Les rues de Paris/Moncey

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Bray et Rétaux (tome 2p. 194-206).
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MONCEY

I

Dans peu de jours, va s’inaugurer un monument en l’honneur du maréchal Moncey, duc de Conégliano, sur la place Clichy[1], près de l’ancienne barrière qui fut le principal théâtre de sa gloire. Car, avec six mille hommes seulement qu’il déploya sur les hauteurs de Saint-Chaumont, de Belleville, des Batignolles, le maréchal tint en échec, pendant toute la journée du 30 mars 1814, les armées alliées qui, par masses énormes, affluaient sur la capitale. Il ne cessa le feu que le dernier, quand il sut qu’une capitulation avait été signée par Marmont, duc de Raguse. Rassemblant alors les débris de ses troupes, il les conduisit à Fontainebleau, jaloux de prouver à l’Empereur qu’il s’était jusqu’à la fin montré digne de sa confiance. Car c’est à Moncey, nommé commandant général de la garde nationale parisienne, que Napoléon avait dit, en partant pour sa campagne d’hiver :

« C’est à vous et au courage de la garde nationale que je confie l’Impératrice et le Roi de Rome. »

L’abdication signée (11 avril 1814), Moncey envoya au gouvernement provisoire l’adhésion du corps de la gendarmerie et la sienne, puis il se rallia au gouvernement de la Restauration, ce qui, dans les circonstances actuelles, était faire acte de patriotisme. Nommé chevalier de Saint-Louis et pair de France, il fut conservé dans ses fonctions d’inspecteur-général de la gendarmerie. Mais, l’année suivante, Napoléon, lors du retour de l’île d’Elbe, comprit dans la promotion de pairs du mois de juin le maréchal Moncey, qui ne crut pas devoir refuser. Aussi, après les Cent-Jours, fut-il éliminé de la haute Assemblée où il ne fut appelé de nouveau à siéger qu’en 1819. La fermeté du caractère cependant, pas plus que le courage des champs de bataille, ne manquait à Moncey ; il en donna la preuve bientôt après. Nommé, en août 1815, président du conseil de guerre appelé à juger le maréchal Ney, le duc de Conégliano refusa par une lettre adressée au roi, lettre qui, malgré la vivacité de certains passages, témoigne de la générosité de son cœur et sait allier la sincérité du respect à la noble et courageuse franchise. Cependant, voyez ce qu’il en est des prévisions humaines, et comme on peut se tromper même avec les intentions les meilleures, Moncey, ainsi que ses collègues les maréchaux, en acceptant, au lieu de refuser, d’être les juges de leur ancien compagnon d’armes, pouvaient lui sauver la vie, puisqu’il dépendait d’eux de l’acquitter. Voici la lettre en question :

« Sire, placé dans la cruelle alternative de désobéir ou de manquer à ma conscience, j’ai dû m’en expliquer à Votre Majesté. Je n’entre pas dans la question de savoir si le maréchal Ney est innocent ou coupable ; votre justice et l’équité de ses juges en répondront à la postérité qui pèse dans la même balance les lois et leurs sujets ; mais, Sire, je ne puis me taire sur les dangers dont on environne Votre Majesté. Eh quoi ! le sang français n’a-t-il pas assez coulé ? Nos malheurs ne sont-ils pas assez grands ? L’avilissement de la France n’est-il pas à son dernier période ? Est-ce lorsqu’on a besoin de rétablir, de restaurer, d’adoucir et de calmer, qu’on nous propose, qu’on exige de nous des proscriptions ? Ah ! Sire, si ceux qui dirigent vos conseils ne voulaient que le bien de Votre Majesté, ils lui diraient que jamais l’échafaud ne fit des amis ; croient-ils que la mort soit si redoutable pour ceux qui la bravèrent si souvent ? C’est au passage de la Bérésina, Sire, c’est dans cette malheureuse catastrophe que Ney sauva les débris de l’armée. J’y avais des parents, des amis, des soldats enfin qui sont les amis de leurs chefs ; et j’enverrais à la mort celui à qui tant de Français doivent la vie, tant de familles leurs fils, leurs époux, leurs parents ? Non Sire, s’il ne m’est pas permis de sauver mon pays, ni ma propre existence, je sauverai du moins l’honneur ; et s’il me reste un regret, c’est d’avoir trop vécu, puisque je survis à la gloire de ma patrie.

» Quel est, je ne dis pas le maréchal, mais l’homme d’honneur qui ne sera pas forcé de regretter de n’avoir pas trouvé la mort dans les champs de Waterloo ? Ah ! peut-être si le maréchal Ney avait fait là ce qu’il avait fait tant de fois ailleurs, peut-être ne serait-il pas traîné devant une commission militaire, peut-être ceux qui demandent aujourd’hui sa mort imploreraient sa protection.

» Excusez, Sire, la franchise d’un vieux soldat qui, toujours éloigné des intrigues, n’a connu que son métier et sa patrie. Il a cru que la même voix qui a blâmé les guerres d’Espagne et de Russie pouvait parler le langage de la vérité au meilleur des rois, au père de ses sujets. Je ne me dissimule pas qu’auprès de tout autre monarque ma démarche aurait été dangereuse ; je ne me dissimule pas non plus qu’elle pourra m’attirer la haine des courtisans ; mais si, en descendant dans la tombe, je puis, avec un de vos illustres aïeux, m’écrier : Tout est perdu fors d’honneur ! alors je mourrai content.

» MONCEY,        
» duc de Conégliano. »    

« Mais ce refus, dit M. Michaud, junior[2], ne put empêcher l’issue d’un procès que voulait, qu’exigeait une puissance supérieure à celle de Louis XVIII. Le duc de Conégiiano fut suspendu de ses fonctions de maréchal de France, et il expia pendant plusieurs mois à la prison de Ham sa noble résistance. Ce qui prouve que la volonté royale n’avait eu aucune part à la condamnation du malheureux Ney, c’est qu’aussitôt que le mouvement de réaction et d’orage fut passé, le roi se hâta de rendre toute sa faveur à Moncey, et qu’en 1823, il lui confia l’un des postes les plus importants de la guerre d’Espagne. » Dans cette campagne, où il eut à lutter contre Espoz et Mina, Moncey prouva que le doyen des maréchaux français n’avait rien perdu de sa vigueur.

« Il eut cependant de grandes difficultés à vaincre, dit un écrivain militaire. Ce n’est pas ici que nous rappellerons les embarras de toutes sortes que l’on suscita au maréchal Moncey, et qui auraient porté le dégoût dans une âme moins bien trempée que la sienne. Ce n’est pas ici non plus que nous redirons combien, pendant la dernière campagne d’Espagne, Moncey fut digne de sa réputation impériale. À cheval vingt heures par jour, il fut à soixante-dix ans ce qu’il avait été toute sa vie, actif, intrépide, juste, respecté des ennemis, adoré de ses soldats. »

Aussi le poète des Méditations put dire dans le Chant du Sacre :

C’est Moncey ! Des combats le bruit l’a rajeuni
Malgré ses traits flétris sous les glaces de l’âge,
Les camps l’ont reconnu… mais c’est à son courage.

Ce glorieux passé, auquel Lamartine fait allusion, nous aurions dû, suivants les errements habituels de la biographie, le raconter d’abord, mais entraîné par le sujet nous sommes entré tout d’abord de plain pied dans le récit, et il est bien tard pour revenir en arrière. Aussi nous bornons-nous à résumer, en quelques lignes, la première partie de la carrière militaire du maréchal.

Né à Besançon, le 31 juillet 1754, Moncey (Bon-Adrien Jannot, de), était fils d’un avocat au parlement de la capitale de la Franche-Comté. Entraîné par son penchant vers l’état militaire, dès l’âge de quinze ans, s’échappant du collége, il s’engageait dans le régiment de Conti-Infanterie. Racheté six mois après, un peu contre son gré, par son père qui désirait qu’il suivît une autre carrière, Moncey s’engagea de nouveau, au mois de septembre 1769, comme grenadier dans le régiment de Champagne-Infanterie, et fit, en cette qualité, en 1773, la campagne des côtes de Bretagne. Racheté de nouveau, il essaya pour complaire à sa famille de l’étude du droit, mais avec peu de succès, et, libre enfin de suivre sa vocation, il entra dans la gendarmerie de Lunéville, corps d’élite, où les simples soldats, après quatre années de service, avaient rang de sous-lieutenant. Il passa avec ce grade dans les volontaires de Nassau-Liégen. La Révolution le trouva lieutenant et le fit capitaine (1791).

Dès lors, son avancement fut rapide ; nous le voyons, au mois d’août 1794, général en chef de l’armée chargée d’opérer contre l’Espagne. Après avoir inauguré son commandement par les victoires du Luxembourg et de Villa-Nova, il conquit toute la Navarre, à l’exception de Pampelune. Ses succès, plus décisifs encore l’année suivante, à Castellane, Tolosa, Villa-Real, etc., amenèrent la signature de la trêve de Saint-Sébastien, qui fut bientôt suivie du traité de Bâle. N’oublions pas ce détail : pendant qu’il commandait en chef l’armée des Pyrénées-Orientales, Moncey eut soin de faire abattre le monument de Roncevaux, pyramide élevée en mémoire de la défaite des preux de Charlemagne. Un décret de la Convention déclara que le général avait bien mérité de la patrie.

À propos de cette campagne d’Espagne, si vigoureusement menée, le représentant Garat écrivait : « Les soldats de Moncey ne sont pas des hommes, mais des démons ou des dieux. »

Nommé au commandement de l’armée des côtes de Brest, Moncey prit, au mois de septembre 1796, le commandement de la 11e division militaire à Bayonne, qu’il quitta, après le 18 brumaire, pour la division de Lyon. Il eut une part brillante à la campagne d’Italie, et vers 1801, appelé à Paris, il fut nommé inspecteur de la gendarmerie. Le voyage qu’il fit en 1803, dans les Pays-Bas, avec le premier Consul, acheva de lui gagner la confiance de celui-ci qui, en 1804, le nomma grand-cordon de la Légion d’Honneur et maréchal de France ; en 1808, duc de Conégliano. Dans cette même année et dans la suivante, Moncey servit en Espagne et se montra digne de lui-même, encore qu’il eût échoué devant Sarragosse, où commandait l’héroïque Palafox.

Le maréchal ne prit point part à la campagne de Russie qu’il n’avait pas hésité à désapprouver ; et malheureusement les résultats ne lui donnèrent que trop raison. L’Empereur, comme on l’a vu, ne lui garda pas rancune de son opposition, et peut-être même, le premier moment d’humeur passé, il ne l’en estima que davantage.



II

Le roi Charles X ne se montra pas moins bienveillant que son frère Louis XVIII pour le vieux et illustre maréchal qui avait été l’un de ses pairs au Sacre. Aussi notre impartialité habituelle ne nous permet pas de le dissimuler : on a regret de voir Moncey, lors des événements de 1830, faire si promptement acte d’adhésion au gouvernement. Il eût été plus digne de lui de se résigner à la retraite et de ne pas prêter de nouveaux serments. On comprend, on approuve même qu’un jeune officier, qu’un jeune général hésite à briser son épée au début ou au milieu de sa carrière, et ne se prive pas volontiers du bonheur de servir son pays ; mais le vétéran, arrivé aux suprêmes honneurs, et sur lequel sont fixés tous les regards, a des devoirs, ce semble, plus sévères, et il est des cas où, pour l’exemple, il lui faut savoir faire, fût-ce au sentiment exagéré de sa dignité, le sacrifice de sa satisfaction personnelle et d’une position dont l’habitude a fait un besoin. C’est ce que comprit admirablement Drouot dans sa fidélité chevaleresque à son premier et unique serment.

Moncey fut nommé, en 1834, gouverneur des Invalides, en remplacement de Jourdan, qui venait de mourir. « C’était, dit Michaud, un emploi qui convenait parfaitement à son esprit d’ordre et de discipline, mais ce fut en vain qu’il essaya d’y reformer quelques abus dans l’administration. Le ministre de la guerre, Maison, étant intervenu, le vieux maréchal lui répondit avec une force et une énergie dont on ne le croyait plus capable. Il fallut pour le calmer recourir à l’intervention la plus puissante et la plus élevée. »

Lors du retour en France des cendres de Napoléon Ier et de la solennité funéraire du 15 décembre, Moncey, quoique malade, et pouvant à peine se mouvoir, malgré la rigueur d’un froid excessif, se fit porter dans l’église et voulut assister à la cérémonie tout entière. « Lorsque parut le glorieux cercueil porté sur les épaules des marins, un frémissement parcourut l’assemblée, dit un témoin oculaire[3], le Roi descendit de son siége pour venir à la rencontre du cercueil ; tout le monde se leva. Le vieillard (Moncey) assis à gauche de l’autel, voulait se lever aussi, les forces lui manquèrent, il retomba sur son fauteuil. Un éclair d’émotion passa sur ce visage déjà marqué de l’empreinte de la mort, et de son regard éteint un instant ranimé, le vieillard semblait dire : J’ai assez vécu ! »

Quelques semaines après (20 avril 1842), le vieux guerrier, en effet, avait cessé de vivre, et, dit à ce sujet le capitaine Ambert : « Les premières impressions de son enfance ne s’étaient pas effacées, et le vieux maréchal de France se souvenait des principes que recevait jadis le fils de l’avocat au parlement de Besançon. Moncey était donc religieux ; mais de cette religion inséparable de la haute morale. Nous avons vu le prêtre administrer les derniers sacrements au vieux soldat, et ce spectacle était plein de grandeur et de majesté. »

« Un des vieux compagnons du maréchal Moncey était-il dans la peine, dit le même biographe ; une pauvre veuve de soldat, un orphelin avaient-ils besoin d’appui ; le duc de Conégliano s’empressait de tendre la main pour soulager l’infortune. Il ouvrait des écoles pour les enfants du laboureur, il relevait l’église du village, construisait des ponts pour le commerce ; et cependant sa fortune était médiocre, puisque son patrimoine n’allait pas à 10,000 fr. de revenu.

« Un peu inquiet par caractère et même difficile dans ses rapports, le maréchal Moncey n’en était pas moins doué de cette sorte de bonté naïve qui est toujours l’indice d’une belle âme. Semblable aux patriarches des anciens temps, il soignait la vieillesse de ses serviteurs. Il n’était pas jusqu’à ses chevaux qui ne fussent protégés jusqu’à la mort. Il eut ainsi vingt-neuf vieux chevaux qu’il ne voulut jamais vendre, parce qu’ils eussent été malheureux loin de lui. Cette religion des souvenirs a quelque chose de touchant que l’on aime à trouver chez les grands hommes de guerre. »

Quelques anecdotes encore : elles achèveront de mettre en relief cet admirable caractère.

Lors de la paix de Saint-Sébastien, le gouvernement espagnol, craignant que l’arsenal de Bilbao, riche en munitions de toute espèce, ne fût évacué sur la France, envoya deux membres du conseil de Castille au général Moncey, afin d’obtenir de lui que l’arsenal de Bilbao ne restât pas compris dans le traité. Les députés ne lésinèrent pas, et ils offrirent du premier coup au général Moncey, pour que la clause en question fût rayée du traité, une somme ronde de un million cinq cent mille francs ! Pouvaient-ils douter de la réussite sachant que Moncey, comme nos autres généraux à cette époque, touchait pour toute solde 8 francs par mois en numéraire ? Pour toute réponse cependant, en présence même des députés espagnols, Moncey donna l’ordre d’envoyer en France, où l’on manquait de tout, le matériel immense de l’arsenal espagnol.

Lorsque Moncey commandait les troupes françaises dans la république Cisalpine, la municipalité de Milan lui fit offrir, à titre de représentation, une forte indemnité de guerre. Il s’agissait de 400 mille fr. par mois :

« Je vous remercie, messieurs, mais ne puis rien accepter pour moi-même, répondit Moncey ; mais puisque vous comprenez que le soldat souffre, vous donnerez à chaque fusilier quatre sous par jour ; les généraux seront satisfaits. »

C’est bien là le langage de celui qui disait : « L’officier doit se lever le premier et se coucher le dernier ; il est le protecteur du soldat. »

Pendant le consulat, Moncey eut la plus grande part à l’organisation de la gendarmerie, destinée à remplacer l’ancienne maréchaussée, et dont il fut tout naturellement nommé commandant en chef : « Un jour, dit le capitaine Ambert, Moncey faisait observer à l’Empereur que le poste de chef de la force publique à l’intérieur était d’une telle importance, qu’il y faudrait placer un frère du monarque.

« Ce poste est tellement important, son influence est si grande, disait Moncey, qu’il faut, pour l’occuper, plus que des talents de guerre, plus que des dignités sociales. — C’est vrai, dit l’Empereur, on ne confie pas une telle armée à tous les bras ; mais Moncey est trop fort et trop sûr, pour que je ne la lui abandonne pas toujours. »

Condisciple de Pichegru, Moncey resta lié avec ce général ; aussi lors de l’arrestation de Pichegru, des lettres de Moncey furent trouvées dans ses papiers, lettres d’ailleurs nullement compromettantes. Pourtant « quelqu’un crut pouvoir hasarder de perfides insinuations contre les généraux dont les lettres se trouvaient dans le portefeuille de Pichegru. » L’attaque dans sa forme semblait surtout dirigée contre Moncey. Napoléon répondit d’un ton calme mais sévère à l’accusateur :

« Vous ne vous connaissez pas en hommes : Moncey est honnête jusque dans ses pensées les plus intimes. »

L’opinion de l’Empereur sur le vieux soldat n’a jamais varié, puisqu’à Sainte-Hélène il écrivait : « Moncey est un honnête homme. »

Cet honnête homme, cet héroïque soldat joignait à tant de belles et rares qualités une singulière modestie, témoin la lettre qu’il écrivait, au mois d’août 1794, pour refuser le commandement en chef de l’armée des Pyrénées-Orientales, et dans laquelle se lisait cette phrase : « Je serais criminel envers la République, et surtout envers moi-même, si j’acceptais un poste que ma conscience me dit hautement de refuser. »

Peu de mois avant sa mort, voulant laisser un souvenir à ceux qu’il aimait et estimait, il donna à ses deux aides de camp, Lheureux et de Bellegarde, ses croix de la Légion d’Honneur, reliques du vieux soldat. Puis un matin regardant l’épée de connétable, qu’au sacre du roi Charles X il avait reçue des mains du monarque, il murmura :

— Je veux qu’on la donne à mon vieil ami le maréchal Soult.

Mais aussitôt se reprenant : « Oh ! non, non, je ne puis rien donner au maréchal Soult, il est bien plus grand que moi, ses services sont autrement importants que les miens ; oh ! non, ce n’est pas moi qui puis donner une telle épée au maréchal Soult… »

Le duc de Dalmatie sans doute n’ignorait pas cette circonstance, quand sur la tombe du maréchal, d’une voix si profondément émue, au milieu du plus religieux silence, il faisait entendre ces paroles : « C’est un dernier adieu que je veux donner à l’homme de bien, au soldat illustre que la mort nous a enlevé. Lié avec lui depuis quarante ans, j’ai connu toutes ses vertus guerrières, toutes ses qualités de citoyen. J’ai vu tout le bien qu’il a fait ; je l’ai suivi dans la longue carrière qu’il a parcourue au milieu des combats où sa gloire s’est fondée ; partout je l’ai trouvé égal à lui-même, modeste, redoutant presque qu’on s’occupât de lui, qu’on le jugeât capable des actions d’éclat qu’il venait d’accomplir.

« …. À la mort du maréchal Jourdan, le roi nomma spontanément le maréchal Moncey, duc de Conégliano, gouverneur des Invalides ; c’était faire vibrer encore une fois l’orgueil de ces glorieux débris de nos armées qui entourent ici son cercueil ; c’était leur offrir, dans la personne de leur général, un modèle de toutes les vertus.

« Adieu, mon vieil ami, adieu, soldat sans peur et sans reproche. »

« À ces belles paroles, dit un écrivain déjà cité par nous, jeunes et vieux soldats se sont serré la main. La voix du maréchal Soult, disant adieu au maréchal Moncey, avait réveillé dans les âmes tous les nobles et généreux instincts. On oubliait les mesquines passions de la cité, on était purifié par ce contact avec la vieille patrie, le vieil honneur, la vieille gloire ! »

Plaise à Dieu qu’il en soit de même aujourd’hui à l’inauguration de ce monument qui acquitte noblement la dette de la France envers cette héroïque mémoire que naguère Horace Vernet, par un de ses meilleurs tableaux, avait contribué à rendre populaire !


  1. Elle prendra, parait-il, le nom de : place Moncey.
  2. Biographie universelle.
  3. Notice historique sur le maréchal Moncey, par le capitaine Ambert, in-8o, 1842.