Les mystères de Montréal/XLVII

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Les mystères de Montréal (Feuilleton dans Le Vrai Canard entre 1879 et 1881)
Imprimerie A. P. Pigeon (p. 138-140).

XVI

CONCLUSION.


En prononçant ces dernières paroles Caraquette s’avança la tête sur la table et fixa sur Bénoni deux yeux chargés de haine et de satisfaction.

Bénoni se tordait comme un supplicié sur la roue. Toute résistance était impossible, il voyait toujours le revolver chargé dans la main de son ennemi.

Il essaya de désarmer Caraquette en faisant appel à ses sentiments d’humanité.

— Vous n’êtes pas chrétien, dit Bénoni, en tombant à genoux, les mains jointes, devant l’implacable Caraquette, votre cœur est donc aussi dur qu’un cailloux ? Vous êtes sans entrailles, vous n’avez donc jamais aimé ? Quoi ! vous serez assez cruel, assez barbare pour m’arracher aux embrassements de l’idole de mes rêves ? Oh ! par pitié, monsieur Caraquette, laissez-moi au moins deux ou trois heures d’un bonheur pur, ensuite faites de moi ce que vous voudrez. Ursule, ma bien-aimée, est là sans connaissance, vous allez la faire mourir par le coup qui me frappera. Oh ! par pitié pour mon amour, laissez-moi ici jusqu’à demain matin.

— L’amour ! l’amour ! fit Caraquette, en se caressant le menton de la main gauche, tu crois donc à l’amour, scélérat ! Allons donc, tu as trop de philosophie pour cela. Allons, allons, trêve de doléances, fiche-moi la paix avec ton pathos. Ho ! debout, monsieur le meurtrier. Ma vengeance a soif de ton sang. Il y a assez longtemps que j’attends.

Bénoni en entendant ces dernières paroles bondit comme un tigre et s’élança les poings fermés sur l’homme au chapeau de castor gris.

Caraquette s’attendait à cette attaque et d’un coup de la crosse de son revolver appliqué sur la tempe de Bénoni, il l’étendit sur le plancher.

Le bonhomme et son épouse éveillés par le fracas sortirent de leur lit en queue de chemise.

— Qu’est-ce que ça veut dire, tout ce train-là dans ma maison ? demanda le vieux charretier à Caraquette qui se tenait debout et immobile dans la salle le revolver braqué sur Bénoni.

— Cela veut dire ceci, dit l’homme au chapeau de castor gris en tirant de la poche de son ulster une trompette à vache qu’il emboucha et fit retentir fortement pendant cinq ou six secondes.

La porte de la cuisine s’ouvrit et un piquet d’hommes de police entra dans la salle avec le détective Lafon, le coroner Jones et son secrétaire qui portait tout l’agrès d’une enquête.

— Emparez-vous de cet homme. C’est un assassin. Le corps de sa victime est là-bas dans la cour, enseveli sous le tas de fumier. Arrêtez ce charretier et sa femme comme complices du crime.

Quelques minutes après le cadavre de Cléophas, découvert par les policiers, fut transporté dans la salle à dîner et déposé sur le plancher.

L’enquête du coroner commença immédiatement.

Le verdict du jury accusa ce dernier du meurtre et le père Sansfaçon fut dénoncé comme complice.

Les deux prévenus furent arrêtés par la police et conduits au poste central.

Le cadavre de Cléophas fut livré aux étudiants en médecine du collège Victoria.

Le petit Pite quelques jours plus tard tombait entre les mains de la police sous la prévention d’avoir volé 25 cents que l’avocat Jules Piton lui avait confiés pour acheter une bouteille de whiskey. Traduit devant le juge Dugas il fut condamné à trois années d’école de réforme.

La pauvre Ursule, dont le bonheur avait été brisé par le crime de son mari, s’est engagée comme cuisinière au restaurant de la mère Gigogne.

Caraquette reçut une lettre de l’agent de la famille de St-Simon de la Baie des Chaleurs lui mandant que M. Malpèque était le véritable héritier collatéral des Bouctouche.

M. Malpèque vivait à Montréal sous le nom de Alphonse Briquet et courtisait la veuve Bouctouche. Celle-ci accueillit favorablement ses hommages et lui accorda sa main. Le mariage eut lieu à l’église Saint-Jacques au milieu d’un grand concours des aristocrates du quartier.

Caraquette rendit le trésor à son véritable propriétaire et alla se fixer sur une des belles terres de la Rouge, à cent milles plus haut que St-Jérôme.

Bénoni subit son procès à la Cour du Banc de la Reine et fut condamné à mourir sur la potence. Il se prépara à la mort comme un bon chrétien et monta les degrés de la potence comme un blood.



Le Marquis de Malpèque et sa femme achetèrent une magnifique propriété sur la rue St-Denis, et élevèrent une nombreuse famille. Mardi dernier il allait voter comme un « brick » pour l’honorable Jean Louis Beaudry.

Comme vous voyez, tout est bien qui finit bien.


FIN.