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Les loisirs du chevalier d'Éon/1/Pologne/XIV

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CHAPITRE XIV.

Des droits et des prétentions de la pologne.


1. Rousset a déjà traité cette matière dans son grand ouvrage des intérêts présens de l’Europe : mais suivant sa coutume, il y a mis beaucoup de diffusion & néanmoins il y a oublié plusieurs choses assez essentielles, & s’est trompé d’ailleurs sur différens articles.

Droits sur la Silésie.2. Les droits de la Pologne sur la Silésie sont absolument éteints, toutes les raisons alléguées par l’historien Stanislas Lubienski ne les feront pas revivre. Plus de trois cents ans de possession parloient précédemment en faveur des rois de Boheme, & maintenant l’indifférence avec laquelle la république vient de voir passer ce duché sous la domination du roi de Prusse, témoigne clairement qu’elle n’y prétend plus.

Sur la Walachie & la Moldavie.3. On en peut dire autant des principautés de Walachie & de Moldavie. Les peuples de ces provinces étoient autrefois sous la protection de la république, & leurs Hospodars comme vassaux, lui payoient de tems en tems un tribut, & recevoient de même des rois de Pologne l’investiture : mais ce droit qui n’a jamais été bien affermi, fut abandonné aux Turcs en 1618. par le traité de Bussa.

Sur la Livonie.4. Il n’en est pas de même à l’égard de la Livonie. Les peuples de cette vaste province accablés par les incursions du Czar Jean Basilide se donnèrent à la Pologne en 1561 du consentement de leur prince Gothard Kettler grand maître des chevaliers porte-glaives : & de là sont provenues plusieurs guerres cruelles, où l’on a vu ruisseler tour-à-tour le sang des Polonois, des Suédois & des Moscovites. Ceux-ci devenus, enfin les maîtres de la plus grande partie du pays sous le régne victorieux de Pierre le Grand, le conservent encore : mais la république n’a conclu jusques à présent aucun traité valable qui lui lie les mains, & qui l’empêche de soutenir ses prétentions quand l’occasion le permettra.

Sur la Courlande & le Sémigalle.5. Quant au duché de Courlande & de Sémigalle, pour peu qu’on veuille considérer la chose avec impartialité, l’on ne doutera point que la république n’y ait un droit des plus réels, non véritablement, comme les Polonois le pensent, pour changer la forme du gouvernement de cette province, & pour la réduire en Palatinat après l’extinction des hoirs mâles de la maison de Gothard Kettler : mais pour empêcher qu’aucune autre puissance n’en saisisse la souveraineté, & pour retenir la nation dans les bornes qui conviennent à de fidèles vassaux. Les pacta Subjectionis, fameux traité conclu sous le règne de Sigismond Auguste, ne portent rien de plus ; & ce seroit bien assez pour la gloire & le bonheur des deux pays, si l’on maintenoit constamment cet accord salutaire.

Sur Kiow, l’Ukraine, Nowogorod, Serwiesky, Smolensko, & autres pays adjacents.6. La Pologne est certainement en droit de profiter des occasions favorables, qui lui permettront de recouvrer Kiow ; l’Ukraine au-delà du Niéper, Serwiesky, Smolensko, & plusieurs autres pays considérables, que Jagellon avoit unis à la couronne, & qui sont maintenant entre les mains des Moscovites. Si on lui allègue qu’elle les a cédés par des traités ; elle répondra que ces traités lui ont été arrachés ou par la violence ou par des conjonctures malheureuses, & qu’elle n’a laissé passer aucune occasion d’y manifester son opposition, en protestant cent & cent fois contre leur teneur. Les Moscovites de leur côté ne cessent d’en fortifier la nullité, en ne remplissant point avec fidélité les pactes qui semblent leur en assurer la possession. Aussi voit-on que la république insère constamment dans les capitulations de ses nouveaux rois, qu’ils auront soin de lui faire rendre les provinces qu’elle a perdues, qu’elle désigne sous le titre général de membres arrachés.

Sur la Prusse Ducale.7. En 1525. Albert Margrave de Brandebourg, grand maître des chevaliers porte-croix, reçut du roi de Pologne Sigismond I l’investiture de la Prusse ducale, à condition de prêter foi & hommage en qualité de grand vassal de la couronne. Les choses ont persévéré sur ce pied jusqu’au tems de l’électeur Frédéric-Guillaume qui, en vertu des pactes de Welau & de Bidgoft, obtint en 1657 la possession de cette province en toute souveraineté pour lui-même & pour ses hoirs mâles. L’accord fut qu’en cas d’extinction, la suprêmatie reviendroit à la république, qui pour lors seroit obligée d’en conférer la principauté aux Margraves de Bareith & d’Anspach de la branche de Franconie, seulement à titre de fief, ainsi qu’on l’avoit fait précédemment en faveur d’Albert. Par ce détail il est aisé de voir que les Polonois n’envisagent vulgairement qu’un droit mal entendu, lorsqu’ils prétendent traiter le roi de Prusse, comme on traite un vassal ; car aux termes des pactes mentionnés, l’idée d’un pareil vasselage ne sauroit jamais tomber ni sur lui, ni sur aucuns descendans mâles de Frédéric-Guillaume en ligne directe, mais seulement sur des collatéraux, dont l’expectative occasionne un hommage éventuel, qui ne regarde en rien les souverains actuellement régnants. On ne sauroit nier que la suprématie & le vasselage ne soient deux choses parfaitement contradictoires dans la même personne & à l’égard du même terrein ; or les monumens les plus sacrés prouvent que Frédéric-Guillaume a été reconnu seigneur suprême de la Prusse ducale, avec le consentement de la diette de 1658 : & l’autenticité de cette reconnoissance fut telle que, sans qu’il survînt la moindre plainte de la part de la république, l’électeur fit frapper peu de tems après, au sujet de son nouvel état, quantité de médailles d’or & d’argent, dont la face porte une main céleste qui soutient une couronne illuminée par les rayons du soleil, avec cette légende autour, donnée par Dieu : plus bas se voient un sceptre & une épée qui sont passés en sautoir & liés d’un nœud de guirlande, avec cette souscription, pour Dieu & pour le peuple. Le revers présente les paroles suivantes : Hommage rendu au prince Frédéric-Guillaume électeur de Brandebourg, seigneur suprême de la Prusse le 18. Octobre 1663. Sur les districts de Bitow & de Lawenbourg.8. Un droit plus réel, quoique simplement honorifique, est la suprématie conservée jusques à présent sur les cantons de Bitow & de Lawenbourg, pays assez important par sa situation, qui s’étend à la mer Baltique dans le voisinage de Dantzig. Il est sûr qu’à l’égard de ce pays, le roi de Prusse doit passer pour vassal de la couronne de Pologne, mais d’une façon peu onéreuse pour lui : car il n’est obligé ni à prêter serment, ni à payer tribut, & toute sa sujettion se borne à reconnoître le domaine direct de la république, ainsi que le montrent les pactes de Welau & de Bidgoft déjà cités. Quelques auteurs Polonois, & entre autres M. Dembrowsky évêque de Ploczko, ont écrit que l’état a le droit de retrait sur les districts dont il est question ici, & que par conséquent aussitôt qu’on seroit d’accord on pouroit les racheter moyennant une certaine somme : mais c’est une erreur manifeste, car en 1658 la possession en fut accordée à perpétuité à la maison de Brandebourg ; & l’on ne sauroit la porter à s’en dessaisir qu’autant qu’elle le voudra bien. Sur Drahim & Elbing.9. La position de la république est différente à l’égard de la Starostie de Drahim dans la nouvelle marche, & de la ville & du territoire d’Elbing dans la Prusse royale. La maison de Brandebourg jouït à la vérité de ces domaines, qui lui furent livrés, le premier en 1669 : mais elle ne les tient qu’en hipotheque & comme un gage de la somme de 42,000, écus d’Allemagne, que la république lui doit pour prix de quelques secours qui lui ont été fournis contre la Suède. Ainsi les droits de la Pologne, tant de suprématie que de retrait, sont constamment en pleine vigueur, & il n’y à que de l’argent à chercher pour faire le rachat.

Sur Dantzig.10. Quoique les habitans de Dantzig prétendent assez généralement n’être que sous la protection & non sous la domination de la Pologne ; il est néanmoins certain que la république les compte & a droit de les compter au nombre de ses sujets. On tombe d’accord que l’importante situation de leur ville, l’opulence & l’utilité de leur commerce & les secours qu’ils ont fournis de tems en tems plutôt en argent qu’en troupes leur ont procuré de grands privilèges : mais cela n’empêche pas que la république n’ait toujours sur eux un vrai droit de souveraineté. L’hommage, le serment de fidélité exigés & remplis par leurs magistrats, les impôts, les douanes, la chambre des finances, la jurisdiction suprême dévolue au roi dans leurs principales causes, enfin diverses charges onéreuses qu’ils sont obligés de porter, ne doivent laisser aucun doute sur cet article : aussi voyons-nous que, sous le règne d’Étienne Battori, on les traita comme des sujets rebelles, lorsqu’ils osèrent affecter une indépendance qui ne

Sur les sommes Napolitaines.11. Avant que d’abandonner la matière traitée dans ce chapitre, il convient de dire un mot touchant la prétention pécuniaire que l’on désigne ici sous le nom de sommes Napolitaines ; prétention litigieuse qui, quoique continuellement renouvellée par la république, n’a pu être mise au clair depuis environ cent quatre-vingt-dix ans : en voici le fondement. Bonne Force, fille de Jean Galéace Duc de Milan, fut femme de Sigismond I dont elle eut Sigismond Auguste & quatre filles. Après la mort du roi de Pologne son époux, elle alla passer le reste de ses jours dans le royaume de Naples. Par son testament, elle légua à sa postérité quatre cents mille écus d’empire qu’elle avoit prêtés au roi d’Espagne pour lors maître des deux Siciles ; ou plutôt elle en légua la rente annuelle montant à trente-quatre-mille écus qui, n’ayant jamais été payés, formeroient aujourd’hui une somme considérable. La république ; en vertu des droits qui lui ont été transmis par plusieurs princes issus du sang de la testatrice, croit être suffisamment autorisée à revendiquer toute cette succession : mais outre qu’il y a divers compétiteurs, tant en France qu’en Allemagne, les souverains de Naples mettent à profit les difficultés pour éloigner un remboursement qui les incommoderoit. Quoi qu’il en soit, si les Polonois s’arrangeoient avec leurs compétiteurs, leurs droits aux sommes Napolitaines seroient incontestables.