Les vermoulures/25

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CHAPITRE XXV.

Le devoir


Le mariage n’est pas uniquement une partie de plaisir ; aux gens sérieux, il apparaît sacré et redoutable.

Édouard, tout en ayant pleine confiance à Blanche — et parce qu’il avait en elle cette confiance — tenait à ce qu’elle connût bien ses idées relatives au mariage et à ce qu’elle sût ce qu’il attendait et ce qu’il espérait de son amour, comme aussi ce qu’il voulait être pour elle.

De là, un échange de lettres pleines des plus hautes idées et des plus nobles sentiments, et pleines aussi d’une sincérité et d’un abandon rare :


Chère Blanche,

Je vous aime profondément et, à l’heure qu’il est, je me considère comme irrévocablement engagé envers vous ; j’ai perdu ma liberté et j’en suis infiniment heureux.

Quoique vous ne me l’ayez pas dit explicitement, je sais que vous vous considérez comme liée, vous aussi.

C’est fort bien ; et je n’attendais pas moins de vous.

Mais, pour nous rapprocher davantage, peut-être conviendrait-il que l’unisson qui marque les battements de nos cœurs existât aussi dans nos intelligences et nos volontés.

Car, si pour s’aimer il suffit de se voir, on doit se connaître quand on veut s’unir.

À une autre qu’à vous je ne parlerais pas ainsi ; mais, grâce à Dieu, votre haute intelligence et votre noble cœur vous rendent capables d’entendre ce langage et d’y répondre.

Si je vous disais que l’amour n’est pas tout, vous m’accuseriez peut-être d’hérésie, et vous auriez presque raison.

Mais à côté de l’amour, il y a autre chose qui le complète et le grandit ; et je veux vous dire ce que j’y vois.

Il y a, à côté de l’amour, le sérieux de la vie et le devoir.

Le mariage m’apparaît comme une longue suite de dévouements et de sacrifices ; il charge de lourdes responsabilités et astreint à des devoirs multiples et sérieux.

Pensez que pendant vingt ans et plus vous aurez à supporter les défauts et les caprices d’un être, toujours le même, que l’habitude vous rendra peut-être odieux ; pensez qu’une femme ne peut, sans se rendre méprisable, se soustraire à cette obsession du définitif et de l’irréparable, qui l’assiégera perpétuellement, si elle a eu le malheur de prendre celui qui ne lui convenait pas.

Pensez aux labeurs quotidiens, à l’énervement de la fatigue et à la monotonie des jours.

Vous aurez charge d’âmes ; il vous faudra former des volontés, façonner des intelligences et ouvrir des cœurs ; et vous devrez vous préparer à vous acquitter dignement de cette tâche.

Les chagrins, les fatigues et les veilles ne vous seront pas non plus épargnés, à vous qui n’avez jusqu’ici connu que les douceurs sans amertumes de l’amour filial et les rêves blancs de vos sommeils de jeune fille.

Vous aurez, il est vrai, dans cette nouvelle vie, pour vous consoler, vous fortifier et vous encourager, et pour goûter quelques instants de bonheur la pensée du devoir et l’amour.

Mais l’amour est un trésor précieux qu’on perd si facilement. Donnez-lui donc pour base, afin qu’il soit éternel, l’estime et la confiance. Ouvrez-moi votre cœur, comme on ouvre ses bras à un ami et devenons, selon la belle expression que je rencontrais récemment, vous, mon cœur, et moi ; votre tête. Vir erit caput mulieris et mulier cor hominis.

Toutes ces choses, ma chérie, je vous les dis parce que je m’y crois tenu et aussi parce que je vous aime. Je veux que nous nous donnions la main pour accomplir courageusement notre devoir et je veux ainsi asseoir solidement notre bonheur sur ce qu’il y a de plus inébranlable au monde : le dévouement et la religion.

Dites-moi que vous me comprenez, que vous m’approuvez, et que vous m’aimez.

Votre fiancé,
Édouard.


Mon cher Édouard,

J’ai d’abord failli pleurer en lisant votre lettre : elle est si austère que je me demandais si elle est bien de vous.

Pardonnez-moi ce mouvement d’enfantillage.

Vous avez eu bien raison de m’écrire comme vous l’avez fait ; j’ai réfléchi profondément et cela m’a fait du bien. Aujourd’hui, je comprends mieux certaines choses ; je vois plus clairement l’avenir et je n’en suis pas moins courageuse, et je vous aime encore davantage.

Vous me demandez mon approbation ; c’est par là que je veux commencer : oui, mon Édouard chéri, je vous comprends et je vous admire, je partage vos idées et surtout je vous aime.

Il n’y a pas de sacrifices que je ne sois prête à faire pour vous et je n’aurai pas de plus grand bonheur que de vous prouver mon amour par mon dévouement ; quant aux devoirs, vous me les indiquerez, maître chéri, et je les remplirai fidèlement.

Vous m’avez fait le tableau un peu sombre, sans doute pour m’inspirer de plus sérieuses réflexions ; mais il ne m’effraie pas, quand même.

Vos défauts et vos caprices, mon Édouard, ne sont rien auprès de mes imperfections ; et je suis certaine de ne pas me tromper en choisissant l’homme que j’estime entre tous et que j’aimais secrètement depuis des années.

Le labeur quotidien, j’y suis accoutumé et il me sera doux quand je travaillerai pour vous ; la fatigue, vos tendresses la feront disparaître, et les jours ne me sembleront jamais trop longs à penser à vous.

Nous serons deux pour porter les responsabilités : mon affection et vos conseils suffiront à tout.

Je me réfugierai dans vos bras quand la vie sera trop lourde ; vous me consolerez.

Oui ! nous aurons confiance l’un dans l’autre ; vous serez tout pour moi et je serai tout pour vous.

Du fond du cœur, Édouard, je vous promets obéissance, amour, dévouement et fidélité.

Que Dieu qui voit mes intentions nous bénissent tous deux et m’accorde de vous rendre heureux.

Votre fiancée,
Blanche.


Il fallait, pour qu’Édouard et sa fiancée pussent s’écrire de telles choses qu’ils fussent au-dessus du commun des amoureux.

On sait, en effet, quelle est généralement l’attitude de deux amoureux ou prétendus amoureux, quand ils en sont rendus à cette phase de leurs amours.

Si la jeune fille est assez indépendante, elle enverra promener le prétendant qui se permettra de lui parler un langage aussi ferme et aussi juste ; si elle est follement éprise — ou habile — elle acquiescera à tout ce qu’on lui dira, quitte à renier, ensuite, serments et mari.

Les idées élevées, la franchise et la confiance de nos deux fiancés sont l’exception et ne se rencontrent presque jamais.

Le seul moyen de prendre de l’empire sur une femme est de la traiter de haut, avec bonté mais comme une enfant, et de la mener où l’on veut sans qu’elle s’en doute.

Toute autre manière est inefficace.

Mais il faut à ce jeu, un tact et une diplomatie, qui sont souvent l’apanage des femmes, de sorte que tel qui croyait faire ce qu’il voudrait de sa femme devient le jouet de sa fiancée.

On ne saurait nier qu’il n’y ait encore des amours pures, simples et sincères. Puisse le nombre n’en pas diminuer davantage : ces amours sont déjà assez clairsemées.

À la lettre de Blanche, Édouard avait répondu :


Chère Blanche,

Que vous me rendez heureux.

Vous êtes bien telle que je croyais et j’aurai du plaisir à être — comme vous dites — votre maître et, néanmoins, votre humble esclave.

Si vous saviez comme j’ai hâte à cet été et aux quelques jours que nous passerons ensemble : là ! nous nous parlerons à cœur ouvert. Mais je veux, en attendant, vous dire un peu l’idée que je me fais de l’existence à deux. J’ai insisté sur le côté sérieux et austère du mariage, et sur les devoirs qu’il est nécessaire de bien remplir, préalablement, pour que le bonheur puisse subsister.

Mais, ces conditions de sacrifice, de travail, de dévouement et de religion remplies, quelle félicité sera la nôtre !

Vous serez mon unique amie, ma compagne, ma confidente, mon tout, mon unique raison de vivre ; tous mes soupirs et tous mes pas seront pour vous.

Je serai votre protecteur et vous serez ma force, car votre amour sera mon plus puissant motif de travail et d’ambition.

Oh ! ne plus nous quitter, Blanche, et nous aimer toujours : quel rêve et que la réalisation en sera douce !

Je n’envie pas leurs chimères aux rêveurs, leur idéal aux poètes, ni leurs découvertes aux savants ; je ne veux plus qu’un seul bien, et c’est vous.

Quand nous sortirons de l’église de Saint-Germain, au bras l’un de l’autre, Blanche, en vérité, je crois que je serai près du ciel.