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Les travaux d’Hercule, ou la rocambole de la fouterie/Préface

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PRÉFACE.


Accourez à ma voix, disciples de la volupté, lubriques sectateurs de ce fils de Bacchus si connu par ses débauches, et célébré tant de fois par ce caustique Bourguignon, dont les écrits immortaliseront à jamais et leur auteur et ceux qu’il a chantés.

Venez entendre les leçons du plaisir : je professe aujourd’hui le grand art de la fouterie ; j’enseigne les moyens de se procurer des jouissances factices au défaut des naturelles ; je donne des préceptes galans sur toutes les manières d’alambiquer le plaisir par les attouchemens, les frottemens, les titillations réitérées, et en général par tous les stimulans quelconques qui ont la vertu d’exciter, de provoquer les sens et de les réveiller de l’engourdissement où les tiennent la molesse et l’inaction.

Je forme des Hercules, des hommes extraordinaires enfin, en développant dans l’être organisé les facultés viriles de l’humaine nature.

Divin Piron, et toi sublime Grécourt, que ne puis-je à mon gré me rendre comme vous maître des cœurs, en captivant les oreilles par cette harmonieuse éloquence, cette diction élégante et persuasive qui vous valut tant d’admirateurs ! Mais si je n’ai pas la gloire de vous égaler, du moins aurai-je celle de marcher sur vos traces. Je vous suivrai dans la carrière immense que vous avez parcourue avec une célérité incroyable ; et si je viens à broncher dans une course aussi périlleuse, je n’en aurai pas moins le mérite de l’avoir entreprise.

La gloire d’une chûte aussi célèbre ne peut qu’ajouter à la réputation, et il n’est pas moins beau de succomber en voulant s’élever à une hauteur démesurée, que de planer dans une sphère étroite et limitée.

Il est beau qu’un mortel jusqu’au ciel s’élève ; il est même beau d’en tomber. (Opéra de Phaéton.)

Sexe charmant formé pour le plaisir, venez aussi profiter des leçons de la nouvelle doctrine que j’enseigne ; soyez les dignes appuis de mon école naissante ; soutenez-en l’édifice encore mal assuré, et aidez-moi à former un établissement dont les dieux mêmes puissent être jaloux.

L’homme, malgré les détracteurs du systême épicurien, fut créé pour les jouissances charnelles de la matière ; c’est dans le sein même de la concupiscence qu’il savoure à loisir les délices de la lubricité, et qu’il alimente, pour ainsi dire, les facultés grossières de son individu.

Tous les plaisirs qui n’émanent point des sens, ne sont que des jouissances imparfaites, inventées par l’impuissance pour tenir lieu de dédommagement aux jouissances réelles qu’on ne peut goûter que par intervalles.

C’est donc dans le rapprochement des deux sexes, dans la jonction étroite des parties de la matière, que consiste ce plaisir intact, cette jouissance inexprimable que l’on ne savoure bien qu’à proportion de la violence des tempéramens et de la conformité de chaleur dans les parties qui servent à la génération. C’est à l’instant où les ames paroissent se confondre par le rapprochement des corps, à l’instant même marqué pour l’entière explosion du chyle prolifique, que l’on ressent dans toutes les parties de la machine, cette commotion électrique de la jouissance qui se communique subitement par les fibres, et semble alors les rapprocher vers un centre commun de délices. C’est par la translation de la liqueur séminale dans le réceptacle de la matrice, par le mêlange des liqueurs hétérogènes, par la transmigration individuelle des parties intégrantes de la matière, que s’opère cette jouissance divine dont le créateur a rendu nos organes susceptibles.

Les petits-maîtres, ces pygmées en galanteries, et toutes ces femmes qui affectent la délicatesse du genre nerveux, vont sans doute se récrier sur des obligations pénibles ; j’avois prévu d’avance leurs objections ; et, pour toute réponse, je me contenterai de leur exposer que les plaisirs que je vais décrire ne sont pas faits pour eux ; qu’il faut, pour les goûter, une constitution mâle et vigoureuse ; que ce n’est point à des débiles et efféminés que j’offre mes opuscules en galanterie ; que c’est à des hommes sains et dispos, à des tempéramens de la bonne trempe, enfin à des hommes qui pussent remplir la tâche que le titre de mon ouvrage leur impose. Je veux moins démontrer les jouissances que l’on peut éprouver relativement à ses facultés, que celles que la nature dans toute son énergie, est susceptible de procurer à ceux chez qui elle n’est point altérée. Je veux enfin chercher le plaisir dans sa source, et non le saisir par ses ramifications.

L’auteur de la nature, en travaillant à nous faire éprouver des sensations voluptueuses, a voulu, pour la félicité de ses créatures, que le plaisir se trouvât le plus simplement possible, et qu’il ne consistât point dans ces recherches minutieuses qui prouvent plutôt l’ouvrage de l’art perfectionné que l’émanation directe de ses volontés. C’est pourquoi l’homme privé de toute instruction, qui n’a pour toute théorie que le seul instinct dont il est doué, sait, malgré son ignorance, trouver le voie du plaisir avec une femme aussi peu faite que lui aux exercices de ce genre. Tout le monde est d’accord que la nature suffit pour donner des leçons à l’être le plus insensible ; c’est un axiome si généralement reconnu, qu’il n’est pas nécessaire, pour démontrer son authenticité, de l’appuyer d’aucunes preuves.

Malgré le but que la nature s’est proposé, celui de n’en avoir qu’un, l’art, pour vaincre la monotonie inséparable attachée à cette seule manière de se reproduire, a trouvé différens moyens qui conduisent aux mêmes fins par des voies différentes ; et, bientôt rival de la nature, il a fait du plaisir un Prothée qui prend toutes les formes imaginables.

C’est à cette séduisante étude que je consacre ma plume. Puissent mes écrits plaire au beau sexe à qui je les dédie, et me valoir quelques droits à son indulgence !

Si je parois odieux à quelques personnes scrupuleuses, que me fait après tout leur estime ou leur improbation ? Je me ris de leur censure, et je dirai avec Piron :

Qu’on me méprise et me déteste,
Que m’importe ? mon vit me reste.
Je bande, je fouts, c’est assez.

Ode A Priape.