Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/10

La bibliothèque libre.

X


Veut-on voir les conséquences nuisibles, navrantes quelquefois, des définitions erronées de l’Église sur le mariage ? Ceux qu’elle aveugle au lieu de les éclairer commettront quelquefois de véritables monstruosités par esprit de religion — religion mal entendue quoiqu’elle vienne de l’Église.

Un jeune homme protestant et une jeune fille catholique s’aiment. Tous deux sont croyants et pratiquants. L’Église permettra le mariage à condition que tous les enfants soient élevés dans le catholicisme. Le jeune homme veut qu’au moins les garçons soient élevés dans sa croyance à lui, mais l’Église a décidé que toute autre religion que la sienne conduit droit à l’enfer. Elle a bien admis implicitement le contraire dans le Syllabus, mais il y a si peu de gens qui se soient donné la peine de le comprendre qu’elle peut imposer ses volontés sans se préoccuper de ses contradictions qui ne frappent que les hommes qui étudient en dehors d’elle. Plutôt que de consentir à ce que désire le fiancé la mère catholique rompra le mariage et fera sans sourciller le malheur de sa fille en disant froidement : « Mais je lui fais gagner le ciel ! »

La même chose sur le mariage civil. L’Église a fait croire à ses enfants qu’il n’y a pas de mariage sans la présence du prêtre. Elle affirme même, ou laisse dire par ceux qui la représentent, sachant parfaitement que tous trompent en le faisant, qu’il n’y a pas de mariage sans cérémonie religieuse. Cette opinion est universelle chez les catholiques, et elle est fausse en droit ecclésiastique ! Le mariage de Bruxelles montre ce que vaut cette opinion, mais à qui remonte-t-elle ? Tous ses aveuglés croient, dans leur ignorance des principes mêmes de l’Église, que c’est la cérémonie religieuse qui constitue le sacrement de mariage. Il y a bien quelques exceptions ici et là, mais comme elles sont rares ! L’Église trompe-t-elle les fidèles, oui ou non, en les laissant croire cette fausseté dans son propre système, et en recommandant à ses prêtres de la leur bien cacher ?

Une mère chrétienne selon l’Église préférera laisser mourir sa fille de chagrin plutôt que de lui permettre de se marier avec un libre penseur qu’elle aime si celui-ci ne veut pas se soumettre à la cérémonie religieuse ou s’il refuse de se confesser. C’est-à-dire que l’Église force cette mère de susciter la guerre là où la paix devrait être. Si cette mère savait que son Église la trompe sur la question de l’essence du mariage en la laissant croire qu’il n’y a pas de mariage sans cérémonie religieuse, resterait-elle inflexible dans l’opinion que sa fille se damne en ne se mariant que civilement ? Il viendra certainement un temps où l’opinion publique plus éclairée forcera l’Église de renoncer à inculquer de fausses notions à ses fidèles sur cette question comme sur tant d’autres où il lui a fallu battre en retraite et admettre implicitement ses erreurs antérieures. Mais pour celle-ci c’est peut être encore affaire d’un siècle. Dans tous les cas, il viendra certainement un temps où les progrès de la raison, éclairée par un savoir supérieur à celui de l’Église, feront accepter de tous cette vérité, qui deviendra incontestable avec le temps : que l’absence de cérémonie religieuse, ou celle du prêtre, ne constitue pas le moins du monde les conjoints en état de concubinage. L’Église elle-même admettra un jour — de fait mais sans le dire explicitement comme toujours — que ses dignitaires trompaient les fidèles en leur affirmant qu’il ne peut exister de mariage régulier sans la présence d’un prêtre. Et la raison en est simple. On n’est pas marié parce qu’il y a eu bénédiction du prêtre ou seulement présence du prêtre ; on est marié parce qu’il y a eu consentement mutuel. Et que ce consentement soit donné devant le prêtre ou devant l’officier civil, la chose est indifférente en droit naturel puisque les conjoints ont le droit de se marier de leur propre volonté, s’il n’y a pas d’empêchement légal, que l’Église le veuille ou non.

Et la chose n’est pas indifférente seulement en droit naturel car elle l’était autrefois même en religion. Les papes Adrien ii et Alexandre ii ont décidé que le consentement donné en présence de témoins, même sans la présence d’un prêtre, constituait un mariage valide. Le mariage civil existait donc alors du consentement de ces deux papes qui acceptaient les dispositions du droit romain. Innocent iii comme Nicolas ier avant lui, décide que le mariage se contracte par le seul consentement des parties. Mais au temps d’Innocent iii le prêtre était considéré comme ministre du sacrement. Il fallait donc se marier devant lui et là l’Église était logique. C’est depuis qu’elle a déclaré que le prêtre n’est pas ministre du sacrement que sa logique est en défaut. On me dira peut-être qu’elle n’a pas décrété cela en concile. Alors où est l’obligation de croire que les conjoints sont les auteurs et producteurs du sacrement ? Les canonistes qui le contestent ne valent-ils pas ceux qui l’affirment ? Que l’on commence donc par établir quelque chose de certain avant de damner les gens et de les faire insulter par ses saintes plumes !

Il est bien clair qu’autrefois le contrat n’était pas inséparable du sacrement. On ne le regarda pas alors comme se fondant dans le sacrement et y disparaissant. S’il y disparaît aujourd’hui c’est après en être resté sépare pendant douze siècles. Et quelles raisons satisfaisantes donne-t-on aujourd’hui du changement ? Pas une ! On ne nous offre que de simples affirmations de canonistes plus probables que celles de certains autres canonistes. Pourquoi plus probables ? On ne se donne pas même la peine de le dire !

La confusion du contrat et du sacrement ne remonte vraiment qu’au concile de Trente. Elle est donc toute moderne. L’Église l’a imaginée pour arracher complètement l’institution à l’action de l’autorité civile qui a permis l’empiètement parce qu’elle était bien confessée. Aujourd’hui qu’elle comprend enfin ses droits et ceux des individus elle reprend graduellement les attributions dont l’Église s’est illégitimement emparée. Et ici les arguments de l’autorité civile sont péremptoires pendant que ceux des canonistes sont pitoyables en droit naturel et civil.