Les invisibles de Paris (Aimard)/IV/II

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Roy et Geffroy (p. 602-611).
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II

LE DUC MACÉ ET LE BARON KERNOCK

Il y a vingt ans aujourd’hui, c’est-à-dire en l’année mil huit cent quarante-sept, la rue qui forme la montée de Belleville se trouvait bordée, à droite et à gauche, de guinguettes et de cabarets, dont quelques-unes ou quelques-uns jouissaient, à tort ou à raison, d’une immense renommée aux yeux de la population sans souci, grouillante et batailleuse des faubourgs.

Les dimanches et les jours fériés, et Dieu sait comme il y en a dans l’almanach, chacun de ces établissements privilégiés, tels que le Grand-Vainqueur et l’Île-d’Amour, regorgeait de monde.

Les ouvriers, les grisettes, les étudiants, pour citer en premier lieu ce qu’il y avait d’honnête dans leur clientèle ; puis les forçats libérés en rupture de ban, les vagabonds, les chevaliers d’industrie de bas étage, et tous les membres déclassés des basses classes parisiennes, y formaient une société interlope bonne surtout à éviter.

C’était pendant le carnaval que tous ces éléments hétérogènes venaient se fondre, s’amalgamer à l’Île-d’Amour et au Grand-Vainqueur.

De là, le mercredi des Cendres, sur les cinq heures du matin, partait cette masse abrutie, effarée, défigurée par l’ivresse et l’orgie.

De là dégringolaient vers Paris, en hurlant des chansons obscènes, ces masques crasseux, déchirés, couverts de boue, de vin et de sang, dont la longue, hideuse et bruyante procession formait cette descente de la Courtille, si chère à nos pères, si regrettée de nos enfants.

Elle n’existe plus aujourd’hui, cette descente de la Courtille qui éveillait jadis tant de curiosité, tant de sympathies même, dans toutes les classes de l’ancien Paris.

Elle n’existe plus !

Bon voyage !

Disparue pour toujours, elle est allée s’engloutir dans l’abîme sans fond auquel l’honnête Villon redemandait ses neiges d’autan.

Grand bien lui fasse !

Pour notre compte personnel, nous ne la regrettons pas plus, et pour cause, cette famélique descente de la Courtille, reste égaré de la Cour des Miracles, que nous ne regrettons les susdites neiges d’antan.

Le passé est le passé.

Qu’il garde ce qui lui appartient.

À nous le présent.

À nos descendants l’avenir.

Foin de ces pleurards sempiternels qui sans rime ni raison jettent sans cesse les morts à la tête des vivants !

La descente de la Courtille est une verrue de moins sur la face plombée de l’antique Lutèce devenue le nouveau Paris.

Il en restera toujours assez !

Or, le bal du Grand-Vainqueur s’élevait sur la déclivité de la montagne de Belleville.

Le jardin, dans lequel se réunissait l’élite des viveurs du faubourg du Temple, était séparé, par une haute et solide muraille, d’un parc immense dont on ne connaissait pas le propriétaire.

Au milieu de ce parc s’élevait une grande et sévère bâtisse du xviie siècle, ancien château qui avait bien pu finir par dégénérer en petite maison.

Cette habitation, cerclée hermétiquement par la haute muraille en question, avait été construite dans des conditions telles, que nul œil curieux n’eût pu en contempler le moindre détail, une oreille indiscrète en percer le silence et la taciturnité.

Tous les cabarets, toutes les guinguettes de la rue de Belleville, illuminés le plus brillamment possible, du haut en bas, avaient l’air de servir de repoussoir à cette sombre demeure.

Ils éclairaient son impassible et noire immobilité.

Les chants bachiques, les cris joyeux, les crincrins des violons et les notes aiguës de la flûte ou du fifre qui s’éparpillaient le long de tous les échos de Ménilmontant faisaient ressortir le silence immuable de cette mystérieuse maison, triste comme un cénotaphe.

Minuit venait de sonner.

Au moment le plus échevelé de la fête, un homme soigneusement enveloppé dans les plis d’un épais manteau, cachant son visage sous les larges rebords de son feutre, et glissant de son mieux à travers la foule avinée, atteignit le mur de ce parc silencieux.

Il s’arrêta devant une porte bâtarde, tira une clef de sa poche, et après avoir jeté un regard inquiet autour de lui, il l’introduisit, dans une serrure microscopique, dissimulée aux yeux des indifférents par des lierres entrelacés avec des plantes grimpantes.

La porte tourna sans bruit sur des gonds sans doute bien huilés à l’avance.

L’homme entra vivement.

Il referma la porte sur lui et remit la clef dans sa poche.

Il se trouvait au milieu du parc.

À deux cents mètres de lui tout au plus surgissait la masse sombre de l’ancien château.

Des arbres de haute futaie l’entouraient et le cachaient de toutes parts.

L’homme s’orienta.

Il chercha un phare, une étoile dans ces ténèbres inextricables.

Au bout de quelques pas, il découvrit un mince filet de lumière faible et tremblotant à l’une des fenêtres du rez-de-chaussée du château.

Mais ce n’était pas tout pour l’inconnu que de voir le but vers lequel devait tendre sa marche, il fallait encore qu’il arrivât à ce but qui semblait si proche.

Le parc, abandonné depuis de longues années sans doute, avait pris les allures d’une véritable forêt vierge.

Plus d’allées !

Plus de sentiers !

Herbes, plantes, branches, avaient grimpé, poussé, monté dans toutes les directions.

Des lianes entrelacées à hauteur de visage rendaient toute marche impossible.

L’homme au manteau s’arrêta d’un air désappointé.

Il écouta s’il n’entendait venir personne qui pût le guider ou l’aider à sortir de ce dédale.

Dans le parc, tout se taisait ; le calme et la solitude ; on se serait cru dans un désert, à deux cents lieues de Paris.

Au dehors, les hurlements des ivrognes et des danseurs, les accords peu mélodieux des orchestres du Grand-Vainqueur et de l’Île-d’Amour.

Faisant contre fortune bon cœur, notre homme tira de son gousset un couteau à lame tranchante, l’ouvrit, et tailladant bravement les branches qui le gênaient, brisant celles qui se trouvaient à la hauteur de ses genoux, il se dirigea autant que possible en droite ligne vers le corps de bâtiment éclairé.

Seulement, dès qu’il se vit parvenu en face d’un superbe perron en marbre, à double escalier, dont les marches étaient disjointes par les plantes parasites, il appuya un peu sur la gauche, longea l’aile qui y atennait, passa derrière, et, s’approchant d’une porte basse, il la poussa légèrement.

On l’attendait.

La porte n’était pas fermée.

Il s’engagea alors dans un étroit corridor qui, après maints détours connus de lui depuis longtemps sans doute, le conduisit enfin à l’entrée de la pièce du rez-de-chaussée d’où cette mince lumière lui était apparue.

Il y pénétra sans frapper.

C’était une grande salle style Pompadour, meublée avec élégance.

Un bon feu brûlait dans l’âtre.

Une vieille femme, vêtue d’un costume de paysanne basse-bretonne, assise auprès d’une table, tricotait à la clarté d’une lampe à abat-jour, baissé de façon à concentrer toute son attention sur le bas qu’elle tenait dans ses mains tremblantes.

Elle tournait le dos à la porte.

L’inconnu fit si peu de bruit en entrant qu’il fut matériellement impossible à la vieille femme de l’entendre.

Mais si elle ne l’entendit pas, évidemment elle le devina.

Car un frisson subit agita tous ses membres, et, sans raison plausible apparente, elle se retourna vers lui comme si elle l’eût en réalité senti venir.

C’était une femme, de soixante à soixante-cinq ans environ, aux traits réguliers, que la douleur ou les remords peut-être faisaient paraître beaucoup plus âgée.

En apercevant l’inconnu, elle releva la tête et lui dit sèchement sans cesser son travail :

— C’est vous, enfin !

— C’est moi, dit l’autre.

— À cette heure ? murmura-t-elle.

— On vient quand on le peut, la mère, répondit-il, sans paraître faire attention à la mauvaise humeur de celle qui le recevait ainsi.

— Il est tard !

— Je le sais bien.

— On ne vous attendait plus.

— On avait tort, répliqua l’inconnu en se débarrassant de son large chapeau et de son manteau à l’espagnole.

— Vous aviez annoncé…

— Eh bien, quoi ? j’avais annoncé que je viendrais… je viens.

— À cette heure de nuit !

— Josué arrêta le soleil dans sa marche. Il ne nous a malheureusement pas laissé sa recette… sans cela, la mère…

— Bon ! grommela la vieille femme, qui continua son travail sans s’inquiéter davantage du nouveau venu.

Celui-ci, de son côté, roula un fauteuil devant la cheminée, s’étendit de son mieux, allongeant ses jambes devant le feu.

Le nouveau venu alors prit une attitude de propriétaire des lieux qu’il traitait avec tant de sans-gêne.

Et rien ne s’opposait à ce que cette attitude ne fût justifiée.

Cet homme, était une vieille connaissance de nos lecteurs, le baron de Kirschmark, ce galion allemand qu’ils ont déjà vu figurer au bal du comte de Warrens, dans le récit fait par Rosette la Pomme à M. Lenoir, son protecteur mystérieux, et aussi dans l’histoire de la jeune Thérèse.

Seulement, transformation complète.

Rien ne restait de l’orgueilleux et suffisant banquier.

Sa physionomie avait pris une expression de raillerie à froid, son accent tudesque, si ridicule, avait disparu.

Sa voix rude, son ton bref, sa prestance décidée, son geste sobre, son regard ferme, en faisaient un autre homme.

Du reste, rien dans sa mise ne dénotait le parvenu.

Il était tout de noir vêtu, boutonné jusqu’au menton, et deux excroissances qui soulevaient à droite et à gauche les basques de sa redingote à la hauteur de l’ouverture de ses poches, témoignaient de certaines précautions que les indigènes, bourgeois de Paris, ne sont pas dans l’habitude de prendre, au centre de leur capitale, même aux heures les plus avancées de la nuit.

— Brrr ! il fait froid, ce soir ! murmura-t-il en fourrageant le feu à l’aide d’une pincette.

La vieille femme ne lui répondit rien, et activa son travail.

L’inconnu se tourna alors vers elle, et lui demanda :

— Quoi de nouveau, Brigitte ?

— Rien.

— Comment, rien !

— Je ne peux pas vous dire qu’il y a quelque chose, quand il n’y a rien, n’est-ce pas ?

— Au fait, tu as raison.

Il y eut un silence.

— Brigitte ! appela-t-il quelques instants après.

— Quoi ?

— J’attends quelqu’un.

— Quand ?

— Tout de suite.

— Vous le recevrez… où cela ?

— Ici.

— Dans cette salle ?

— Parfaitement.

— Alors je m’en vais, fit-elle en se levant et en pliant son tricot.

— Non, reste ! répliqua le baron ; il n’y a pas de mal à ce que tu saches ce dont il s’agit.

Brigitte se rassit et se remit au travail avec une ardeur fébrile.

Son mutisme prémédité était loin du compte du baron.

Il y eut un silence, pendant lequel notre homme eut le temps de chercher à amadouer la sévère gardienne du logis.

— Tu ne me demandes pas le nom de la personne qui doit venir me rejoindre ?

— Ça m’est bien égal.

— Hein ?

— Ça ne me regarde pas. Jusqu’à présent je n’ai jamais voulu me mêler à vos affaires.

— Il y a commencement à tout.

— Je ne me soucie pas de commencer aujourd’hui.

— Mauvais caractère, va !

— Oui, parlons-en… Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

— De quoi, alors ?

— Quelle que soit la personne attendue par vous, je vous en préviens, dès qu’elle arrivera je passerai dans une autre pièce.

— Tu reviendras ! fit le baron en souriant finement.

— Quand vous en aurez fini avec votre complice.

— Mon complice, à présent. Ne dirait-on pas que j’ai l’intention de lui faire commettre un crime ?

— Ce sera ainsi.

— Soit, à ton aise, dit le baron de son accent le plus bourru.

Il y eut un nouveau silence.

Définitivement Brigitte ne prenait aucun goût à la conversation du baron.

— J’entends des pas sur le sable, s’écria tout à coup la vieille femme.

— Mazette ! tu as l’oreille plus fine que moi, la mère. Mais ne te trompes-tu point ?

Deux coups frappés sur un carreau répondirent pour Brigitte.

Elle se leva, plia son tricot et se mit en devoir d’allumer une bougie.

— Décidément tu t’en vas ?

— Oui.

— Libre à toi de ne rien entendre ; mais n’oublie pas, la mère, qu’il te faut fermer la bouche aussi bien que les oreilles.

— Bon !

— Tu sais qu’il y va de la vie.

— Vous menacez toujours ! fit brusquement la vieille femme.

— J’aime mieux menacer que punir.

— À mon, âge, on ne craint ni menaces ni châtiments. Ayez confiance, ou renvoyez-moi.

— Te renvoyer ! que nenni ! D’ailleurs, où irais-tu ?

— C’est mon affaire.

— Silence ! dit le baron.

On venait de frapper une seconde fois à la fenêtre.

— Va-t’en.

— Puis-je me coucher ?

— Oui… non… Mieux vaut que tu attendes notre départ. On ne sait pas ce qui peut arriver.

— Bien, on veillera, répondit-elle avec un imperceptible sourire.

Elle sortit.

— Hum ! murmura le baron, voilà une diablesse bretonne qui nous manigance quelque tour de son métier. Il faudra voir.

Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande.

Un homme l’enjamba et pénétra dans la chambre.

Cet homme, vêtu tout aussi mystérieusement que le baron de Kirschmark, était de haute taille.

Ses cheveux et ses moustaches, d’une blancheur complète, coupés en brosse, lui donnaient une physionomie militaire.

Encore vert, malgré son âge avancé, il semblait doué d’une grande vigueur.

Ses yeux noirs, couronnés d’épais sourcils, jetaient un éclat fauve.

Ils ne regardaient jamais en face.

La franchise et la loyauté n’avaient certes jamais élu domicile sur ce visage, qui eût été superbe, sans cela.

Son costume, noir comme celui du baron, s’en distinguait par un détail, visible dès le moment qu’il jeta son manteau sur une chaise.

Une large ceinture de cuir verni, bouclée sur son gilet, soutenait un couteau de chasse à poignée bronzée et deux pistolets doubles.

Les deux hommes allèrent l’un vers l’autre.

Ils se serrèrent la main.

— Vous êtes exact, mon cher colonel, dit Kirschmark.

L’autre interrompit par un geste de mauvaise humeur.

— Pardon, reprit Kirschmark, la force de l’habitude ; j’oublie toujours que depuis longtemps vous êtes passé général.

— Depuis quelque vingt ans.

— Tant que cela… Voyez comme le temps passe ! Pardonnez-moi… Je n’ai employé cette qualification de colonel que pour vous rappeler notre intimité passée.

Le général se mordit les lèvres.

— Venons au fait, dit-il laconiquement.

— Nous y arriverons, soyez tranquille. Les chemins les plus longs sont souvent les plus directs. Posons bien nos situations respectives avant d’aller plus loin.

— Que de paroles !

— Elles sont nécessaires, mon cher duc… Ah ! vous le voyez, je n’oublie aucun de vos titres. Vous en avez à revendre aujourd’hui.

— Encore !

— Jadis vous n’en portiez qu’un seul.

— Jadis vous n’étiez pas baron non plus, riposta, brutalement le personnage auquel Kirschmark donnait du général et du duc.

— Juste comme de l’or,

— Voyons, faisons vite.

— Soit, parlez… et tout d’abord, laissez-moi vous complimenter, mon cher duc. Vous possédez des armes d’un grand prix. Voilà deux cukeinreiter à double gueule qui font merveille le long de votre ceinture. Allons-nous en guerre ce soir ?

— Vous êtes trop aimable de donner la moindre attention à ces détails, baron. N’avez-vous pas vous-même vos poches bien garnies ? répondit le dernier venu en indiquant les crosses apparentes des pistolets de Kirschmark.

Kirschmark n’eut pas l’air d’entendre la réponse, et dit vivement ;

— Au fait !

— Parlez.

— Non pas. J’écouterai, s’il vous plaît.

— Vous êtes plus grand orateur que moi, fit le général. À vous le dé.

— Mille grâces, mais j’attendrai.

— Quoi ?

— Que vous vouliez bien vous expliquer.


— Pour Dieu ! plus ce nom-là…

— Sur quel sujet ?

— Sur le motif pressant qui vous a forcé à me convoquer ainsi, à l’improviste, dans cette masure où je ne mets pas les pieds une fois par an…

Le général sourit avec ironie.

Kirschmark continua :

— Au lieu de m’assigner tout simplement un rendez-vous dans votre hôtel.

— Vous êtes resté jeune, mon cher baron !

— Ce qui veut dire que je suis toujours aussi… imprudent.

— C’est cela même.

— Que voulez-vous ? On ne se refait pas ! repartit le baron en prenant son air le plus modeste.

— Vous savez, ajouta son interlocuteur, qu’aux yeux de tous, amis ou ennemis, nous ne nous connaissons pas.

— Oui, nous sommes deux étrangers l’un pour l’autre.

— Cela nous donne une force double, et nous épargne le danger d’être soupçonnés…

— Soupçonnés de quoi ? fit le baron à haute voix… Imprudent vous-même, ajouta-t-il tout bas.

Le duc s’arrêta et reprit sur une gamme plus modérée :

— J’avais une autre raison.

— J’en étais sûr…

— Mais cette raison me semble moins plausible depuis quelques instants.

— Quelle est-elle ?

— Le désir de vous entretenir en toute sûreté, sans crainte de laisser tomber une parole dans une oreille trop intéressée à la recueillir.

— Eh bien ?

— Eh bien ! vos terreurs, vos précautions me donnent à penser que vous n’êtes pas trop sûr de la discrétion de ces vieux murs.

— Bah ! bah ! répliqua Kirschmark, je ne suis pas sourd, et je n’aime pas que l’on crie, voilà tout.

— Tant mieux.

— D’ailleurs, un excès de précautions, comme vous dites, ne nuit jamais. Ce que vous avez à m’apprendre est donc bien important ?

— Important ! dites donc effrayant.

— Hein !

— Effrayant.

— Allons donc ! fit le baron, qui, le premier moment de surprise passé, se remit à tisonner, vous visez à l’effet, mon cher.

— J’ai bien peur d’y arriver, mon bon.

L’autre haussa les épaules.

Le général ou le duc, comme on le voudra, s’avança vers lui et lui posant la main sur l’épaule, il lui dit lentement :

— Tout est connu !

— Tout ! s’écria le baron en se redressant.

— Les morts sont vivants !

— Quels morts ?

— Vivants et forts, continua le duc, leur retour est notre perte ! Leur résurrection notre ruine !

— C’est impossible ! murmura Kirschmark, qui se leva pâle, tremblant, les traits décomposés par une terreur subite.

— C’est possible ! c’est certain !

— Vous vous trompez, duc !

— Baron, je ne me trompe pas.

— Alors nous sommes perdus ! cria Kirschmark avec angoisse.

— Si nous ne nous en délivrons à tout jamais.

— Et pour cela tu comptes sur moi, Macé ? fit le baron.

— Je compte sur toi, Yvon Kerneck, répondit le duc.

Ces deux noms leur rappelaient tout un passé funeste ou fatal, car ils ne les eurent pas plutôt prononcés que, poussés par le même mouvement, le même instinct de conservation et de crainte, ils se rapprochèrent l’un de l’autre, n’osant pas regarder si quelqu’un les avait écoutés.