Les mausolées français/Héloïse et Abélard

La bibliothèque libre.

HÉLOÏSE ET ABÉLARD.



Ce monument du plus grand intérêt, et qui fit long-temps un des principaux ornements du Musée des Monuments Français[1], est un des premiers qui attirent les regards en entrant dans le cimetière du Mont-Louis, et un des premiers, sans doute, que cherchent à rencontrer ceux qui se rappellent avec émotion l’histoire touchante de ces infortunes amants.

Au milieu d’une chapelle sépulcrale, construite dans le goût du douzième siècle, sur les dessins de M. Lenoir, avec les débris d’une chapelle du Paraclet et de l’abbaye de Saint-Denis, est placé le tombeau ou Pierre de Cluni, dit le Vénérable[2], fit d’abord ensevelir le corps d’Abélard, et qui, resté vide pendant sept siècles, renferme aujourd’hui les restes de ces deux époux indissolublement réunis l’un à l’autre[3]. Sur la pierre qui le couvre, Abélard est représenté couché à la manière du temps, la tête légèrement inclinée et les mains jointes ; près de lui on a placé la figure de son intéressante amie. Les reliefs qui ornent le sarcophage représentent les pères de l’Église ; sur un des cotes on lit :

les restes d’héloïse et d’abélard
les corps d’héloïse et d’abélard
sont réunis dans ce tombeau.
ont été transportés dans ce lieu
en l’an viii


Du cote opposé :

ce tombeau d’abélard
les restes d’héloïse et d’abélard
s. marcel lès chalons-sur-saône
sont réunis dans ce tombeau.
en l’an viii


Du même côté, sur une table de marbre noir :

Pierre Abaillard fondateur de cette abbaye[4] vivait dans le 12 siècle il se distingua par la profondeur de son savoir et par la rareté de son mérite cependant il publia un traité de la trinité qui fut condamné par un conseil tenu à soissons en 1120 il se rétracta aussitôt par une soumission parfaite et pour témoigner qu’il n’avait que des sentimens orthodoxes il fit faire de cette seule pierre ces trois figures qui représentent les trois personnes divines dans une nature[5] après avoir consacré cette église au S. esprit qu’il nomma paraclet par rapport aux consolations qu’il avait goutées pendant la retraite qu’il fit en ce lieu, il avait épousé héloise qui en fut la première abesse. l’amour qui avait uni leurs esprits durant leur vie et qui se conserva dans leur absence par des lettres les plus tendres et des plus spirituelles a réuni leurs corps dans ce tombeau. il mourut le 21 avril l’an 1142 agé de 63 ans après avoir donné l’un et l’autre des marques d’une vie chrétienne et pénitente. Par dame Catherine de la Rochefoucault abbesse.

Sur une autre table de marbre noir, placée sur le pavé du monument au pied du sarcophage, on lit cette inscription que l’on dit avoir été composée par Marmontel.

HIC
Sub eodem marmore jacent
hujus monasterii
conditus Petrus Abœlardus
Et abbatissa prima Heloissa
olim studiis ingenio amore infaustis nuptiis.
et pœnitentia
nunc eterna quod speramus felicitate
conjuncti
Petrus obiit xx prima aprilis anno 1142
Heloïssa xvii maii 1163.
  1. Ce musée n’existe plus ; la plupart des objets qui y avaient été réunis, et qui, presque tous, avaient été enlevés aux églises ou aux édifices publics au commencement de la révolution, ont été rendus à leur ancienne destination, ou transférés au musée du Louvre ; ce lieu est maintenant destiné à l’École royale des Beaux-Arts.
  2. Abélard mourut en 1142, au prieuré de Saint-Marcel de Châlons-sur-Saône : son ami Pierre de Cluni fit déposer son corps dans un tombeau qu’il lui érigea dans la chapelle de l’infirmerie, et d’où, peu de temps après, il le fit enlever furtivement pour l’envoyer au Paraclet, où était Héloïse, qui plaça ce précieux dépôt dans une chapelle qu’Abélard avait bâtie, et qu’on appelait le petit Moustier. Héloïse mourut en 1163, et, selon son désir, le même cercueil réunit sa dépouille mortelle à celle de son époux. En 1497, on transféra leur tombeau dans la grande église du monastère ; leurs corps furent séparés et placés dans deux tombes différentes. Enfin, madame Roye de la Rochefoucault voulut élever un monument plus riche à la gloire de ces illustres modèles d’amour et de constance, il ne fut terminé qu’après sa mort en 1779, et, comme tant d’autres, fut détruit pendant la tourmente révolutionnaire.

    Mais M. Lenoir, fondateur et administrateur du musée des monuments français, aujourd’hui conservateur des monuments de l’abbaye royale de Saint-Denis, et qui s’est acquis tant de titres à la reconnaissance publique et à celle de tous les amis des arts par le zèle infatigable avec lequel il est parvenu à soustraire à la destruction générale les monuments les plus précieux de notre ancienne France, a su créer avec des fragments que l’on peut appeler historiques, réunis avec le plus grand art, ce nouveau mausolée, qu’il a dédié la mémoire d’Héloïse et d’Abélard.

  3. Ce tombeau a été conservé par les soins de M. Roisset, médecin à Châlons-sur-Saône, qui l’avait acheté pour le soustraire à la destruction, et qui en fit hommage au Musée des Monuments Français.
  4. Le Paraclet. Cette inscription et la suivante se lisaient sur le tombeau élevé en 1779, par madame de la Rochefoucault.
  5. Ce groupe de la trinité, qu’Abélard avait fait sculpter, faisait le principal ornement du tombeau d’où cette inscription est tirée.