Les mausolées français/Introduction

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CIMETIÈRE
DE MONT-LOUIS, DIT DU PÈRE LA CHAISE.




Le cimetière de Mont-Louis, quoique le moins ancien, est aujourd’hui le plus important et le plus remarquable par son étendue, sa distribution, la variété du sol, la beauté des points de vue, le nombre et la richesse des monuments qu’il renferme ; et, depuis quelques années, l’usage semble l’avoir plus particulièrement consacré aux sépultures de marque. Le lieu qu’il occupe fut autrefois célèbre, et fut connu sous différents noms. On rapporte qu’un riche marchand de la capitale, frappé de la beauté du site qui règne sur toute la hauteur des coteaux qui s’étendent de Belleville à Charrone, à l’est de Paris, y acheta un terrain d’environ six arpents, nommé alors le Champ-l’Évêque, et fit construire une maison de plaisance, trop somptueuse sans doute pour son rang ou sa fortune, puisque les envieux la nommèrent la folie Regnaud. Les Jésuites firent l’acquisition de cette maison en 1626, et Louis XIV, encore enfant, y fut témoin, dit-on, de la fameuse bataille livrée, dans le faubourg Saint-Antoine, par le maréchal de Turenne au prince de Condé, chef alors des Frondeurs. Depuis ce temps, ce lieu fut appelé Mont-Louis, et fut donné en 1675 au R. P. de La Chaise, confesseur du roi, jésuite fameux, et dont on sait quelle fut l’influence dans les affaires civiles et religieuses. Par les soins du monarque, la maison et les jardins furent considérablement agrandis, et tous les embellissements réunis de l’art et de la nature en firent un lieu de délices, où le révérend père, loin du fracas de la cour, venait souvent sous des bosquets enchantés respirer un air pur, se délasser de ses travaux, et alléger un peu, s’il lui était possible, le redoutable fardeau dont le prince avait chargé sa conscience.

Après sa mort, les Jésuites continuèrent d’habiter cette voluptueuse retraite, qui, vendue lors de leur suppression pour acquitter leurs dettes, appartint depuis successivement à divers particuliers ; mais l’entretien trop dispendieux d’une habitation toute de luxe la fit sans doute bientôt abandonner, et elle tombait presque en ruine lorsque l’administration du département de la Seine en fit l’acquisition pour y établir un cimetière[1].

Étranges contrastes dans les révolutions des siècles ! Ce lieu naguère séjour de plaisir et de vanité, vaste foyer d’intrigues et d’agitations, où l’on vit ramper tour-à-tour les personnages les plus marquants de la cour et de la ville, où se réglèrent arbitrairement les destinées de la France, d’où émanèrent enfin, au nom de la religion, ces décrets homicides dont trop souvent la religion et l’humanité s’affligèrent également, aujourd’hui paisible empire de la mort, terme commun du pouvoir et de la servitude, de la misère et de l’opulence ; toutes les passions, tous les intérêts, tous les rêves de l’ambition viennent s’y évanouir ; les haines, les partis, les sectes s’y confondent, et combien trouvent maintenant un dernier asyle dans ce lieu même d’où furent lancés contre leurs ancêtres des arrêts de proscription.


  1. La demeure enchantée de l’illustre confesseur à subi de grands changements ; une nouvelle distribution locale était indispensable. M. Brongniart, architecte, dont les talents sont connus, et que la parque a ravi trop tôt à son art et à son pays, fut chargé de ces nouvelles dispositions, et s’en acquitta en homme habile, il sut conserver ou créer tout ce qui pouvait donner à ce lieu funèbre un caractère convenable, et chaque jour encore on y exécute de nouveaux embellissements. L’ancienne maison, d’une structure peu remarquable en elle même, mais que l’on aurait pu conserver comme monument historique, vient d’être démolie, et sera remplacée par une chapelle sépulcrale qui s’élève en ce moment sur les dessins de M. Jode.