Les contes de la lune/04

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Thérien Frères Limitée (p. 31-37).


LA MAMAN DES ANGES


Vous pensez bien, mes petits enfants, que, depuis que je ne fais pas autre chose que tourner en l’air et regarder en bas, il m’arrive de crier comme vous : « Je ne sais pas quoi faire ! »

Et je cherche des distractions, au lieu d’attendre, comme vous le faites, que votre maman vous en suggère. C’est que je n’ai pas de maman. Je suis sortie toute ronde et immense des mains du créateur qui me trouvait assez forte pour me tirer d’affaires ; toute seule.

Donc, une nuit, j’eus la curiosité de monter plus près du ciel, — sans dévier trop de ma course, — et de regarder un peu ce qui se passait là-haut.

Je suis toujours attirée par les tout petits, et mes regards se fixèrent sur un groupe d’anges, qui, à ma stupéfaction, avaient des visages tristes. Curieuse, j’écoutai ce qu’ils disaient :

— Un ciel sans maman, c’est désolant ! je veux ma maman, moi !

— Et moi aussi ! Et moi aussi !

— Si nous allions les demander à Jésus ? Il a toujours sa maman près de lui, il comprendra…

Ailes déployées, les voilà partis vers le trône splendide, où Jésus, entouré d’anges, des anciens, — de ceux qui n’eurent jamais de maman, — paraissait très affairé.

Il leur distribuait des feuilles de route pour la terre où l’on attendait des douzaines de bébés qu’il fallait munir d’Anges-Gardiens.

Les angelots frémissaient d’impatience, chuchotaient entre eux, et le porte-parole préparait un beau discours.

Enfin libre, Jésus s’étonna :

— Que voulez-vous, mes chéris, pourquoi ces figures allongées, et ces plumes hérissées ? dans mon ciel ? en ma présence ! fit-il, doucement grondeur.

— Seigneur, cher petit Jésus, je voudrais… je veux ma maman !

Et l’ange éclata en sanglots sans pouvoir dire son beau discours, mais les larmes ont leur éloquence !

— Et nous voulons nos mamans aussi ! crièrent les autres, sans souci de l’étiquette céleste : nous voulons être caressés, bordés, le soir, dans nos nuages Comprenez donc, Jésus, qu’une maman c’est indispensable, même dans le ciel…

— Vous passeriez-vous de la vôtre fit un effronté.

Soucieux, Jésus réfléchissait…

— Attendez, mes angelots, c’est un problème difficile ! Je vais consulter maman, elle saura bien me tirer d’embarras.

Il revint rasséréné.

— Écoute, toi, dit-il au premier. Je vais te la rendre ta maman ; au fait, elle ne tient plus à la terre que par un fil, elle a tant pleuré depuis ton départ. Mais tu la prêteras à tes petits compagnons, car je ne puis faire venir toutes vos mères. Que deviendraient les petits enfants de la terre ? Et vos pauvres papas ? Alors la maman que je ferai venir, la tienne mon ange désolé, sera, en attendant, votre mère à tous ; elle a un grand cœur, vous y logerez sans peine ! Allez, mes petits, et souriez, lissez vos plumes ; vous déparez mon paradis quand vous pleurez !

Dans un bruissement d’ailes, ils passèrent en me frôlant :

— Tiens, madame la Lune ! Comme elle est près de nous cette nuit !

— Bonsoir, vieille Lune !

Ma parole ! Les anges eux-mêmes sont gamins de nos jours !

Et que se passa-t-il ensuite ? Doucement, un archange coupa le lien fragile, et l’âme de la petite maman arriva à la porte du ciel. Saint-Pierre l’ouvrit toute grande.

— Vite, madame, on vous attend ici ! Voyez tous ces enfants qui viennent à votre rencontre !

— Mon beau petit enfant :  ! Enfin ! et elle serrait bien fort, dans ses bras, son petit.

— Prenez-nous aussi dans votre tendresse ! gazouillaient les autres qui se pressaient autour d’elle. Jésus veut que vous nous serviez de maman ! Vous êtes la maman des Anges !

Et le pauvre père ? demandent vos bons petits cœurs, que devint-il ? Il eut beaucoup de chagrin… mais il se consola… Les hommes se consolent facilement ! Ils sont si occupés ! Il aima une autre femme et il eut d’autres petits enfants ; mais il pensait souvent à son premier-né et à la petite mère si douce et si tendre !