Les métamorphoses d’une goutte d’eau/La Mouche solitaire

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LA MOUCHE SOLITAIRE.


« Esther, ma chère enfant, ne reste donc pas ainsi exposée au soleil à cette fenêtre, dit Mme Courneuve à sa petite-fille.

— Oh ! grand’mère, laissez-moi, je vous prie, regarder quelque chose de bien surprenant !

— Qu’est-ce donc, petite ?

— C’est une grosse mouche qui bâtit une tour. Elle en a déjà fait trois qui se touchent, et elle termine la quatrième. Venez voir ! venez voir ! Ah ! voilà la mouche qui s’envole, mais elle ne tardera pas à revenir. Dites-moi, chère bonne maman, pourquoi bâtit-elle ainsi de petites tours ?

— C’est le nid où elle va déposer ses œufs pour les mettre à l’abri pendant l’hiver. Aie la patience de l’observer encore et de t’en convaincre toi-même.

— A-t-elle mis bien longtemps à faire les quatre nids ?

— Non ; elle les a commencés hier seulement. »

La mouche arrive et se promène sur le nid en construction, le maçonnant avec le sable fin et la terre qu’elle vient d’apporter. Quand sa petite provision fut épuisée, elle en alla chercher d’autre jusqu’à l’entier achèvement de la tour. Ensuite elle entra successivement dans les quatre qu’elle polit intérieurement, après s’être assurée qu’elles n’avaient aucune fissure.

« Tiens ! dit Esther, la voilà qui entre à reculons dans la tour !

— C’est qu’elle y va pondre ses œufs. »

La ponte achevée, l’insecte s’envole de nouveau et revient bientôt tenant une toute petite chenille verte qu’elle colle contre la paroi intérieure du nid. Elle en met quatre dans chacun.

« Et que veut-elle faire de ces petits animaux, bonne maman ?

— Ils doivent servir de pâture à la larve qui naîtra de l’œuf occupant le nid.

— Mais, grand’mère, ces œufs seront bien mal garantis dans ces nids tout ouverts ?

— Patience, mon enfant ; la mère prévoyante y saura mettre bon ordre. »

En effet, la mouche revint bientôt avec les matériaux nécessaires à clore les nids. Elle les couvrit
Qu’est-ce donc, petite ?
successivement d’un petit dôme qui pût laisser égoutter l’eau.

« Quelle bonne mère, dit Esther, et que les enfants pour qui elle prend tant de précautions doivent l’aimer !

— Ma fille, ce pauvre animal, comme presque tous les insectes, ne connaîtra pas ses petits ; mais, comme il ne leur est pas accordé de veiller sur eux après leur naissance, il cherche d’avance à les préserver de tout danger en leur élevant une demeure solide et bien approvisionnée.

— Comment fera la petite mouche pour sortir de cette maison si bien construite ?

— La mère y a pensé comme toi ; aussi le petit dôme est-il légèrement collé sur la tour. Vois plutôt ! il suffit du moindre effort pour l’en détacher.

— Après avoir achevé son nid, où dormira cette pauvre mouche qui ne doit jamais voir ses petits ?

— Elle se mettra dans quelque trou où elle restera engourdie jusqu’au printemps ; mais il y a beaucoup de chances pour qu’elle devienne la proie d’un ennemi, ou bien encore elle peut mourir de vieillesse.

— Ainsi, grand’mère, les pauvres petites mouches n’auront point de mère pour les caresser à leur naissance et les garantir du froid pendant la nuit ?

— Hélas ! oui, ma petite ; et ce qui est plus triste encore, ces mouches, quand elles sont vieilles, n’ont point de petits enfants qui les entourent et les aident à mourir. »