Les pères du système taoïste/Lie-tzeu/3. États psychiques

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Imprimerie de Hien Hien (p. 105-115).

Chap. 3. États psychiques[1]

A. Au temps de l’empereur Mou des Tcheou[2], il vint, à la cour de cet empereur, un magicien d’un pays situé à l’Extrême-Occident. Cet homme entrait impunément dans l’eau et dans le feu, traversait le métal et la pierre, faisait remonter les torrents vers leur source, changeait de place les remparts des villes, se soutenait dans les airs sans tomber, pénétrait les solides sans éprouver de résistance, prenait à volonté toutes les figures, gardait son intelligence d’homme sous la forme d’un objet inanimé, etc. L’empereur Mou le vénéra comme un génie, le servit comme son maître, lui donna le meilleur de son avoir en fait de logement, d’aliments et de femmes. Cependant le magicien trouva le palais impérial inhabitable, la cuisine impériale immangeable, les femmes du harem indignes de son affection. Alors l’empereur lui fit bâtir un palais spécial. Matériaux et main-d’œuvre, tout fut exquis. Les frais épuisèrent le trésor impérial. L’édifice achevé s’éleva à la hauteur de huit mille pieds. Quand l’empereur en fit la dédicace, il l’appela tour touchant au ciel. Il le peupla de jeunes gens choisis, appelés des principautés de Tcheng et de Wei. Il y installa des bains et un harem. Il y accumula les objets précieux, les fins tissus, les fards, les parfums, les bibelots. Il y fit exécuter les plus célèbres symphonies. Chaque mois il offrit une provision de vêtements superbes, chaque jour une profusion de mets exquis… Rien n’y fit. Le magicien ne trouva rien à son goût, habita son nouveau logis sans s’y plaire, et fit de fréquentes absences. — Un jour que, durant un festin, l’empereur s’étonnait de sa conduite ; Venez avec moi, lui dit-il… L’empereur saisit la manche du magicien, qui l’enleva aussitôt dans l’espace, jusqu’au palais des hommes transcendants, situé au milieu du ciel. Ce palais était fait d’or et d’argent, orné de perles et de jade, sis plus haut que la région des nimbus pluvieux, sans fondements apparents, flottant dans l’espace comme un nuage. Dans ce monde supraterrestre, vues, harmonies, parfums, saveurs, rien n’était comme dans le monde des hommes. L’empereur comprit qu’il était dans la cité du Souverain céleste. Vu de là-haut, son palais terrestre lui apparut comme un tout petit tas de mottes et de brindilles. Il serait resté là durant des années, sans même se souvenir de son empire ; mais le magicien l’invita à le suivre plus haut... Cette fois il l’enleva, par delà le soleil et la lune, hors de vue de la terre et des mers, dans une lumière aveuglante, dans une harmonie assourdissante. Saisi de terreur et de vertige, l’empereur demanda à redescendre. La descente s’effectua avec la rapidité d’un aérolithe qui tombe dans le vide. — Quand il revint à lui, l’empereur se retrouva assis sur son siège, entouré de ses courtisans, sa coupe à demi pleine, son ragoût à demi mangé. Que m’est-il arrivé ? demanda-t-il à son entourage. — Vous avez paru vous recueillir, durant un instant, dirent ses gens. — L’empereur estimait avoir été absent durant trois mois au moins. Qu’est-ce que cela ? demanda-t-il au magicien. — Oh ! rien de plus simple, dit celui-ci. J’ai enlevé votre esprit. Votre corps n’a pas bougé. Ou plutôt, je n’ai même pas déplacé votre esprit. Toute distinction, de lieu, de temps, est illusoire. La représentation mentale de tous les possibles, se fait sans mouvement et abstrait du temps. — C’est de cet épisode, que date le dégoût de l’empereur Mou, pour le gouvernement de son empire, pour les plaisirs de sa cour, et son goût pour les flâneries. C’est alors que, avec ses huit fameux chevaux tous de poil différent, Tsao-fou conduisant son char et Ts’i-ho lui servant d’écuyer, Chenn-pai menant le fourgon avec Penn-joung comme aide, il entreprit sa célèbre randonnée par delà les frontières occidentales. Après avoir fait mille stades, il arriva dans la tribu des Kiu-seou, qui lui firent boire du sang de cygne, et lui lavèrent les pieds avec du koumys (deux fortifiants). La nuit suivante fut passée au bord du torrent rouge. Au jour, l’empereur gravit le mont K’ounn-Lunn, visita l’ancien palais de Hoang-ti, et éleva un cairn en mémoire de son passage. ¦ Ensuite il visita Si-wang-mou[3], et fut fêté par lui (ou par elle) près du lac vert. Ils échangèrent des toasts, et l’empereur ne dissimula pas qu’il lui était pénible de devoir s’en retourner. Après avoir contemplé l’endroit où le soleil se couche au terme de sa course diurne de dix mille stades, il reprit le chemin de l’empire. Somme toute, il revint désillusionné, n’ayant rien trouvé qui ressemblât à sa vision. Hélas ! dit-il en soupirant, la postérité dira de moi, que j’ai sacrifié le devoir au plaisir. — Et de fait, n’ayant cherché que le bonheur présent, il ne fut pas bon empereur, et ne devint pas parfait génie, mais arriva seulement à vivre longtemps, et mourut centenaire.

B. Lao-Tch’eng-tzeu s’était mis à l’école de maître Yinn-wenn (Koanyinn-Lzeu), pour apprendre de lui le secret de la fantasmagorie universelle. Durant trois années entières, celui-ci ne lui enseigna rien. Attribuant cette froideur de son maître à ce qu’il le jugeait peu capable, Lao-Tch’eng-tzeu s’excusa et offrit de se retirer. Maître Yinn-wenn l’ayant salué (marque d’estime extraordinaire), le conduisit dans sa chambre, et là, sans témoins (science ésotérique), il lui dit : Jadis, quand Lao-tan partit pour l’Ouest[4], il résuma pour moi sa doctrine en ces mots : et l’esprit vital, et le corps matériel, sont fantasmagorie. Les termes vie et mort, désignent la genèse initiale d’un être par l’action de la vertu génératrice, et sa transformation finale par l’influence des agents naturels. La succession de ces genèses, de ces transformations, quand le nombre est plein, sous l’influence du moteur universel, voilà la fantasmagorie. Le Principe premier des êtres, est trop mystérieux, trop profond, pour pouvoir être sondé. Nous ne pouvons étudier que le devenir et le cesser corporel, qui sont visibles et manifestes. Comprendre que l’évolution cosmique consiste pratiquement dans la succession des deux états de vie et de mort, voilà la clef de l’intelligence de la fantasmagorie. Nous sommes sujets à cette vicissitude, toi et moi, et pouvons constater ses effets en nous-mêmes. — Cette instruction reçue, Lao-Tch’eng-tzeu retourna chez lui, la médita durant trois mois, et trouva le secret du mystère, si bien qu’il devint maître de la vie et de la mort, put à volonté modifier les saisons, produisit des orages en hiver et de la glace en été, changea des volatiles en quadrupèdes et réciproquement. Il n’enseigna à personne la formule, que personne n’a retrouvée depuis, D’ailleurs, dit Lie-tzeu, pour qui posséderait la science des transformations, mieux vaudrait la garder secrète, mieux vaudrait ne pas s’en servir. Les anciens Souverains ne durent pas leur célébrité à des déploiements extraordinaires de science ou de courage. On leur sut gré d’avoir agi pour le bien de l’humanité sans ostentation.

C. L’application de l’esprit a huit effets, savoir : la délibération, l’action, le succès, l’insuccès, la tristesse, la joie, la vie, la mort ; tout cela tient au corps. L’abstraction de l’esprit a six causes, savoir : la volonté, l’aversion, la pensée intense, le sommeil, le ravissement, la terreur ; tout cela tient à l’esprit[5]. Ceux qui ne savent pas l’origine naturelle des émotions, se préoccupent de sa cause, quand ils en ont éprouvé quelqu’une. Ceux qui savent que l’origine des émotions est naturelle, ne s’en préoccupent plus, puisqu’ils en savent la cause. Tout, dans le corps d’un être, plénitude et vacuité, dépense et augment, tout est en harmonie, en équilibre, avec l’état du ciel et de la terre, avec l’ensemble des êtres qui peuplent le cosmos. Une prédominance du yinn, fait qu’on rêve de passer l’eau à gué, avec sensation de fraîcheur. Une prédominance du yang, fait qu’on rêve de traverser le feu, avec sensation de brûlure. Un excès simultané de yinn et de yang, fait qu’on rêve de périls et de hasards, avec espoir et crainte. Dans l’état de satiété, on rêve qu’on donne ; dans l’état de jeûne, on rêve qu’on prend. Les esprits légers rêvent qu’ils s’élèvent dans l’air, les esprits graves rêvent qu’ils s’enfoncent dans l’eau. Se coucher ceint d’une ceinture, fait qu’on rêve de serpents ; la vue d’oiseaux qui emportent des crins, fait qu’on rêve de voler. Avant un deuil, on rêve de feu ; avant une maladie, on rêve de manger. Après avoir beaucoup bu, on fait des rêves tristes ; après avoir trop dansé, on pleure en rêve. — Lie-tzeu dit : Le rêve, c’est une rencontre faite par l’esprit ; la réalité (perception objective), c’est un contact avec le corps. Les pensées diurnes, les rêves nocturnes, sont également des impressions. Aussi ceux dont l’esprit est solide, pensent et rêvent peu, et attachent peu d’importance à leurs pensées et à leurs rêves. Ils savent que, et la pensée et le rêve, n’ont pas la réalité qui paraît, mais sont des reflets de la fantasmagorie cosmique. Les Sages anciens ne pensaient que peu quand ils veillaient, ne rêvaient pas quand ils dormaient, et ne parlaient ni de leurs pensées ni de leurs rêves, parce qu’ils croyaient aussi peu aux unes qu’aux autres. — A l’angle sud-ouest de la terre carrée, est un pays dont j’ignore les frontières. Il s’appelle Kou-mang. Les alternances du yinn et du yang ne s’y faisant pas sentir, il n’a pas de saisons ; le soleil et la lune ne l’éclairant pas, il n’a ni jours ni nuits. Ses habitants ne mangent pas, ne s’habillent pas. Ils dorment presque continuellement, ne s’éveillant qu’une fois tous les cinquante jours. ils tiennent pour réalité, ce qu’ils ont éprouvé durant leur sommeil ; et pour illusion, ce qu’ils ont éprouvé dans l’état de veille. — Au centre de la terre et des quatre mers, est le royaume central (la Chine), assis sur le Fleuve Jaune, s’étendant du pays de Ue jusqu’au mont T’ai-chan, avec une largeur est-ouest de plus de dix mille stades. Les alternances du yinn et du yang y produisent des saisons froides et chaudes, la lumière et l’obscurité alternant y produisent des jours et des nuits. Parmi ses habitants, Il y a des sages et des sots. Ses produits naturels et industriels sont nombreux et variés. Il a ses princes et ses fonctionnaires, ses rites et ses lois. On y parle et on y agit beaucoup. Les hommes y veillent et dorment tour à tour, tenant pour réel ce qu’ils ont éprouvé dans l’état de veille, et pour vain ce qu’ils ont éprouvé dans l’état de sommeil. — A l’angle nord-est de la terre carrée, est le pays de Fou-lao, dont le sol sans cesse brûlé par les rayons du soleil, ne produit pas de céréales. Le peuple se nourrit de racines et de fruits qu’ils mangent crus. Brutaux, ils prisent plus la force que la justice. Ils sont presque continuellement en mouvement, rarement au repos. Ils veillent beaucoup et dorment peu. Ils tiennent pour réel ce qu’ils ont éprouvé dans l’état de veille.

D. Un certain Yinn, officier des Tcheou, vivait luxueusement. Ses gens n’avaient aucun repos, depuis l’aube jusqu’à la nuit. Un vieux valet, cassé et infirme, n’était pas moins malmené que les autres. Or, après avoir durement peiné tout le jour, chaque nuit cet homme rêvait qu’il était prince, assis sur un trône, gouvernant un pays, jouissant de tous les plaisirs. A son réveil, il se retrouvait valet, et peinait comme tel le jour durant. Comme des amis plaignaient son sort, le vieux valet leur dit : Je ne suis pas si à plaindre. La vie des hommes se partage également en jour et nuit. Durant le jour, je suis valet et peine ; mais durant la nuit, je suis prince et m’amuse beaucoup. J’ai moitié de bon temps ; pourquoi me plaindrais-je ? — Cependant le maître de ce valet, après une journée de plaisir, rêvait chaque nuit qu’il était valet, surchargé de besogne, grondé et fustigé. Il raconta la chose à un ami. Celui-ci lui dit : Ce doit être que vous excédez, durant le jour, le lot de jouissance que le destin vous a assigné ; le destin se compense, par la souffrance de vos nuits. — L’officier crut son ami, modéra son luxe, traita mieux ses gens, et s’en trouva bien. (Du coup le vieux valet perdit aussi son plaisir nocturne, que le destin lui allouait en compensation de l’excès de ses fatigues diurnes.)

E. Un bûcheron de Tcheng qui faisait des fagots, rencontra un chevreuil égaré, qu’il tua et cacha dans un fossé sous des branchages, comptant revenir l’enlever en cachette. N’ayant pu retrouver l’endroit, il crut avoir rêvé, et raconta l’histoire. Un de ses auditeurs, suivant ses indications, trouva le chevreuil et le rapporta chez lui. Le rêve de ce bûcheron était réel, dit-il aux gens de sa maison. Réel pour toi, dirent ceux-ci, puisque c’est toi qui as eu l’objet. — Cependant, la nuit suivante, le bûcheron eut révélation, en songe, que son chevreuil avait été trouvé par un tel, qui le cachait dans sa maison. Y étant allé de grand matin, il découvrit en effet le chevreuil, et accusa un tel par devant le chef du village. — Celui-ci dit au bûcheron : Si tu as tué ce chevreuil étant en état de veille, pourquoi as-tu raconté que tu l’as tué en rêve ? Si tu as tué un chevreuil en rêve, ce ne peut pas être ce chevreuil réel. Donc, puisqu’il ne conteste pas que tu as tué la bête, je ne puis pas te l’adjuger. Par ailleurs, ton adversaire l’ayant trouvée sur les indications de ton rêve, et toi l’ayant retrouvée par suite d’un autre rêve, partagez-la entre vous deux. — Le jugement du chef de village ayant été porté à la connaissance du prince de Tcheng, celui-ci le renvoya à l’examen de son ministre. Le ministre dit : Pour décider de ce qui est rêve et de ce qui n’est pas rêve, et du droit en matière de rêve, Hoang-ti et K’oung-K’iou sont seuls qualifiés. Comme il n’y a actuellement ni Hoang-ti ni K’oung-K’iou pour trancher ce litige, je pense qu’il faut s’en tenir à la sentence arbitrale du chef de village.

F. A Yang-li dans la principauté Song, un certain Hoa-tzeu d’âge moyen, fit une maladie qui lui enleva complètement la mémoire. Il ne savait plus le soir qu’il avait fait telle acquisition le matin ; il ignorait le lendemain qu’il avait fait telle dépense le jour précédent. Dehors il oubliait de marcher, à la maison il ne pensait pas à s’asseoir. Tout souvenir du passé s’effaçait pour lui au fur et à mesure. — Un lettré de la principauté de Lou, s’offrit à traiter ce cas d’amnésie. La famille de Hoa-tzeu lui promit la moitié de sa fortune, s’il réussissait. Le lettré dit : Contre cette maladie, les incantations, les prières, les drogues et l’acuponcture, sont sans effet. Si j’arrive à restyler son esprit, il guérira ; sinon, non. — Ayant ensuite constaté expérimentalement, que le malade demandait encore des habits quand il était nu, des aliments quand il avait faim, et de la lumière en cas d’obscurité, il dit à la famille : Il y a espoir de guérison. Mais, mon procédé est secret ; je ne le communique à personne. ... Sur ce, il s’enferma seul avec le malade, lequel, au bout de sept jours, se trouva guéri de cette amnésie vieille de plusieurs années. — Mais, ô surprise ! dès que la mémoire lui fut revenue, Hoa-tzeu entra dans une grande colère, fit de sanglants reproches à sa famille, prit une lance et mit le lettré en fuite. On se saisit de lui, et on lui demanda la raison de cette fureur. Ah ! dit-il, j’étais si heureux, alors que je ne savais même pas s’il y a un ciel et une terre ! Maintenant il me faudra de nouveau enregistrer dans ma mémoire, les succès et les insuccès, les joies et les peines, le mal et le bien passés, et m’en préoccuper pour l’avenir. Qui me rendra, ne fût-ce que pour un moment, le bonheur de l’inconscience ? — Tzeu-koung ayant appris cette histoire, en fut très étonné, et en demanda l’explication à Confucius.

— Tu n’es pas capable de comprendre cela (esprit trop pratique), dit Confucius ; Yen-Hoei (le contemplatif abstrait) comprendra mieux.

G. Un certain P’ang de la principauté Ts’inn, avait un fils. Tout petit, cet enfant parut intelligent. Mais, quand il grandit, sa mentalité devint fort étrange. Le chant le faisait pleurer, le blanc lui paraissait noir, les parfums lui paraissaient puants, le sucre amer, le mal bien. En un mot, pensées et choses, en tout et pour tout, il était le contraire des autres hommes. — Un certain Yang dit à son père : ce cas est bien extraordinaire, mais les lettrés de Lou sont très savants ; demandez-leur conseil. — Le père du déséquilibré, alla donc à Lou. Comme il passait par Tch’enn, il rencontra Lao-tan, et lui raconta le cas de son fils. Lao-tan lui répondit : c’est pour cela que tu tiens ton fils pour fou ? Mais les hommes de ce temps en sont tous là. Tous prennent le mal pour le bien, tenant leur profit pour règle des mœurs. La maladie de ton fils, est la maladie commune ; il n’est personne qui n’en souffre pas. Un fou par famille, une famille de fous par village, un village de fous par principauté, une principauté de fous dans l’empire, ce serait tolérable, à la rigueur. Mais maintenant, l’empire entier est fou, de la même folie que ton fils ; ou plutôt, toi qui penses autrement que tout le monde, c’est toi qui es fou. Qui définira jamais la règle des sentiments, des sons, des couleurs, des odeurs, des saveurs, du bien et du mal ? Je ne sais pas au juste si moi je suis sage mais je sais certainement que les lettrés de Lou (qui prétendent définir ces choses), sont les pires semeurs de folie. Et c’est à eux que tu vas demander de te guérir ton fils ?! Crois-moi, épargne les frais d’un voyage inutile, et retourne chez toi par le plus court chemin.

H. Un enfant né dans la principauté de Yen (tout au nord), avait été transporté et élevé dans le royaume de Tch’ou (tout au sud de l’empire), où il passa toute sa vie. Vieillard, il retourna dans son pays natal. A mi-chemin, comme il approchait du chef-lieu de Tsinn, ses compagnons de voyage lui dirent, pour se moquer de lui : Voici le chef-lieu de Yen ta patrie… Notre homme les crut, pâlit et devint triste. — Puis, lui montrant un tertre du génie du sol, ils lui dirent : Voici le tertre de ton village natal… L’homme soupira douloureusement. — Puis ils lui montrèrent une maison et dirent : Voici la demeure de tes ancêtres… L’homme éclata en pleurs. — Enfin, lui montrant des tombes quelconque, ils lui dirent : Et voilà leurs tombeaux… À ces mots notre homme éclata en lamentations. — Alors ses compagnons se moquant de lui, lui découvrirent leur supercherie. Nous t’avons trompé lui dirent-ils. C’est ici Tsinn ; ce n’est pas Yen. — Notre homme fut très confus, et brida désormais ses sentiments. Si bien que, quand il fut arrivé à Yen, et vit vraiment son chef-lieu, le tertre de son village, la demeure de ses ancêtres et leurs sépultures, il n’éprouva que peu ou pas d’émotion[6].


  1. Réalité, mémoire, imagination, rêve, extase, folie, etc.
  2. TH page 121.
  3. Probablement un roi, dont la légende a fait une femme. Vers le Pamir, peut-être.
  4. S’il est authentique, ce texte est le plus ancien qui parle de ce départ.
  5. Comparer le Rituel des Tcheou, livre 24.
  6. Pour les taoïstes, le sentiment est une erreur, l’émotion est une faute.