Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/34

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XXXIV


Pourquoi a-t-il fallu ôter l’état civil au clergé ? Parce qu’il ne savait faire bien souvent que de l’arbitraire odieux à propos des baptêmes, des mariages et des sépultures des catholiques, et parce qu’il ne reconnaissait ni le mariage des protestants ni celui des israélites et encore moins le mariage civil qu’il traitait arrogamment de concubinage. D’ailleurs comment l’État peut-il admettre qu’une institution qui est la base de tout l’édifice social soit regardée comme étant purement de droit ecclésiastique ? Il faut toute l’incompétence ecclésiastique pour s’arc-bouter contre une idée si évidente. Le mariage étant de droit naturel l’État seul doit le régir puisque tous les citoyens doivent être régis par les mêmes règles elles mêmes formalités sur cela comme sur le reste. L’État n’apporte aucune entrave à la bénédiction des époux par le prêtre mais les effets civils du mariage ressortant nécessairement de l’ordre politique et non de l’ordre religieux l’État doit voir à ce que ces effets ne soient ni compromis ni diminués dans la pratique par le mauvais vouloir individuel, le fanatisme sectaire ou l’étonnante incompétence ecclésiastique sur toutes les questions de droit. Dès que la liberté de conscience fut devenue loi fondamentale de l’État celui-ci ne pouvait plus laisser les mariages des dissidents à la merci du prêtre qui les voyait avec défaveur, ne leur reconnaissait aucun droit devant l’Église, et ne leur avait épargné aucune espèce d’avanie tant qu’il avait été le maître. Les droits des familles ne peuvent être subordonnés aux rivalités de sectes. L’état civil des enfants ne peut dépendre de leur baptême ni du mariage de leurs parents devant l’Église. Par le seul fait qu’ils vivent les enfants ont un état civil naturel que l’État doit leur garantir quelque soit le culte de leurs parents. Celui qui conteste cela est un sectaire borné ou fanatique et non un homme sensé et chrétien.

Et n’oublions pas que c’est par ruse et en violation de la loi que le clergé s’était emparé de l’état civil en France. L’ordonnance de 1579, qui avait admis quelques-unes des décisions du concile de Trente sur le mariage, avait néanmoins décidé, tant cette nécessité paraissait déjà évidente, qu’un fonctionnaire laïque devrait être partie à l’acte du ministre du culte. Mais le clergé réussit à arranger les choses pour la plus grande gloire de Dieu et sut évincer le représentant de l’autorité civile.

Tant que le prêtre a eu l’état civil il était d’une arrogance parfaitement exaspérante à l’égard de ceux qui n’appartenaient pas à son culte. C’est le clergé qui s’est opposé avec fureur pendant plus de deux siècles à ce que les protestants de France eussent un état civil, témoins les assemblées de 1750, 1755, 1760, 1765, 1770, et nombre d’autres ; témoins encore les nombreux mémoires des évêques recommandant, avec une touchante unanimité et au point de vue de l’honneur de Dieu, le refus de l’état civil aux protestants. Jamais plus ineptement cruelle persécution n’a été infligée à des hommes de conduite irréprochable que celle suscitée contre les protestants de France sous la poussée furieuse du clergé. Le Tellier veut faire déclarer illégitimes tous les enfants des personnes non mariées à l’Église, c’est-à-dire des protestants. Le président d’Aguesseau réussit à faire comprendre à Louis XIV que c’était là une pure monstruosité. Pourquoi le jésuite ne voyait-il pas cela ? Parce que son dogme lui faussait l’esprit ! Mais en 1715 le ministre de la guerre, Voisin, confessé par un Jésuite, obtient l’émanation du coupable édit. Sous Louis xv les évêques formulent des plaintes larmoyantes parce qu’on protège trop les réformés. Comment les protégeait-on trop ? En ne leur enlevant plus leurs enfants ! Et en 1745 les abominations de la fin du règne de Louis XIV recommencent et on enlève les enfants des protestants.

Protecteurs des droits du père de famille !

On exige alors que les protestants se marient devant le prêtre. Alors seulement les enfants seront considérés comme légitimes. Quant à ceux qui se marient au désert, c’est-à-dire devant leurs pasteurs, leurs enfants ne pourront hériter. Ces abominables tyrannies contre d’honnêtes gens subsistent jusqu’en 1787, où Louis XVI, malgré les représentations enragées des évêques, émane enfin l’édit qui déclare légitime le mariage d’un protestant et d’une protestante. Jusqu’alors tous les protestants, hommes et femmes, étaient considérés aux yeux de la loi civile comme de la loi ecclésiastique, comme vivant dans le concubinage. Et les parlements bien confessés, quoique combattant l’ultramontanisme, appliquaient avec une rigueur équivalant souvent à la cruauté les iniquités et les grossières erreurs du droit canon sur le mariage hors du catholicisme. La haine sectaire, et aussi l’inintelligence des questions de droit, inspiraient les évêques. Et les jurisconsultes éminents des parlements, à l’esprit faussé par leur foi, jugeaient les questions matrimoniales au seul point de vue du dogme inintelligent et non d’après le droit lumineux et la justice obligeant la conscience. L’Église avait réussi à fausser la conscience générale. Et pourtant Benoit XIV avait décidé que le mariage de deux protestants fait selon les règles de leur culte devait être regardé comme légitime. La papauté avait raison ici, pourquoi les évêques de France ne se soumettaient-ils pas à cette décision ?

Enfin la tactique du clergé de France était arbitraire, injuste, odieuse et immorale, mais on ne raisonne pas avec les représentants de Dieu !

En fin de compte voilà une des plus grandes institutions de l’histoire qui n’a jamais fait que fausser les idées générales sur toutes les notions de la justice et les droits de la conscience ; qui n’a fait qu’imposer au monde les paradoxes de ses écrivains comme produits d’une inspiration divine ; qui a commis de tout temps au nom de Dieu les plus parfaites monstruosités sous les faux prétextes de la charité et de l’amour — adorable amour que celui qui ne se manifeste que par l’infliction du bûcher ! — et qui enfin vient naïvement affirmer qu’elle a civilisé le monde en ne lui prêchant jamais que la haine du dissident, et en établissant l’injustice comme règle fondamentale de sa jurisprudence !

Est-ce vraiment une institution bienfaisante celle qui met sans cesse une partie du genre humain en guerre contre l’autre ; qui divise les nations, les familles même dès qu’un de leurs membres vient se permettre de penser en dehors du dogme ; qui inspire la répulsion contre les morts eux-mêmes parce qu’ils auront refusé le prêtre ? Qui donc sème la division entre le père et le fils, la mère et la fille, le frère et la sœur, l’ami et l’ami, sinon l’esprit sectaire ? L’esprit sectaire est toujours la haine, jamais l’amour ! Et d’où vient donc l’esprit sectaire sinon des sacerdoces ?