Les trois Pucelles de Bruxelles (Verhaeren)
LES TROIS PUCELLES DE BRUXELLES
brabançonne.
Démenez-vous, clochers et tours ;
Semez vos âmes dans l’espace ;
Chantez — et vous, les nuages d’orfroi
Faites comme un volant pavois
Les arcs-en-ciel sont les bandeaux
Leur corps est droit comme un palais
De piliers d’or, de marbres frais
Et de claires fontaines.
Ceux qui veulent boire et manger
Pourront gaiement se partager
Qu’elles quittent les champs en fleur
Et qu’elles sont triomphales et belles
Les Trois Pucelles.
La trépidante ardeur s’allume à leur clarté ;
Et c’est Juillet et c’est l’été ;
Les façades de haut en bas sont blanches
Bruxelles en liesse et en folie attend ;
Et ses rumeurs d’heure en heure plus drues
Bondent les cours, gonflent les rues
Quand tout à coup, près du beffroi,
D’un bond joyeux, quittent leurs palefrois.
Montée ;
Des millions de mains sont agitées ;
Au bord de leur balcon d’airain
Applaudissent les échevins ;
Les carillons renouent les mailles
Musicales de leurs sonnailles ;
On étale l’or et le brocart ;
Parmi les plis houleux des étendards
Les lions bougent ;
Et le soleil du bon espoir
Dans ce fourmillement profond et noir,
À se sentir si largement à l’aise
Parmi ce peuple ardent, gaillard et prompt.
Elles n’ont peur de ses bourrades
Et leur pas ferme et bien d’aplomb
Robes, jupons, chemise,
Et l’impudeur se solennise ;
Les cloches tintent aux églises ;
La foule luit de tous ses yeux ;
Les trois pucelles rivalisent
De belle humeur et de santé.
Et c’est un cri, mais fol, immense,
Comme un jet d’or et de clarté,
Les pucelles droites et nues
Illuminent et déchaînent l’entrain ;
Leur col, leurs épaules, leurs reins
Ne craignent pas les mains charnues.
Elles sont flamandes et le font voir ;
Leur torse est lourd comme un dressoir ;
Leur chair de baisers fous se ravitaille ;
Bâfrer et s’accoler ? — c’est la bonne bataille.
Pour célébrer les trois pucelles
Qui de leur ventre et de leurs seins
Sur la Grand’Place de Bruxelles
— À la source de quelle forêt ? —
Une virginité nouvelle,
S’en reviendront comme aujourd’hui,
Sur leurs chevaux d’or et de bruit,
Les Trois Pucelles,
Pour présider, belles et lentes,