Aller au contenu

Les louanges de la vie champêtre, à Fontenay en 1707

La bibliothèque libre.
Les louanges de la vie champêtre, à Fontenay en 1707
Œuvres de ChaulieuPissotTome 1 (p. 40-44).


LES LOUANGES DE LA VIE CHAMPÊTRE, À FONTENAY EN 1707[1].



Désert, aimable solitude,
Séjour du calme et de la paix,
Asyle, où n’entrerent jamais
Le tumulte et l’inquiétude,

Quoi, j’aurai tant de fois chanté
Aux tendres accords de ma lyre
Tout ce qu’on souffre sous l’empire
De l’Amour et de la Beauté !

Et, plein de la reconnoissance
De tous les biens que tu m’as faits,
Je laisserai dans le silence
Tes agrémens et tes bienfaits !

C’est toi qui me rends à moi-même ;
Tu calmes mon cœur agité,
Et de ma seule oisiveté
Tu me fais un bonheur extrême.


Parmi ces Bois et ces Hameaux,
C’est là que je commence à vivre ;
Et j’empêcherai de m’y suivre
Le souvenir de tous mes maux.

Emplois, grandeurs tant désirées,
J’ai connu vos illusions ;
Je vis loin des préventions
Qui forgent vos chaînes dorées.

La Cour ne peut plus m’éblouir :
Libre de son joug le plus rude,
J’ignore ici la servitude
De louer qui je dois haïr.

Fils des Dieux, qui de flatteries
Repaissez votre Vanité,
Apprenez que la Vérité
Ne s’entend que dans nos prairies.

Grotte, d’où sort ce clair ruisseau,
De mousse et de fleurs tapissée,
N’entretiens jamais ma pensée
Que du murmure de[2] son eau.

Bannissons la flatteuse idée
Des honneurs que m’avoient promis
Mon savoir-faire et mes Amis,
Tous deux maintenant en fumée.


Je trouve ici tous les plaisirs
D’une condition commune ;
Avec l’état de ma fortune
Je mets de niveau mes desirs.

Ah ! quelle riante peinture
Chaque jour se montre à mes yeux,
Des trésors dont la main des Dieux
Se plaît d’enrichir la Nature !

Quel plaisir de voir les troupeaux.
Quand le midi brûle l’herbette,
Rangés autour de la houlette,
Chercher[3] le frais sous ces ormeaux !

Puis sur le soir à nos musettes
Ouir répondre les côteaux,
Et retentir tous nos Hameaux
De hautbois et de chansonnettes !

Mais, hélas ! ces paisibles jours
Coulent avec trop de vîtesse ;
Mon Indolence et ma Paresse
N’en peuvent[4] suspendre le cours.

Déjà la Vieillesse s’avance ;
Et je verrai dans peu la Mort

Exécuter l’arrêt du Sort,
Qui m’y livre sans espérance.

Fontenay, lieu délicieux
Où je vis d’abord la lumiere,
Bientôt au bout de ma carriere,
Chez toi je joindrai mes Aïeux.

Muses, qui dans ce lieu champêtre
Avec soin me fîtes nourrir,
Beaux Arbres, qui m’avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir !

Cependant du frais de votre ombre
Il faut sagement profiter,
Sans regret, prêt à vous quitter
Pour ce manoir terrible et sombre

[5] de ces arbres dont exprès
Pour un doux et plus long usage
Mes mains ornerent ce bocage,
Nul ne me suivra qu’un Cyprès.

Mais je vois revenir Lisette,
Qui d’une coiffure de fleurs
Avec son teint[6] à leurs couleurs
Fait une nuance parfaite.

Égayons ce reste de jours
Que la bonté des Dieux nous laisse ;
Parlons[7] à Lisette d’amours :
C’est le conseil de la Sagesse.

  1. S. M. donne à cette Pièce un autre titre & une autre date. Sur Fontenay, en 1710.
  2. Que du murmure de ton eau.
  3. Chercher l’ombre sous ces ormeaux !
  4. N’en peuvent arrêter le cours.
  5. Où des arbres que tout exprès,
  6. Avec son teint & leurs couleurs.
  7. Parlons de plaisirs & d’amours.