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Les explorateurs contemporains des régions polaires/06

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Maurice Dreyfous Éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 61-67).


VI

UN MÉTÉORITE TOMBÉ DU CIEL.


Convaincu par de nombreuses expériences antérieures de l’impossibilité de s’avancer vers le pôle, en navire, au delà du 80e degré de latitude, le docteur Nordinskiöld avait résolu de tenter pendant l’hiver une course en traîneau depuis les Sept-Îles, aussi loin qu’il le pourrait vers le nord.

Les sommes nécessaires furent réunies, comme dans l’expédition du Polhem, par des habitants de la ville de Gothembourg qui n’avaient pas cessé de montrer leur zèle chaque fois qu’il s’était agi d’aider au progrès de la science.

La première intention du docteur était de se servir de chiens esquimaux pour les courses sur la glace. Il devait par suite aller dans le Groënland même étudier La convenance de ce moyen de locomotion, et acheter le nombre de chiens suffisant. Tel fut le motif principal du voyage qu’il entreprit au Groënland l’été de 1870. Il avait pour compagnons MM. S. Bergen, botaniste, P. Oberg, zoologiste, et Th. Nordstrom, géologue.

Partis le 15 mars de Copenhague, sur le brick danois la Baleine, ils arrivèrent après un trajet de six semaines, le 2 juillet 1870, à Godham, chef-lieu du district du Groënland septentrional.

Le champ principal de leurs explorations fut la côte occidentale du Groënland entre le 68 et le 71° de latitude nord. Dans des excursions en bateau qui durèrent six semaines, ils visitèrent une foule de localités et recueillirent de riches collections, non seulement dans tous les règnes de la nature, mais aussi dans les domaines de l’archéologie et de l’etnographie, la position de vingt points fut déterminée par des observations astronomiques.

Les draguages géologiques donnèrent de bons résultats, mais le manque d’ouvriers vigoureux força de les limiter à des profondeurs peu considérables.

Accompagnés de deux Esquimaux qui s’enfuirent bientôt après, le docteur Nordinskiöld et M. Bergen entreprirent du 19 au 25 juillet, de l’intérieur du fiord d’Auleïtsivik, une longue et instructive excursion sur la glace continentale, à 650 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Cette glace leur fournit d’intéressantes observations ; ils y découvrirent un nouveau minéral répandu à profusion sous forme de poussière à la surface de la glace. Cette poudre métallique était-elle due à un volcan situé dans l’intérieur inconnu du pays, ou n’était-ce pas plutôt cette poussière cosmique qui, suivant tant de savants accrédités, est la matière qui forme les planètes et qui, suivant la théorie de M. Nordinskiöld, est surtout attirée par les phénomènes magnétiques vers les régions polaires.

Poursuivant sa théorie, le savant professeur était convaincu que ces contrées devaient contenir des blocs plus ou moins considérables de fer météorique, et il fixa en conséquence un prix pour récompenser la découverte de météorites. Ce procédé réussit au delà de ses espérances.

Quand il fit une nouvelle visite à Godhavn, vers la fin de son séjour au Groënland, les Esquimaux avaient effectivement trouvé sur les bords de la mer, près d’Ovifak, à 35 kilomètres de Godhavn, outre divers exemplaires plus petits, trois blocs de fer météorique, le plus grand du poids énorme d’environ vingt mille kilogrammes. Le public parisien et les membres du congrès international des sciences géographiques ont pu voir à l’exposition du palais des Tuileries, qui a accompagné cette solennité scientifique, la reproduction exacte en gypse de cet énorme météorite. C’est jusqu’à présent le plus grand bloc connu de cette nature.

Les petits météorites furent emportés en Suède par le docteur Nordinskiöld. Quant aux grands blocs, une expédition spéciale alla les chercher l’année suivante.

Ces trois immenses masses étaient placées sur une grève, au pied des montagnes Bleues, dans l’île Disco (baie de Baffin). L’expédition qui fut envoyée en 1871 pour les emmener en Suède, fut placée sous les ordres du capitaine baron Von Otter et se composait de deux navires de l’État, la chaloupe canonnière l’Ingegerd (la Sophie) et le brick Gladan (le Milan). Le docteur C. Nyström et MM. les docteurs Th. Fries, botaniste, J. Lindhal, zoologiste, et M. G. Nangkof, géologue et minéralogiste ; enfin le savant minéralogiste danois Joh Steenstrup accompagnaient l’expédition et devaient se livrer à des recherches scientifiques dans la baie de Baffin et à Davis-Strait. Les voyageurs atteignirent Godhavn, dans le Groënland septentrional, le 16 juin 1871.

La rive sur laquelle se trouvaient les météorites, se composait d’une ceinture de 30 mètres, couverte d’immenses blocs de pierre et derrière laquelle s’élevait un éboulis à pente de 45° surmonté à son tour d’une paroi perpendiculaire de basalte, haute d’environ 700 mètres. Cette ceinture de pierres roulées se prolongeait lentement sous la mer à une distance que la sonde fit juger très considérable.

La partie de la grève, qui se trouvait entre les marques de flux et de reflux, comportait environ 14 mètres au temps des grandes marées. L’Ingegerd qui mouillait à 7 mètres en temps de flux se trouvait à 220 mètres du rivage.

Les Groënlandais considèrent, même en été, ce rivage comme inabordable à cause de la houle presque perpétuelle qui y règne.

Dans le port de Godhavn la différence entre la ligne de flux et de reflux marquait 2m 70, mais elle varie beaucoup sur la côte et elle est toujours plus grande pendant la nuit que pendant le jour. Pendant l’opération d’embarquement des météorites, cette différence mesura de 1m 25 à 1m 75.

Le plus grand bloc était placé de manière à se trouver totalement à sec à la marée basse et plongeait à moitié dans l’eau à la marée haute. Les deux autres étaient dans son voisinage immédiat. Pour soulever les blocs et les transporter jusqu’au navire, on avait emmené de Karlakrona 32 futailles ordinaires, dont 28 réunies en un radeau. Ces futailles pouvaient, avec un tirant d’eau de 0m 70, porter un poids d’environ 25 000 kilogrammes. Les équipages des deux navires avaient été exercés à construire et à défaire le radeau dans l’espace de 2 à 3 heures.

Le 19 juin, les opérations d’embarquement commencèrent. Ce jour-là, les eaux de la baie de Baffin avaient l’apparence et la limpidité d’un miroir, et la houle était insignifiante. Calme plat, mais d’autant plus de moustiques.

Le travail commença par l’érection d’un tenon de ligne au-dessus des blocs à enlever et par le nivellement au milieu des cailloux roulés de la grève, d’un espace suffisant pour la construction du radeau. Quarante-cinq hommes, y compris les officiers, constituaient toute la force de travail disponible. On fit sauter les pierres trop grandes pour être transportées à force de bras ou enlevées au moyen du tenon de ligne.

Le 20 juin, le météorite moyen fut soulevé sur un radeau construit de deux rangs de futailles comportant sept futailles dans chaque rang, puis transporté jusqu’à l’Ingegerd, suspendu à la poupe et conduit dans le port où on le fit descendre jusqu’à nouvel ordre au fond de la mer. Quelques jours plus tard le petit bloc fut enlevé de la même manière.

On avait réussi à mouvoir le grand météorite à environ 5 mètres plus avant dans la mer pour l’amener sur un point convenable à la construction du radeau. Le 28 au soir, tous les préparatifs étaient achevés. Le 29, à minuit, le travail commença et à cinq heures du matin le touage du radeau pouvait s’effectuer jusqu’au navire. Là, pour plus de précaution, il fut renforcé de cables de fer, puis remorqué à la distance de 19 milles marins (35 kilomètres) jusqu’à Godhavn, où, avec les deux autres blocs, on le chargea sur le Gladan au moyen d’une ligne puissante dressée sur un rocher qui plongeait dans une eau assez profonde pour permettre au brick d’y mouiller.

Un calme parfait avait régné pendant ces dix jours dans la baie de Baffin. Il eût été impossible sans cela d’exécuter ce travail avec les moyens restreints dont on disposait. Quatre jours plus tard on voulut faire une dernière visite à l’endroit d’où les blocs avaient été si heureusement enlevés ; mais la violence de la houle l’emporta sur tous les efforts que l’on fit pour gagner le rivage. Le 5 octobre, le météorite de dimension moyenne fut livré à l’Académie de Copenhague comme part du Danemarck en tant que propriétaire du territoire. Le plus grand fut donné au musée de l’Académie des sciences de Suède et le plus petit fut offert au docteur Nordinskiöld.

Pendant que s’opérait le sauvetage des blocs de fer météorique, les savants qui accompagnaient l’expédition n’étaient pas restés inactifs. Ils avaient fait des collections scientifiques dans la partie méridionale de l’île de Disko.

Une partie de l’expédition explora ensuite les rivages du détroit de Waïgatch et de la baie de Disko, tandis qu’une autre partie fit à bord de l’Ingegerd une excursion principalement zoologique, dans les fiords de la côte ouest du Groënland septentrional jusqu’à Upernivik, puis à l’ouest jusqu’à ce que l’on rencontrât la glace sous le 59 1/2° de longitude occidentale. |

Des draguages de fond furent exécutés jusqu’à 1 750 mètres (989 brasses) de profondeur, tant le long de la banquise que parmi les glaces flottantes. Les musées s’enrichirent ainsi d’un grand nombre d’animaux jusqu’alors peu ou pas du tout observés.