Les députés des Trois-Rivières (1808-1838)/BADEAUX, Joseph

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Les éditions du « Bien Public » (p. 5-11).

I

Joseph Badeaux

(1777-1834)

Joseph Badeaux descendait d’une famille établie à Beauport en 1630. Le premier Badeau venu au Canada se prénommait Jacques et sa femme était Anne Ardouin. Son frère, François, fut le notaire attitré de Robert Giffard, seigneur de Beauport, de 1653 à 1657. Il exerça aussi en même temps comme notaire de la juridiction de Notre-Dame des Anges, seigneurie appartenant aux Jésuites.[1]

Jean-Baptiste Badeau, notaire et capitaine de milice, père de Joseph, était l’arrière petit-fils de l’aïeul Jacques. Il demeurait aux Trois-Rivières où il épousa, le 29 octobre 1764, Marguerite Bolvin, décédée en cette ville le 10 novembre 1789 et, en secondes noces, Marguerite Pratte, le 10 janvier 1791. Elle survécut longtemps à son mari. En 1766, il était sous-bailli en cette ville. Son greffe de notaire va de 1767 à 1796. Il fut, de 1767 à 1794, le chargé d’affaires des Ursulines des Trois-Rivières.

En 1769, on voit, dans les délibérations de la Fabrique des Trois-Rivières, que Jean-Baptiste Badeau, notaire et maître-chantre, aura le droit d’occuper dans l’église un banc gratuit ; droit que conservèrent Joseph Badeaux et son fils le docteur Georges-Stanislas Badeaux.

En 1776, Jean-Baptiste Badeau était marguillier.

Le 21 février 1783, sur une copie d’un ancien acte, il se dit « Garde des minutes des anciens notaires du gouvernement des Trois-Rivières, »

Le 10 novembre 1789, en enterrant sa première femme solennellement et gratuitement, la Fabrique déclare, dans son registre, qu’elle cherche par là à reconnaître les longs et importants services rendus à l’Église par Jean-Baptiste Badeau.

Pendant l’invasion américaine de 1775-76, Jean-Baptiste Badeau tint un Journal des opérations de l’armée américaine, qui fut publié dans la Revue Canadienne en 1870, puis mis en brochure. M. Badeau servit durant cette guerre et se rendit très utile au gouvernement. Il mourut le 14 novembre 1796, âgé de cinquante-cinq ans.

Joseph Badeaux naquit aux Trois-Rivières le 25 septembre 1777. Après avoir terminé sa cléricature chez son frère, maître Antoine-Isidore Badeaux, il obtint une commission de notaire, le 29 septembre 1798.

En juillet 1799, Joseph Badeaux signait l’adresse présentée au gouverneur Robert Prescott. En septembre suivant, il souscrivait au fonds prélevé pour aider à payer les frais de la guerre. Le 28 novembre de la même année, il s’occupa de la succession de son frère Antoine-Isidore. En juin 1801, il fut au nombre de ceux qui présentèrent une adresse au lieutenant Dupré à l’occasion de son départ des Trois-Rivières. Le même mois, il signait une autre adresse présentée au capitaine Thomas Boyes, du 26e régiment, qui, lui aussi, quittait la garnison de cette ville.

M. Badeaux fut élu président d’une réunion des habitants des Trois-Rivières au sujet de la commune de cette ville, le 1er juin 1801, et en devint l’un des syndics.

En 1804, M. Badeaux était percepteur de la Fabrique. Deux ans plus tard, il était élu marguillier.

M. Badeaux fut au nombre des généreux souscripteurs au fonds de reconstruction du monastère des Ursulines après sa destruction par l’incendie, en 1806. Il souscrivit la somme de £14.3.4.[2]

Le 19 avril 1813, M. Badeaux fut nommé shérif du district des Trois-Rivières conjointement avec Henry Blackstone, et il conserva ce poste jusqu’au 7 mars 1827. Il devint commissaire pour administrer le serment d’allégeance, le 30 juin 1812 ; commissaire pour l’ouverture et l’entretien des chemins dans le même district, le 7 juin 1815 ; juge de paix, le 30 du même mois ; commissaire pour examiner les candidats-inspecteurs de farine, le 17 juin 1818 ; commissaire pour la construction, réparation et entretien des églises et presbytères, le 1er novembre 1820. Le 3 novembre de l’année suivante, M. Badeaux sollicitait le poste de notaire royal aux Trois-Rivières ; il fut nommé à cette charge de confiance le 18 février 1823 et reçut une nouvelle commission le 11 décembre 1830, à l’avènement de Guillaume IV au trône.

En février 1816, M. Badeaux était l’un des souscripteurs au Waterloo Fund, prélevé pour venir en aide aux familles des soldats de l’armée anglaise tués ou blessés dans ce mémorable combat qui mit fin au régime impérial en France.

M. Badeaux acquit, le 14 novembre 1785, de Jean-Marie Godefroy de Tonnancour et de Marie-Catherine Pélissier, sa femme, un seizième de la seigneurie de Saint-François des Prés.[3]

Son nom fut rayé de la liste des juges de paix par lord Dalhousie, le 21 juin 1829, à cause de ses opinions politiques. Le 8 février 1833, M. Badeaux fut nommé pour administrer le serment aux employés du gouvernement aux Trois-Rivières et, le 22 mars 1834, il sollicitait le poste de coroner pour le district des Trois-Rivières.

Joseph Badeaux servit dans la milice. Il obtint une commission de lieutenant dans la compagnie du Cap-de-la-Madeleine, le 20 mars 1798, et fut promu capitaine le 21 février 1812, dans le premier bataillon de la division nord des Trois-Rivières. Il passa un peu plus tard au huitième bataillon de cette même division et servit en cette qualité durant la guerre de 1812 - 15. Il obtint le rang de major le 5 mai 1822.

Député de la ville des Trois-Rivières à l’Assemblée législative du 18 juin 1808 au 1er mars 1810, il fut défait aux élections suivantes par M. Coffin. M. Badeaux représenta le comté de Buckinghamshire du 25 avril 1816 au 9 février 1820. Le 25 juillet suivant, il était de nouveau élu par la ville des Trois-Rivières, battant son concurrent le notaire Étienne Ranvoyzé, et il représenta cette ville jusqu’au 6 juillet 1824. Le 26 novembre 1830, les électeurs du comté d’Yamaska l’envoyaient les représenter à l’Assemblée et il conserva son mandat jusqu’au 9 octobre 1834. M. Badeaux décéda peu de temps après.

Le juge Pierre Bédard demeurait aux Trois-Rivières. Le ler juillet 1820, il écrivait à son ami John Neilson :

« Ici l’élection du bourg a été faite hier. MM. Ogden et Badeaux ont été élus par les hommes et les femmes des Trois-Rivières, car il faut que vous sachiez qu’ici les femmes votent comme les hommes, indistinctement. Il n’y a que les cas où elles sont mariées et où le mari est vivant, alors c’est lui qui porte la voix comme chef de la Communauté. Lorsque le mari n a pas de bien et que la femme en a, c’est la femme qui vote. Le cas s’est présenté hier. J’ai un domestique du nom de Michel qui a acheté un emplacement dans la Commune il y a un an ou deux et l’a fait bâtir. Les amis de sa femme lui avaient fait entendre que c’était la façon, actuellement, de passer les contrats au nom de la femme et que cela était plus súr. Michel, en conséquence, avait fait passer le contrat au nom de sa femme. Il a été pour voter hier. On lui a demandé de faire le serment. Il a déclaré que l’emplacement était au nom de sa femme. On a envoyé chercher la femme, qui a voté pour M. Ogden et M. Ranvoyzê le candidat battu. »

Dans la Gazette des Trois-Rivières, Badeaux remercia ses électeurs, mais Ranvoyzé se fâcha et lui servit une réponse très chaude.

Dans « Les deux Papineau », M. L.-O. David dit que les femmes votaient à Montréal et que madame Joseph Papineau avait fièrement donné un vote pour son fils Joseph aux élections de novembre 1809. Mais, comme d’habitude, M. David ne donne pas la source où il a puisé son renseignement. En tout cas, que des femmes aient voté à Montréal et aux Trois-Rivières, le fait ne paraît pas avoir été habituel dans la province. S’il l’eut été, ni Bédard ni David n’auraient pris la peine de mentionner la chose.

Benjamin Sulte publiait dans ses Mélanges Historiques[4] un article intitulé Cinq Maîtres-Chantres.

« Trois de ceux-ci furent Jean-Baptiste Badeaux, son fils Joseph et son petit-fils le docteur Georges-Édouard (sic). Le premier avait une voix sympathique et vibrante, d’une parfaite justesse et qui se tenait dans l’esprit du plain-chant.

« Son fils, Joseph, suivit sa trace, mais avec une voix qui eût rempli une vaste cathédrale et qui « brisait les vitres » de l’église paroissiale. Après avoir abandonné le chœur pour raison d’âge, il ne se gênait pas de reprendre de son banc les chantres qui entonnaient de travers ou qui faussaient. Ce beau talent resta enfoui dans un coin ignoré de l’univers, alors que des chanteurs, moins favorisés de la nature, brillaient sur les grandes scènes de l’Europe.

« Le docteur Georges-Edouard Badeaux son fils, raviva le lustre de nos maîtres-chantres, avec une modestie que son immense talent doit rendre plus héroïque. Il vient de mourir (1887), comblé d’années, entourê du respect de ses milliers d’amis et laissant le souvenir de nombreux bienfaits. Je l’ai entendu dans ma jeunesse, alors que sa puissance vocale était à l’apogée. Son chant était une prière, une élévation de l’âme, un cri de l’être humain vers Dieu. Sa voix montait au ciel. Une poésie suave et pénétrante nous inondait à ces accents incomparables. Un soir du mois de mai, en l’écoutant, j’ai composé, dans l’église, des couplets qui commencent ainsi :

Ô ! temple de la foi chrétienne !

« Il était de ces hommes qui ne savent pas qu’ils sont artistes et qui, cependant, s’emparent de nous par la force même de leur vertu et de leur talent. Quand il me parlait, j’avais envie de l’appeler Maître, mais je sentais qu’il en eut été surpris.

« Les Montagnards de Rolland passèrent une quinzaine aux Trois-Rivières, en 1856. M. Badeaux fit leur connaissance et chanta devant eux. J’ai été témoin de l’admiration de ce corps d’élite pour le Canadien français sans prétention qui leur révélait les trésors de sa voix d’archange. On lui demanda de monter la gamme — il atteignit le haut de l’échelle. On voulut savoir si son organe avait du volume — il ouvrit la fenêtre et se fit entendre par toute la ville. On fut curieux de connaître la durée de son souffle il lança une note et la soutint pendant que les Montagnards chantaient un couplet de cantique. Oh ! le brave, l’honnête homme, le digne chantre.

« Sa messe préférée était la Bordelaise. Il nous la donnait d’inspiration. Lorsqu’éclatait dans sa bouche le

cum sancto spiritu


nous levions les yeux pour voir descendre l’Esprit Saint. On devient poète en écoutant ces génies inconnus.

« M. Badeaux a fait autant pour le sentiment religieux que tous les prédicateurs qui ont prêché, de 1830 à 1870, dans l’église paroissiale des Trois-Rivières.

« Lorsque Hyppolite Godin, avec sa clarinette magique, venait de dominer l’orchestre et l’orgue de la paroisse, la voix de M. Badeaux se répandait au-dessus des chœurs et faisait oublier l’instrumentiste, Celui-ci pourtant avait de la valeur.

« C’est Hyppolite Godin qui m’a parlé le premier de Paganini. C’est le docteur Badeaux qui m’a fait comprendre Lablache. Ni l’un ni l’autre n’était violoniste ou basse-taille, mais qu’importe ! Les artistes se devinent à travers l’espace.

« Un dimanche de 1872, j’étais assis au jubé de l’orgue, près du docteur Badeaux. M. Élizée Panneton, qui est à l’orgue, le regarde comme pour dire : « Allez-y ». Le docteur se lève et chante le sanctus. Non, jamais, jamais vous ne retrouverez ces accents, ce suprême enchantement de la vraie poésie, cette élévation au-dessus des choses du monde, ce je ne sais quoi d’infini que nous comprenons mal parce que nous sommes des dieux tombés.

« Cultivons la musique d’église. Elle parle à l’âme. »

Joseph Badeaux, dit l’Histoire des Ursulines des Trois-Rivières, donnait le pain bénit à la paroisse chaque fête des Rois.

En 1821, on ouvrit sur ses terrains la rue Badeaux.

Entré à l’Assemblée législative, Joseph Badeaux donna son premier vote en 1809 en faveur de Jean-Antoine Panet candidat à la présidence de cette chambre. Le 21 avril, il appuyait la motion de M. Blackwood pour continuer le bill concernant les étrangers qui entraient dans la province. Absent de la Chambre le 4 mai, il ne vota pas pour l’expulsion de son collègue Hart. Le 21 février 1810, il appuyait une motion de M. McCord pour continuer le bill concernant les étrangers. Le 1er mars 1810, il vota en faveur de l’inégibilité des Juges à l’Assemblée.

Le notaire Joseph Badeaux se maria deux fois : en premier lieu, en 1800, avec Marguerite Dumont. Elle mourut le 30 avril 1801 en donnant naissance à son premier enfant. En secondes noces, avec Geneviève Berthelot d’Artigny, le 16 mars 1802. Cette dernière était la sœur d’Amable Berthelot qui fut député des Trois-Rivières[5]. Il eut quinze enfants. En voici la liste :


Joseph-Michel,
  notaire le 21 février 1824. 1803 - 1838.
François-Amable 1804 - 1804
Marie-Geneviève 1805 - 1805
Julie-Angélique 1806 -
François-Isidore 1806 - 1810
Louis-Benjamin 1808 - 1858
Zoé 1809 - 1809
Jean-Baptiste-Louis 1810 - 1810
Georges-Stanislas, docteur,
  admis à la pratique le 26 mai 1837. 1812 - 1887
Eulalie-Marie 1813 - 1841
Amable-Honoré 1814 - 1853
Marie-Jessé 1816 - 1876
Pierre-Benjamin 1817 - 1888
Eugénie-Madeleine 1820 -


Avant Joseph Badeaux, le nom s’écrivait sans x. Les descendants de celui-ci ont suivi son exemple.

  1. J.-E. Roy — Histoire du Notariat, Vol. I, p. 53.
  2. Hisloire des Ursulines des Trois-Rivières, II, 9.
  3. Inventaire des concessions en fief et seigneuries, V. 118.
  4. Vol. 19, p, 75 et suivantes.
  5. Il ne fut jamais député, ni de Nicolet ni d’ailleurs, comme le prétend l’Histoire des Ursulines des Trois-Rivières.