Les cimetières catholiques de Montréal depuis la fondation de la colonie/4

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CHAPITRE QUATRIÈME

Les cimetières catholiques de Montréal


Vous tous que sa justice épure
Dans les flammes de la douleur,
Vous passâtes comme des ombres,
Sur cette terre où nous passons,
Pour vous rendre, de là, par les sépulcres,
Au Dieu qui nous éprouve et que nous bénissons.
(Ed. Turquety.)



LE cimetière actuel de Notre-Dame-des-Neiges est le cinquième champ des morts depuis le berceau de Ville-Marie jusqu’à nos jours. Nous avons cru intéresser le lecteur en donnant quelques détails sur chacun d’eux. Commençons par le premier établi à l’endroit de si chère et vénérée mémoire : la « Pointe à Callières ».

C’est là que devait s’élever un fort, sous la surveillance de M. de Maisonneuve, pour « servir de digue aux Iroquois, arrêter leur furie et impétuosité se dégoûtant de passer plus outre, lorsqu’ils se voyaient si rigoureusement reçus dans les attaques qu’ils y faisaient. » (Dol. de Casson — Hist. de M.).

La « Pointe à Callières » était formée d’un côté par le fleuve St-Laurent, de l’autre par une petite rivière appelée depuis Rivière St-Pierre. Son nom s’est étendu sur toute la plage voisine. D’après les cartes de l’époque, la forêt venait y aboutir, puisque M. de Maisonneuve dut en abattre les arbres pour l’accomplissement de la sainte promesse d’aller installer sur le mont royal une croix. Cet engagement avait été contracté par l’illustre Maisonneuve en face du danger d’inondation de son premier fort, et ce fut le 6 janvier 1643 qu’il gravit le flanc de la montagne, chargé lui-même de la croix promise. Cette croix devint un lieu de pèlerinage pour les premiers colons de Ville-Marie. Nous aurons occasion d’en parler de nouveau, quand il s’agira du cimetière actuel de Notre-Dame-des-Neiges.

L’endroit de la Pointe à Callières est aujourd’hui occupé par la bâtisse de la douane. Une plaque en marbre a été fixée sur l’édifice pour perpétuer les beaux souvenirs qui s’y rattachent. Disons, en passant, que c’est grâce aux connaissances historiques de M. l’abbé Verreau que ce marbre a été installé en même temps qu’un bon nombre d’autres, soutenu qu’il était par quelques historiens remarquables de son temps. C’est sur cette pointe que fut célébrée pour la première fois à Montréal le saint sacrifice de la messe. Une toile due au pinceau du célèbre Lausane a été offerte à Sa Grandeur Mgr Bruchési par le gouvernement de la République française pour perpétuer sur les murs de la cathédrale le souvenir de ce grand événement.

Depuis ce jour béni de la première messe, la Pointe à Callières fut témoin des scènes les plus douloureuses. Ce fort naissant qui abritait dans des constructions bien insuffisantes les Jésuites, missionnaires héroïques, affrontant tous les dangers, M. de Maisonneuve et ses soldats, entendit les plus navrants sanglots et recueillit les larmes versées sur de nombreuses tombes. Le cimetière où ces tombes furent creusées, se trouvait, écrit M. Faillon (H. de la C. F. I-12), à côté du fossé du fort, au confluent de la grande et de la petite rivière, et qu’on eut soin d’entourer de pieux ». Les premiers corps qui y furent déposés étaient ceux de malheureux Français surpris et tués par des sauvages. C’était au commencement de juin 1643, soixante Hurons descendaient de leur pays, où les Jésuites avaient continué l’œuvre des Récollets. Mais la perfide conduite de ces barbares montre à l’évidence qu’ils ne profitaient pas des avis de leurs missionnaires. Leurs canots étaient chargés de fourrures qu’ils comptaient bien échanger à Ville-Marie, à Trois-Rivières et à Québec avec ces Français qu’ils faisaient mine de chérir, les détestant du fond du cœur pourtant. Pour mieux ménager la voie à leur trahison, ils n’avaient pas d’armes et s’étaient même chargés de lettres des missionnaires de leur pays pour leurs confrères de Québec. Ils s’arrêtent à trois lieues plus haut que la Pointe à Callières, en un lieu désigné plus tard sous le nom de Lachine. Là, ils rencontrent des Iroquois en nombre considérable, et bien armés. Eux ne l’étaient pas ; c’est pourquoi ils les disposent favorablement à leur égard en les initiant à fond sur le fort de Maisonneuve, où ils avaient toujours reçu un excellent accueil (Faillon). « Des Français étaient venus s’établir, leur disaient-ils, dans cette île, immédiatement au-dessous de ce Sault que vous voyez ; que n’allez-vous les attaquer ? Vous pourrez y faire quelque coup considérable et détruire une bonne partie de ces colons, vu le grand nombre que vous êtes. » (Dollier de Casson — De 1642 à 1643). « Après ce conseil perfide, écrit Paillon, ils s’empressèrent de détacher quarante des leurs. » Tout à coup, ils aperçurent six des compagnons de Maisonneuve travaillant à une charpente à deux cents pas du fort. Trente barbares s’élancent sur eux, mais ces hardis travailleurs firent face et se battirent avec un courage digne d’un meilleur sort. Trois succombèrent sous les coups redoublés. Ils eurent leurs têtes écorchées et leurs chevelures sanglantes rasées en trophées, reliques d’autant de héros dont ils n’appréciaient pas la valeur. Les trois autres furent pris et conduits au fort des Iroquois récemment construit à Lachine. Un d’eux, nommé Henri, réussit plus tard à échapper aux supplices en fuyant à travers les bois. La Relation du Père Vimont (1648, p. 20) affirme qu’un sauvage Huron échappé des mains des Iroquois annonça à Ville-Marie que les deux autres captifs avaient été brûlés l’un et l’autre. « Nous ne connaissons pas les noms de ces deux victimes, écrit Faillon, immolées dans leur captivité par la fureur des Iroquois. » (H. de la C. F. ii-15.)

Ceux qui ont parcouru les premières pages de notre histoire savent les tourments qui les attendaient. C’était l’effusion de leur sang par gouttes, afin de leur garder assez de vigueur pour endurer les contusions, les brûlures de toutes les parties de leur corps, les écorchements de la chair. Le tout conduit avec une affreuse barbarie, reculant la mort pour torturer davantage. Et ces Français de ces temps d’horreur, les aimons-nous assez, et comprenons-nous la valeur de leurs mérites et de leurs immolations ? Pourquoi avaient-ils quitté leurs foyers paisibles de leur France, leurs épouses, leurs amis ? Dieu les conduisait, et assurait par l’effusion de leur sang sur nos plages un pays de prédilection et un coin de terre abrité jusqu’à nos jours du manteau de Marie. Dieu avait rivé pour ainsi dire à notre sol ces preux. Ils n’avaient reçu qu’une faible rétribution, même, par la suite, un grand nombre viendront à leur frais, se donneront pour la vie à Mlle Mance, à la Mère Bourgeois. Quel pouvait être le motif de tous ces dévouements ? Personne ne verra l’attrait particulier d’un doux climat, l’appât de l’or. Si encore cette Pointe à Callières eût été préparée un peu à l’avance. Non, Maisonneuve y arrive avec ses hommes. Il faut commencer à abattre quelques arbres ; puis Mlle Mance, Mme de la Pelleterie, leurs filles de compagnie, le gouverneur C. Hault de Montmagny le suivant avec le Père B. Vimont. Un tabernacle de France est installé sur un autel rustique, la messe y est célébrée et continue de l’être dans une chapelle d’écorce. À peine installé, ce noyau de hardis chrétiens, de jeunes filles des meilleures familles de France, voit surgir des barbares de tous côtés, tomber sous leurs yeux leurs meilleurs hommes. Presqu’à chaque fois qu’ils se hasardent à quelques centaines de pas, ils sont tués, ou voués aux plus affreuses tortures. Cependant les survivants restent, et au lieu de retourner par le prochain navire, ils continuent leur martyre d’appréhensions. Le cimetière improvisé, je puis dire, de la Pointe à Callières est là pour éveiller les sentiments motivés de désespérance ; cependant, ils persistent. Évidemment, au point de vue humain c’était « une folle entreprise », mais il faut le reconnaître, c’était bien l’œuvre de Dieu, rêvée par le Vénérable M. Olier, soutenue par les pieux membres de sa compagnie naissante de leurs plus ferventes prières, et de leurs généreuses aumônes. Il y avait plus ; nos premiers héros dont les cadavres étaient placés l’un près de l’autre dans ce coin de terre béni par le Père Claude Pigeart, de la Société de Jésus, avaient reçu de lui l’absolution et le Dieu des forts. C’était la règle désirée de chaque jour, puisque les dangers étaient quotidiens. Les six Montréalistes qui avaient quitté le fort en avaient agi de la sorte. Ne les voyant pas revenir, M. de Maisonneuve envoya des hommes sur le lieu, pour s’assurer de la cause de leur retard. On y trouva le corps mort de l’un d’eux, écrit Faillon : Guillaume Boissier de Limoges. Les deux autres, Bernard Berté, et Pierre Laforest, dit vulgairement l’Auvergnat, furent, retrouvés quelques jours plus tard. Ils furent tous trois inhumés dans le petit cimetière du Fort, le 9 juin 1643 comme l’atteste le registre mortuaire de Notre-Dame (Reg. de la paroisse de Ville-Marie — Dollier de Casson).

Il n’y avait que vingt-deux jours que M. de Maisonneuve avait commencé ses travaux d’installation quand cette sanglante immolation fut accomplie.

Le registre mortuaire continue l’énumération des victimes des Iroquois ; à la date du 30 mars 1644, c’est le tour de Guillaume Lebeau et de Jean Maternasse, menuisier de Bourges. En 1645-46-47 ce sont les corps de quelques sauvages et de deux enfants blancs, qui sont inhumés au cimetière près du Fort. Au mois d’août 1648, on y enterre la cinquième victime des Iroquois, c’est le corps de Mathurin Bonenfant, originaire d’Igé, au Porche.

À cette époque, Ville-Marie vivait dans des transes journalières, au point qu’il n’y avait aucune sécurité à s’éloigner du fort ou à naviguer sur le fleuve (Faillon H. de la C. F. ii-16), et M. Dollier, dans son histoire de Montréal, déclarait que, dans ce temps, on n’était plus en assurance dès qu’on avait franchi le seuil de sa porte. Cependant les colons de Ville-Marie, loin de perdre courage, outrés de douleur de la perte de cinq des leurs, pressaient M. de Maisonneuve de les conduire sur le champ de bataille. Le sage gouverneur répondait : « Prenez patience : quand Dieu nous aura donné du monde, nous risquerons des coups. » (Dollier) En attendant, les dogues, ayant à leur tête la fameuse « Pilotte », dénonçaient par leur aboiement, les pistes des cruels Iroquois.

Dans le fameux engagement où Maisonneuve s’illustra en exterminant un chef sauvage avec tant de courage et d’habileté, trois Montréalais trouvèrent la mort : Guillaume Lebeau, Jean Maltemale et Pierre Bigot. Ils furent tous trois inhumés dans le cimetière du Fort ; ce qui porta à huit le nombre des victimes de la férocité iroquoise.

Mais ce petit cimetière ne pouvait plus offrir d’utilité pratique à raison de la crue des eaux du fleuve ; c’est ce qu’indique l’acte de sépulture du 15 janvier 1654. François d’Haidin, morbo obiit, est mort de maladie (terme dont le Père Pigeart se servit pour distinguer ceux qui mouraient paisiblement, de ceux qui étaient massacrés par les sauvages), omnibus sacramentis munitus, muni de tous les sacrements, et in terra de novo

benedictu, in horte, propter inundationem aquarum supra cœmeterium, sepultus a me… Claude Pigeart. Il fut enterré dans le terrain nouvellement béni, dans le jardin, à raison de l’inondation des eaux au cimetière. Et dans l’acte de sépulture de François Lochet la chose est encore plus clairement établie par les paroles suivantes : in novo hospitalis domus cœmeterio sepultus — enterré dans le nouveau cimetière de la maison hospitalière. C’est ce que fit écrire M. l’abbé P. Rousseau (Maisonneuve xxix-209). Le cimetière de la Pointe à Callières était impraticable aux époques des grandes crues, les sépultures devaient alors se faire ailleurs…

M. de Maisonneuve leur céda près de l’Hôtel-Dieu son terrain. Ce nouveau champ des morts prit le nom de « Nouveau cimetière de l’hôpital. » Il eut deux annexes, celui des pauvres et celui des sauvages, le long des fortifications. Ces lieux de sépulture sont désignés dans les registres par les mots « près de l’église, tandis que l’ancien cimetière du fort est dit : loin de l’église. Ce qui indiquerait qu’il ne fut pas de suite abandonné.

Le cimetière reçut les dépouilles de plusieurs martyrs et de nombreux héros. Citons les principaux : Ive Bâtard, 12 Octobre 1654 a été inhumé dans le cimetière par moi, Claude Pigeart, S. J., mort la veille, muni des sacrements, transpercé d’une balle de plomb par les Iroquois. Le 31 mai 1655 Julien de Lugron eut le même sort.

Puis le 2 septembre 1656 mentionne la sépulture du Père Garreau. Nous tenons à la citer intégralement : Anno Domini 1656 2da Septembris circa undecimam noctis horam animam Deo reddidit P. Leonardus Garreau, sacerdos Societatis Jesu, omnibus sacramentis munitus, et glande plombea percussus ab Hiræcis die 30a Augusti, dum Evangelii prædicandi causa, superiores regiones peteret. Vir eximiis Dei donis et virtutibus præditus, postridie per me, Claudinum Pigeart, ejusdem Societatis Jesu sacerdotem sepultus in cæmeterio loco sacerdotibus designato.

L’an du Seigneur 1656, le deuxième jour de septembre vers la onzième heure de la nuit rendait son âme à Dieu le Père Léonard Garreau, prêtre de la Société de Jésus, muni de tous les sacrements. Il fut frappé d’une balle de plomb par les Iroquois, le 30 du mois d’août, comme il se rendait aux régions supérieures pour y prêcher le saint évangile. C’était un homme doué par Dieu de talents précieux et orné de vertus.

Le 20 avril 1660 le nouveau cimetière reçoit la dépouille de Nicolas du Val, serviteur au fort, tué la veille par les Iroquois. Mais voici une autre victime de la férocité iroquoise mentionnée au Registre mortuaire : « Le 20 d’août a été enterré dans l’église, Jacques Le Maître, économe de la communauté des prêtres de ce lieu, âgé de 44 ans, natif du pays de Normandie, lequel avait été tué la veille par les Iroquois qui ont emporté sa tête. » Quelle est cette église ? En 1653 la population de Ville-Marie avait plus que doublée. (P. Rousseau.) Dieu permettait que la rage iroquoise n’enrayât pas le cours de la colonisation. Le fort de la pointe à Callières contenait une humble chapelle, où le Saint-Sacrement n’avait pas cessé d’être entretenu par les Pères Jésuites. Étant devenue trop petite, une autre chapelle plus centrale fut construite « à l’angle de la rue St-Paul et de la rue qui monte du fleuve à la Place d’Armes et qui de ce jour prit le nom de St-Joseph. Elle tenait au terrain du nouveau cimetière, servit de seconde église paroissiale, et c’est dans sa crypte que fut inhumé par M. Gabriel Souard, premier curé de Ville-Marie, M. l’abbé Jacques LeMaître, premier martyr de la Communauté de S. Sulpice. Ville-Marie put jouir après cette immolation de quelques mois de paix relative, jusqu’à ce que le 6 février 1662 le major Lambert Closse et ses héroïques soldats durent faire face à au moins deux cents Onnontagués. Vingt-cinq Français les repoussèrent, mais durent cependant retraiter. Closse resta seul bravant la mort ; malheureusement il n’échappa pas cette fois avec trois de ses braves : Le Roy, Le Compte et Brisson. M. l’abbé Souart écrivit au registre le 7 février 1662 : Ont été enterrés le Sieur Lambert Closse, sergent-major de la garnison, Simon Le Roy, habitant, Jean Le Compte, âgé de 31 ans, travaillant de la ville d’Orléans, de la paroisse de Notre-Dame de Recouvrance, et Louis Brisson, âgé de 21 ans, aussi travailleur de la Rochelle, lesquels avaient été tués la veille par les Iroquois. Le registre mortuaire de Ville-Marie consigne un autre important récit à la date du 13 mars 1662 : « Nous avons reçu nouvelle par des lettres du Père Lemoyne étant en mission à Onnontagué, que M. Guillaume Vignal, prêtre de la Communauté des prêtres de ce lieu, qui avait été pris par les Iroquois à l’île à la Pierre le 25 octobre dernier, a été tué par eux deux jours après sa prise. Il était âgé de 40 ans. Nous avons aussi appris par la même voie, continue le registre, que Jacques le Prêtre âgé de 30 ans, fut tué dans la même île, et que le Sieur Claude de Brégeard, soldat et secrétaire de M. le Gouverneur qui fut pris en la même occasion, âgé de 30 ans, de Légny du barois, a été cruellement brûlé par eux dans leur village. À la date du 24 juin, « a été enterré Michel Louvard dit Desjardins, meunier, assassiné la nuit précédente, sur le pas de sa porte, on ne sait par qui, si ce n’est par des sauvages Loups, qui étaient à l’habitation en grand nombre. — Le 28 juin 1662 ont été enterrés Guillaume Pinçon, natif de Rouen, veuf, âgé de environ 40 ans, et Jean Parisien, de la paroisse de St-Nicolas-des-Champs, âgé de 23 ans, qui avaient été tués par les Iroquois. » Puis, à la date du 12 juin 1663 : « A été enterré, Léger Haqueriar, habitant, âgé de 30 ans, tué par les Iroquois. »

Tout en parcourant le registre mortuaire de Ville-Marie, nous recueillons l’acte de sépulture de Marie des Neiges, adoptée par M. de Maisonneuve, et confiée à la Mère Bourgeois. « Elle était agniérenne, donnée pour fille à M. de Maisonneuve par sa mère, à l’âge de dix mois. À cette date, 11 août 1663, elle était âgée de 4 ans et 10 mois. « Le père Lemoyne, dit Faillon (Vie de la M. Bourgeois I, p. 97), a assuré que c’était la première baptisée des Iroquois. »

Autre détail du registre mortuaire que nous consignons ici : « À la date du 20 avril 1664, nous avons eu nouvelles par des sauvages Onontagheronons que le nommé Simon des Prés, dit le Berry, qui a sa femme à Bloys, pris l’an passé par les Onaiatronons, a été brûlé cruellement par eux en leur pays. »

À la date du 5 mai 1664, lit-on au même registre : « A été enterré, Michel Théodore dit Pilles, âgé d’environ 30 ans, tué la veille par les Iroquois à la Longue-Pointe, en revenant de sa chasse. Et le 8 août, même année, ont été enterrés Jacques du Fresne, âgé d’environ 30 ans, Pierre Maignan, âgé d’environ 21 ans, qui avaient été tués le même jour à l’île Ste-Hélène, par les Iroquois. Il faut ajouter à cette longue liste de victimes des Iroquois : Claude Marcou, tué à l’âge de 23 ans, inhumé le 12 septembre 1664, et Rolin Basile, âgé d’environ 30 ans, massacré le 21 avril 1669.

Cette énumération de vingt-neuf colons de Ville-Marie, brûlés, tués par les balles des féroces Iroquois, proclame assez haut le respect dû au second cimetière de l’hôpital. Cette vénération d’un lieu sanctifié par la présence d’ossements de corps si généreux méritait d’être signalée, afin que l’on apprécie la sainteté, la bravoure des premiers colons de Ville-Marie. Jamais la mémoire de ces preux ne devrait être perdue dans nos souvenirs les plus sacrés. Du haut de son beau monument, le Sieur de Maisonneuve contemple leurs cendres gisant autour de lui, et les lys de son glorieux drapeau les couvrent de son ombre reconnaissante.

Nous avons vu par l’acte d’inhumation de François d’Haidin l’ouverture du second cimetière de Ville-Marie, appelé cimetière de l’hôpital, à cause du voisinage de « l’Hôtel-Dieu ». Ce nouveau champ des morts couvrait la hauteur occupée aujourd’hui par la Place d’Armes et même par l’église paroissiale actuelle, puisque en creusant les fondations, du perron surtout, on a trouvé beaucoup d’ossements. Plusieurs années après son établissement, les habitants de Ville-Marie, informés que les bestiaux entraient dans le cimetière, voulurent faire cesser cet état de choses. Ils se réunirent le 30 novembre 1674, fête de S. André, à l’issue des vêpres, dans une des salles du séminaire. À cette assemblée, où étaient présents M. Perrot, curé de la paroisse, Gabriel Souart, ancien curé et supérieur du Séminaire, M. Jean Migeon, avocat en la Cour du parlement de Paris, Benigne Bastet, greffier tabellion du bailliage de Montréal et plusieurs notables, il fut résolu qu’on ferait au cimetière une clôture de pieux à coulisses sur pièces de bois.

Mais quoique l’usage fût que l’église paroissiale de chaque lieu, le cimetière et sa clôture fussent entretenus par les habitants, il n’en était pas alors ainsi à Ville-Marie, car nous voyons que dans la même assemblée du 30 novembre il fut aussi résolu « qu’on nommerait un habitant en chaque quartier afin d’accompagner M. Jean Frémont, prêtre du Séminaire, pour aller recevoir les aumônes que chacun des habitants voudrait donner. »

Dans ce cimetière, on avait construit à l’endroit où se voit aujourd’hui la banque de Montréal, une chapelle pour y déposer les corps qui n’entraient pas à l’église ; on y faisait l’office ainsi qu’on fait aujourd’hui au cimetière de Notre-Dame-des-Neiges.

Et bien que le cimetière de l’hôpital eût cessé d’être en usage en 1799, la chapelle dont nous venons de parler ne fut détruite qu’en 1816.

Cette année-là, en effet, le 8 janvier, M. le Saulnier, prêtre de Saint-Sulpice, et François de Laperrière, marguillier en charge, adressèrent une requête à Sa Grandeur Mgr l’évêque de Québec par laquelle ils exposaient :

« 1. — Que messieurs les commissaires des fortifications de cette ville (Montréal) désirant, pour le bien public, élargir la rue St-Jacques, ont proposé à la fabrique de la paroisse de leur céder l’emplacement de la maison du bedeau avec une partie du cimetière qui est entre la dite maison et celle du docteur Ledel, sur la Place d’Armes, offrant les dits commissaires à la dite fabrique pour dédommagement la somme de six cents livres, cours de la province, et un terrain voisin plus considérable, près des remparts.

« 2. — Que l’assemblée du curé et des marguilliers, tenue à cet effet le 31 du mois dernier, ayant délibéré sur cette proposition, a été unanimement d’avis de l’accepter, si Votre Grandeur veut bien y donner son approbation…

« C’est pourquoi les soussignés supplient humblement Votre Grandeur d’avoir cet échange pour agréable, et d’autoriser la fabrique à détruire la chapelle où on dépose les morts, et à faire exhumer quelques corps qui ont été inhumés dans le dit cimetière, il y a près de vingt ans, pour livrer le dit terrain aux dits commissaires dans le mois de mai de l’année prochaine. »

Sa Grandeur Mgr l’évêque de Québec donna, le 13 janvier, son autorisation, comme suit :

« Permis aux termes et conditions exprimées dans la présente requête.

« Signé,† J. O., Év. de Québec. »

En 1748, le cimetière de l’hôpital était devenu insuffisant ; la place manquait pour « enterrer les pauvres de la paroisse ».

Une assemblée, composée de M. Louis Normant, supérieur du Séminaire et curé de la ville, grand-vicaire de l’évêque de Québec ; de M. Antoine Déat, vicaire de la paroisse, et des messieurs les anciens et nouveaux marguilliers se réunit le 29 juillet 1748, dans une des salles du Séminaire pour délibérer sur cette importante question.

Il fut résolu que le curé et le marguillier en charge feraient, pour servir de cimetière aux pauvres, l’acquisition « d’un emplacement appartenant à M. Robert, situé à Montréal, près de la poudrière, contenant environ un quart d’arpent en superficie ».

Mais une « déclaration de Sa Majesté, en date du 25 novembre 1743 », paraissait mettre obstacle à l’acquisition de ce terrain, aussi, dans la même assemblée, il fut résolu que M. le curé et le marguillier en charge adresseraient une requête au commandant-général et à l’Intendant de justice, de police et de finance de la Nouvelle-France, pour les supplier d’autoriser l’acquisition du dit terrain.

Le 27 février 1749, Rolland, Michel Barin, marquis de la Galissonnière, chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis, capitaine des vaisseaux du roi, commandant général pour Sa Majesté en toute la Nouvelle-France, terres et pays de la Louisiane, et François Bigot, conseiller du roi en ses conseils, Intendant de justice, police, finance et de la marine, accordaient en ces termes l’autorisation demandée par la requête :

« Vue la requête, nous autorisons le curé et les marguilliers de la paroisse de cette ville (Montréal ) à faire l’acquisition des terrains ci-dessus désignés pour servir à inhumer les pauvres de la dite paroisse.

« Signé, La Galissonnière, Bigot. »

L’autorisation obtenue, on se mit vite à l’œuvre et le cimetière de la poudrière fut rapidement établi. Aussi voyons-nous qu’en 1751, dans une assemblée du curé et des marguilliers anciens et nouveaux, il fut résolu qu’à ce cimetière il serait fait une clôture de murailles, et qu’on y construirait un charnier afin d’y déposer les morts pendant l’hiver.

En 1799, les cimetières de l’hôpital et de la poudrière cessent de servir aux inhumations ; ils sont abandonnés pour un nouveau lieu de sépulture, situé au faubourg St-Antoine. En voici la raison.

À cette époque, les grands jurés ayant reconnu que ces cimetières si rapprochés des habitations, étaient une cause d’insalubrité et un danger pour la santé publique, adressèrent un rapport au procureur-général M. Sewell, pour lui signaler le danger résultant de ces cimetières, et pour lui en demander la translation.

Le procureur-général s’empressa de soumettre au curé et aux marguilliers le rapport des grands jurés. Par suite, eut lieu une assemblée du curé et des marguilliers anciens et nouveaux dans laquelle il fut résolu de faire droit aux observations des grands jurés et d’acheter un terrain pour y transporter les cimetières.

Ce terrain fut acheté au Coteau St-Louis dans le faubourg St-Antoine ; il appartenait à M. Pierre Guy et mesurait quatre arpents en superficie. Il fut payé à raison de 1,500 livres, 20 coppes l’arpent. Il occupait l’emplacement où se trouve aujourd’hui une partie de la place Dominion.

Ce cimetière fut agrandi plus tard de la partie où se trouve aujourd’hui construite la nouvelle cathédrale.

Dans ce cimetière, les habitants de Montréal et des côtes voisines furent inhumés jusqu’en 1854.