Les fantômes blancs/50

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Éditions Édouard Garand (p. 72-73).

CHAPITRE VI


PAUVRE MARGUERITE !


Nous avons laissé Marguerite Merville aux prises avec la maladie. Pendant de longues semaines, son état inspira beaucoup d’inquiétudes à ses amis. Enfin un soir, elle ouvrit les yeux et sourit à Lilian qui se trouvait près du lit.

— Lily ! dit-elle. Où suis-je donc ? Est-ce un rêve ?…

Mme Jordan la serra dans ses bras, pendant que Harry, agenouillé près du lit, embrassait ses petites mains pâles.

— Vous êtes là tous, reprit la malade, dites-moi que je ne rêve pas ?…

— Non, dit Lilian, tu ne rêves pas, chérie. Tu vis, tu nous es rendue. C’est un douce réalité.

Marguerite sourit faiblement ; elle esseyait de rappeler ses souvenirs, mais c’était trop pour ses forces. Elle se renversa en arrière et ferma les yeux.

— Laissez la reposer, dit le docteur qui était présent. Elle va dormir et je la crois sauvée. Seulement, pas d’émotion. Avez-vous des nouvelles de sa sœur ? ajouta le médecin à voix basse.

— Non, mais elle n’est plus chez sa belle mère ; elle a disparu le lendemain de la tentative d’enlèvement auquel j’ai arraché Marguerite. Mon ami, Georges de Villarnay, et sa servante sont disparus en même temps. Le docteur secoua la tête.

— J’ai eu l’occasion d’apprécier M. de Villarnay pendant sa longue maladie, dit-il. C’est un parfait gentilhomme qui n’est pour rien dans cette disparition. Il a, sans doute, été victime lui-même de quelque complot ténébreux.

— Mes soupçons se portent sur un pirate du nom de Kerbarec, sur le vaisseau duquel Laverdie devait transporter Marguerite. Cet individu devait connaître tout ce qui concernait les demoiselles Merville et Georges. Voyant son complice mort, et la récompense lui échapper, il s’est emparé d’Odette et de Georges qui possède les titres de la fortune des orphelines, et qui se trouve, de plus, le fils d’un comte immensément riche. Double chantage pour un scélérat tel que ce Kerbarec.

— Vous m’avez parlé d’un homme entrevu par vous, le soir du crime ?

— Oui, un quidam du nom de Ménard. On a interrogé son père, un cabaretier de la Basse-Ville ; il jure ses grands dieux que son fils n’a pas reparu. Mon cousin, Murray, a envoyé un émissaire à St-Thomas ; Mme Merville n’a pu lui répondre, le délire ne la quitte pas. Cet homme a fouillé la maison de Georges restée ouverte. Tout y indiquait un départ qui ressemblait à une fuite, mais pas un indice qui pût le mettre sur la trace des disparus.

À partir de ce jour, la convalescence commença pour la jeune fille. Elle s’était informée de sa sœur à plusieurs reprises, et, on lui avait répondu qu’Odette était bien portante et que Georges était bien certain de la guérir.

Le jour où Marguerite fut assez forte pour s’asseoir à la table de famille, Harry lui passa au doigt une magnifique bague, don du général Murray à sa future cousine, et lui apprit en même temps la mort du misérable Laverdie.

— Que Dieu lui fasse miséricorde ! murmura la jeune fille. Ô Harry ! c’est le calme pour nous, maintenant.

— Oui, aussi il faut soigner cette précieuse santé, afin d’être bientôt vaillante et forte.

— Je le veux bien, mais pour cela il me faut Odette. Vous irez la chercher, mon ami, ajouta Marguerite, en tendant les deux mains à son fiancé. Celui-ci avait pâlit.

— Vous ne répondez pas… vous pâlissez !… On me cache quelque chose… Parlez, je n’ai donc pas fini de souffrir ?…

— Par pitié, calmez-vous, ma pauvre chérie, dit le jeune homme que l’exaltation de la pauvre enfant effreyait. Ayez du courage. Odette n’est plus chez Mme Merville. Elle est partie avec Georges…

— Partie !… elle, ma petite Odette… Et où sont-ils ?

— Nous l’ignorons, mais vous connaissez Georges.. Avec lui, Odette est en sûreté, soyez en sûre.

Et comme Marguerite secouait la tête d’un air incrédule, le jeune homme lui fit part de ses soupçons concernant le chef de bandit ; il lui raconta la visite de Tape-à-l’œil, et la certitude exprimée par le vieux matelot que le pirate, voyant l’affaire manquée, pourrait la reprendre pour son propre compte.

— C’est une affaire de chantage, conclut Harry, il s’agit d’attendre. Georges est en mesure de payer une forte rançon. Au printemps, nous les verrons arriver sains et saufs.

— Mais elle, ma petit sœur, parmi ces bandits ? …

— Soyez tranquille, ils doivent être traités en prisonniers de marque. Et puis la servante de Georges est partie avec eux.

— Cela me rassure un peu… Mais vous, dit Marguerite en s’adressant à Mme Jordan, vous qui étiez l’amie de ma mère, croyez-vous que M. de Villarnay soit un homme d’honneur ?

— Oui, ma chérie, répondit Mme Jordan avec conviction. Ce jeune homme a passé deux mois sous notre toit. Je puis te certifier que ce n’est pas seulement de figure qu’il ressemble à Paul, mais de cœur aussi.

— Moi aussi, je puis te le certifier, dit Lilian. J’ai retrouvé chez ce jeune homme, toutes les délicatesses et les aspirations généreuses de notre cher disparu.

— Assez d’émotions comme cela, dit Harry en s’avançant. À demain, chère petite fiancée ; nous allons tous prier pour que Dieu nous rende bientôt notre petite sœur.

Après le départ du jeune officier, Lilian conduisit Marguerite dans la chambre qu’elle partageait avec elle. Maggy les attendait, ellevint embrasser Marguerite.

— J’ai voulu féliciter, dès ce soir, la fiancée de mon cher « boy », dit-elle. Bonne nuit mes chéries.

— Bonne nuit, chère vieille amie, ne nous oubliez pas dans vos prières.

— Vous n’êtes jamais loin de mon esprit, répondit l’Irlandaise. Et elle s’éloigna.

Lilian causa longtemps avec son amie. Pour la première fois, elle lui fit part de ses projets d’avenir, lui raconta son court roman d’amour, hélas ! brisé par la mort de son fiancée. Marguerite l’écoutait en silence ; ainsi, elle avait souffert ce martyre, cette Lily si calme sous sa gaieté sérieuse, et Georges l’avait consolée, il avait plaidé sa cause. Ses amies avaient raison ; elle ne douterait plus. Bientôt, bercée par les douces paroles de Lilian, elle s’endormit.