Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/09

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IX


Maintenant étudiez les explications que donne l’Église par ses canonistes. Elles ne sont pas satisfaisantes, quelquefois même compréhensibles. Elles ne sont pas claires, lumineuses comme celles que donne la loi civile. Il y a toujours une paille quelque part, un vice de raisonnement, une conséquence qui ne découle pas logiquement de la prémisse posée. On sent qu’il y a toujours un en-dessous que l’on cache plus ou moins adroitement. Et pourquoi ? Parce qu’on ne pourrait pas l’expliquer rationnellement si on discutait sans réticence, si on jouait cartes sur table comme la loi civile le fait toujours parce qu’elle n’a rien à cacher, Celle-ci ne se prétendant pas inspirée, elle n’est pas obligée de subordonner sa discussion à un sous-entendu qu’elle ne peut démontrer. La loi civile part de principes certains, vrais dans toutes les situations et sous toutes les formes religieuses parce qu’ils sont fondés sur le seul droit naturel. L’Église, elle, partant toujours de l’assertion de son infaillibilité, peut ainsi, selon l’expression d’un légiste anglais, passer sans sourciller à travers le droit et la justice « en carrosse à quatre chevaux ». Sa prétention à l’infaillibilité lui fait envisager les questions de droit et de justice d’un tout autre point de vue que les hommes, qui n’ont pour guide que leur raison éclairée par le droit et non faussée par le dogme. Les explications de l’Église sont souvent peu satisfaisantes parce que la notion d’inspiration est au fond de tout ce qu’elle affirme. Ses conciles se prétendraient-ils infaillibles en dehors de l’idée d’une inspiration ou d’une assistance divine ? Or c’est précisément cette prétention qui force ses canonistes à recourir à des arguments spécieux, souvent à de vrais sophismes, pour voiler autant que possible la faiblesse de la base d’où ils partent.

Dans la jurisprudence ecclésiastique on ne voit partout qu’incertitude, hésitation, dissentiments sur les questions les plus simples. Pourquoi ? Parce qu’on est sans cesse forcé de combattre les principes du droit naturel au nom du dogme.

Voyez ce que dit le cardinal Gousset dans sa Théologie dogmatique, article Mariage :

« Le contrat est la matière du sacrement. Mais quand il s’agit de déterminer comment le contrat est la matière du sacrement, les théologiens ne se trouvent plus d’accord. Les uns regardent la bénédiction du prêtre comme forme sacramentelle ; les autres pensent que le contrat ou acte renferme tout à la fois la matière et la forme du sacrement, sans cependant expliquer la chose de la même manière. »

Voilà certes qui n’est guère consolant pour ceux qui voudraient être un peu sûrs de ce qu’on leur dit. De quoi les fidèles sont-ils donc sûrs quand les Docteurs ne peuvent pas s’entendre entre eux sur une explication satisfaisante pour tous ; quand l’un soutient le contraire de ce qu’affirme l’autre ?

Aujourd’hui on paraît s’être rallié à l’idée que ce n’est pas le prêtre qui est ministre du sacrement et que ce sont les conjoints seuls qui le sont. Mais autrefois non seulement les théologiens, mais les rituels de diverses églises soutenaient le contraire, savoir : que le prêtre était le vrai ministre du sacrement. Et il est bien clair que ceux-là seuls sont dans la logique du système. Dans ce siècle même des théologiens ont soutenu l’ancienne opinion. Je n’hésite pas à dire que l’immense majorité des catholiques est dans l’erreur sur ce point. Tous croient encore que c’est le prêtre qui est ministre du sacrement et c’est pour cette raison qu’ils ne se croient mariés que devant le prêtre. Quand j’ai eu occasion de dire à de bons catholiques qu’aujourd’hui le prêtre n’est plus ministre du sacrement on me soutenait mordicus que je me trompais, qu’il n’y avait pas de bon sens à soutenir que les ministres du sacrement fussent les conjoints. « Comment pouvez-vous soutenir une chose pareille ? » me répondait-on. Cela montre tout simplement que le bon sens général proteste contre le point de vue nouveau qu’ont adopté les canonistes.

Les gens de bonne foi, qui ne connaissent pas les raisons des finesses ecclésiastiques, veulent rester dans la logique du système dont les canonistes sont forcés de sortir par suite de la petite volte-face qu’a dû faire l’Église après avoir modifié sa forme sacramentelle. Ces gens de bonne foi ne soupçonnent pas les petites misères du système, les divergences de vues qui existent sur la question. Ils n’imaginent pas que les théologiens puissent être en guerre les uns avec les autres sur un sujet aussi important. Et quand on leur dit les choses telles qu’elles sont ils croient que c’est le diable qui nous envoie les tenter.

Mais voilà un canoniste qui vient faire l’admission formelle, complète, que les théologiens ne s’entendent pas sur une question de salut ! N’est-ce pas parfaitement amusant ?

Enfin, comme il faut toujours essayer de sauver une situation, même au prix d’un paradoxe, le cardinal nous dit :

« Quant au ministre du sacrement, il est certain que la présence du curé ou de son délégué est nécessaire à la validité du sacrement. »

Mais, grand Dieu ! comprenez-vous donc vous-même ! Le prêtre ne fait absolument rien comme ministre du sacrement puisque sa bénédiction ne le confère pas, et vous venez dire qu’il est nécessaire à la validité d’un sacrement qui gît ailleurs que chez lui, qu’il ne confère en aucune manière ! Veuillez donc, pour l’amour de Dieu ! nous dire quelque chose de sensé ! Que le prêtre fût nécessaire autrefois quand sa bénédiction constituait la forme sacramentelle, cela allait de soi. Mais vous lui avez enlevé le caractère de ministre du sacrement et vous affirmez que sans lui il n’y a pas de sacrement ! Vous dites que les conjoints seuls produisent le sacrement, puis il n’y a pas de sacrement sans le prêtre, qui n’est pas ministre du sacrement ! c’est-à-dire qu’il est nécessaire et pas nécessaire ! Voilà où en est arrivée la transcendante jurisprudence ecclésiastique ! Cherchez donc pareil oui et non sur le même sujet chez les légistes !

Vous admettez que les théologiens ne savent pas comment le contrat est la matière du sacrement. Ils ne le savent pas puisqu’ils se contredisent les uns les autres. Alors comment les fidèles peuvent-ils le savoir ? Merveilleux professeurs, en vérité. Celui-ci me damne et l’autre me sauve ! Le pauvre fidèle est donc entre les deux comme l’âne de Buridan entre ses deux bottes de foin.

Eh bien ! pourquoi tant d’incertitude dans l’explication et l’expression des doctrines ?

N’est-il pas évident que vous ne parlez ainsi que parce que vous ne voulez pas lâcher ce que vous tenez, mais sans pouvoir expliquer décemment votre détermination de le garder ?

Toutes ces obscurités, ces contradictions même, dans vos explications, viennent clairement de ce que vous partez d’une base fausse ! En contradiction les uns avec les autres, vous ne savez plus sur quel pied danser ! Enfin, prétendant aujourd’hui le contraire de ce que vous prétendiez autrefois, vous cherchez à voiler vos contradictions aux yeux de vos bons fidèles au moyen d’affirmations contradictoires. Si vous aviez continué de dire que le prêtre est le ministre du sacrement, seul aperçu sensé dans le système, puisqu’il est seul ministre de tous les autres, rien n’était plus facile que de raisonner logiquement dans cette donnée. Mais dès que vous passez aux conjoints le caractère de ministres du sacrement vous êtes perdus parce que vous vous êtes ôté à vous-même votre seule base sensée de raisonnement dans votre propre système.

Où est donc le légiste laïque qui ne définisse pas plus exactement que vous le faites, avant de donner une opinion, les expressions dont il se sert ? Est-ce dans Poitier que vous trouverez de l’incertitude dans les prémisses posées, dans l’exposé des questions ? Il est au contraire lumineux au possible et emploie toujours l’expression la moins sujette aux interprétations incorrectes.

Les légistes sont toujours clairs parce qu’ils partent de principes incontestés, donc de prémisses sûres. Alors les conséquences marchent toutes seules. Les canonistes, eux, sont toujours obscurs parce que leurs raisonnements sont nécessairement subordonnés aux exigences du dogme. Ils ne voient le droit naturel qu’à travers le principe de l’infaillibilité de l’Église. Voilà pourquoi ils le voient forcement sous un jour faux. Et voilà enfin pourquoi les uns tirent à hue et les autres à dia, au grand amusement de la galerie.