Les mausolées français/Blanchard

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Mme  BLANCHARD.



La forme allégorique de ce monument, inintelligible pour ceux qui n’auraient point entendu parler de madame Blanchard, est destinée à rappeler le souvenir de la rare intrépidité de cette célèbre aéronaute qui, la première, osa donner le spectacle magnifique des ascensions nocturnes au milieu des flammes et des feux d’artifice, et qui, victime d’un événement inoui, trouva la mort dans une des fêtes les plus brillantes du jardin de Tivoli.

Un jet de flammes s’élevant de la partie supérieure d’un aérostat qui couronne le sommet du monument, une nacelle dont les cordages sont rompus, et Inscription suivante, caractérisent l'art que professait madame Blanchard, et sa funeste catastrophe.

a la mémoire
de Mage Sophie Armand,
veuve BLANCHARD,
célèbre aéronaute
victime de son art
et de son intrépidité.
elle fut enlevée
a ses amis
le 6 juillet 1819,
dans sa 43e année.




Madame Blanchard, veuve du célèbre aéronaute de ce nom, était née le 25 mars 1777 dans la commune des Trois-Canons près de la Rochelle ; ses parents s’appelaient Armand, et professaient le culte protestant. Sa mère était près d’accoucher, lorsque le hasard amena devant la maison qu’elle habitait un voyageur inconnu qui lia conversation avec elle, et finit par lui dire : Madame, faites une fille, et elle sera ma femme. Ce voyageur était l'aéronaute Blanchard, qui épousa effectivement mademoiselle Armand presqu’au sortir de l'enfance. Madame Blanchard, familiarisée ainsi de bonne heure avec son art, avait contracté une telle habitude du danger, qu’elle a assuré s’être plusieurs fois endormie pendant la nuit dans sa frêle et étroite nacelle, en attendant que le retour de la lumière lui permit de descendre dans un lieu sûr. Un jour, sur le point d’effectuer une ascension à Francfort-sur-le-Mein, elle s’aperçut que le ballon perdait sensiblement de son gaz, et que, pour peu qu’elle tardât, elle ne pourrait plus s’élever ; aussitôt elle fit détacher la nacelle pour alléger le poids, posa ses pieds sur le cerceau auquel le filet est attaché et s’élança ainsi dans les airs portée debout, sur un faible roseau qu’elle sentait fléchir à chaque minute. On pourrait citer une foule de traits semblables qui prouvent son étonnante intrépidité.

Une colonne monumentale élevée en 1786 auprès de la ville de Guines, constate que son mari avait eu la gloire de franchir le détroit en passant, dans un aérostat, de la côte d’Angleterre sur celle de France. Madame Blanchard, à son imitation, nourrissait le projet plus périlleux peut-être de couronner sa carrière aérostatique en passant de la côte de France sur celle d’Angleterre.

Fixée à Paris depuis plusieurs années, elle avait imaginé la première de suspendre au-dessous de son ballon des pièces d’artifice qu’elle faisait jouer à une certaine hauteur, et qui produisaient dans une ascension nocturne un spectacle aussi magnifique que difficile à décrire ; cette admirable mais trop dangereuse invention causa sa perte, le 6 juillet 1819, à 10 heures du soir, dans une des fêtes du jardin de Tivoli, au milieu d’une réunion aussi nombreuse que brillante. Madame Blanchard, portée par un aérostat élégant, s’élève avec majesté en répandant des fleurs sur l’assemblée ; et bientôt, planant dans les airs au milieu des flammes du Bengale et des tourbillons de feu, elle figure aux yeux des spectateurs émerveillés une divinité portée sur les nuages et montant aux cieux environnée de la foudre et des éclairs : mais à peine l’artifice avait fait son effet, qu’on aperçut à plusieurs reprises une flamme voltigeant autour du ballon et qui bientôt s’y introduisit par l’orifice inférieur ; un cri d’effroi s’élève de toutes parts, au même instant un énorme globe de feu couleur de sang et une légère détonation ne laissent plus de doute sur l’épouvantable accident dont madame Blanchard est victime. Précipité du haut des airs, elle est rapportée sans vie, peu d’instants après, au lieu même de son funeste triomphe. Elle était dans sa 43e année et venait d’effectuer sa 67e ascension.

Madame Blanchard était née avec l’amour des arts et une finesse de goût qui lui concilièrent l’attachement d’une foule d’artistes distingués qui se plaisaient à recueillir ses observations toujours judicieuses. Elle n’était pas moins recommandable par les qualités de son cœur, et l’on cite un grand nombre de traits qui font honneur à sa délicatesse et à sa sensibilité.