Les trois chercheurs de pistes/02
CHAPITRE II
LE DÉSESPOIR ET LA DÉLIVRANCE
Le soleil descendait lentement à l’horizon, et l’homme torturé était toujours attaché dans la plaine ; les plaintes du petit enfant n’étaient plus que de faibles soupirs qui navraient l’âme du malheureux père.
Plusieurs fois le petit être s’était laissé tomber dans la poussière, et après s’être reposé s’était traîné jusqu’à l’impuissante victime. Là, ses yeux bleus regardaient fixement dans ceux de son père si pleins de la plus profonde angoisse.
Cet homme ne pouvait plus pleurer, car toutes les larmes de ses yeux étaient taries.
Lentement l’enfant se traîna jusqu’à ce que sa petite main fût placée sur la poitrine meurtrie de son père, sur laquelle il tomba avec un soupir de soulagement.
La large poitrine du père se souleva comme si son cœur allait en sortir.
Les muscles de ses bras semblaient se nouer et s’entremêler comme des serpents dans sa peau au milieu des efforts qu’il faisait pour s’arracher de ces pieux cruels, afin de presser sur son cœur l’enfant qui se cramponnait à lui.
Mais les courroies tenaient fermes, et avec un dernier gémissement, l’homme abandonna la lutte ; sa respiration s’exhalait en faibles soupirs.
L’enfant reposait comme s’il avait été mort, et la prière intérieure du père demandait que l’âme de ce petit martyr quittât son enveloppé terrestre.
Pour un temps il crut sa prière exaucée, et il fit appel à toute sa force de volonté pour supporter cette nouvelle agonie.
Aucun espoir de délivrance n’apparaissait, et cependant en dépit de tout il continuait à espérer. Il ne priait pas pour demander la mort, comme tout autre homme aurait fait à sa place, au contraire il luttait contre la mort, car longtemps avant d’être témoin du supplice de son enfant il avait juré de se venger.
Aucun homme n’avait jamais eu plus de raisons de faire ce serment, et c’est ce que la suite de notre histoire prouvera.
Si quelqu’un avait pu entendre les paroles murmurées par les lèvres sanglantes de ce père malheureux quand il crut son enfant mort, il aurait prévu une cruelle vengeance. Il espérait toujours et priait pour être délivré.
— « Je ne mourrai pas ! disait-il. Je vivrai pour sauver ma femme des mains de ces barbares ! Oui, je vivrai pour la vengeance ! Il le faut !
Oh ! mon Dieu, soutenez ma pauvre raison, et laissez-moi aller la délivrer ! Pour cela seulement délivrez-moi du sort qui m’attend. »
Ses yeux élevés au ciel étaient fixés comme si dans son imagination, il eut vu sa femme entre les mains des rouges démons apaches. Cette scène imaginaire lui parut tellement réelle qu’il fit un effort herculéen pour bondir en avant et rejeta de sa poitrine le corps de son enfant. Il poussa un cri sauvage, ses nerfs se détendirent, et il tomba sans connaissance délivré de toute souffrance.
Dans un engourdissement semblable à la mort reposait l’enfant à l’endroit où il était tombé, à côté de son père. Les rayons rougeâtres du soleil couchant jetaient une lueur sanglante sur les deux visages inanimés.
Ils restèrent ainsi quelque temps comme morts, mais bientôt la diminution de la chaleur et de la lumière sembla les ranimer, et peu à peu ils reprirent leurs sens. Les yeux de l’homme s’ouvrirent avec une expression étrange : il semblait ne rien se rappeler.
L’enfant, avec un cri pitoyable, se traîna vers lui comme pour reprendre sa place sur la poitrine de son père.
Cet effort fit recouvrer la raison au père qui se mit à gémir et à regretter amèrement que son enfant vécût et souffrît encore. C’était pour le malheureux père le coup le plus terrible.
Cette nouvelle souffrance fut suivie d’une autre qui fit frissonner d’horreur la victime. Elle venait d’entendre le hurlement prolongé du loup de prairie.
Ce hurlement était le présage d’un sort affreux.
Les vautours volaient de plus en plus près de terre. Un autre hurlement retentit, et les busards, comme s’ils craignaient que leur proie ne leur fût enlevée, descendirent si près, que l’infortuné put voir leurs yeux repoussants à la lueur du crépuscule.
Il tournait la tête de tous côtés, regardant les oiseaux de proie qui volaient en demi-cercle dans l’obscurité à cinquante pieds au-dessus de lui. Ce spectacle devenait effrayant pour le pauvre père. Il poussa un cri terrible comme pour effrayer les vautours et les bêtes féroces qui venaient les dévorer.
Aussitôt l’expression de sa figure changea, car à peine le cri avait-il retenti dans l’air qu’il fut suivi du hurlement de guerre d’un Indien. Les loups se rapprochaient toujours, remplissant l’air de hurlements encore plus féroces. L’homme agonisant vit qu’ils allaient fondre ensemble sur lui et son enfant, alors il ferma les yeux, comme pour la dernière fois de sa vie. Mais il les rouvrit bientôt avec un grand cri.
C’était un cri de joie, cette fois, et en même temps un bruit épouvantable frappa son oreille. Des cris de guerre évidemment poussés par des Sauvages, mêlés à des hurlements de bêtes blessées et à des détonations d’armes à feu, firent retentir les échos d’alentour. À travers tout ce vacarme, on distinguait parfaitement le galop d’un cheval lancé à toute vitesse.
Le pauvre torturé sut qu’il était sauvé.
Le changement fut si subit, si inattendu, qu’il s’évanouit encore au milieu des sons discordants qui retentissaient dans l’ombre, autour de lui.