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Les trois chercheurs de pistes/10

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Bibliothèque à cinq cents (p. 35-41).

CHAPITRE X
« CHAT RAMPANT, » LE CADDO

Immédiatement, cette réponse fut suivie du bruit de deux corps lourds plongeant dans la rivière, comme si deux chevaux s’y étaient jetés, l’un après l’autre.

La figure du vieux trappeur exprima beaucoup de surprise et de curiosité. Cependant, cela ne l’empêcha pas de danser une sorte de danse de nègre, tant était grande la joie qu’il éprouvait à l’arrivée d’un homme, qui, bien que sauvage, avait su mériter son respect et son admiration par sa bravoure et sa fidélité.

« Vieux Rocher » s’attendait que le Caddo viendrait seul mais le bruit semblait indiquer qu’il avait un compagnon.

Il ne fut pas longtemps à attendre.

Bientôt retentit le bruit fait par deux chevaux grimpant sur la rive en déclin, puis le piétinement des sabots, et enfin le bruissement du feuillage et des branches.

« Pieds Légers » avait cessé de manger depuis le moment où le signal du Caddo avait retenti, et il était allé se placer à côté de son maître, tourné vers la rivière, et montrant par son regard autant d’intérêt et de curiosité que le vieil éclaireur.

Les bruits se rapprochèrent, et bientôt la tête d’un cheval noir aux grands yeux brillants et aux longues oreilles fines pointées en avant, parut à travers le feuillage ; la tête demeura immobile un instant, encadrée dans la verdure, pendant que le coursier faisait entendre un hennissement étouffé.

« Pieds Légers » répondit sur le même ton, comme si les deux intelligents quadrupèdes semblaient comprendre qu’il serait imprudent de se saluer avec bruit. Il était évident que les deux coursiers se reconnaissaient, et que souvent ils avaient été compagnons et avaient voyagé ensemble.

Le cheval noir sortit d’un bond du taillis. C’était un animal de grande beauté.

Sur son dos se tenait un sauvage peint et la tête ornée de plumes.

L’homme rouge sauta à terre et son cheval alla faire des caresses à « Pieds Légers. »

Le fils de la forêt se tenait droit comme un pin des montagnes, les bras croisés sur sa large poitrine nue et bariolée de rouge. Trois plumes d’aigle surmontaient sa tête protégée par de longs cheveux noirs nattés et ornés de coquillages, de dents de bêtes sauvages et de breloques argentées qui brillaient au clair de la lune.

Des raies vermillon et noir entremêlées de blanches sillonnaient sa poitrine et lui donnaient une apparence presque hideuse. Mêmes lignes d’ocre et de vermillon mais plus minces sous ses yeux noirs et perçants.

Ses traits étaient moins accentués que ceux des autres sauvages d’Amérique. Il était nu jusqu’à la ceinture et portait un revolver et un couteau à scalper.

Il portait aussi des guêtres de peau de daim et une culotte d’une étoffe de couleur voyante. Ses pieds étaient petits pour ceux d’un sauvage et chaussés de mocassins garnis de perles.

Une carabine, un carquois, des flèches et un arc reposaient sur son dos. Le carquois, les guêtres et la ceinture étaient frangés de chevelures noires évidemment enlevées des têtes de sauvages hostiles à sa tribu.

— « Chat Rampant » est venu ! Son cœur est content, car il a trouvé son frère blanc ! dit-il, en rompant, le premier, le silence.

« Vieux Rocher » tendit sa main et elle fut pressée sur la poitrine bariolée du Caddo ; l’éclaireur imita cet acte, signe de paix et de gratitude dans la prairie.

— J’suis si content de voir ton joli minois, dit « Vieux Rocher » et de te serrer la patte ! J’suis arrivé un peu avant le temps ! Y a-t-il du nouveau dans le pays d’en haut ?

— Les Comanches chassent buffles. Se battent pas ! Mon frère blanc a-t-il passé sur la piste des Apaches ?

J’n’ai pas vu de trace de mocassins apaches ici ni une marque de mustangs pécos. Pourquoi ? Penses-tu que j’ai arraché un cheveu depuis que nous nous sommes serrés la main et séparés.

Le Caddo, ne paraissant pas entendre les derniers mots de son compagnon blanc, demanda vivement et avec plus d’anxiété que d’ordinaire :

— « Vieux Rocher » a-t-il vu nos amis blancs des bords du Concho ?

— Non ! comment les voir, j’arrive d’en bas du pays ! Pourquoi ? As-tu entendu dire que quelque chose leur était arrivé ?

— Mon frère blanc n’a pas vu feu en haut du Concho après soleil couché ?

— J’ai pas vu de feu, Caddo ! De quoi veux-tu parler, morbleu ! Allons, crache-le vite ! Que veux-tu dire ? Et qui était avec toi quand tu as traversé l’eau tout à l’heure ?

La réponse à cette question fut l’apparition d’une belle jeune femme indienne qui était restée jusque-là derrière les buissons, assise sur son cheval. Son mustang bondit en avant et vint se placer près des deux trappeurs. La figure de « Vieux Rocher » prit une expression de vif plaisir mêlé de surprise en l’apercevant, mais de suite il lui tendit la main en disant :

— J’veux manger des serpents et de la chair de busard pendant des siècles si ce n’est pas là « Yeux d’étoiles » ! T’as causé une rude surprise au bonhomme, tout de même, ma fille.

— J’ai cru avoir entendu la voix de mon ange gardien me souffler à l’oreille que « Vieux Rocher » devait se mettre en route et même sur le sentier de la guerre, répondit l’indienne.

— Es-tu partie toi-même en guerre avec « Chat rampant ? » continua le vieux trappeur à qui l’arrivée de « Yeux d’étoiles » avait fait oublier l’allusion à l’incendie des bords du Concho.

Rien d’étonnant que cet oubli, à une pareille apparition, car la jeune indienne frappait toujours par sa beauté. C’était une vraie Vénus au teint bronzé, mais d’un bronze bien rosé. Une couronne de fleurs aux teintes vives ornait sa jolie tête, qui soutenait en outre toute une moisson de magnifiques cheveux d’un noir d’ébène tressés et arrangés avec goût.

Elle était bien digne d’être la femme du chef Caddo.

Son corsage, sa jupe courte, ses guêtres et ses mocassins étaient de fine peau de faon, richement garnie de poils de porc-épic, de perles et d’autres ornements, et des bracelets d’argent brillaient à ses bras.

Elle était montée sur un de ces mustangs tachetés, fort appréciés au Texas et au Mexique.

Ses armes, très coquettes, comprenaient des flèches, un arc, un revolver et un couteau.

Le Caddo était évidemment fier de sa femme et l’aimait tendrement, mais sa figure ne le disait pas dans le moment.

Il y eut un regard de surprise dans ses yeux quand « Vieux Rocher, » après avoir paru ému et intéressé au sujet de l’incendie du haut de la rivière, oublia subitement ce fait pour s’amuser à saluer l’arrivée de la jeune indienne.

Un faible sourire courut sur les lèvres de « Yeux d’étoiles » à la dernière question de « Vieux Rocher » et aussi à son regard un peu comique qui exprimait peut-être un peu trop clairement l’admiration qu’il avait pour elle :

— « Chat Rampant » s’est revêtu de la peinture de guerre, répondit-elle, mais les joues de « Yeux d’étoiles » sont comme le Grand Esprit les a peintes. Mon chef désirait que   « Yeux d’étoiles » allât voir la femme de Munroe et « Yeux d’étoiles » est en route.

— J’suis content que tu y ailles, reprit « Vieux Rocher » vivement. J’ai hâte que l’soleil soit levé, pour qu’on puisse continuer notre voyage.

— Frère blanc a oublié, reprit le chef, que « Chat Rampant » a vu le feu. Montait vers les étoiles. C’était là où est la maison de Munroe.

C’était loin, mais l’œil du Caddo est perçant. « Chat Rampant » dira pas que Apaches sont près Concho, mais campera pas tant que croira danger à loge de Munroe.

— Jéricho doublée de Jérusalem ! cria « Vieux Rocher » étonné et inquiet. Pourquoi n’as-tu pas dit ça quand je te l’ai demandé ? J’vas devenir fou furieux, si ça continue. J’t’ai dit que j’avais été bilieux et j’suis toujours comme ça quand un malheur va arriver à mes amis.

Si c’est pas leur maison qui brûle, qu’est-ce que c’est ? Allons, le camp est levé. « Pieds légers » il faut aller vite voir si ces maudits Apaches ont fait quelques coups de travers.

— Voyons, vieil ami, glisse ou pose-toi des ailes, mais en route ; tu peux prendre le chemin que tu voudras.

Par Jupiter ! J’vas scalper mille têtes d’Apaches si ces Pécos d’enfer ont fait du mal à Marion et au petit !

Tout en marmottant ces mots, « Vieux Rocher » sellait son cheval à la hâte. Il paraissait avoir complètement perdu la tête depuis la communication du Caddo concernant Marion, car il y avait peu de personnes au monde que le vieil éclaireur aimât et respectât autant que la famille Munroe.

Par le fait que « Chat Rampant » et sa femme étaient venus vers le Concho par le nord-ouest, ils avaient été plus à même de voir la lueur de l’incendie, car la maison de Munroe était située juste à l’endroit où le Concho se détourne pour fuir vers l’ouest.

« Yeux d’étoiles » ne descendit pas de cheval et ne parla plus dès que son chef se mit à converser avec « Vieux Rocher. »

Le Caddo, en attendant ce dernier, scruta de l’œil les ombrages d’alentour, écoutant attentivement comme il en avait l’habitude en temps de guerre.

L’éclaireur, à l’arrivée du chef sauvage, s’était bien aperçu qu’il avait revêtu ses couleurs de guerre, et cela seul indiquait qu’il avait trouvé des signes de la présence de l’ennemi, mais « Vieux Rocher » n’avait pas demandé d’explication de suite, sachant bien que le Caddo révèlerait tout à temps.

Les deux sauvages n’eurent pas longtemps à attendre ; le vieil éclaireur fut bientôt en selle et prêt à partir. Il était devenu soudain aussi silencieux et aussi préoccupé que ses deux amis, car il savait très bien que le Caddo ne devait pas s’être trompé, et que le feu avait dû avoir lieu près de chez Munroe ou même chez lui, puisque « Chat Rampant » l’affirmait.

C’était terrible que cette nouvelle pour « Vieux Rocher. » D’après lui, la maison de Madison n’avait pas pris feu par accident ; de plus, il savait que Munroe devait être avec sa famille, à l’heure du soleil couchant.

Sans mot dire, le chef sauta sur son cheval et se dirigea vers la rivière. « Yeux d’étoiles » le suivit, puis « Vieux Rocher » ferma la marche.

Ils traversèrent la rivière, passèrent à travers les bois sur le côté ouest et débouchèrent enfin dans la grande plaine.

À ce moment, la maison de Munroe était presque consumée ; quelques jets de flamme s’élevaient encore dans les airs en répandant une faible lueur au-dessus des grands arbres dont la hauteur et l’épais feuillage avaient jusque-là protégé la maison qu’ils entouraient.

Un coup d’œil suffit, à « Vieux Rocher » pour tout deviner. La lueur était juste au confluent du ruisseau et du Concho et par conséquent ce devait être la maison de ses amis qui brûlait.

Tous les trois savaient aussi à quoi s’en tenir sur l’origine, du feu : ils étaient convaincus que c’était l’œuvre des Apaches.

Quel avait donc été le sort de Munroe et de sa famille ?

Un geste du Caddo montra le sud. Ce fut assez, avec un regard significatif, pour faire comprendre ce qu’il y avait à faire.

« Chat Rampant » et « Yeux d’étoiles » partirent à toute vitesse, suivis de près par « Vieux Rocher, » qui faisait tout bas des menaces terribles contre les Apaches.

Ils galopèrent ainsi tous trois le long du Concho, dans la direction de la lueur, qui dominait encore la longue ligne noirâtre marquant le cours du ruisseau.