Aller au contenu

Les courses de taureaux (Espagne et France)/09

La bibliothèque libre.
Les courses de taureaux : Espagne et France
E. Maillet (p. 99-102).


IX

Adjuration.


Presque partout, je crois l’avoir suffisamment démontré, l’indifférence ou la répulsion se manifeste contre les courses de taureaux à mort. Les hommes vraiment français qu’une curiosité irréfléchie, ou le rôle d’observateurs avait attirés dans les cirques de Saint-Esprit, de Mont-de-Marsan, de Nîmes, en sont sortis navrés, blessés dans leur conscience et leur orgueil national ; tous protestent contre des scènes affreuses et dégoûtantes ; plus coupables encore chez nous qu’en Espagne. Ils disent que l’éclat des costumes, le bruit, l’enivrement de la foule masquent, sans l’atténuer, l’horreur du carnage, le cri des os brisés, le râle de l’agonie. Ils disent que la vue et l’odeur du sang ont des contagions redoutables. Leur protestation retentit dans le palais du Luxembourg.

Le Sénat proteste avec eux : il accueille une pétition généreuse, signée par l’honorable M. Doussault ; le 20 mars 1866, il entend le rapport approbatif et noblement énergique du comte Mimerel (de Roubaix), sur cette pétition, et la renvoie, avec une recommandation spéciale, au ministre de l’Intérieur.

L’occasion de donner une satisfaction tardive, mais, espérons-le, définitive aux sentiments d’humanité violés par les fêtes tauromachiques, tardera-t-il à se produire ? Non :

Au mois de mai suivant (1866), un maire — je rougis qu’il soit médecin, — autorise, encourage une troupe espagnole à donner, à Périgueux, le spectacle des taureaux à mort, dans un cirque immense, élevé pour la circonstance.

La corne aiguë des farouches animaux, les chevaux chancelants des picadors, la spada du matador, le poignard du cachetero, la foule avide d’émotions, tout est prêt pour ce carnage. Mais, sur la porte du toril, au moment de commencer la course, l’autorité municipale, rappelée à ses devoirs par ordre supérieur, s’est vu forcée d’inscrire, au grand désappointement des amateurs périgourdins, de haut et bas étage, accourus de fort loin : « le sang ne sera pas versé. »

Son Excellence M. de la Vallette, ministre de l’Intérieur, venait d’adresser au préfet de la Dordogne une lettre se terminant ainsi :

…« Si le gouvernement ne se hâtait de restreindre les courses de taureaux dans les limites de la loi, s’il usait encore d’une tolérance dont plusieurs autres villes ne manqueraient pas de se prévaloir, un spectacle, qui n’est point fait pour nos mœurs, et dont l’influence peut être dangereuse, s’introduirait en France, et, de proche en proche, prendrait rang parmi les réjouissances offertes aux populations de Paris et de l’Empire.

« C’est ce qu’il faut éviter ; c’est ce qui m’interdit toute concession contraire à la législation existante. »

Dignes et sages prohibitions ! Mais les idées et les ministres changent, parfois : le péril conjuré peut n’être qu’ajourné, si les simulacres autorisés, qu’on offre, au cirque du Havre, attirent sérieusement la foule.

Je fais appel à vous tous, hommes de cœur, en qui vibre le sentiment de l’humanité ; à vous, organes de la presse, sentinelles avancées et vigilantes, toujours prêtes à signaler les dangers qui menacent la moralité, l’honneur du pays ; à vous, femmes généreuses et compatissantes, dont les accents persuasifs et l’exemple enseignent le devoir, la justice et la pitié ; tous, je vous adjure, au nom d’un intérêt public, de protester de concert contre l’immoralité cruelle et dangereuse d’une importation qui tente encore de franchir nos frontières.


FIN