Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/08

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VIII


Mais ce qu’il y a de plus intéressant en l’espèce c’est que les théologiens sont quelquefois obligés de se redresser eux-mêmes. Tout en criant sur les toits qu’il n’y a pas de mariage sans une cérémonie religieuse quelconque ils font eux-mêmes des mariages réellement civils quand ils sont pris à court. Voici ce qui se passait à Bruxelles en janvier 1877.

Un jeune homme et une jeune fille de l’aristocratie catholique du Brabant voulaient se marier mais ils étaient mineurs tous deux et leurs parents ne voulant pas entendre parler de pareil mariage ils eurent recours, sur l’avis d’un jurisconsulte catholique qui avait beaucoup d’affection pour le jeune homme, au charmant expédient que voici. Ils s’entendent avec deux amis et se rendent avec eux chez un curé de Bruxelles. Dès que celui-ci mit le pied dans le salon où ils étaient le jeune homme lui dit : « Je vous déclare que je prends mademoiselle X, que voici, pour épouse » ; et de suite, la jeune fille dit à son tour : « Je vous déclare que je prends monsieur X, que voici, pour époux. » Le curé, tout ahuri qu’il fût de la vigueur du procédé, leur dit : « C’est peut-être un malheur, mais je n’y puis rien. Vous êtes mariés. » On voit qu’il n’y avait pas même eu bénédiction nuptiale. Les parents, furieux à cette nouvelle, crurent à l’ignorance du prêtre et s’adressèrent à l’archevêque de Malines. Mais celui-ci répondit qu’il n’y pouvait rien lui non plus et que le mariage était valide et indissoluble devant l’Église.[1]

Il y a donc mariage légitime et valide sans bénédiction du prêtre, sans conjungo, sans cérémonie religieuse d’aucune sorte. Sur quel principe, encore une fois, traite-t-on le mariage civil de concubinage honteux puisque le consentement des conjoints est en fait le seul élément essentiel du mariage ? On ne croit donc pas un mot de ce qu’on dit pour agir sur la masse et la maintenir esclave d’intelligence et de conscience.

— Mais vous oubliez que le sacrement se confond avec le contrat ou consentement ?

— Non certes ! je ne l’oublie pas et je viendrai bientôt à ce paradoxe ecclésiastique.

L’affaire dont je viens de parler fit une sensation énorme dans la société bruxelloise catholique, que l’on a fanatisée à blanc et qui regardait un mariage sans bénédiction, sans messe — et par suite sans sacrement dans l’opinion que l’on a créée chez elle — comme une franche abomination. Ces bons catholiques, laissés de tout temps dans l’ignorance des vrais principes du mariage même au point de vue théologique, se plaignaient à tous les échos, ne comprenaient rien à la décision de l’archevêque de Malines et provoquaient des explications de tous les prêtres qu’ils rencontraient. Enfin l’un d’eux, poussé dans ses derniers retranchements, se sentant forcé d’exonérer son collègue du blâme injuste qui rejaillissait sur lui, et surtout plus sincère que les autres qui ne voulaient pas donner la vraie explication, l’un d’eux, dis-je, se décida à informer les excellents scandalisés que cette forme de mariage était un point de pratique que l’on tenait secret et dont on ne devait pas donner connaissance aux fidèles.[2] Et en effet si les laïques savaient cela, l’Église pourrait y perdre une notable portion de ses revenus. Voit-on jamais pareilles hypocrisies dans la jurisprudence civile ? La justice civile, dont on parle avec tant d’arrogance et de dédain quelquefois, trompe-t-elle ainsi les gens sur la nature et l’étendue de leurs droits ? Ne leur dit-elle pas toujours honnêtement, au contraire, les choses telles qu’elles sont ? Montrez donc des réticences et des cachotteries dans la jurisprudence civile !

  1. Sous la loi civile, que l’on prétend si inférieure au droit canon, pareil mariage n’eût pu se faire car l’officier civil aurait forcément exigé l’état civil des deux mineurs et la production du consentement écrit de leurs parents. La loi civile ne se prétend pas supérieure au droit naturel dont elle n’est jamais que la reconnaissance et la consécration. Elle est bien autrement sage, en règle générale, que la loi ecclésiastique pour la simple raison qu’elle est basée sur le principe de justice et non sur le principe de la grâce. Mais l’Église se prétend la loi vivante et elle agit en conséquence. La loi civile exige le consentement des parents pour la publication des bans. Le droit canon, qui est ici comme toujours le faux droit puisqu’il ne part pas du principe de justice comme base fondamentale, maintient que le consentement des parents, même s’il s’agit d’enfants mineurs, n’est nullement requis. Le Parlement de Paris ne fut-il pas obligé, à la fin du XVIe siècle, de casser le mariage d’une petite fille de huit ans et demi mariée devant l’Église ? Il faut bien que l’autorité civile intervienne quand l’autorité ecclésiastique commet d’aussi énormes impairs. Le curé de Bruxelles et après lui l’archevêque de Malines ont déclaré valide un mariage qui ne pouvait l’être devant la loi civile puisqu’il n’y avait pas eu publication de bans. Est-ce que jamais un officier civil reconnaîtrait pareil mariage ? Voilà des cas à propos desquels il faut bien que le législateur mette l’Église à la raison.
  2. Il y a plusieurs autres applications du secret sacerdotal dans les cas relatifs au mariage.

    Ainsi, en 1884, la « sainte et universelle inquisition romaine » envoyait une lettre circulaire à tous les évêques pour les informer :

    Que, vu les difficultés de certaines situations, on pouvait permettre aux magistrats et aux avocats de juger et plaider les causes matrimoniales et celles en divorce, pourvu qu’ils fissent profession ouverte du catholicisme et des doctrines catholiques sur le mariage, et qu’ils ne rendissent pas de décisions contraires à la loi divine ou ecclésiastique. Dans les cas douteux ils devront avoir recours à l’ordinaire (l’évêque diocésain).

    Et cette circulaire se termine par les mots : « Cette lettre ne doit pas être rendue publique. »

    Voilà comme on possède toutes sortes de petites recettes secrètes pour ruser avec les situations et que la grosse masse ne doit pas connaître. Mais on a ici la preuve qu’un juge catholique n’est pas libre d’appliquer la loi du pays si elle ne concorde pas avec le faux droit ecclésiastique. Un juge peut entendre une cause de divorce, mais il doit prononcer selon la loi ecclésiastique, c’est-à-dire le refuser quelque fondée que soit la demande. Et s’il est dans le doute, ce n’est pas la loi qui doit le guider, mais l’évêque diocésain. Alors, pourquoi ne pas faire les évêques juges.

    Il y a bien d’autres exemples des petits secrets ecclésiastiques. Ainsi, aux États-Unis, au Canada, les évêques défendent aux parents d’envoyer leurs enfants aux écoles appelées mixtes, où il y a des enfants protestants et catholiques. Mais quand il n’y a pas d’écoles du clergé ? Oh ! dans ce cas, comme les parents paient les taxes scolaires, les curés sont autorisés à leur permettre d’envoyer leurs enfants aux écoles publiques. Seulement, les circulaires épiscopales portent en note : « Ceci ne doit pas être communiqué aux fidèles. » J’ai eu entre les mains une circulaire de ce genre. Il n’y a donc pas de péché à envoyer son enfant aux écoles publiques. Pourquoi le dit-on ?

    Mais si les fidèles savaient la vérité on ne pourrait pas leur demander de se cotiser, en sus des taxes scolaires, pour fonder des écoles dites libres où, comme en Belgique, par exemple — le fait est constaté dans des enquêtes officielles — on ne leur montre presque rien de ce qu’ils apprennent dans les écoles publiques. C’est la même chose aux États-Unis. Les écoles dites libres sont bien inférieures aux écoles publiques.