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Les songes drolatiques de Pantagruel

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LES

SONGES DROLATIQUES

DE PANTAGRUEL


REPRODUCTION FAC SIMILE DU TEXTE ET DES 120 PLANCHES DE L’ÉDITION
ORIGINALE, PARIS, R. BRETON ; AUGMENTÉE D’UN PORTRAIT
AUTHENTIQUE DE RABELAIS, ET D’UNE NOTICE BIBLIOGRA-
PHIQUE, PAR M. PAUL LACROIX, CONSERVATEUR
DE LA BIBLIOTHÈQUE DE L’ARSENAL


GENÈVE
chez J. GAY ET FILS, ÉDITEURS
ET A PARIS, À LA LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES, RUE DE LA BOURSE, 10

1868


NOTICE

POUR LES

SONGES DROLATIQUES

DE PANTAGRUEL



Le recueil de gravures en bois, intitulé : les Songes drolatiques de Pantagruel, est un des livres rares que les amateurs recherchent avec le plus de passion. Le dernier exemplaire, qui ait passé sous le feu des enchères, celui que possédait l’illustre auteur du Manuel du libraire, a pu atteindre le prix énorme de 1500 francs, quoique l’exemplaire de M. Solar, relié par Trautz-Bauzonnet, n’eût été vendu que 115 fr. Peu d’années auparavant, l’exemplaire de Charles Nodier avait été payé 414 fr., et ce bel exemplaire, relié en mar. r. par Derome, provenant de la bibliothèque de Girardot de Préfond, n’avait coûté que 150 fr. chez Mac-Carthy. Il serait facile de constater que les exemplaires de ce livre, qu’on voit reparaître de temps à autre dans les ventes célèbres, sont au nombre de cinq ou six à peine, en dehors de ceux qui existent dans quelques bibliothèques publiques.

C’est un volume petit in-8° de 63 feuillets non paginés, y compris le titre et l’avis au lecteur, avec les signatures A-G. La signature G est double, et le second cahier, compris sous cette signature, n’a que 7 feuillets au lieu de 8. Il faut en conclure que le huitième feuillet manquant a été supprimé dans tous les exemplaires. Guillaume-François Debure et Jacques-Charles Brunet ont remarqué que, dans certains exemplaires incomplets, le nombre des planches se trouvait réduit à 108, au lieu de 120. Il n’y a pourtant qu’une édition ancienne de ce recueil.

En 1797, le libraire Salior, qui prétendait avoir entre les mains l’original dessiné par Rabelais, fit reproduire une partie de ces dessins, gravés par C.-N, Malapeau, et les publia, au nombre de 60, dans le format in-4°. Cette publication ne fut point achevée. Le recueil original, de format in-folio, contenant 122 dessins à la plume, dont 33 coloriés, et deux portraits de Rabelais, également à la plume, se trouva dans la superbe collection formée par le libraire Lamy et fut vendu seulement 130 fr., en 1807.

L’auteur de la Bibliographie instructive a eu raison de constater que, suivant l’opinion de plusieurs iconophiles, le recueil attribué à Rabelais avait servi de modèle à Callot « quand il exécuta en taille-douce les figures grotesques que tout le monde connaît et dont il passe pour être l’inventeur. » En effet, les types les plus étranges que Callot a fait entrer dans sa Tentation de St-Antoine sont empruntés aux Songes drolatiques de Pantagruel.

Le savant J.-Ch. Brunet s’est peut-être trop avancé, en disant d’une manière formelle : « Rabelais, dont ce livre porte le nom, n’y a eu aucune part, mais ses ouvrages en ont donné l’idée. » Rien ne prouve, il faut le reconnaître, que ce livre soit de l’invention de maître François Rabelais, mais rien aussi ne prouve que Rabelais n’y ait eu aucune part. On y trouve, au contraire, des compositions très-ingénieuses et très-plaisantes qui ne seraient pas indignes de lui, si l’on pouvait démontrer qu’il savait se servir du crayon aussi bien que de la plume. Les descriptions architectoniques, qui occupent une assez grande place dans le roman de Rabelais, notamment dans le Gargantua, à propos de l’abbaye de Thélème, et surtout dans le cinquième livre où l’auteur se complaît à représenter le temple de la dive Bouteille, ont donné lieu de supposer que Rabelais était très-expert en architecture. Or, s’il était bon architecte, comme Charles Lenormand l’a soutenu dans une curieuse dissertation intitulée : Rabelais et l’architecture de la Renaissance, on n’a pas de peine à croire qu’il était aussi bon dessinateur et habile inventeur de figures grotesques.

On n’a pas encore expliqué, du moins d’une manière satisfaisante, le sens de ces figures, qui ne sont peut-être que des caprices et des imaginations drolatiques, où il ne faut pas chercher une suite d’allusions, de caricatures et de portraits empruntés aux livres de Gargantua et de Pantagruel. Esmangart, qui les a fait entrer pour la première fois dans une édition des œuvres de Rabelais, a cru y découvrir le complément des satires historiques qu’il avait mises en relief dans son volumineux commentaire et qui ne sont la plupart que des conjectures en l’air, que les faits et les dates repoussent et dissipent comme un léger brouillard.

Les éditeurs de cette édition Variorum (Paris, Dalibon, 1823-1826, 9 vol. in-8), Esmangart et son ami Eloi Johanneau, étaient bien fiers pourtant de leur interprétation : « Ils ont les premiers, disent-ils dans une notice en tête de leur tome IXme, rattaché au texte du Gargantua et du Pantagruel les caricatures des Songes drolatiques, où l’on admire le cachet de l’auteur, sa folie et son originalité, jointes à l’esprit et à la malignité du burin de Callot, et où l’on voit reparaître, sous les figures les plus grotesques, tous les personnages tant réels qu’allégoriques de ses deux romans ; ils ont prouvé que les sujets en étaient tirés, et qu’elles servaient comme de pièces justificatives à leur commentaire historique, qui révèle enfin au grand jour ce qui était resté jusqu’ici couvert, sinon d’un voile épais, au moins d’incertitudes. Ils ont démontré que, sous les noms de Grandgousier, de Gargantua, de Pantagruel, de frère Jean des Entommeures, de Panurge, de Bringuenarilles, du grand dompteur des Cimbres, de Gargamelle, de Badebec, de la grande Jument, de la fée Morgue, etc., Rabelais avait mis en scène Louis XII, François Ier, Henri II le cardinal du Bellay, le cardinal de Lorraine, Charles-Quint, le pape Jules II, Anne de Bretagne, Claude de France, Diane de Poitiers, la belle Ferronnière, etc. Ces révélations, toutes puisées dans des sources historiques plus ou moins connues, et appuyées de citations exactes, doivent donner l’intérêt de la malignité et même de la nouveauté aux œuvres de Rabelais, en mettant tous les lecteurs à portée d’en sentir toutes les allusions et tout le sel. »

Nous n’avons pas vu, dans les œuvres de Rabelais, et encore moins dans les Songes drolatiques, tout ce que Esmangart et Eloi Johanneau ont voulu y voir. Nous avions cependant cherché à expliquer les Songes drolatiques, et si nous nous sommes arrêté dans ce travail, c’est que nous nous trouvions indécis et embarrassé, en présence de plusieurs systèmes d’interprétation aussi admissibles l’un que l’autre. Il eût fallu opter ou essayer deux ou trois systèmes différents.

1° Suivant plusieurs doctes rabelaisants, l’explication des Songes drolatiques se trouverait tout entière et de toutes pièces dans le fameux chapitre du Ier livre : Les Fanfreluches antidotées, trouvées en ung monument anticque.

2° On peut, comme l’ont fait Esmangart et Eloi Johanneau, mais en usant de plus de réserve et de logique, extraire du texte même de Rabelais le commentaire ou plutôt la légende des Songes drolatiques.

3° Il y a dans les figures de ce recueil tant de physionomie expressives et caractérisées, qu’on les reconnaîtrait sans doute parmi les contemporains de l’auteur. Ce seraient alors des portraits grotesques tout à fait distincts de ceux qui forment la galerie des personnages du Gargantua et du Pantagruel ; ainsi la figure 106e ressemble beaucoup à François Ier ; la figure 408e, qui représente un ouvrier emprisonné dans une fontaine et taillant une pièce de bois avec une doloire, pourrait être Etienne Dolet ou Charles Fontaine ; par des motifs analogues, nous serions disposé à reconnaître Geoffroy Tory dans la figure 78e, dont la tête est coiffée d’un pot cassé, etc.

4° Enfin, d’après une idée que nous étions bien près de partager, les Songes drolatiques se rapporteraient seulement aux 16 premiers chapitres du Ve livre, lesquels furent publiés les premiers dans une édition séparée, sous ce titre : « L’Isle sonnante, par maistre François Rabelais, qui n’a point esté imprimée ni mise en lumière : en laquelle est continuée la navigation faicte par Pantagruel, Panurge et aultres officiers (Imprimé nouvellement, 1562, petit in-8 de 32 feuillets). » Rappelons que l’éditeur des Songes drolatiques, lequel annonce avoir eu grande familiarité avec feu son ami Rabelais, fait évidemment allusion à cette édition de l’Isle sonnante, dans ce passage de l’avis au lecteur des Songes : « Seulement je certifiray comme en passant que ce sont figures d’une aussi estrange façon qu’il s’en pourroit trouver par toute la terre, et ne croy point que Panurge en ait jamais veu ne cogneu de plus admirables, es pays où il a faict nagueres ses dernieres navigations. »

Nous dirons cependant aujourd’hui avec l’éditeur des Songes drolatiques : « Quant à vous faire une ample description des qualitez et estats, j’ay laissé ce labeur à ceux qui ont versé en ceste faculté et y sont plus suffisans que moy : voire pour en declarer le sens mistique ou allegorique, aussi pour leur imposer les noms qui à chacun seroit convenable. » Ce sera donc partie remise : Un jour, plus tard, nous ferons part aux amis de Rabelais de ce que nous avons pu deviner dans l’énigme des Songes drolatiques. Cette énigme nous paraît être réellement de l’invention de Rabelais et avoir été trouvée, après sa mort, dans ses papiers, avec le manuscrit inachevé du Ve livre. Peu d’années auparavant, le poète François Habert, d’Issoudun, son admirateur et son ami, avait publié un ouvrage moral sous ce titre : le Songe de Pantagruel : avec la deploration de feu messire Antoine de Bourg, chancellier de France (Paris, Adam Saulnier, 1542, petit in-8). Ce traité, dans lequel Pantagruel voit en songe Gargantua son père, qui lui donne le conseil d’embrasser la vie pastorale, et ensuite Panurge, qui lui fait le récit de ses aventures, pourrait bien être le point de départ des Songes drolatiques. Rabelais aura voulu se divertir, en prouvant à son ami François Habert que Pantagruel, dans ses rêves, ne se souciait pas tant de moraliser que de fronder et de railler la pauvre humanité.

Supposons donc que Rabelais est le véritable auteur de ces figures grotesques, et cherchons à découvrir un nom ou un monogramme dans les figures elles-mêmes. Le personnage représenté dans la planche XIV porte une inscription gravée sur le bord de sa chappe : Esmangart y a lu à rebours le mot Ora (prie), symbole de l’Île sonnante ou de l’Eglise romaine, dit-il. Nous y voyons, nous y verrions plutôt un monogramme avec paraphe contenant les lettres A et N (Alcofribas Nasier) et deux lettres majuscules A et R, cette dernière à rebours. Il y a une autre inscription sur la bordure de la robe d’une femme enceinte représentée dans la figure LXXIee, et nous y lisons à rebours : Rot se toro ou Oro testor ; enfin, sur le casque du personnage de la figure CVe, on retrouve encore le monogramme d’Alcofribas Nasier et cette inscription : Cornar. Alcofribas Nasier serait donc le dessinateur de ces figures grotesques, et la lettre initiale de son nom est parfaitement distincte sur la lame du couteau qui plonge dans l’intérieur de la figure XXXIIIe, qu’on peut prendre pour une allégorie de l’amour charnel.

P. Lacroix.

LES
SONGES DROLA-
TIQUES DE PANTAGRUEL
ou sont contenues plusieurs figures
de l'invention de maistre Fran
çois Rabelais : et dernie-
re œuvre d’iceluy,
pour la recreation
des bons
esprits.


À PARIS,
Par Richard Breton, Rue S. Jaques,
à l’Escrevisse d’argent.
M. D. LXV

LA grande familiarité que j’ay eue avec feu François Rabelais m’a incité (amy lecteur) voire contraint de mettre ceste dernière de ses œuvres en lumière qui sont, les divers Songes drolaticques du tres-excellent, mirificque Pantagruel : homme jadis tres-renommé à cause de ses faicts héroïques, comme les histoires tresplusque veritables en font des discours admirables : qui est la principale

cause que je n’ay (pour eviter prolixité) voulu en faire aucune mention, ains seulement je certifiray, comme en passant, que ce sont figures d’une aussi estrange façon qu’il s’en pourroit trouver par toute la terre, et ne croy point que Panurge en ait jamais veu ne cogneu de plus admirables es pays ou il a faict n’agueres ses dernieres navigations. Or quant à vous faire une ample description des qualitez et estats, j’ay laissé ce labeur à ceux qui ont versé en ceste faculté et y sont plus suffisans que moy : voire pour en déclarer le sens mistique ou allégorique, aussi pour leur imposer les noms, qui à chacun seroit convenable. Je n’ay semblablement trouvé bon de faire un long préface pour la recommandation de ce présent œuvre, cela est à faire à ceux qui veulent faire voler leur renommée parmy l’univers : car comme on dit en commun proverbe, quand le vin est bon, il ne fault point de bouchon à l’huis de la taverne. Je n’ay voulu aussi m’amuser à discourir l’intention de l’autheur, tant à cause que j’en suis incertain, que pour la grand difficulté qui se trouve à contenter tant d’esprits qui sont d’eux mesmes assez lunatiques, j’espere toutesfois que plusieurs s’y trouveront satisfaicts : car celuy qui sera resveur de son naturel y trouvera dequoy resver, le melancolique dequoy s’esjouir, et le joyeux dequoy rire, pour les bigaretez qui y sont contenues priant un chacun d’eux de prendre le tout en bonne part, l’asscurant que mettant cest œuvre en lumière, je n’ay entendu aucun y estre taxé ne compris de quelque estat ou condition

qu’il soit, ains seulement pour servir de passe temps à la jeunesse, joint aussi que plusieurs bons esprits y pourront tirer des inventions tant
pour faire crotestes, que pour establir mascarades, ou pour appliquer à ce
qu’ils trouverront que l’ocasion les incitera, voila à la verité
qui m’a en partie induit ne laisse evanouir ce petit
labeur, te priant affectueusement le recevoir
d’aussi bon cueur qu’il t’est
présenté.
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