Les régiments d'infanterie de Compiègne/254e RI – Journal de Guerre

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Lieutenant-colonel Weill et Lieutenant Delacourt
Les régiments d'infanterie de Compiègne
Amicale des anciens combattants des 54e R.I., 254e R.I., 13e Tal (Compiègne) (p. 125-159).

JOURNAL DE GUERRE
DU
254e Régiment d’Infanterie


I. — LA MOBILISATION

Dès le 2 août 1914, le 254e Régiment d’Infanterie, régiment de réserve du-54e, se forme à Compiègne, caserne Royallieu.

Le régiment actif lui a fourni une partie de ses cadres : chef de corps, commandants de bataillons et de compagnies, et quelques sous-officiers par compagnie. Le 254e se constitue rapidement. Le 11 août, dixième jour de la mobilisation, il est prêt : son état-major et ses deux bataillons sont à l’effectif total de 39 officiers et 2250 hommes. Il est encadré de la façon suivante :

État-Major. — Lieutenant-Colonel Piguet, commandant le régiment ; Capitaines Poirée et Pain, adjoints au chef de corps ; Lieutenants : Bernier, officier de détails ; Pardoux, officier d’approvisionnement ; Cacaret, Porte-drapeau ; Sous-lieutenants Knecht, service téléphonique, et Michaud, 1re section de mitrailleuses, Adjudant Roze, 2e section de mitrailleuses ; Médecin-aide-major Guiot.
5e Bataillon — Commandant Vibert, Sous-lieutenant de Polignac, Adjoint, Médecin-aide-major Vidal.
17e Compagnie. — Capitaine Privat, Lieutenant Gallibert, Sous-lieutenant Eyraud.
18e Compagnie. — Capitaine Lizée, Lieutenants Bohner et Adelaine.
19e Compagnie. — Capitaine Bricogne, Lieutenant Lisbonne, Sous-lieutenant Miquel.
20e Compagnie. — Capitaine Gravier, Lieutenants Havard et Lebaigue.
6e Bataillon. — Commandant Perrot, Sous-lieutenant de Canlers, adjoint, Médecin-aide-major Coninck.
21e Compagnie. — Capitaine Pécoul, Lieutenants Waldmann et Moittié.
22e Compagnie. — Capitaine Demilly, Lieutenants Lefort et Kahn.
23e Compagnie. — Capitaine Graille, Sous-lieutenants Dupont et Lefebvre.
24e Compagnie. — Capitaine Fourment, Lieutenant Desforges, Sous-lieutenant Wercken.

Le 254e fait partie avec les 251e et 267e R. I. et le 48e bataillon de chasseurs à pied, de la 138e Brigade. Celle-ci constitue avec la 137e Brigade (287e, 306e et 332e R. I.), la 69e division de réserve.

II. — LA CONCENTRATION

Aussitôt la mobilisation terminée, la 69e D. R.[1] est transportée par voie ferrée dans la région de Marle-Vervins. Le 254e qui s’est embarqué le 12 dans la soirée, débarque le matin du 13 à Saint-Gobert, entre ces deux localités, et cantonne à partir de cette date à Lemé, la Vallée aux Bleds et les Bouleaux, à l’ouest de Vervins.

Il travaille jusqu’au 17 août à la mise en état de défense du secteur Autreppe-Saint-Algis, sur l’Oise.

III. — LA GUERRE DE MOUVEMENT

AVANCE VERS LA BELGIQUE[2]

À partir du 15 août, le 4e groupe de D. R. fait partie de la 5e armée (général Lanrezac).

La 5e armée, aile gauche de l’armée française, a en face d’elle l’armée allemande du Nord qui fait son mouvement à travers la Belgique. À partir du 16 elle se porte vers la Sambre, de Namur aux environs de Maubeuge, sur une ligne dont le centre est Charleroi. Les 21, 22 et 23 août, la 5e armée supporte dans des conditions héroïques l’attaque allemande (Bataille de Charleroi) ; par suite de la situation d’ensemble, elle reçoit le 24 l’ordre de manœuvrer en retraite (en liaison à gauche avec l’armée anglaise et à droite avec la 4e armée) dans la direction de Laon.

Le 19 août, la 69e D. R. se porte vers l’Est ; le 254e cantonne à Landouzy-la-Ville, à quelques kilomètres à l’est de Vervins. Du 21 au 24 août, le 4e groupe de D. R.[3], à la gauche de la 5e armée, fait mouvement vers le Nord et va combattre sur la Sambre pendant la bataille de Charleroi.

Le 254e cantonne le 21 août à Rue des Cendreux, Rue de Paris et Cour de Bray, près de la Capelle, le 22 à Sars-Poterie, au nord-est d’Avesnes. Le 23, il forme l’avant-garde de la 138e brigade dans sa marche vers la Sambre et entre en Belgique à Bersillies-L’Abbaye.

Il reçoit l’ordre de se porter à la lisière nord du Bois de Beumont et de le mettre en état de défense. Le régiment arrive sur ses emplacements à 10 heures. Le 6e bataillon occupe la ferme Hurtebise et les lisières adjacentes du bois de Beumont à l’ouest de la ferme.

Le 5e bataillon occupe à sa gauche le reste de la lisière du bois de Beumont, détachant une compagnie à Thure, en liaison avec la 53e D. R.

La liaison est établie à droite avec le 48e B. C. P., qui occupe les lisières de bois à l’est du chemin de Bersillies-l’Abbaye à Hantes-Wihéries.

Le P.-C. du régiment est à la ferme Hurtebise.

Les travaux de mise en état de défense se poursuivent toute la journée. Le soir, le 5e bataillon reste aux avant-postes pendant que l’E.-M. et le 6e bataillon cantonnent à Bersillies-l’Abbaye. Pendant la nuit la ferme Hurtebise reçoit quelques obus.

Le 24 août, les emplacements du 23 sont repris dès le jour. Les éléments de surveillance poussés sur la Sambre ayant été contraints de se replier et des fractions ennemies étant signalées à Solre-sur-Sambre, le 254e reçoit à 9 heures l’ordre d’attaquer Solre-sur-Sambre et La Buissière tandis que le 251e doit se porter directement sur Hantes-Wihéries.

Après avoir pénétré sans difficulté dans Solre-sur-Sambre et atteint La Buissière, le régiment, pris à partie par l’artillerie ennemie en batterie sur la rive droite de la Sambre, se retranche sur la croupe entre Solre-sur-Sambre et Hantes-Wihéries, le 6e bataillon, la gauche appuyée à la voie ferrée, le 5e bataillon à sa droite face à la lisière ouest de Hantes-Wihéries, occupé par l’ennemi, avec lequel le feu est engagé. À la chute du jour le 254e reçoit l’ordre de rompre le combat et de cantonner à Quiévelon (5 kilomètres à l’ouest de Cousoire).

Le baptême du feu a coûté au régiment : 12 tués, 66 blessés, et 40 disparus dont un officier, le lieutenant Waldmann.

LA RETRAITE[4]

Du 24 août au 6 septembre, la 69e D. R. se replie par l’ouest d’Avesnes et Le Nouvion sur la région de Moy. Le 25 août, une marche pénible amène le 254e à une heure avancée au château de Coutant. Il en repart le 26 à 8 heures pour se porter sur Cartignies où la 138e brigade reçoit la mission de couvrir le flanc droit de l’armée anglaise. Les éléments avancés du 254e occupent le Grand Fayt et le Petit Fayt, sur la Petite Helpe ; un engagement d’avant-postes, au cours duquel le lieutenant Lefort est tué, se produit vers 18 heures. À 19 heures, la brigade reprend la direction du Sud ; la marche est difficile en raison de l’encombrement des routes. Un court repos est pris au milieu de la nuit près du Nouvion. Au jour le régiment repart et se rallie dans l’après-midi sur la rive gauche de l’Oise, près de Guise.

Le 27 août, la 5e armée étant au sud de l’Oise et du Thon, au nord des plateaux de Vervins, sa gauche couverte par le 4e G. D. R., tandis que les Anglais se trouvaient à une étape en arrière, entre Noyon et la Fère, ayant abandonné la région de Saint-Quentin et découvrant ainsi le flanc de la 5e armée.
Le général Joffre décide le 27 août au matin, que la 5e armée prendra ses dispositions pour attaquer les forces allemandes, marchant sur l’armée anglaise, entre l’Oise et Saint-Quentin.
De cet ordre résulte la 1re bataille de Guise (29 août).
La bataille présente deux secteurs bien distincts, celui de gauche, qui intéresse Saint-Quentin, celui de droite, qui est plus spécialement la bataille de Guise.
La 69e D. R. est engagée dans le secteur de gauche.
Le 18e C. A. réussit d’abord et atteint à midi la ligne Homblières-Itancourt, en liaison à gauche avec le 4e G. D. R. qui a gagné Urvillers.
Saint-Quentin va être pris et l’anxiété est extrême chez le commandement allemand qui lance sur Itancourt et Urvillers tous les renforts qui arrivent (2 corps d’armée). Ces points sont pris et repris plusieurs fois.
En fin de journée le 4e G. D. R. et le 18e C. A. avaient dû abandonner le terrain conquis et repasser à l’est de l’Oise, tout en maintenant les points de passage jusqu’à La Fère.
La bataille de droite, pour Guise, avait au contraire été un véritable succès.
Néanmoins, la situation générale fait prescrire par le général en chef la continuation de la retraite. La 5e armée, couverte à l’ouest par les D. R. Valabrègue, reprend la direction du Sud.

Le 28 août, la 138e brigade cantonne en entier à Renansart. Deux compagnies du 6e bataillon du 254e, avec le chef de bataillon, sont détachées à la garde des ponts de Vendeuil.

Pour la bataille du 29 août, la 138e brigade a comme mission de franchir l’Oise à Moy et de se porter dans la direction de Saint-Quentin, soutenue à droite par le 18e corps d’armée, à gauche par les forces anglaises dans la région de Vendeuil.

Le 254e, au gros de la colonne, quitte Renansart vers 3 h. 30. Les deux compagnies restantes du 6e bataillon rejoignent les autres à Vendeuil, pendant que la brigade traverse Moy et se dirige sur le carrefour de la Guinguette.

La brigade prend ses dispositions pour attaquer le front Urvillers-Nouveau-Monde-Itancourt, couverte à gauche par le 5e bataillon du 254e qui se porte sur Cérizy et Benay. Le 6e bataillon est toujours maintenu aux ponts de Vendeuil. Vers 14 heures le bataillon Vibert (5e) a atteint Benay et les bois de la cote 121 après avoir repoussé les avant-postes ennemis qui occupaient ces points. Le 251e et le 267e ont également atteint leurs objectifs. Le 6e bataillon reçoit l’ordre de se porter à la gauche du 5e, entre Hinacourt et Benay.

À ce moment, une forte contre-attaque allemande, appuyée par une nombreuse artillerie, se produit surtout le front de la brigade, qui est obligée d’abandonner Urvillers et rétrograde vers la Folie en défendant le terrain pied à pied.

Le 5e bataillon est aux prises avec des forces d’infanterie qui débouchent d’Essigny-le-Grand et semblent dessiner un mouvement tournant par Hinacourt.

Vers 15 heures, deux compagnies du 48e B. C. P. sont envoyées en soutien de ce bataillon.

Le 6e bataillon débouche vers la ferme Capponne et se déploie face à l’intervalle entre Benay et Hinacourt, face à des fractions ennemies qui menacent la gauche du bataillon Vibert.

Grâce au concours qui lui est apporté par le bataillon Perrot, le 5e bataillon peut se décrocher de Benay et prolonger la résistance entre Benay et Cérisy.

À partir de 16 heures le mouvement de retraite de la 138e brigade s’accentue. Le 254e le couvre en se maintenant à Cérizy et au sud de ce village.

Dans la soirée, le régiment reçoit l’ordre de se rendre à Renansart où il doit stationner. Il retraite, partie par les ponts de Vendeuil, partie par ceux de Moy ; vers 21 heures, il est complètement rallié à Renansart.

Au cours de cette dure journée le 254e a perdu : 2 officiers blessés, 4 soldats tués, 44 soldats et 7 sous-officiers blessés, 193 disparus, dont 3 officiers.

La retraite des différentes armées, s’effectue conformément aux directives générales, retraite hâtive devant un ennemi qui pressait de partout et qu’il fallait constamment contenir par des coups de boutoir, retraite où il fallait combattre de jour, marcher quelquefois des nuits entières, souvent sans avoir de quoi manger, au milieu de l’affolement des populations qui fuyaient l’invasion et encombraient les routes. Brisés de fatigue, harassés par les alertes, s’endormant au bord des chemins au moindre arrêt, les hommes avaient heureusement gardé toute la conscience de leurs devoirs et une confiance imperturbable en leurs chefs.
La retraite fut particulièrement délicate et difficile pour la 5e armée qui, étant à l’aile marchante et menacée constamment d’être débordée, devait spécialement éviter de se laisser couper ou accrocher.

Pour le 254e, la retraite se fait par Nouvion-Catillon, Pont-à-Bucy, Versigny (cantonnement du 30 août), Saint-Nicolas-aux-Bois, Anizy-le-Château (bivouac du 31 août, au château de Loc, à 1 kilomètre ouest de la ville, le 6° bataillon aux avant-postes), Pinon, Nanteuil-la-Fosse, Condé-sur-Aisne, pont de Vailly, Chassemy, Braine, Augy et Cerseuil (cantonnements du 1er septembre), Loupeigne, Fère-en-Tardenois, pont de Jaulgonne (bivouac du 2 septembre).

Le 3 septembre la Marne est franchie ; un court engagement d’arrière-garde se produit. Vers 11 h. 30, la marche est reprise vers Artonges (bivouac du 3 septembre), Montmirail et Morsains, où la brigade reste toute la journée. Le 5 septembre à 7 heures, après une marche très pénible, le régiment arrive à Villiers-Saint-Georges. Il stationne près de ce village, en réserve de la 138e brigade, qui a pour mission d’interdire à l’ennemi le passage du petit ruisseau l’Aubetin.

L’OFFENSIVE[5]
Le 4 septembre, le Haut-Commandement, estimant la situation stratégique excellente et conforme au dispositif recherché, prescrit la reprise de l’offensive le 6 septembre au matin.
La 5e armée, sous les ordres du Général Franchet d’Esperey, attaque en direction générale de Montmirail, se heurte à une forte résistance et après un combat des plus violents, finit par enlever Esternay. Le 7, les colonnes ennemies se retirant vers le nord, elle cherche à les gagner de vitesse sur Montmirail. Le commandement s’étant aperçu qu’il y a une fissure entre les deux armées allemandes devant le front de la 5e armée, et que seule la cavalerie maintient la liaison, lance comme un coin entre ces deux armées le centre et la gauche de la 5e armée. Le soir du 9 septembre, Château-Thierry est pris. Les jours suivants, le Général Franchet d’Esperey, marchant droit au nord, achève de refouler au delà de la Marne les forces qui lui sont opposées, et atteint le 12 au soir la lisière nord de la montagne de Reims, face au front Fismes-Reims.
Le 13 septembre, la 5e armée attaque sur tout son front ; sa gauche enlève Craonne ; du 14 au 16, devant la résistance des Allemands, le centre et la droite ne peuvent progresser et déboucher au delà de Berry-au-Bac. Du 17 au 20, les Allemands contre-attaquent très violemment. La 5e armée se terre et s’accroche désespérément au terrain : la guerre de position est née.

Les 6 et 7 septembre, pendant que la 5e armée livre la bataille des deux Morins (1re bataille de la Marne), la 69e D. R. est en deuxième ligne dans la région de Villers-Saint-Georges. Le 6 septembre, la 138e brigade a pour mission d’être prête à soutenir le 3e C. A. qui attaque dans la direction de Saint-Bon et Courgivaux, tandis que le 18e C. A. attaque Montceaux-les-Provins ; ces deux corps d’armée atteignent leurs objectifs le soir. Le 254e, qui a franchi en fin de journée le ruisseau de l’Aubetin et n’a eu que de très faibles pertes, bivouaque sur place.

Le 7 septembre, le mouvement offensif est repris, la 138e brigade conserve sa mission et le 254e bivouaque le soir à Baleine. À partir de cette date, la 69e D. R. suit le mouvement vers le nord des corps d’armée victorieux et reprend en sens inverse l’itinéraire de la retraite.

Le 254e cantonne le 9 à Bailly (au nord de Montmirail), le 10 à Crézancy (un peu au sud dela Marne). Le 11, il traverse la Marne sur un pont de bateaux à Mont-Saint-Père, passe à Jaulgonne, et se dirige vers le nord-est, cantonnant à Chamery et le Moncel. Le 12 septembre, il franchit la Vesle et cantonne le soir à Prouilly.

Le 13, le 4e groupe de D. R. se porte dans la région de Berry-au-Bac et s’engage à gauche du 3e corps d’armée, qui soutient un combat violent vers Loivre et Brimont, dans la plaine au nord de Reims.

Après avoir franchi le canal de l’Aisne à la Marne à la Neuville, la 138e brigade prend une formation ouverte : 48, B. C. P. en tête, le 254 suivant ce bataillon à environ 800 mètres. Vers 16 heures, le 48e B. C. P. pénètre dans Condé-sur-Suippe et le 254e a dépassé la cote 91.

À ce moment, un vif engagement se produit vers Aguilcourt : les fractions françaises qui occupent ce village sont rejetées sur Condé-sur-Suippe. Le 254e poursuit son mouvement jusqu’à la tombée de la nuit. À ce moment, le 48e B. C. P. au nord de la Suippe et le 254e au sud de la rivière sont face à Aguilcourt ; le reste de la brigade est à leur droite au contact avec l’ennemi.

Une attaque de nuit est ordonnée sur Aguilcourt, puis différée. Le 48e B. C. P. repasse la Suippe et le 254e se replie sur la Neuville, où il bivouaque.

Le 14 septembre, à 4 heures, le régiment quitte le bivouac pour se porter à l’attaque d’Aguilcourt, par la cote 91. À peine la cote 91 est-elle occupée que d’importantes forces ennemies débouchent d’Aguilcourt et prennent l’offensive. Le 254e se déploie immédiatement en entier ; le 6e bataillon à la cote 91, le 5e à sa gauche entre la cote 91 et Condé-sur-Suippe. Il subit un feu violent d’artillerie et d’infanterie qui lui cause des pertes sensibles. À partir de midi les unités sont ramenées en arrière et rassemblées le soir au bivouac à la sortie nord-est de Cormicy. Les pertes des deux journées, 13 et 14, s’élèvent à plus de 500 tués ou blessés, dont 5 officiers et 38 sous-officiers. Presque toutes les compagnies n’ont plus qu’un officier.

LA STABILISATION

À partir du 15 septembre, la situation se stabilise ; la guerre de tranchées commence. Le 254e organise défensivement la région en avant de Cormicy.

Dans la soirée du 18 septembre, la 138e brigade est portée en ligne à l’est de la Neuville ; le 254e est en deuxième ligne à la Maison Bleue : le 6e bataillon est le long du canal, sur la rive ouest, à cheval sur le chemin de la Maison Bleue à la Neuville ; le 5e bataillon, à sa gauche, le long du canal, s’étend jusque vers Sapigneul, en liaison avec la 53e D. R. On aménage les tranchées et abris créés le long du canal. L’artillerie ennemie bombarde fréquemment les rives du canal, et les arrières, causant quelques pertes aux fractions en ligne et au train de combat.

Le 23 septembre, la 138e brigade prononce une attaque sur la cote 100 ; le 254e, en deuxième ligne, franchit le canal à 6 h. 30 et s’établit, largement articulé, entre le canal et le ruisseau de la Neuville. Il reste dans cette situation jusqu’à 13 heures, sous le feu de l’artillerie ennemie.

L’attaque ayant échoué, le régiment relève dans la soirée le 267e sur ses emplacements au nord du chemin la Neuville-Aguilcourt. Un bataillon a deux compagnies et demie dans les tranchées de première ligne, une demi-compagnie à la Neuville (en liaison avec le 251e) et une compagnie en échelon à gauche, se reliant avec le 205e R. I. à l’écluse de Sapigneul. L’autre bataillon est en réserve.

Du 24 septembre au 4 octobre, le 254e occupe ce secteur, en assure la garde et l’aménage. L’artillerie ennemie, par son activité journalière, lui fait subir quelques pertes.

300 hommes environ viennent du dépôt en renfort.

4 octobre. — Le régiment est relevé dans les dernières heures de la nuit par un bataillon du 84e R. I. et va cantonner à Sapicourt.

La 69e D. R. est retirée du front et transportée par camions automobiles dans la région entre Soissons et Villers-Cotterets.

L’E.-M. et le 5e bataillon cantonnent le 5 aux fermes de Traversine et du Murger, le 6e bataillon à Laversine. Les T. C. et T. R. partis le 4 cantonnent le soir à Chamery, à Ancienville le 5 et rejoignent le régiment le 6.

IV. — LA SOMME
(Octobre 1914.)
Ses armées s’étant ressaisies à l’abri de la défensive puissante organisée sur l’Aisne, l’État-Major allemand va préparer la nouvelle manœuvre d’enveloppement contre notre aile gauche.
Mais de notre côté le commandement n’a pas tardé à éventer la manœuvre, et, à son tour, il va se hâter d’y répondre en cherchant l’enveloppement de la droite allemande.
Ainsi va commencer ce qu’on a appelé « la course à la mer ».
L’armée de Castelnau, constituée dans la région sud d’Amiens, se développe sur un front sensiblement Sud-Nord successivement au fur et à mesure de l’arrivée des éléments : Le 4e C. A. en direction de Roye, le 14e C. A. en direction de Chaulnes et Péronne, le 20e C. A. en direction d’Albert et Bapaume, pendant que le 13e C. A. est déjà devant Lassigny. Avec une violence inouïe, l’ennemi fait tête à l’armée de Castelnau, et la bataille fait rage à partir du 20 septembre avec des alternatives locales diverses.

Le repos du 254e aura été de courte durée. Alerté dans la nuit du 6 au 7 octobre, le régiment est transporté en camions automobiles par Pierrefonds, Compiègne et Montdidier à Caix (près de Rosières-en-Santerre) où il arrive vers 9 heures du matin.

À son débarquement à Caix, la 138e brigade est mise à la disposition du 14e corps d’armée. Elle est immédiatement informée qu’elle attaquera dans la journée le front Fouquescourt, Parvillers, le Quesnoy-en-Santerre. Le 2e bataillon de chasseurs lui est rattaché.

La marche d’approche préalable à l’attaque doit être entamée à midi. Le 254e se rassemble dans le ravin sud-est de Caix, vers cote 66 pour y faire la grand’halte.

À midi la marche d’approche s’exécute dans les conditions suivantes : en première ligne, 2e B. G. P. et 254e R. I., en deuxième ligne, 251e R. I. et 48e B. C. P. Le 254e doit marcher à droite et à hauteur du 2e B. C. P. Le 267e, qui n’a pas terminé son débarquement, ne prendra pas part à l’attaque.

Itinéraire : lisière ouest de Vrély où se trouve le 2e B. C. P., Moulin de Vrély, intervalle entre Beaufort et Warvillers, Roavroy-en-Santerre. Le 254e suit au début du mouvement le ravin Caix-Vrély jusqu’à Vrély La marche d’approche continue jusqu’à la tombée de la nuit.

À 18 heures, le régiment est formé en ligne de colonnes doubles, face à Parvillers, à la lisière sud-est de Rouvroy-en-Santerre, sa gauche appuyée au chemin à un trait allant de Rouvroy à Parvillers par la cote 91. Le 2e B. C. P. est à la hauteur et à sa gauche. La marche d’approche s’est effectuée sans incidents et sans intervention de l’artillerie ennemie. Une attaque de nuit par le 2e B. C. P. et le 254e est décidée.

Le 2e B. C. P. progressera au nord du chemin de terre cote 91-Parvillers, le 254e au sud de ce chemin. Deux compagnies du 5e bataillon, sous les ordres du commandant Vibert, se porteront vers le Quesnoy-en-Santerre avec mission de masquer cette localité et d’empêcher toute intervention de l’ennemi dans le flanc droit de l’attaque.

L’attaque va se faire dans de mauvaises conditions : le terrain est inconnu et la troupe est très fatiguée par le voyage et le manque de sommeil.

À 19 heures le régiment entame le mouvement. La 24e compagnie, sous les ordres du sous-lieutenant Combalade, déployée tout entière en première ligne, progresse vers Parvillers, sa gauche au chemin de terre de la cote 91. Les cinq autres compagnies suivent la 24e en ligne de sections par quatre. Ce groupe de six compagnies est dirigé par le capitaine Lizée (commandant provisoirement le 6e bataillon).

Un certain désordre se produit pendant la marche, par suite de la rencontre de la colonne d’attaque avec les deux compagnies chargées de la couvrir vers le Quesnoy.

Vers 23 heures, malgré les circonstances défavorables, sous l’énergique impulsion du capitaine Lizée, deux lignes de tranchées allemandes situées sur la face ouest de Parvillers sont enlevées avec des canons de 77 et des mitrailleuses.

Les Allemands se ressaisissent et ouvrent un feu violent d’artillerie ; l’infanterie occupant Parvillers contre-attaque et reprend les tranchées perdues. Un combat confus s’engage aux abords de Parvillers.

Les pertes du régiment sont lourdes : le capitaine Gravier et le sous-lieutenant Batique sont tués, le lieutenant-colonel Piguet est blessé, ainsi que les sous-lieutenants Combalade et Thierry. Environ 250 hommes ont été mis hors de combat.

Le 8 octobre, au petit jour le régiment se rallie au moulin de Vrély et y passe la journée. Le soir il cantonne à Warvillers qu’il met en état de défense.

Le 12 octobre il s’embarque en automobiles près de Mézières-en-Santerre.

V. — SECTEURS DE L’AISNE[6]
(Octobre 1914-Février 1916.)
COUR SOUPIR — LES GRINONS

Le 254e arrive le 13 octobre 1914, dans la matinée, à Braine. Les trains ne rejoignent que le 15 octobre.

Dans la soirée du 13, la 138e brigade relève des troupes anglaises sur la rive droite de l’Aisne, en haut et au nord des pentes qui dominent la rivière.

Le 254e occupe les tranchées à l’est et à l’ouest de la ferme de Cour Soupir ; le front du régiment est d’environ 2 km. 500.

Le 18 octobre, le lieutenant-colonel Guérin, venant du 251e, prend le commandement du 254e.

Le 19 octobre, le secteur de la brigade étant modifié, le 254e, ayant à sa gauche la 137e brigade, occupe le secteur compris entre la ferme d’Essenlis près de l’Aisne et celle de Cour Soupir. Le 5e bataillon reste en place, le 6e bataillon vient à sa gauche. Le P. C. du régiment est aux Grinons. Le 5e bataillon, dans l’ordre 19e, 18e, 17e et 20e compagnies, tient le front depuis la ferme de Cour Soupir jusqu’à 200 mètres des Grinons. De ce point, le 6e bataillon (23e, 24e, 22e, 21e compagnies) s’étend jusqu’à la vallée d’Ostel, où il est en liaison avec le 332e R. I. de la 137e brigade. La densité d’occupation de tranchées est assez faible. Chaque compagnie a trois sections en ligne, une en réserve dans des abris en arrière.

Des travaux sont faits dans chaque bataillon pour pousser les tranchées plus en avant vers l’ennemi. Chaque nuit des patrouilles sont envoyées.

Le 254e se complète avec des renforts qui lui arrivent du dépôt.

La position défavorable de nos tranchées va inciter l’ennemi à un gros effort pour nous rejeter du bord du plateau et nous faire franchir l’Aisne partout où cela lui sera possible.

Dès le 23 octobre, des mouvements importants sont signalés dans les lignes ennemies, des roulements de convois automobiles sont entendus la nuit, les patrouilles sont très actives.

La nuit du 29 au 30 octobre a été troublée par un bombardement violent sur tout le front. Vers 7 h. 30, le 332e R. I. est fortement attaqué par des colonnes allemandes sur lesquelles la 21e compagnie exécute des feux de flanc.

Entre 9 heures et 11 heures, l’artillerie ennemie agit avec une grande intensité. Entre midi et 13 heures, le 332e R. I. est contraint au repli, laissant une section à la gauche de la 21e compagnie. La 21e et la 22e compagnies reçoivent l’ordre de battre en retraite, section par section, pour former crochet défensif, appuyées à droite à la 24e compagnie, à gauche à une compagnie du 267e R. I. en position à l’ouest de Chavonne.

Pendant ce repli, le lieutenant Kahn est tué, le commandant Lizée et le lieutenant Michaud sont blessés. Vers 13 h. 30, le mouvement est achevé. Vers 20 heures, la 20e compagnie est envoyée à la gauche du 6e bataillon.

Toute la journée, Chavonne et les pentes entre Chavonne et les Grinons ont été violemment bombardés. La nuit est calme ; nous tenons sur nos positions, pendant que les Allemands se retranchent à 150 mètres de notre nouvelle première ligne.

Le 31 octobre et le 1er novembre se passent sans événements ; nous sommes fortement bombardés à la fin de la journée du 31. Pendant la nuit, les Allemands ont creusé une tranchée en face de la 19e compagnie, à l’extrême droite du régiment.

Journée du 2 novembre. — L’ennemi prononce une forte attaque, qui réussit à nous rejeter en bas des pentes, malgré une héroïque défense.

À 6 heures 45, le 5e bataillon est attaqué. On voit de nombreux tirailleurs progressant sur son front, à 5 ou 600 mètres. D’autre part le 6e bataillon signale des mouvements dans les bois en avant du saillant qu’il occupe.

Un bombardement extrêmement violent commence, dirigé non seulement sur les tranchées, mais aussi sur Chavonne, le pont de Chavonne et la route de Chavonne à Cys-la-Commune ; il varie d’intensité, sauf sur le front du 5e bataillon et particulièrement sur la 19e compagnie, à Cour Soupir. Les tranchées de la 19e compagnie sont bouleversées ; les mitrailleuses du bataillon et leur chef de section sont ensevelis. Le capitaine Chirouze, commandant la 19e compagnie est blessé à mort. Une compagnie du 8e R. I. est envoyée de Soupir pour renforcer la droite du bataillon : elle est portée dans les tranchées des 19e et 18e compagnies à disposition du lieutenant Lisbonne, seul officier survivant de ces deux unités.

Vers 10 heures, une ligne d’infanterie allemande surgit à la crête, à environ 500 mètres du bataillon et se porte à l’attaque, soutenue par des mitrailleuses. Un instant cette attaque faiblit sous les feux du bataillon et des pièces d’artillerie placées en flanquement aux Grinons ; mais le tir d’artillerie allemande est incessant et, vers 11 h. 30, l’attaque redouble d’efforts contre le 5e bataillon, qui, renforcé par une deuxième compagnie du 8e R. I., soutient le choc sans défaillance.

Le 6e bataillon était attaqué depuis 7. heures. Les Allemands, qui avaient atteint la lisière des bois devant le front des 23e, 24e et 21e compagnies, avaient prononcé plusieurs assauts, tous repoussés avec de grosses pertes. À 11 h.30, les Allemands ont pu atteindre nos réseaux de fil de fer et les détruire en partie ; ils mettent baïonnette au canon. Une compagnie de Tirailleurs algériens et une compagnie du 8e R. I. viennent renforcer les 23e et 24e compagnies : les Allemands reculent sur le front de ces compagnies. À midi, la 21e compagnie fortement attaquée de front et de flanc perd un peu de terrain. Une contre-attaque avec la compagnie de Tirailleurs et une nouvelle compagnie du 8e R. I. reprend une partie du terrain perdu. Des mitrailleuses allemandes installées à la lisière des bois battent le front des 24e et 20e compagnies.

Vers 14 heures, les progrès de l’ennemi du côté de Cour Soupir mettent en danger la droite du 5e bataillon. Bien que privée d’officiers, la 19e compagnie, prise à la fois de front et de flanc par l’attaque allemande, menacée même en arrière couvre la 18e en se plaçant en potence.

Le mouvement de débordement de l’attaque allemande s’accentue. Des fractions ennemies se sont glissées dans les bois entre Cour Soupir et les Grinons, en arrière de notre front. La 18e compagnie, puis la 17e, sont obligées vers 16 heures de faire face à droite et en arrière.

L’ennemi parvient aussi à se glisser entre le 5e et le 6e bataillon.

Vers 16 h. 30, toutes les fractions du 5e bataillon menacées d’enveloppement se dégagent grâce à une vive contre-attaque à la baïonnette et se dirigent vers le pont sur l’Aisne dit « des Anglais », construit au coude de la rivière à l’est de la ferme de Mont-Sapin.

À la même heure, le 6e bataillon recevait l’ordre de battre en retraite sur le pont de Chavonne ; fortement engagé, il exécute son mouvement difficilement et ses premiers éléments franchissent l’Aisne à 17 heures. Il se dirige sur Saint-Mard et la cote 175. après avoir laissé la 24e compagnie à la garde du pont de Saint-Mard. Le régiment reformé en entier à la cote 175 vers 21 heures, va cantonner en entier à Vauxtin.

Les pertes pour la journée se sont élevées à 300 tués, blessés ou disparus.

Le lieutenant-colonel Perrot qui avait pris le commandement du régiment, le 28 octobre par permutation avec le lieutenant-colonel Guérin avait été tué dans l’après-midi au moment, du repli.

LA RIVE SUD DE L’AISNE

À partir du 3 novembre, le 254e, cantonné à Augy, est d’abord en réserve ; il travaille à l’exécution d’une deuxième ligne de résistance.

Du 12 novembre au 4 décembre, la 138e brigade est chargée de la défense de la rive sud de l’Aisne. Le 12 novembre le 5e bataillon du 254e occupe des tranchées de première ligne au nord du canal latéral à l’Aisne, entre l’écluse de la ferme Saint-Audebert et le pont sur le canal au nord de Presles. L’E.-M. et le 6e bataillon sont à Braine.

Le 17, les 17e et 20e compagnies soutenues par la 22e compagnie enlèvent des éléments de tranchée entre le canal et l’Aisne.

Le 18, le lieutenant-colonel Foulon prend le commandement du régiment.

Les limites du secteur sont modifiées ; le 6e bataillon est chargé de la défense du point d’appui de Presles et Boves ; le 5e bataillon occupé à des travaux, cantonne à Brenelle avec l’E.-M. du Régiment, puis relève le 23 le 6e bataillon qui revient en ligne le 29. Le 28 vers 19 heures, deux patrouilles de la 17e compagnie enlèvent un poste ennemi.

Le 3 décembre, le 6e bataillon, relevé par un bataillon du 111e régiment d’infanterie territoriale, rentre à Brenelle.

SOUPIR

Le 5 décembre 1914, le 254e relève le 1er régiment d’infanterie dans le secteur de Soupir. Le régiment occupe le front qui s’étend de la route de la ferme de Cour Soupir au boqueteau situé à 250 mètres à l’est de la lisière du parc de Soupir en passant par la lisière nord du village de Soupir. Il est régiment du centre du secteur de la 138e brigade[7], entre le 267e régiment d’infanterie à droite et le 251e régiment d’infanterie à gauche. Un bataillon est en première ligne, l’autre en réserve près des murs sud et est du parc. Le P. C. du régiment se trouve au milieu du mur sud.

La 69e division est alors rattachée au 18e corps.

Cette organisation subsistera pendant tout le séjour du régiment dans le secteur (5 décembre 1914-22 février 1916), sauf quelques modifications de détail. Son perfectionnement permet peu à peu l’échelonnement en profondeur et la diminution des effectifs de la tranchée de première ligne.

Les bataillons se relèvent d’abord tous les trois jours, puis tous les cinq jours. Parfois un bataillon est relevé par le 48e bataillon de chasseurs ou par un bataillon d’un autre régiment de la brigade va quelques jours dans un cantonnement : Courcelles, la ferme de Monthussart, Vauberlin, Vauxtin. Une seule fois le régiment tout entier est relevé et cantonne plus de quinze jours, du 13 au 30 décembre 1915, à Vauxtin (5e bataillon) et Paars (E.-M. et 6e bataillon).

Le 26 mars 1915, le lieutenant-colonel Forest prend le commandement du régiment en remplacement du lieutenant-colonel Foulon parti à l’armée d’Orient.

Il n’y a pas de grands événements, pas de grosses pertes, mais le secteur est pénible car il est absolument dominé par la première ligne ennemie, qui a des vues sur tous les arrières. L’existence quotidienne est marquée par des variations dans l’activité des artilleries et des engins de tranchée, la réussite d’une patrouille, le passage de déserteurs dans nos lignes.

Le 10 juillet 1915, ce sont les premières permissions, le lendemain c’est la distribution des premières croix de guerre. Le secteur a aussi connu la guerre de mines, commencée par nous dès la fin de 1914 ; les Allemands font des travaux de défense. Mais cette guerre de mines n’est en fait pas très active. Quelques extraits du Journal de marche caractériseront la période d’occupation du secteur de Soupir.

20 décembre 1914. — Nuit calme. Vers 14 heures, l’artillerie lourde ennemie bombarde violemment pendant trois quarts d’heure nos tranchées du cimetière. Une quarantaine d’obus encadrent nos tranchées. L’un d’eux éclatant en pleine tranchée tue 7 hommes.
Vers 18 heures, une cinquantaine d’Allemands sortent de leurs tranchées sur le front de la 24e compagnie, au cimetière. Un feu violent de toute notre ligne, soutenue par nos batteries, arrête le mouvement de l’ennemi.
21 décembre 1914. — Journée calme. Vers 18 heures, la relève des bataillons s’effectue en toute tranquillité.
Vers 22 heures, une fusillade très vive éclate sur le front. L’ennemi appuie son mouvement d’un tir d’artillerie. Le mouvement est immédiatement maîtrisé par nos batteries.
À 22 h. 45, les coups de fusil cessent complètement.
Vers 23 h. 45, nouvelle fusillade : l’alerte de l’heure précédente se renouvelle. Même, fusillade et mêmes tirs d’artillerie de part et d’autre.
L’action dure jusque vers minuit 30. Le reste de la nuit s’écoule dans le calme absolu. Pertes : 1 soldat blessé.
22 décembre 1914. — Situation identique, journée calme. On poursuit la construction d’abris blindés le long du mur sud du parc de Soupir. En première ligne continuation du clayonnage des boyaux et tranchées. La lisière du village, détruite lors du bombardement du 13 décembre est réoccupée ; les ruines des maisons sont peu à peu aménagées pour la défense, la ligne de défense est reportée en avant sur les positions primitivement occupées.

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20 février 1915. — Nuit calme. Dans la matinée, vers 11 heures, l’artillerie allemande de 77 et de 105 bombarde la partie ouest du village, les communs du château et la compagnie IV[8] du 251e R. I. À midi, l’artillerie de 105 continue son tir, mais entre le P. C. de première ligne et le boqueteau ; dégâts insignifiants. Vers 16 heures, l’ennemi lance de nombreuses mines sur le village et des grenades à fusil sur la compagnie du cimetière. Continuation de l’organisation de la compagnie IV. Construction d’abris de bombardement au boqueteau et au cimetière. Pertes : 1 soldat blessé.
21 février 1915. — Nuit et matinée calmes. Des galeries de mine, commencées aux tranchées du boqueteau depuis la fin de décembre son parvenues à une trentaine de mètres en avant de nos tranchées.
Le soir le 6e bataillon et l’É.-M. ayant quitté Courcelles vers 17 heures rejoignent Soupir et relèvent le 48e B. C. P.
22 février 1915. — Nuit et matinée calmes. Vers midi quelques mines sont lancées sur les tranchées à l’est du village. À 16 heures, l’artillerie allemande exécute un tir d’une trentaine d’obus de 105 sur le boqueteau. Aucun dégât. Notre artillerie répond vigoureusement. Continuation de la construction des abris du mur sud.
Le soir à partir de 18 heures, relève du 5e bataillon en première ligne par le 6e bataillon.

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20 avril 1915. — Journée calme. Le 5e bataillon relève en première ligne le 48e B. C. P. sans incidents.
21 avril. — Rien à signaler.
22 avril. — Au cours de l’après-midi, l’artillerie allemande fait preuve d’activité et bombarde le village et la grille sud du parc. Un soldat blessé.

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20 juin 1915. — Journée et nuit tout à fait calmes. L’artillerie ennemie n’a tiré qu’une fois, en réponse à un tir de torpilles exécuté par nous.
21 juin — Rien à signaler.
22 juin. — En réponse à un tir d’artillerie ennemie sur Mont-Sapin et le Bois du Centre, notre artillerie est assez active toute la journée.
Le 6e bataillon relève aux tranchées le 5e bataillon. Pertes : 1 tué.

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20 août 1915. — L’ennemi lance des torpilles sur le village, à 3 heures du matin et cause quelques dégâts. Calme le reste de la journée.
21 août. — Journée assez calme. L’ennemi continue à envoyer des obus à intervalles irréguliers sur la route de Moussy, près du poste de commandement de première ligne, rendant dangereuses la circulation sur la route et l’exécution des travaux.
22 août. — Bombardement assez violent toute la journée. Deux soldats sont tués dans le secteur du cimetière, deux sont blessés.

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25 septembre 1915. — À 9 heures, démonstration d’artillerie et simulacre d’attaque de notre part. À 9 h. 15, le Génie fait sauter la mine n° 4 en face du boqueteau ; la tranchée allemande est détruite. Un soldat ennemi, blessé se précipite dans nos lignes. Le capitaine Britsch, commandant la 22e compagnie qui occupe le Boqueteau s’avance vers l’entonnoir avec quelques hommes et ramène un autre soldat blessé et un mort. Il fait occuper l’entonnoir sans réaction ennemie. Les prisonniers appartiennent au 72e R. I.

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20 octobre 1915. — Démonstration d’artillerie et d’engins de tranchée par l’ennemi, le matin de 5 h. 30 à 7 h. 30. Quelques obus et torpilles très espacées pendant le reste de la journée. Pertes : 1 soldat tué.
21 octobre. — Calme absolu.
22 octobre. — Bombardement assez violent par l’ennemi avec torpilles et obus de gros calibre, de 14 à 17 heures ; 5 soldats sont tués et 3 blessés près des abris du village nègre, au sud de la route de Moussy.

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Carte N° 12 – L’AISNE. BERRY-AU-BAC (254e R.I.)
Carte N° 12 – L’AISNE. BERRY-AU-BAC (254e R.I.)
20 janvier 1916. — Bombardement réciproque assez intense, de 14 à 17 heures. Le régiment reçoit en renfort un petit détachement et le personnel de la 2e compagnie de mitrailleuses.
21 janvier. — De 14 à 17 heures, bombardement ennemi, principalement sur le sous-secteur du cimetière, qui ne reçoit pas moins de 400 projectiles de gros calibre. 1 caporal et 1 soldat de la 24e compagnie sont blessés.
22 janvier. — Journée plus calme. À cinq reprises, nous exécutons pendant la nuit du 22 au 23 des tirs d’artillerie sur le point 25 ter où des travailleurs ennemis ont été entendus par nos patrouilles.

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Le séjour dans les tranchées de Soupir coûte au 254e : 1 officier tué et 6 blessés, 10 sous-officiers tués et 22 blessés, 55 caporaux et soldats tués, 135 blessés et 1 disparu.

Le 22 et le 23 février 1916, par un froid de glace, le régiment est relevé par le 122e régiment d’infanterie et va cantonner à Villesavoye. La 69e division, retirée du front, va être transportée en Champagne. Le général commandant le 18e Corps d’armée lui adresse ses adieux en ces termes :

« La 69e D. I. a été pendant quinze mois, comme troisième division du C. A., une sentinelle vigilante et active que n’ont pu rebuter ni les bombardements d’un ennemi favorisé par le terrain, ni les difficultés de tout genre dues à la configuration d’un secteur particulièrement délicat.
Toujours à l’affût des coups de main, et les exécutant, le moment venu, avec un sang-froid et une audace qui trouvaient leur récompense dans le succès, la 69e D. I. s’est égalée, pendant sa longue faction sur l’Aisne, aux meilleures troupes. Au moment où elle cesse d’être rattachée au 18e C. A., le Général commandant le C. A. la salue de ses remerciements et de ses vœux, certain qu’elle continuera sous les ordres d’un chef qui a fait ses preuves, le Général Taufflieb, à déployer sur d’autres théâtres d’opérations ses mêmes qualités d’énergie, de solide vaillance et d’inaltérable bonne humeur. »
VI. — EN CHAMPAGNE

Le 24 février 1916, le 254e s’embarque en chemin de fer à Fismes ; il débarque à Saint-Hilaire-au-Temple dans la nuit du 24 au 25 et cantonne aux Grandes-Loges. La 69e D. I. passée à la IVe armée est chargée d’occuper en cas d’attaque la deuxième position ; le secteur prévu pour le 254e est celui de Mourmelon-le-Petit (de Sept-Saulx à la route de Baconnes à Prosnes). Les commandants d’unités reconnaissent ce secteur.

La division est rattachée au 6e corps d’armée.

La 138e brigade étant mise à la disposition de la 127e D. I., le 254e va cantonner à Suippes le 3 mars ; le 4 mars le 6e bataillon et 2 sections de la 1re C. M. relèvent en ligne 2 dans le sous-secteur de Navarin un bataillon du 171e régiment d’infanterie. Le lendemain, le 5e bataillon, qui était à Suippes, va occuper le camp 3-5 à l’est de Suippes.

Le sous-secteur passant aux ordres du général commandant la 138e brigade, l’E.-M. du 254e relève le 7 mars l’E.-M. du 171e au P. C. Cabane, sur la route de Souain à Somme-Py et le 5e bataillon relève le bataillon de première ligne du 171e, encadré à droite par le 172e régiment d’infanterie, à gauche par le 29e B. C. P., puis par le 251e. Le Régiment reste en ligne jusqu’au 23 mars, les deux bataillons occupant alternativement la ligne 1 et la ligne 2 : L’État-Major cantonne à partir du 13 au camp 4-5, puis le 15 à Suippes.

Le secteur est très actif ; les deux artilleries exécutent de nombreux tirs. Néanmoins les pertes ne sont pas élevées.

À partir du 24 mars, les bataillons sont relevés : le 29 mars, le 5e bataillon cantonne au camp de la Noblette avec la 1re C. M. et le T. R., rejoint le 1er avril par la 2e C. M.

Le 30 mars, l’É.-M. et le 6e bataillon cantonnent à la Cheppe. La 138e brigade est réserve d’armée. Le 4 avril la 69e D. I. est mise à la disposition de la 2e Armée et quitte le secteur crayeux de Champagne.

VII. — VERDUN

Le 4 avril 1916, la 69e D. I. est transportée en chemin de fer de Cuperly dans la région de Sainte-Menehould. Le 254e, débarqué à Villers-Daucourt, cantonne à Sivry-sur-Ante le 5 avril. Il se porte ensuite par étapes dans la direction de Verdun, cantonnant le 7 avril à Vaubécourt, le 8 à Beauzée-sur-Aire. Le 9 avril, il arrive dans l’après-midi à Souhesmes-la-Grande.

1. Ordre de bataille à la date du 25 mars 1916 :
Lieutenant-Colonel Forest, Sous-lieutenant Rommetin (adjoint), MM.Boisseau, Lieutenant Pardoux, Sous-lieutenant Patard, Sous-lieutenant Bonnardel, Sous-lieutenant Barneix, (porte-drapeau) ; Sous-lieutenant Denamur.
C. M. 1. Capitaine Sergent, Lieutenant Bouvier.
C. M. 2. — Lieutenant Lanciaux, Sous-lieutenant Racaglia.
5e Bataillon. — Commandant Roullet, Capitaine-adjudant-major Fourment, M. A. M.Audouy.
17e Compagnie. — Sous-lieutenant Merle, commandant, Sous-lieutenant Artaud, sous-lieutenant Legrand, sous-lieutenant Houiller.
18e Compagnie.-Capitaine Lisbonne, Sous-lieutenant Corlieu, Sous-lieutenant Noé, Sous-lieutenant Delchard.
19e Compagnie. — Capitaine de Rivière, Sous-lieutenant Cailleux, Sous-lieutenant Lagache.
20e Compagnie. — Capitaine Lefèvre, Sous-lieutenant Lalane, Sous-lieutenant Marchand, Sous-lieutenant Thomas.
6e Bataillon. — Commandant Vayssière, Capitaine-adjudant-major Britsch, M. A. M. Carof.
21e Compagnie. — Capitaine Lebaigue, Sous-lieutenant Pieri, Sous-lieutenant Pinot.
22e Compagnie. — Lieutenant Gourdet, Sous-lieutenant Rigault, Sous-lieutenant Faroux.
23e Compagnie. — Capitaine Laurenson, Sous-lieutenant Barré, Soous-lieutenant Lebègue, Sous-lieutenant Debrie.
24e Compagnie. — Capitaine Bergé, Sous-lieutenant Basset, Sous-lieutenant desjardins.
Ordre de la 69e division n° 90 (8 avril 1916)
La 69e D. I. est mise à la disposition du Général Nivelle pour participer avec les troupes du 32e Corps d’armée à la défense du front nord-ouest de Verdun.
Elle aura à combattre et à travailler dans un secteur particulièrement difficile.
Sa tâche sera rude et laborieuse.
Tous, officiers, sous-officiers, caporaux et soldats auront à cœur de soutenir le bon renom qu’ils se sont acquis sur d’autres parties du front par leur endurance, leur bravoure, leur activité et leur ténacité.
Comme ceux qui les ont précédés dans ce même secteur, ils supporteront avec abnégation les plus dures épreuves, ils arrêteront courageusement toutes les attaques, quelle qu’en soit la violence ; ils contribueront enfin à chasser l’ennemi, montrant ainsi que les beaux régiments de la 69e D. I. ne le cèdent en rien aux corps d’élite qui les ont formés.
Le Général commandant la, 69e D. I.
Taufflier.

Dans la soirée du 9 avril, le 254e est alerté et fait de nuit l’étape Souhesmes-la-Petite, Jouy-en-Argonne.

Les attaques allemandes ont commencé le 6 mars sur la rive gauche de la Meuse. Elles ont péniblement atteint le 8 avril le ruisseau de Forges. Une puissante attaque sur les deux rives, le 9 avril, n’a réussi qu’à atteindre les pentes nord-est du Mort-Homme ; le 10 avril, au moment où la 69e D. I. entre en secteur, les unités de la 42e D. I. ont subi une nouvelle attaque et l’ont enrayée.

Leur superbe résistance a été consacrée par l’ordre du jour historique du Général Pétain : « Courage… on les aura ! » La Division est rattachée au 32e corps d’armée.

Le 10 avril, le 254e quitte Jouy-en-Argonne à 17 heures et par la ferme Frana et Fromereville arrive à 21 heures au hameau de Germonville. Le train de combat va s’installer au bois le Bouchet et le train régimentaire au bivouac du bois des Clairs Chênes.

Dans la nuit le bataillon Vayssière et la 1re C. M. vont remplacer sur la position du Mort-Homme des unités du 94e et du 150e R. I. décimées et éparses sur le terrain. Les 22e, 23e et 24e compagnies sont en ligne, la 21e en soutien près du P. C. du chef de bataillon. Pendant que le bataillon s’installe, une attaque allemande réussit à progresser à sa droite : deux sections de la 21e et une section de mitrailleuses sont chargées de couvrir le flanc du bataillon de ce côté.

Le 5e bataillon et la 2e C. M. occupent des tranchées de deuxième ligne au sud du Mort-Homme. La relève a été dure : les guides connaissent mal le chemin, le bataillon erre dans les Bois Bourrus jusqu’au petit jour et ne parvient au Mort-Homme qu’à midi, sans pertes, par miracle.

Du 12 au 30 avril une série d’opérations heureuses nous permet de consolider notre ligne, puis de reprendre une partie du terrain perdu.

Le 12 avril, la 17e compagnie est portée en soutien du 6e bataillon.

Le 14, le 6e bataillon, relevé dans la journée par le 287 R. I., s’installe sur la deuxième position, laissant en ligne la 23e compagnie et la 1re C. M. qui participent à une attaque faite par le 287e. La 23e rejoint son bataillon le 15 avril pendant que la 1re C. M. va occuper des emplacements de défense de deuxième ligne à l’ouest de Chattancourt.

Le 6e bataillon et la 1re C. M. vont bivouaquer au Bois le Bouchet dans la soirée du 16 avril ; le 5e bataillon et la 2e C. M. les rejoignent le lendemain. Le même jour, l’É.-M. du régiment va cantonner à Germonville. Aucun changement jusqu’au 21 avril où le Colonel commandant la 138e brigade prend le commandement du sous-secteur, à Chattancourt. Le lieutenant-colonel Forest rejoint le colonel Claudon auquel il est adjoint. Dans la soirée, le bataillon Roullet se porte en première ligne à l’ouest du Bois des Caurettes : trois compagnies ont chacune deux sections en première ligne, deux sections en soutien ; la dernière compagnie (17e) est en réserve au P. C. du sous-secteur. La 2e C. M. occupe les tranchées de soutien entre le Bois des Caurettes et le Mort-Homme.

23 avril. — La 17e compagnie va renforcer un bataillon du 154e qui, après avoir réussi une attaque, s’étend vers l’ouest. La 18e compagnie s’étend vers le Bois des Caurettes en mettant en ligne à la corne nord-ouest du bois ses deux sections de soutien.

24 avril. — À 19 heures une contre-attaque allemande sur le front du 5e bataillon est arrêtée ; la 18e compagnie se porte plus à l’est dans le Bois des Caurettes (abri de pièce de marine) ; la 19e occupe le front entre la corne nord-ouest du Bois des Caurettes où elle a remplacé la 18e, et le bataillon de première ligne du 150e R. I.

Au 6e bataillon, les 21e et 22e compagnies, sous les ordres du capitaine adjudant-major Britsch, remplacent sur la deuxième position, au sud-ouest de Chattancourt deux compagnies du 332e.

La 2e C. M. et le 5e bataillon sont assez éprouvés par le bombardement depuis leur entrée en ligne.

26 avril. — Dans la soirée, le bataillon Vayssière (6e) et la 1re C. M. relèvent le 5e bataillon et la 2e C. M. qui vont au bois le Bouchet ; la 20e compagnie va le lendemain occuper le fort des Bois Bourrus.

28 avril. — Le 6e bataillon et la 1re C. M. relevés par le 251e vont au bois le Bouchet. Pendant leur séjour, ces unités exécutent des travaux de nuit.

Dans la nuit du 2 au 3 mai, le 6e bataillon va à l’arrière ; il cantonne à Julvécourt.

Le 5 mai, le 254e est en entier à l’arrière à l’exception de la 20e compagnie, qui reste jusqu’au 10 mai au fort des Bois Bourrus. Le 6e bataillon et le train régimentaire cantonnent à Ippécourt, le reste du régiment à Saint-André. Cette situation de demi-repos dure jusqu’au 14 mai.

Dans la nuit du 14 au 15 mai, le régiment, dont les effectifs ont été réduits par suite des pertes subies depuis son arrivée à Verdun (le 5e bataillon compte moins de 400 hommes) relève le 267e.

Vers 22 heures le bataillon Roullet (5e) occupe les tranchées de première ligne, à l’extrême droite du sous-secteur, avec les 19e et 20e compagnies face au nord, entre le bois de Cumières et la voie ferrée, la 18e à droite occupant un large front jusqu’à la Meuse et à la gare de Chattancourt. La 17e compagnie est en réserve à Cumières où se trouve le P. C. du bataillon. Le bataillon Vayssière (6e) et la 1re C. M. occupent la deuxième position en arrière du 5e bataillon, entre Chattancourt et Marre.

La relève et les premiers jours d’occupation se passent sans grosses pertes.

Le P. C. du régiment qui se trouvait dans la partie nord de Chattancourt ayant été en partie détruit le 16 par le bombardement est transporté dans la soirée à la sortie est du village. Le lendemain soir le lieutenant-colonel Forest est tué. Le commandant Roullet prend le commandement du sous-secteur, tout en restant à son P. C. au sud de Cumières.

Le 19 mai, très violent bombardement de Chattancourt et d’une partie de la première ligne.

Le 20 mai, le bombardement continue. Le P. C. du commandant Roullet à Cumières prend feu, ainsi qu’un dépôt de munitions voisin ; la plus grande partie des occupants, ensevelis sous les décombres, peuvent être dégagés et le P. C. est transféré au P. C. de la 2e C. M. au centre du village.

Une attaque allemande, d’une violence extrême, déclenchée sur le Mort-Homme, a échoué sous nos feux, mais les unités qui devaient relever le 254e sont en partie dirigées sur le Mort-Homme et la relève est différée pour le 5e bataillon. Le 6e bataillon, relevé par un bataillon du 306e, se rend le soir au bois le Bouchet avec la 1re C. M.

La journée du 21 mai se passe sans incidents et sans pertes. La 2e C. M. est relevée dans Cumières par une C. M. du 251e.

Le 22, la journée est à peu près calme dans Cumières ; les tranchées de première ligne et le village sont soumis à un bombardement intermittent qui paraît être un tir de réglage. Au 6e bataillon, dans la soirée, les 23e et 24e compagnies, sous les ordres du commandant Vayssière, reviennent en première ligne au Mort-Homme. Les 21e et 22e compagnies restent au Bois le Bouchet pour être employées à des travaux de nuit. La 2e C. M. va au repos à Ippécourt, où elle est rejointe par le lieutenant-colonel Théron nommé au commandement du régiment, l’É.-M. du régiment et la C. H. R.

Le 23 mai, à partir de 7 h. 30, l’artillerie ennemie bombarde violemment la première ligne et le village de Cumières avec des obus et des « minen » de gros calibre.

La première ligne est entièrement bouleversée, les caves du village s’effondrent les unes après les autres, ensevelissant la plus grande partie des occupants.

Le commandant Roullet, blessé, passe le commandement du 5e bataillon au capitaine Lisbonne, commandant de la compagnie de droite (18e). La section d’extrême droite, chargée de la défense de la Meuse est anéantie ; les hommes envoyés pour la remplacer sont tués sous le violent bombardement. Le bombardement continue avec une rare intensité.

Le 24 à 2 heures du matin, le tir de l’artillerie ennemie s’allonge jusqu’à la lisière sud du village où pénètrent de fortes patrouilles allemandes venues de front et de flanc, ces dernières ayant traversé la Meuse ; deux compagnies suivent immédiatement et gagnent la lisière sud. Les survivants de Cumières, submergés sont faits prisonniers : ils ne sont plus qu’une cinquantaine, valides et blessés.

Voici d’après le journal de guerre du capitaine Lisbonne, le récit de l’agonie du 5e bataillon :

« Le 23 mai, le bombardement se poursuit ; successivement je voyais disparaître le village ou ses restes ; dans la journée, j’envoie des ordres aux deux compagnies de gauche ; les P. C. étaient écroulés sur les officiers, quelques hommes tenaient encore dans des trous d’obus. Je fais pour la brigade un compte rendu succinct et le donne à porter à deux coureurs. Il est impossible de franchir le barrage. Les malheureux se savent, comme je le sais moi-même, voués à une mort certaine. Et puis, je leur défends de partir ; ils tomberont peut-être ici, mais leur sacrifice consenti est inutile ; on doit bien savoir à l’arrière ce qu’il en est de nous désormais.
La section chargée de la défense de la Meuse est ensevelie dans la ferme qui l’abrite ; vers le soir, je rassemble ma liaison ; dix hommes se présentent que je veux à tout prix envoyer en surveillance vers la rivière ; je les vois partir les larmes aux yeux ; à 20 mètres de là, sept sont tués d’un seul obus.
Le bombardement redouble : c’est la fin ! Ma cave, dont une seule issue demeure à moitié libre, a résisté par miracle. Depuis ce matin, je compte un obus par cinq secondes. Nos téléphones sont coupés, notre artillerie muette. Je n’ai plus au bataillon cent hommes debout.

VERDUN. RIVE GAUCHE DE LA MEUSE – Carte N° 14
VERDUN. RIVE GAUCHE DE LA MEUSE – Carte N° 14
À minuit (23-24 mai), un soldat pénètre affolé dans le poste où depuis des heures nous attendons. « Mon capitaine, les Allemands sont derrière nous ! » Toutes mes prévisions se sont donc réalisées ! Je rassemble quelques hommes, prends ma canne et bondis au dehors, cependant que mon fourrier lance les fusées de secours.
Nous n’allons pas loin ; une grenade éclate qui me jette à terre, me blessant légèrement aux jambes. Dix Allemands sont sur moi, tandis que mes pauvres compagnons tombent à leur tour, et je vois un flammenwerfer dirigé contre l’issue de ma cave, où se trouvent brancardiers et blessés.
Du sol où je suis cloué, j’interpelle en allemand mes agresseurs : « Je suis officier ; faites venir un officier allemand. — Nous sommes tous officiers (!) — Non ! » Un feldwebelleutnant arrive, et pour sauver mes blessés, je suis obligé à cette phrase terrible : « Nous sommes pris ; laissez du moins sortir mes hommes. » Il s’incline. — « Sortez, le 254 » ; Je les vois surgir, par l’étroite issue, haute d’un mètre à peine, tandis que deux Allemands me soutiennent en m’entraînant.
Et je constate alors cette chose étrange : du village, il ne demeure plus rien ; tout est rasé ; mon abri lui-même est au sol ; je franchis, sans les voir maisons, tranchées et réseaux. Nous grimpons la côte de l’Oie, et là, dépassons des tranchées allemandes, intactes et bourrées d’hommes. Le 75 commence à donner… »

Les sous-lieutenants Artaud et Lalane parviennent à échapper aux Allemands et à franchir le tir de barrage avec quelques hommes ; ils se joignent au bataillon du 267e venu pour relever le 5e bataillon, qui s’établit face au village et empêche l’ennemi d’en déboucher.

La journée a été dure également pour le demi-bataillon Vayssière, très violemment bombardé. À 19 h.30 les Allemands essaient de donner l’assaut à nos lignes : leur attaque est complètement repoussée.

Les pertes ont été sensibles : les sous-lieutenants Cailleux et Thomas ont été tués, le commandant Roullet, le capitaine Laurenson et le sous-lieutenant Kieffer blessés. Les capitaines Lisbonne et Lefèvre, les sous-lieutenants Lagache et Marchand, le médecin aide-major Audouy ont disparu ; 47 sous-officiers, caporaux et soldats ont été tués, 51 blessés (dont 39 des 23e et 24e compagnies) et 393 disparus (tués, blessés ou prisonniers), presque tous du 5e bataillon.

En 1919, le général Claudon, qui commandait en 1916 à Verdun la 138e brigade, adressait au commandant du Dépôt, de Compiègne, la lettre ci-après, témoignage éclatant de l’héroïque défense du 254e :

« Pendant les mois d’avril et mai 1916, sous Verdun, le 254e R. I. a été constamment à la peine, qu’il fût soit en première ligne, soit à l’arrière, travaillant la nuit sous les obus à rétablir les boyaux de communication. À Cumières, le 23 mai, sous un bombardement continu d’une extrême violence, le 254e régiment d’infanterie a eu une tenue absolument remarquable. Son 5e bataillon notamment a été littéralement écrasé à son poste, faisant payer cher à l’ennemi ses succès. J’ai encore la vision très nette de l’effroyable bombardement auquel a été soumis ce corps d’élite, et la violence des attaques allemandes : c’était devenu un véritable enfer. Tous les témoignages que j’ai pu recueillir ont toujours et tous accordé une conduite magnifique aux officiers et soldats qui ont combattu jusquà l’extrême limite des forces humaines. »
Le Colonel Claudon,
Ex-commandant de la 138e brigade,ane
Administrateur supérieur de Hesse-Rhénane
à Mayence.Hesse-Rhénane

Le 24 mai, les Sous-lieutenants Lalane et Artaud rejoignent le Bois le Bouchet avec 75 hommes du 5e bataillon.

Sur le front du demi-bataillon Vayssière, bombardement.

Les unités d’Ippécourt se transportent à Saint-André, rejointes le lendemain par les éléments restants du 5e bataillon.

Le bataillon Vayssière rejoint le régiment : l’État-Major, les 21e et 22e compagnies et un peloton de la 24e le 25 mai, la 23e compagnie le 26 et le 2e peloton de la 24e le 27.

Le 29 mai, les 21e et 22e compagnies et la 1re C. M. sous les ordres du commandant Vayssière mises à la disposition du général commandant la 40e D. I. se rendent par Froméréville et les Bois Bourrus sur la deuxième position entre Chattancourt et Marre et y relèvent dans la nuit deux compagnies du 267e.

Elles y sont violemment bombardées dans la matinée du 30.

Le 31 mai, le 254e, à l’exception du détachement Vayssière, est transporté en camions automobiles à Brillon, (au sud de Bar-le-Duc) où il cantonne. Les équipages font mouvement par voie de terre et cantonnent le 31 à Rembercourt-aux-Pots. Le détachement Vayssière relevé dans la soirée du 1er juin rejoint le régiment partie en chemin de fer, de Baleycourt à Beaudonvillers, partie par la route. Le régiment est réuni en entier à Brillon dans la soirée du 3 juin[9].

Dès le 4 il s’embarque en chemin de fer à Saint-Eulieu et il est transporté en trois trains dans la région au sud de Fismes. Il débarque le 5 à Mézy et cantonne : É.-M., C. H. R., 6e bataillon et 2e C. M. à Coulonges, 5e bataillon et 1re C. M : à Chamery.

Le 254e se réorganise ; les bataillons comprennent désormais trois compagnies de voltigeurs et une compagnie de mitrailleuses. La 4e compagnie de chaque bataillon est constituée en compagnie de dépôt.

À peine cette réorganisation faite, le 10 juin, le 254e est supprimé, en exécution des ordres du général commandant en chef en date du 22 mai 1916.

Le 5e bataillon devient 4e bataillon du 267e, le 6e bataillon devient 4e bataillon du 287e. Les divers éléments de la C. H. R. sont répartis entre les 267e et le 287e.

Le lieutenant-colonel Théron et le médecin-major Boisseau passent au Dépôt d’Instruction de la 69e D. I.

Le drapeau est porté au Dépôt du 254e, à Laval.

Dans la soirée du 10 juin, la dissolution du 254e est accomplie.

Le général commandant la 69e D. I. a fait par l’ordre général du 17 juin ses adieux au 254e :

ORDRE GÉNÉRAL N° 1314
Les 306e et 254e Régiments d’Infanterie qui faisaient partie de la Division depuis le début de la guerre ont été supprimés par suite de réorganisation.
Ce n’est pas sans un très grand regret que le Général Commandant la Division a été forcé de désigner ces deux Corps qui se sont distingués entre tous partout où ils ont été engagés et tout récemment encore sur le champ de bataille de Verdun.
Les numéros de ces beaux régiments, qui ont contribué brillamment au rétablissement du front du Mort-Homme et des Caurettes, demeureront vivants dans l’histoire.
Les Officiers, Sous-Officiers, Caporaux et Soldats qui les composaient hier encore, auront à cœur d’en perpétuer le souvenir en se faisant remarquer en toutes circonstances par leur esprit de discipline, leur courage et leur abnégation.
C’est avec une profonde émotion que le Général commandant la Division salue les drapeaux des 306e et 254e Régiments d’Infanterie.
Le Général Monroé,  
Commandant la 69e D. I.
254e RÉGIMENT D’INFANTERIE
Listes
Des généraux commandant la 69e D. I. :
À la mobilisation. — Général Le Gros.
8 Septembre 1914. — Général Néraud.
5 Novembre 1914. — Général Berdoulat.
29 Mars 1915. — Général Taufflier.
28 Mai 1916. — Général Monroé, dit Roé.
Des commandants de la 138e Brigade :
À la mobilisation. — Général Néraud, passé à la 69e D. I.
8 Septembre 1914. — Général Cadoux.
8 Avril 1916. — Colonel Claudon.
Des lieutenants-colonels commandant le régiment :
À la mobilisation. — Lieutenant-colonel Piguet, blessé le 7 octobre.
18 Octobre 1914. — Lieutenant-colonel Guérin (vient du 251e).
28 Octobre 1914. — Lieutenant-colonel Perrot (vient du 251e, permute avec le Lieutenant-colonel Guérin), tué le 2 novembre 1914.
18 Novembre 1914. — Lieutenant-colonel Foulon.
26 Mars 1915. — Lieutenant-colonel Forest, tué le 17 mai 1916.
21 Mai 1916. — Lieutenant-colonel Théron.
Des commandants de bataillons
5e Bataillon :
À la mobilisation. — Commandant Vibert, évacué le 22 décembre 1914.
7 Janvier 1915. — Commandant Verdier, passé le 28 mai à l’É.-M. colonial.
22 Mai 1915. — Commandant Cazeaux, passé au 6e colonial.
28 Mai 1915. — Commandant Roullet venu du 287e, blessé le 22 mai 1916.
  1. La 69e D. R. forme, avec la 51e et la 53e D. R., le 4e groupe de D. R., sous les ordres du général Valabrègue.
  2. Voir la carte générale à la fin du volume.
  3. Diminué de la 51e D. R., qui a reçu une autre affectation.
  4. Voir la carte générale à la fin du volume.
  5. Voir la carte générale à la fin du volume.
  6. Voir carte n° 6, p. 82
  7. La 138e brigade a aussi à sa disposition la 64e régiment d’infanterie territoriale qui a collaboré activement à l’organisation du secteur.
  8. Rattachée au point de vue tactique au secteur de Soupir.
  9. Ordre de bataille à la date du 1er juin :
    Lieutenant-Colonel Théron, Lieutenant Rommetin, adjoint ; Médecin-Major Boisseau, Lieutenant Pardoux, officier d’approvisionnement ; Sous-lieutenant Patard, officier de détails ; Sous-lieutenant Bonnardel, Service téléphonique ; Sous-lieutenant Barneix, Porte-drapeau ; Sous-lieutenant Denamur, Commandant le peloton de sapeurs pionniers.
    1re C. M. — Capitaine sergent, Lieutenant Bouvier, Sous-lieutenant Béquin.
    2e C. M. — Capitaine Dumas, Sous-lieutenant Racaglia.
    5e Bataillon. — Commandant Roullet (rentré le 31 mai), Capitaine Adjudant-Major Fourment.
    17e Compagnie. — Sous-lieutenant Mettais, Sous-lieutenant Artaud.
    18e Compagnie. — Sous-lieutenant Mittler.
    19e Compagnie. — Sous-lieutenant Colin.
    20e Compagnie. — Sous-lieutenant Desjardins, Sous-lieutenant Lalane.
    6e Bataillon. — Commandant Vayssière, Médecin-Aide-Major Carof.
    21e Compagnie. — Capitaine Lebaigue, Sous-lieutenant Piéri, Sous-lieutenant Pujol.
    22e Compagnie. — Lieutenant Gourdet, Sous-lieutenant Rigault, Sous-lieutenant Faroux.
    23e Compagnie. — Sous-lieutenant Noé.
    24e Compagnie. — Sous-lieutenant Rousselle.