ouvriers s’imposer toutes sortes de privations, et des familles se ruiner pour faire de superbes obsèques à un des leurs.

Les lois punissent sévèrement l’impiété envers les morts, et la violation des tombeaux est au nombre des crimes capitaux et irrémissibles. Au Japon, qui compte quatre-vingt dix-huit mille temples de Bouddha pour trente-trois millions d’habitants, la procession des bonzes offre le coup d’œil le plus pittoresque. Revêtus de leur surplis jaune, les uns portant de longues cannes, à l’extrémité desquelles flottent des banderoles, les autres agitant dans l’air des fleurs en papier, symbole de l’arrivée du défunt au séjour des bienheureux, ces prêtres se dirigent vers le lieu de l’incinération. Une musique bruyante, des chants, des cris les accompagnent. La procession se déroule et serpente sur les hauteurs où l’on dresse le bûcher. Le chef des bonzes en fait trois fois le tour, trois fois il passe sur sa tête une torche enflammée et la jette par terre. Le plus proche parent du défunt la ramasse et allume le bûcher.

Après l’ancien monde, nous arrivons au nouveau-monde. Là, nous trouvons la plus grande diversité, et, en même temps, la plus grande liberté des cultes. Des protestants, des catholiques, des Juifs vivent et y exercent en toute liberté leur religion. Nous avons déjà montré combien les protestants et les Juifs avaient le culte des morts et le respect des sépultures.

Nous n’avons plus maintenant qu’à nous occuper des nations catholiques : la France, la Belgique, l’Espagne, l’Italie. Chez ces nations, nous allons trouver avec un plus grand degré d’intensité, le culte des morts, les funérailles religieuses, le respect des cimetières. Et il ne peut en être autrement, car la religion catholique a de pieuses tendresses pour les morts, elle assiste et préside à leurs funérailles, elle bénit solennellement le champ où ils vont dormir leur suprême sommeil.

Dès qu’un catholique va mourir, la sainte Église qui l’a reçu à son entrée dans le monde, qui lui a prodigué les secours et les consolations pendant les épreuves de la vie, s’empresse d’accourir près de son lit de douleur ; elle le visite fréquemment ; elle l’exhorte à la résignation, à la prière, à l’espérance ; enfin, elle lui donne ses augustes sacrements dont le dernier, ainsi que le disait Pie IX (d’illustre et vénérée mémoire) a la vertu de fortifier l’homme au moment du grand passage du temps à l’éternité.

Le catholique mort, l’Église dont le grand souci a été le salut de son âme, n’a pas cependant terminé sa tâche. Sa sollicitude s’étend aussi sur le corps et elle la montre au moment des funérailles. Précédés de la croix, les prêtres revêtus des ornements sacerdotaux, se rendent dans le vestibule de l’église pour y faire la levée du corps ; ils le reçoivent de la famille éplorée, le bénissent et processionnellement le conduisent dans l’église. Les parents, les amis suivent recueillis et silencieux, et devant le funèbre convoi les passants s’arrêtent, se découvrent pour saluer non pas la mort, mais l’immortalité.

Le corps est arrivé dans le centre du temple dont les tentures de deuil marquent la tristesse, pendant que les cierges allumés autour du cercueil indiquent que l’âme, qui survit à nos croyances mortelles, passe des ténèbres à la lumière.

Dans l’office des morts dit en présence du cadavre, l’Église révèle son ardent amour des âmes, son invincible foi dans la justice et la miséricorde divine. Pour les exprimer dignement, l’Ancien et le Nouveau Testament lui ont fourni des textes admirables.

Après l’absoute, où le clergé se rend processionnellement autour du cercueil et l’enveloppe en quelque sorte de ses prières ; où l’eau sainte descend sur le défunt pour le purifier de ses souillures ; où l’encens répand ses parfums sur cette dépouille qui doit être un jour revêtue de l’immortalité, le prêtre, en récitant des prières, accompagne le corps jusqu’au champ du repos. Là, dans ce cimetière, où le mort vient reposer à l’ombre de la croix, a lieu la suprême séparation, séparation si douloureuse dont la religion seule peut adoucir l’amertume, en nous enseignant que ce tombeau si redouté ne reçoit qu’une enveloppe terrestre pendant que l’âme est déjà dans le sein de l’infinie miséricorde. Autour de la fosse, le prêtre récite sa dernière prière et donne la suprême bénédiction. Les parents éplorés font planter près de la tombe des ifs, des cyprès, témoignages de deuil ; ils y déposent des couronnes d’immortelles, emblèmes de l’incorruptible couronne ; ils y répandent les fleurs préférées du défunt. Mais partout et toujours, ils y placent la croix ; cette croix auguste et glorieuse dans laquelle nous devons mettre toute notre espérance.

Rien ne peut diminuer dans les nations catholiques le culte des morts ; rien ne peut effacer le respect qu’on y a pour les lieux de sépulture. Ainsi dans notre mère patrie, aux époques les plus troublées, quand la lutte contre la religion est la plus ardente, ces sentiments subsistent aussi vivaces, aussi intenses.

Voyez, un jour des Morts, à Paris même, les cimetières regorgent d’une foule pieuse et recueillie. Du moment de l’ouverture des portes jusqu’à la fermeture, les trois grands cimetières de la capitale ne cessent d’être visités. Des multitudes humaines s’acheminent vers le champ des morts. Ce pèlerinage funèbre se fait en famille : le mari, la femme, les enfants, chacun portant, soit un vase de fleurs, soit une couronne, soit, si la pauvreté est grande, une simple petite fleur. Arrivé au cimetière, on se rend d’abord à la tombe où repose l’être regretté : la femme et les enfants s’agenouillent et prient : le mari, tête nue, reste debout respectueusement, mais le plus souvent, vaincu par la douleur, il tombe lui aussi à genoux et mêle ses prières à celles de sa famille.

Puis se parlant à voix basse, comme si on ne voulait pas troubler le repos du cher mort, on fait la toilette du tombeau ; on enlève les couronnes flétries, on les remplace par celles qu’on vient d’apporter, et, après avoir jeté un long regard attendri sur ce tombeau chéri, on s’éloigne, non sans se retourner fréquemment pour adresser un dernier au revoir au défunt tendrement aimé.

Ici dans notre chère et catholique cité de Montréal (où l’univers entier vient de se tourner vers nous dans cette grandissime et inoubliable fête de l’Eucharistie), ce n’est pas seulement le jour des Morts où ce touchant tableau s’offre à nos regards, mais bien tous les jours durant la belle saison et surtout le dimanche où de pieuses caravanes se dirigent sans cesse comme un flot mouvant vers la montagne que l’on gravit lestement, soutenu par l’espérance de se retrouver bientôt auprès des restes vénérés de nos chers absents. D’ailleurs, de tout temps, dans notre cher et beau pays, le culte des morts, le respect pour les sépultures ont été en grand honneur. Nos ancêtres venus de France, alors que cette nation était l’une des plus catholiques du monde (et pour laquelle nous espérons de meilleurs jours), avaient apporté dans leur noble cœur le précieux germe de foi qui porte aujourd’hui de si fortes et de si profondes racines.

Quelques années après la fondation de Montréal, nous avons la preuve par un acte authentique des registres de la Fabrique de Notre-Dame, du culte que nos ancêtres avaient pour les morts, et de leur vénération pour les âmes du purgatoire.

Nous sommes au 16 octobre 1690 ; ce jour-là, plusieurs marchands de la ville, après en avoir délibéré, prirent la résolution suivante :

« Nous soussignés, marchands de Ville-Marie, voyant tous les maux qui nous menacent de toute part, pour arrêter la colère de Dieu, nous avons résolu, après avoir demandé le secours de la sainte Vierge, de prendre et choisir les saintes âmes du purgatoire pour nos protectrices auprès de Dieu. Et dans la confiance que nous avons dans le secours, leur promettons de ne vendre aucune marchandise les fêtes et dimanches aux habitants de cette paroisse, sinon les choses manducables qui se peuvent consommer dans le jour, comme huile, vinaigre…

« Pour les étrangers des côtes voisines, on ne leur vendra rien, sans une permission par écrit de Monsieur le Curé ou autre prêtre du séminaire.

« Et afin qu’elles (les âmes du purgatoire) nous obtiennent ce que nous leur demandons, nous avons résolu de leur faire bâtir une chapelle à côté de la chapelle St-Joseph, vis-à-vis la sacristie, pour y faire les services qu’on voudra y faire pour les âmes. »

(Signé)
LeBer
Boyer
Migeon
Decouagne
Charron
Cuillerier

Pour être plus fidèles à cet engagement, les signataires s’étaient imposé une amende contre ceux qui viendraient à y contrevenir. Cette foi forte, agissante de nos ancêtres, nous la retrouvons encore aujourd’hui aussi pleine de vigueur qu’aux premiers jours. Oui, nous le disons avec bonheur, nos compatriotes aiment leur religion et fidèles à ses saints engagements, nous les voyons honorer leurs morts, respecter et aimer les lieux de sépulture.

Cette sainte tradition s’est conservée chez nous, parce que nos mères canadiennes l’ont toujours appréciée à sa juste valeur. En élevant leurs enfants, elles les ont pour ainsi dire placés sur les genoux de Jésus, lui, si empressé à accueillir les enfants de la Judée. De la famille, le respect des saintes choses s’est perpétué dans nos écoles. La jolie poésie suivante développe avec succès cette idée :

LE CHRIST ET L’ÉCOLE

C’est Jésus qui l’a dit : « Laissez venir à moi
Les tout petits enfants, » et, l’enfance hésitante
Les yeux pleins de son charme, et l’âme frissonnante
Se prenait à l’aimer sans trop savoir pourquoi.

Il fallait aux petits, après le grand mystère,
Son image à l’école. Ils apprirent alors
De l’Éternel amour, les sublimes accords
Les dévouements divins, l’espoir ou la prière.

Mais des gens sont venus trahir la vérité
Ils voulaient de Jésus interrompre le règne,
Abattre les autels, et qu’au monde on enseigne
Raison, égalité, orgueil et liberté.

D’autres hommes sont là, qui gardent sa parole :
Ils défendront toujours, tant que l’humanité
Aura soif d’idéal, d’amour et de clarté
Le Christ à leur foyer, le Christ à leur école.

(Dame S.-H. Mondou)

C’est ainsi que se réalisera la saisissante parole de Bossuet : « La volonté de vivre à la grâce acquerra à vos corps une vie nouvelle ; les sages précautions, pour n’y plus mourir, assureront à vos corps l’immortalité. »