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Les explorateurs contemporains des régions polaires/01

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Maurice Dreyfous Éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 1-4).


LES EXPLORATEURS CONTEMPORAINS AU PÔLE NORD




I

LA RÉGION MYSTÉRIEUSE

Parmi les entreprises géographiques qui ont pour but la connaissance chaque jour plus complète de notre planète, il n’en est pas qui, surtout pendant notre siècle, ait autant passionné les hommes de toutes les nations civilisées que celle qui a pour but d’atteindre ce point mystérieux où se cache l’axe du globe au milieu des glaces polaires.

Les peuples d’Europe et d’Amérique semblent s’être jeté un défi et avoir juré de lutter à qui le premier poserait son pavillon dans ces régions inabordées et qui, hélas ! jusqu’à ce jour, ont paru inaccessibles et ont coûté la vie à tant de généreux voyageurs.

Anglais, Norwégiens, Américains, Danois, Suédois, Hollandais, Autrichiens, Allemands, se sont lancés à corps perdu à la recherche de ce grand problème ; seule la France a semblé indifférente et a paru renoncer à prendre sa part dans cette glorieuse entreprise. Il nous serait difficile de préciser les raisons pour lesquelles la France, toujours prête à prodiguer son sang au profit des grandes actions, est restée pendant tant de temps étrangère à ces gigantesques tentatives.

Une sorte de fatalité semble s’attacher aux noms français chaque fois qu’il s’agit d’aller explorer les mers arctiques. Il y a peu d’années encore, un de nos compatriotes, jeune et ardent, Gustave Lambert, avait, grâce à des efforts surhumains, obtenu les moyens matériels nécessaires pour organiser un voyage d’exploration polaire, et la France allait enfin compter à son tour une expédition qui promettait de devenir glorieuse. La guerre franco-allemande éclata, et à la veille de notre défaite, dans le dernier et héroïque effort que fit Paris pour se dégager de l’étreinte ennemie, Gustave Lambert, frappé d’une balle prussienne, rendit le dernier soupir dans le parc de Buzenval.

Nous avons entrepris ici de raconter, non pas tous les efforts qui ont été tentés jusqu’à ce jour pour arracher au pôle nord ses terribles secrets, mais seulement ceux qui ont eu lieu dans les dernières années. Nous ne parlerons ni des grands voyages de Barentz, ni de ceux d’Hudson, ni de ceux de Parry, ni des découvertes de Davis, ni de celles de Baffin. Nous passerons sous silence les merveilleuses aventures de James Ross, les explorations du capitaine Markham, celles de Smith, celles du docteur Kane, la mort du capitaine Franklin et la plupart des héroïques efforts qui ont été tentés pour retrouver ses restes et ceux de ses infortunés compagnons.

Fidèle à notre titre, nous nous enfermerons dans les explorations contemporaines proprement dites.

Cependant, afin de mieux initier nos lecteurs aux mystères des régions que nous désirons leur faire parcourir, pour mieux leur faire connaître la nature des dangers que les voyageurs y rencontrent, les luttes surhumaines qu’ils ont à soutenir contre les éléments déchaînés, nous commencerons notre livre par une série d’épisodes dramatiques qui ont eu lieu récemment sur différents points des mers polaires.

En lisant ces récits scrupuleusement exacts nos lecteurs pourront s’assurer que, quand la nature veut se mêler de faire du drame, elle dépasse de cent coudées l’imagination la plus féconde des plus habiles romanciers. Jamais l’esprit inventif de Jules Verne lui-même, ce grand maître en création de voyages imaginaires, n’aurait pu atteindre, même de loin, l’horreur de certains épisodes, l’épouvantable réalité de certaines situations.

Nous commencerons par raconter la mort de notre compatriote René Bellot, et nous continuerons par divers récits dramatiques qui en diront plus que nous ne saurions le faire nous-même sur le pays que nous nous proposons d’étudier.