Les mystères de Montréal/3/05

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Compagnie d’imprimerie Désaulniers, imprimeurs-éditeurs (p. 342-356).

CHAPITRE V

deux anciens camarades


S’il y avait à Montréal des maisons où l’on s’amusait sur un haut ton, il y avait par contre de vilaines bicoques où l’on s’abrutissait.

Le cabaret du « Cheval Blanc » situé au coin des rues Claude et Saint-Paul était fameux parmi les estaminets de bas étage. Il y a toujours des gens qui ont le don de rendre leurs établissements populaires pendant que leurs voisins font faillite.

Au nom du « Cheval Blanc » s’en rattachait un autre non moins fameux, celui du propriétaire, gérant et seul commis, Bibi Saint-Michel, qui faisait cent pour cent de profit, en faisant boire à ses clients du rye au lieu du brandy. Sans compter qu’il baptisait son vin et faisait la multiplication des cinq pains.

Chaque soir, depuis bien des années, à la brunante, Bibi accrochait à la porte de sa buvette un fanal rouge qui invitait les passants.

Là on pouvait tramer les plus affreux complots sans craindre les oreilles indiscrètes. Bibi les connaissait et avertissait à temps.

En franchissant le seuil du « Cheval Blanc » on se trouvait dans une vaste salle, basse, percée de deux fenêtres seulement et entourée de bancs. Au fond était le comptoir où Bibi servait la pratique.

Par une sombre après-midi de novembre 1845, un pâle soleil d’automne jetait, avant de disparaître entièrement, un demi-jour dans cette salle.

Un individu assoupi sur un banc semblait insensible au brouhaha qui se faisait autour de lui. Il fallait qu’il fût bien fatigué pour dormir au milieu de cette réunion d’hommes qui se chamaillaient à propos de rien et qui n’ouvraient pas la bouche sans crier à tue-tête.

Le dormeur était mal vêtu. Quoiqu’on fût en novembre et qu’il y eut de la neige, il n’avait pas de paletot, et sa coiffure était une méchante casquette de matelot.

Il sommeilla ainsi plusieurs heures et eut peut-être prolongé son sommeil jusqu’au lendemain, si un client de Bibi ne l’eut pas éveillé, en lui touchant par mégarde.

Il s’assit sur son banc, se frotta les yeux et, quand la nuit fut tombée complètement, il sortit du « Cheval Blanc. »

Il sentit qu’il faisait froid, releva le collet de son habit et passa la main sur ses chaussures percées qui se laissaient pénétrer par la neige et enfonça sa casquette sur ses oreilles.

Il monta sur la rue Notre-Dame, tourna à gauche et alla tomber dans la rue Bonaventure. Il se dirigea encore vers l’ouest en répétant en lui-même, comme s’il eut craint de l’oublier.

No 127, 127.

Au premier coin qu’il rencontra, s’étant arrêté, il regarda quel numéro portait la maison dont la façade était éclairée par un réverbère.

— 111, dit-il, bah, j’arrive…

Il se remit en marche d’un pas alerte, en sifflant entre ses dents qui claquaient, transies par le froid, un air inconnu dans le pays. C’était donc un étranger.

En 1845, sur la rue Bonaventure, les maisons étaient plus éloignées les unes des autres qu’aujourd’hui. La distance entre les numéros 111 et 127 était de deux arpents dans le moins. La rue était boueuse et ce n’était qu’avec précaution et en tâtant du pied qu’on avançait sur les trottoirs étroits, faits avec des planches mal jointes et pourries par un long service.

À chaque maison que l’étranger rencontrait il s’arrêtait et cherchait le numéro.

Après avoir traversé la rue de la Montagne il arriva en face du numéro 125.

— C’est l’autre maison, dit-il.

En effet deux minutes après, il se trouvait sur le perron de la magnifique résidence de celui qu’on appelait du nom pompeux de banquier de Courval.

Ayant tiré sur la sonnette il entendit un tintamarre résonner en dedans de la maison, et un domestique vint ouvrir.

— Le banquier de Courval est-il ici ? demanda l’homme mal vêtu.

— Oui, mais vous ne pouvez pas le voir, répondit le domestique, en voyant à qui il avait affaire.

— Ta, ta, ta, pas de ces histoires-là, dites-lui qu’on le demande immédiatement.

— Quel est votre nom ?

— Inutile de le dire. Je veux voir le banquier et je monte à sa chambre s’il ne descend pas.

Le domestique hocha la tête et disparut dans un escalier conduisant à l’étage supérieur.

L’étranger fit le tour du boudoir où on l’avait fait entrer et examina les cadres suspendus au mur.

Meublé avec richesse, l’appartement présentait un coup d’œil chic. Çà et là une chaise de crin, de velours, placée avec une négligence étudiée. Près de la fenêtre qui donnait sur le jardin, un sofa était adossé au mur, à côté un secrétaire en noyer noir sur lequel gisaient des paperasses de toutes sortes ; au milieu de la chambre, une étagère où s’étalait la plus variée des collections de bibelots. Jamais on n’eut deviné que ce fut là le boudoir d’un vieux garçon.

L’étranger examinait tout. Arrivé en face du portrait du banquier de Courval, il s’arrêta et plissa les lèvres en balbutiant à mi-voix :

— C’est bien toi, lâche ! voleur ! assassin !

Il se retourna. Le banquier apparaissait dans le cadre de la porte.

Les deux hommes se trouvèrent face à face, et deux cris, l’un poussé par l’ami de George Braun, l’autre par l’homme mal habillé, s’échappèrent en même temps de leurs poitrines oppressées.

— Matson !

— Buscapié !

Oui, l’homme qui vivait dans cette maison de la rue Bonaventure, qui éblouissait par son luxe, qui intriguait par son air mystérieux, qui évitait de parler de son passé, qui s’était trouvé mal à l’aise en entendant parler de Jeanne Duval au « London Club » et qui avait fait de George Braun son meilleur ami, était l’ancien capitaine du Solitaire, le traître de 1837, Charles Gagnon enfin, l’enfant maudit par son père.

Nous avons vu comment de simple matelot d’un honnête voilier, il était devenu capitaine de corsaire ; nous verrons comment de capitaine de corsaire, il était devenu banquier.

Les deux exclamations que nous avons entendues quoique sorties en même temps de deux poitrines différentes n’exprimaient pas les mêmes sentiments. La première exprimait la surprise ; la seconde, la satisfaction qu’éprouve quelqu’un en face d’un adversaire terrassé.

Les deux hommes se regardèrent d’abord sans prononcer d’autre parole.

Quand l’ancien chef de pirates fut un peu revenu de l’étonnement où le plongeait cette visite inattendue, il ferma la porte du boudoir et poussa le verrou, puis revenant vers Matson qui s’était élancé pour le retenir croyant qu’il voulait se sauver, il demanda à voix bassse et tremblante :

— Par quel hasard es-tu ici ce soir ?… Tu me surprends…

— C’est par un hasard heureux que j’ai retrouvé tes traces après trois années de séparation.

— Je te croyais mort au fond des mines des bords de l’Orénoque.

— Tu te trompais : je ne suis point mort, comme tu vois.

— Évadé ?

— Non, non, point d’évasion… Si j’ai ma liberté je l’ai obtenue au prix de ma vie… Tiens, vois…

L’ancien camarade du banquier tira de sa poche un journal froissé et le lui passa. Celui-ci lut avec précipitation :

« Un drame dans la région des mines. Caracas — Venézuela — 10 juillet 1844. Un courrier arrivé ce matin des bords de l’Orénoque raconte ce qui suit. »

« Le passage du maire de Caracas à Angostura a été marqué par un incident émouvant qui a failli lui coûter la vie. »

« En compagnie de son confrère d’Angostura, il était sorti de la ville et visitait, en voiture à deux chevaux, les mines du gouvernement, transformées en colonie pénitentiaire, en côtoyant les rives si escarpées de l’Orénoque, quand les chevaux effrayés, par nous ne savons quoi, ont pris le mors aux dents. Pour comble de malheur le cocher a été précipité en bas de son siège et grièvement blessé. La position des deux distingués visiteurs était extrêmement périlleuse. Ils étaient sur le bord d’un précipice de cent cinquante pieds, que tous ceux qui ont visité cet endroit, connaissent. »

« Tout à coup on a vu un forçat saisir une barre de fer et s’élancer au devant des chevaux au risque de sa vie. L’excitation était à son comble : cet homme s’exposait à une mort presque certaine. »

« Quand les chevaux arrivèrent sur lui, il en abattit un avec sa barre de fer et saisissant l’autre à la bride, le força à s’arrêter. »

« C’est à ce brave détenu que notre maire et celui d’Angostura doivent leurs vies, ils s’en souviendront longtemps. »

« Une requête demandant la grâce du sauveteur a été signée sur-le-champ. »

« C’est le courrier qui nous a donné ces détails qui l’a apportée au président Perriez. Et nous pouvons ajouter que celui-ci y a fait droit. »

« Demain le même courrier repartira pour l’Orénoque, où il remettra au forçat un papier lui accordant sa liberté. Ce dernier se nomme Jos Matson et a été condamné aux mines à perpétuité, l’année dernière. Il faisait partie de la fameuse bande de pirates qui montaient le corsaire le Solilaire — capitaine Buscapié — capturé par le cotre Joaquin du gouvernement. »

— Tu vois, reprit l’ancien forçat quand le banquier eut fini de lire. Je suis redevenu un homme libre… Mais j’ai une commission pour toi… Lorsque j’ai quitté mes compagnons qui ont survécu aux horreurs du climat des bords de l’Orénoque, ils m’ont chargé d’une mission sacrée. « Si jamais, m’ont-ils dit en me serrant la main, tu revois Buscapié le traître, venge-nous ! Demande-lui pourquoi il nous a abandonnés comme un lâche, en emportant avec lui le trésor commun, quand il pouvait nous racheter avec. » Et tu te rappelles Salante, ce mousse qui grimpait si bien dans les mâts, s’avançant vers moi, il me dit avec des larmes dans la voix : « Je te sais assez habile pour retrouver le capitaine Buscapié, quelque soit l’endroit où il vive. Dis-lui de ma part qu’il est aussi méprisable qu’un serpent… Si tu peux, plonge-lui ton poignard dans le cœur ! »

Terrifié par ces paroles prononcées lentement, avec rage, le banquier sentit sa figure blêmir et ses cheveux se dresser sur sa tête.

Il jeta un regard autour de son fauteuil pour s’assurer une seconde fois que la porte et les châssis étaient bien fermés.

Matson continua, toujours sur le même ton. Ses phrases devenaient saccadées :

— Durant un an je t’ai cherché par tout le monde… Venu à New-York comme matelot, j’avais pour ainsi dire renoncé à mes recherches, te croyant mort, quand j’ai entendu parler du crime mystérieux commis sur la rue Notre-Dame… J’ai tout deviné : cet homme trouvé mort sous les fenêtres du « London Club » c’est Garafalo, ce matelot espagnol qui s’est sauvé avec toi, lors de la capture du Solitaire… Tu l’as assassiné parce que tu craignais de ne pouvoir acheter son silence… C’est bien cela, n’est-ce pas ?…

L’ex-caissier du Solitaire se tut. Il lança un œil de mépris à son ancien capitaine qui n’osait le regarder en face et qui était dans des transes indescriptibles.

Ces deux individus, l’un à la figure sinistre, vêtu de haillons ; l’autre à la figure bouleversée, vêtu avec élégance, s’entretenant à voix basse, seuls dans une chambre, à la lueur vacillante des bougies, à cette heure du soir, avaient quelque chose d’impressionnant, de saisissant.

Le boudoir du prétendu de Courval, l’élégant Montréalais, n’était pas fait pour ces scènes dramatiques, qu’on voit plutôt sur les théâtres que dans la vie réelle.

Le banquier leva la tête et s’adressant à Matson :

— Dans quel dessein viens-tu ici ce soir demanda-t-il.

— J’ai besoin d’argent. Je n’ai pas mangé depuis le matin… Je n’ai rien à me mettre sous la dent et j’ai faim… Pour ce soir donne-moi dix piastres mais demain il m’en faut vingt-cinq mille, cinquante mille, je veux devenir grand seigneur, vivre comme toi, mettre fin à cette existence de struggle for life.

— Vingt-cinq mille piastres ! Tu me demandes vingt-cinq mille piastres ?

— Cinquante mille et je les aurai.

— Tu penses ? Oublies-tu donc ton passé, Matson ? Oublies-tu que je n’ai qu’à dire un mot et tu retournes à Sing-Sing y terminer tes jours ?

Matson s’envoya en arrière sur sa chaise et se mit à rire.

— Sing-Sing, dit-il. Ce pénitencier n’existe plus pour moi. James Polk, à l’occasion de son avènement à la présidence des États-Unis et de sa visite à Sing-Sing a accordé la liberté à quatre condamnés à mort et mon nom est parmi ceux-là… Moi par exemple je n’ai qu’à dire un mot et tu montes sur l’échafaud… N’essaie pas de mal agir avec un homme de qui tu dépends… J’ai la mission de venger mes camarades et je puis le faire d’une manière terrible… Allons, de l’argent que je m’en aille… Je te reverrai plus longtemps demain…

— Je n’en ai pas sur moi, répondit le banquier d’une voix atterrée.

— Point de comédie ! il me faut immédiatement dix piastres !

— Alors je vais t’en chercher.

— Non reste ici.

— Je te le répète : j’ai à peine deux piastres sur moi. Tu vois bien que je suis en robe de chambre.

— Qu’on t’en emporte.

Le banquier allongea le bras, fit résonner un timbre et se leva pour tirer le verrou de la porte.

Le domestique recula en apercevant les traits bouleversés de son maître.

— Jérôme, prends cette clef, lui dit le banquier monte à mon bureau, ouvre le tiroir du secrétaire, le troisième à gauche, et tu me descendras la bourse qu’il y a dans le coin.

Le domestique prit la clef et partit.

Il revint aussitôt en tenant une bourse richement travaillée qu’il tendit au banquier. Celui-ci le congédia en lui disant de tirer la porte.

Les deux anciens écumeurs de mer se trouvèrent de nouveau seul à seul.

Le traître de 1837 ouvrit la bourse et donna vingt écus à son visiteur inattendu.

Celui-ci se leva pour partir.

— À demain, dit-il, puis en descendant les degrés du perron il grogna assez fort pour être entendu :

— Au revoir, vil traître : je te tiens maintenant. Cela n’est que le prélude de ton supplice.

La porte poussée par une main en colère se referma avec fracas sur ces paroles.

Le banquier resta calme sur le palier de l’escalier, sans avoir le courage de monter au deuxième étage.

Son domestique, Jérôme, avait entendu refermer la porte depuis une dizaine de minutes quand son maître se décida à monter.

Celui-ci se regarda en passant devant la glace et vit avec horreur ses traits encore bouleversés refléter une inquiétude indicible.

Il évita d’être vu par Jérôme et lui dit qu’il pouvait se retirer.

Entré dans son bureau privé il se laissa choir dans un fauteuil et balbutia en serrant les poings :

— Malédiction ! cent fois malédiction !… Ah cet Américain, que n’est-il mort au fond des mines de l’Orénoque ou du moins que n’y est-il resté avec les autres, lui qui tient entre ses mains, mon bonheur, ma vie.

Le membre du « London Club » se laissa aller la tête sur un des bras du fauteuil, comme s’il se fut évanoui. Il perdit son binocle, qui roula à terre, et n’eût pas même le force de le ramasser. Il continua presqu’à haute voix ses réflexions qui lui faisaient dresser les cheveux sur la tête :

— Cet homme… ce tramp n’a qu’à dire un mot et tout est fini… Il est dans la misère et la misère est mauvaise conseillère… Ah ! si l’on apprenait qui je suis… que ma tête a été mise à prix… Et pourtant on l’apprendra. Matson peut garder ce secret pendant un certain temps, mais toujours, c’est impossible.

Le traître d’autrefois cessa de balbutier durant quelques instants. Sa pâleur était celle d’un spectre qui sort du tombeau. Ses mains crispées, sa tête échevelée le faisaient ressembler à un maniaque.

— Je me croyais plus courageux que cela continua-t-il… Où est donc cette énergie qui fit de Charles Gagnon, l’obscure marchand d’autrefois, un capitaine redoutable ?… J’ai vu la mort bien des fois sur le Solitaire mais je n’ai jamais craint comme maintenant… Et dire que cela arrive au moment où je revois Jeanne Duval, plus belle, plus libre que jamais.

L’ancien marchand de Saint-Denis quitta son fauteuil, prit un trousseau de clefs et ouvrit un coffre-fort minusculaire, scellé dans la muraille, d’où il tira une liasse de journaux jaunis par le temps.

C’étaient ceux qui racontaient comment vingt-cinq mois auparavant, le fameux corsaire le Solitaire avait été surpris par un cotre vénézuélien, durant une nuit sombre d’octobre, à l’embouchure de l’Orénoque où il guettait un galion en partance pour l’Europe, et comment le capitaine du corsaire, par un acte d’audace qui tenait du prodige, s’était lancé à la mer avec un de ses matelots, avait gagné la côte d’où il s’était embarqué pour une destination inconnue, après avoir déterré le trésor commun de l’équipage, consistant en diamants, et en dorures, évalué à £30,000 et enfoui dans une grotte.

« On a offert, ajoutait le journal, de remettre en liberté les pirates du Solitaire moyennant £500 de rançon chacun, mais Buscapié, leur capitaine, n’a donné aucun signe de vie. »

Charles Gagnon, le Hubert de Courval d’aujourd’hui, relut les journaux plusieurs fois et les remit dans le coffre-fort dont il referma soigneusement la porte à clef.

— Si je savais, pensa-t-il, qu’en donnant vingt-cinq mille piastres, cinquante mille même à Matson, je le réduirais au silence pour toujours, je lui donnerais, quoique le fait de donner une telle somme à une personne inconnue, à un voyou, paraîtrait peut-être curieux… Mais il ne me laissera pas tranquille et m’en demandera toujours… Non ! non ! je ne lui donnerai pas d’argent, et si j’ai encore l’énergie du capitaine Buscapié, avant longtemps Matson sera un homme mort !…

Une heure du matin sonna dans la chambre voisine. Le coup retentit solennel et vint frapper les oreilles de l’ancien pirate qu’il tira de sa rêverie.

Il eut un cauchemar effrayant. Matson dévoilait le secret et lui, on venait l’arrêter dans sa magnifique résidence.

Ce fut à cet endroit du cauchemar, qu’étouffé par les émotions, il s’éveilla en poussant un cri diabolique qui retentit par toute la maison et, se levant debout, il sauta sur son revolver.

Avant qu’il eût pu se rendre compte de sa situation, Jérôme, éveillé par ce cri, enfonçait la porte, et trouvant son maître un revolver à la main, lui demanda tout tremblant :

— Qu’y a-t-il donc, monsieur ?

— Rien, tranquillise-toi, Jérôme, je me suis endormi sur le canapé et j’ai eu un affreux cauchemar. On m’assassinait.

— Vous m’avez fait bien peur… Mais tenez, voilà Latleur qui monte. Il vous a entendu lui aussi ; jugez quels poumons vous avez.

En effet, l’autre domestique du banquier entrait dans le bureau.

— Qu’avez-vous donc ? Monsieur de Courval, qu’avez-vous ? demanda-t-il.

Son maître le rassura en contant l’affaire en deux mots.

Le banquier ne ferma point l’œil de la nuit. Mais au jour il avait pris une résolution : celle de faire disparaître son ancien complice. Autant valait tenter cela que d’être à sa merci : l’un n’était pas plus dangereux que l’autre.