Les cimetières catholiques de Montréal depuis la fondation de la colonie/7

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CHAPITRE SIXIÈME

Devoirs des survivants


Chrétiens pour nos tombes aimées.
Mêlons aux gerbes embaumées
Un espoir qui soit immortel.
Demain nos fleurs seront poussière.
Seul, le parfum d’une prière
Dure éternellement au ciel !…

(François Coppée, dans la p. et la l.)


UNION DE PRIÈRES



TOUTES les pages précédentes ont mis sous nos yeux les champs de la mort depuis le berceau de Ville-Marie jusqu’au présent cimetière de Notre-Dame-des-Neiges. Avec son agrandissement, il y aura place pour un nombre presque incalculable de tombes. Elles attendent ceux qui continuent à se débattre sur la scène de la vie. Hélas ! combien peu songent à cette dernière demeure ! Ne craignons pas d’assombrir nos jours par la vue de l’épée de la mort suspendue sur nos têtes. Cette pensée sera un vrai sujet de consolation en nous invitant à séparer le passé et assurer notre avenir de joie éternelle. « On ne pécherait jamais, écrivait Mme Swetchine, si on voulait avoir toujours devant les yeux le jugement dernier et même le sien. Les grandes assises de la vallée de Josaphat commencent pour nous chaque soir. » Néanmoins l’enfance est souriante, Dieu l’a ainsi voulu, mais ne doit-on pas dire que c’est dans les berceaux que la mort moissonne le plus ? La jeunesse promet, et celui qui jouit des doux parfums printaniers de la vie, enchérit encore sur ses délices… Dieu le permet… Que d’admirables créatures la mort frappe à cet âge souriant !… Mais l’homme est arrivé au sommet de la montagne de sa vie ; il jette de la hauteur de ses dons de l’esprit et du cœur plus ou moins vrais des regards pleins d’espoir sur tout ce qui l’environne. Il ne veut plus rêver, il veut faire grand, et surtout mieux que les autres. Dieu le tolère… la mort cependant frappe, elle est inexorable… Et puis le vieillard s’avance. Il penche ; tout le lui annonce ; lui seul s’illusionne et forme encore des projets à longue date ; Dieu concède, soutient et bénit… Mais le spectre de la mort s’avance ; cette fois, il lui semble, son rôle est justifiable. C’est qu’en effet « la vieillesse est le dernier mot de la vérité sur cette terre, la réalisation de ce qui nous est révélé sur le néant de tout ce qui de près ou de loin ne se rattache pas aux promesses éternelles. Elle nous dit la sagesse des enseignements divins et comment Dieu est tout (Mme Swetchine). » Notre cimetière est donc le lieu de rendez-vous de tous : enfants, adolescents, hommes faits, vieillards chancelants ; oui, c’est inévitable. Que faire ? Tomber à genoux et prier. Mais, dites-vous, nous avons nos occupations, nos affaires, nous ne pouvons ainsi prier. Rappelez-vous que l’accomplissement consciencieux de vos devoirs constitue la meilleure prière. Vivez avec un regard sur le cimetière. Sa pensée vous fera mieux vivre. La franche et pure gaieté ne vous abandonnera pas pour tout cela. Quelle aberration de croire que la pensée des événements nécessaires et inévitables doive navrer la vie ! Il y a là un puissant motif de préparation à les accueillir pour nous les rendre favorables. Je mentionne la prière, et j’insiste. Fasse le ciel que cet ouvrage grave dans les cœurs son importance et sa pratique !… Nous avons parlé de l’oubli, manteau épaissi par le temps, recouvrant les tombes les plus célèbres, les plus aimées. L’Église en gémit, et dans ses institutions, elle a toujours essayé d’y suppléer. Aussi bien, ses religieux, à certains jours, récitent l’office des morts, et le 2 novembre de chaque année tous ses lévites immolent la Victime sacrée sur tous les autels du monde. De plus, à chaque messe, le prêtre songe à tous les morts, prie pour tous les trépassés, sans distinction. Quelle consolante universalité de prières, d’expiation divine !…

Comprenez, méditez ses bienfaits, l’efficace secours apporté à toutes les âmes des parents, des amis, des riches, des pauvres et des inconnus. Oui, des inconnus, car il y a un nombre incalculable de miséreux, de pauvres entassés à la hâte dans une fosse commune qui ne verront jamais personne prier sur leur tombe. Aucune croix n’y sera placée, et qui priera pour eux ? L’oubli qui les frappe est assez explicable, d’autant plus que les ossements des riches n’en sont pas exempts. Mais les pauvres, s’ils avaient eu, avant de venir giser dans ces réserves mortuaires, quelque cérémonie religieuse : si leur dépouille eut pénétré dans le temple du Seigneur, quelle consolation unique, je dois dire, pour les déshérités de la fortune ?…

Il s’est trouvé dans notre pays un prêtre modèle, au cœur brûlant de charité pour les pauvres, qui leur distribuait tout ce qu’il avait, tout ce qu’il quêtait journellement pour soulager leurs misères, digne enfant du Vénérable Olier — et ce prêtre était M. Eustache Picard. Il est plus que temps de rappeler son souvenir. Cet ouvrage de Monsieur Mondou portera dans toutes les familles de près comme de loin l’hommage de la reconnaissance la plus méritée à l’honneur du fondateur de l’Union de Prières.

M. Eustache Picard est né à la Côte-des-Neiges, le 20 juin 1817, du mariage de Pierre Picard et d’Élisabeth Prud’homme. Nous lisons dans sa biographie écrite par un de ses confrères de St-Sulpice (1886) les détails suivants ; nous les citons avec d’autant plus de plaisir que nous avons touché ses œuvres, et qu’avec Monsieur Mondou il m’a honoré de sa confiance et de son amitié.

Rien de plus patriarcal que ces familles des côteaux ; elles remontent aux premiers temps de la colonie, et il n’en est pas dans tout le pays qui ait plus conservé ce caractère de colon militaire, pionnier et véritable missionnaire de la foi de Jésus-Christ. Les Picard et les Prud’homme ont été associés à tous les hauts faits des temps passés. Mais ce qui fut le propre des premiers colons, comme de leur descendance, c’était leur aptitude à tout faire. Dieu s’est plu à les orner des talents les plus précieux, et même d’une aptitude quasi universelle à tout faire ; ce qui explique leur succès en mécanique, en constructions, etc.

Du moment que le clergé à Québec comme à Montréal a pu réunir les fils de ces colons heureusement doués, de nature, les professeurs eurent de douces jouissances à développer leurs facultés natives pour assurer au pays des prêtres saints et éclairés. M. Picard appartenait à cette race de privilégiés ; c’est pourquoi à la fin de ses études, en 1837, il savait bien l’anglais et était bon latiniste. Il fut accueilli avec joie au sein de la Compagnie de St-Sulpice et s’y distingua surtout par sa charité pour les pauvres. C’est cette disposition pour le soulagement des miséreux et des abandonnés surtout après la mort qui lui inspire la fondation de cette œuvre si admirable de l’Union de Prières. Rien ne le touchait plus, dit son biographe déjà cité, que de voir l’affliction de ces familles si riches en foi et piété envers les défunts mais sans moyens de sépulture. Alors, il se décida d’établir une société mutuelle de secours dans laquelle moyennant une souscription minime, tout le monde aurait droit à un service à l’église, aux honneurs d’un chariot et d’une tombe au cimetière.

Telle est l’œuvre pour l’ensevelissement des défunts qu’il avait conçue, et qu’il a fini par constituer complètement en lui donnant tous les développements dont elle était susceptible (Biographie, 1886).

M. l’abbé Picard, on doit dire, s’est élevé, par cette œuvre, à la hauteur des plus insignes bienfaiteurs de St-Sulpice pour notre ville. Aux œuvres si humanitaires et des plus fructueuses de la Sainte-Enfance et de la Propagation de la Foi, il a apporté un complément, l’Union de Prières. Cette œuvre fournit aux fidèles un moyen facile et consolant de mettre en pratique le dogme de la communion des saints. Elle est une union de prières entre les âmes des rachetés de par le monde, entre celles déjà parvenues aux délices éternelles et celles des âmes torturées par le feu de l’expiation. Aussi bien il faut comprendre que l’Union de Prières n’a pas seulement en vue de fournir des ressources pour solder les dépenses des services et des enterrements des défunts qui autrement seraient privés des grâces précieuses attachées aux pieuses cérémonies de l’Église. C’est là une considération secondaire, je dois dire. L’œuvre est avant tout une association de prières en faveur des âmes des membres défunts et de toutes les âmes délaissées du purgatoire. Pour nous encourager à prier pour elles, songeons qu’elles nous entendent. Méditons la déclaration du savant Suarez : « Je dis qu’il n’est pas certain qu’elles n’entendent pas nos prières, et que vraisemblablement leurs anges gardiens ou les nôtres, les leur font connaître, parce qu’en cela il n’y a rien qui soit au-dessus de leur état et qui ne convienne au ministère des anges. » (De orat L.. 1. c. 10.)

Ajoutons à cette considération que les âmes souffrent en purgatoire des douleurs que nulle plume ne saurait décrire. Sainte Catherine de Gênes écrivait à ce sujet : « Elles voient avec certitude ce qu’est devant Dieu le plus petit empêchement causé par les restes du péché, et que c’est par nécessité de justice qu’il retarde le plein rassasiement de leur instinct béatifique. De cette vue naît en elles un feu d’une ardeur extrême, et semblable à celui de l’enfer, sauf la tache ou la coulpe du péché. » (Purgatoire iii.)

Espérons que les considérations qui précèdent raviveront le zèle pour l’œuvre d’Union de Prières. Qu’elle croisse de plus en plus non seulement au sein de la ville, de nos campagnes, mais qu’elle répande au loin ses bienfaits !… Par l’accomplissement des pieux devoirs qu’elle nous impose, nous pourrons dire avec saint Bernard, pleurant la mort de son frère Gérald : « Ô mère de la tristesse, ô mort, te voilà forcée d’abreuver l’âme aux sources des joies éternelles ! Ennemie de la gloire, malgré toi tu ouvres le séjour de la gloire ![1] »

  1. Ce dernier chapitre et la conclusion suivante sont dûs entièrement à M. l’abbé Beaubien.

    S. M.