Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Agnolo GADDI

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 222-225).
Agnolo GADDI
Peintre Florentin, né en…, mort en 1396
.

Taddeo Gaddi, dont nous avons raconté la vie, laissa deux fils. Agnolo et Giovanni, qui furent élevés dans la société de ses disciples, et il pensait que particulièrement Agnolo réussirait dans la peinture. Mais celui-ci, qui d’abord dans sa jeunesse parut promettre de surpasser un jour son père, ne répondit pas à l’opinion qu’on avait conçue de lui, parce que, né et élevé dans l’abondance qui, parfois, est un obstacle aux études, il s’adonna plutôt au trafic et au négoce qu’à la peinture. Dans sa jeunesse, Agnolo peignit, à San Jacopo tra Fossi de Florence, une Résurrection de Lazare[1], dont les figures ont un peu plus d’une brasse de hauteur. Cette composition fut jugée d’un mérite tel, que beaucoup estimèrent son auteur devoir surpasser tous les élèves de Taddeo, et Taddeo lui-même. Mais il en fut autrement, parce que, si la volonté d’un jeune homme surmonte toute difficulté pour lui acquérir la gloire, très souvent un certain manque d’énergie, qui survient avec l’âge, fait retourner en arrière au lieu d’avancer, , et c’est ce qui arriva à Agnolo. La famille Soderini, espérant beaucoup de lui, après ce coup d’essai, le chargea de peindre la grande chapelle du Carmine[2], et il exécuta toute la vie de la Vierge, mais d’une manière tellement inférieure à sa première œuvre, qu’il fut évident pour chacun qu’il ne voulait plus se consacrer tout entier à la peinture. De même, dans les fresques qu’il fit pour la noble famille des Alberti, dans la grande chapelle de Santa Croce, et qui représentent l’Invention de la Sainte-Croix[3], il fit preuve de beaucoup d’habileté, mais de peu de dessin ; seul le coloris est très beau et très judicieux. Ses peintures de la chapelle Bardi[4], qui ont pour sujet la vie de saint Louis, sont bien meilleures. Il travaillait d’une manière capricieuse, tantôt avec nonchalance, tantôt avec un soin extrême ; ainsi l’on croirait faite d’hier une fresque qu’il exécuta à Santo Spirito, à l’intérieur et au-dessus d’une porte allant de la place au couvent, et qui représente la Vierge tenant son Fils, entre saint Augustin et saint Nicolas[5].

Le secret de travailler la mosaïque lui était resté, en quelque sorte, comme un héritage de famille et il avait encore les instruments et tous les matériaux nécessaires qu’avait autrefois employés son aïeul Gaddo. Aussi s’amusait-il parfois, plutôt par passe-temps que pour une autre raison, à composer des mosaïques. Comme le temps avait ruiné beaucoup des plaques de marbre qui couvrent les huit faces du toit de San Giovanni, et que la pluie pénétrant par ces ouvertures avait considérablement endommagé l’œuvre de mosaïque d’Andrea Tafi, les consuls de l’Art des Marchands décidèrent de faire refaire la majeure partie de ce toit, pour ne pas amener la perte totale des mosaïques, et de les faire également restaurer. Agnolo, ayant été chargé du tout, l’an 1346[6], recouvrit le toit de marbres neufs, dont les plaques se recouvraient l’une l’autre sur une longueur de deux doigts et s’encastraient de la moitié de leur épaisseur. Il les scella ensuite avec un stuc composé de mastic et de cire fondus ensemble, en sorte que depuis ni toit ni voûtes n’ont subi le moindre dommage de la part des eaux. Il restaura de même les mosaïques, et, dans le même temps, on refit dans sa forme actuelle, d’après ses conseils, et sur un dessin judicieux qu’il donna, toute la corniche extérieure de marbre, qui est au-dessous du toit, et qui, primitivement, était beaucoup plus petite et tout à fait simple.

C’est également sous sa direction [7] que fut faite, dans le palais du Podestat, la voûte de la salle qui, auparavant, était couverte d’un toit pour la préserver, ainsi que la décoration intérieure, des dangers de l’incendie qui avait détruit la couverture du toit peu auparavant [8]. En outre, il surmonta les murs, qui étaient lisses, des créneaux qu’on y voit actuellement. Pendant qu’il était occupé à ces travaux, n’abandonnant pas la peinture, il fit un tableau en détrempe, destiné au maître-autel de San Pancrazio, et représentant la Vierge, saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Évangéliste, accompagnés de saint Nérée, saint Achillée, saint Pancrace et d’autres saints[9]. Le meilleur de cette composition, où l’on voit de bonnes choses, est la prédelle, divisée en huit petits épisodes de la vie de la Vierge, et de celle de Santa Reparata[10].

Le tableau qu’il fit ensuite pour le maître-autel de Santa Maria Maggiore, à Florence, et qui lui fut commandé par Barone Cappelli en 1348[11], représente un Couronnement de la Vierge, entourée d’anges qui dansent[12]. Peu après, dans l’église paroissiale de Prato, refaite l’an 1312 sous la direction de Giovanni Pisano, il peignit à fresque la chapelle qui contient la ceinture de la Vierge, et y figura plusieurs épisodes de sa vie[13] ; il laissa de plus une foule d’ouvrages dans différentes églises du même pays, riches en monastères et en couvents remarquables.

Il peignit ensuite l’arc au-dessus de la porte de San Romeo, et exécuta en détrempe, à Orto San Michele, un Christ discutant avec les docteurs dans le temple[14]. À la même époque, comme on avait jeté à terre plusieurs maisons pour agrandir la place de la Seigneurie, et en particulier l’église de San Romolo, elle fut refaite sur le dessin d’Agnolo[15], dont on voit quantité de tableaux dans les églises de la ville.

On reconnaît de même, dans les environs de Florence, nombre de peintures de sa main, dont il retira de riches profits, bien qu’il travaillât plutôt pour faire comme ses ancêtres que par amour pour l’art. Il s’adonna de plus en plus au commerce qui lui rapportait davantage ; ses fils, ne voulant pas vivre en artistes, ouvrirent avec lui une boutique à Venise, et bientôt il ne s’occupa plus de peinture que comme d’un passe-temps. Ayant acquis de cette manière de grandes richesses, grâce à son trafic et à son art, il mourut, à l’âge de 63 ans, d’une fièvre maligne qui l’emporta en peu de jours[16].

Il laissa de nombreux disciples, entre autres Michele da Milano, Antonio da Ferrara, qui laissa de beaux ouvrages à San Francesco d’Urbin et à Citta di Castello, et Stefano da Zevio de Vérone, habile fresquiste, comme le prouvent les nombreux travaux qu’il laissa dans sa patrie et à Mantoue. Son propre frère, Giovanni Gaddi, travailla également avec lui ; il promettait beaucoup, mais il mourut étant encore jeune, après avoir peint différentes fresques à Santo Spirito de Florence. Un autre élève d’Agnolo, nommé Cennino, fils de Drea Cennini, de Colle di Val d’Elsa, composa un livre sur la peinture dans lequel il exposa une foule de recettes et de secrets qu’il est inutile de rappeler ici, parce que personne ne les ignore aujourd’hui. Tous ces disciples firent honneur à leur maître. Il fut enseveli par ses fils, à qui il laissa, dit-on, cinquante mille florins et plus, à Santa Maria Novella, dans le tombeau qu’il avait fait élever pour sa famille, en 1387 [17]. Son portrait, peint par lui-même, se voit dans la chapelle des Alberti, à Santa Croce. Il s’est représenté de profil, avec un peu de barbe et un chaperon rose, comme ceux du temps, dans la fresque où l’empereur Héraclius porte la croix.



  1. Peinture perdue.
  2. Détruite par l’incendie de 1771.
  3. Ces fresques existent encore.
  4. Peintures passées au plâtre.
  5. Existe encore ; au lieu de saint Nicolas, lire saint Pierre.
  6. Ce fait n’est pas prouvé.
  7. Erreur de Vasari. Ce travail fut fait par Neri Fioravanti et terminé en 1340.
  8. En 1332.
  9. Actuellement à l’Académie des Beaux-Arts de Florence.
  10. Il n’y en avait que sept et il en manque une.
  11. Cette date paraît inexacte ; Agnolo devait être bien jeune à cette date
  12. Peinture perdue.
  13. Ces fresques existent encore, en bon état ; commencées en 1365. La chapelle fut dédiée le 4 avril 1395.
  14. Ces deux peintures n’existent plus.
  15. Attribution incertaine.
  16. Le 16 octobre 1396, d’après le registre des morts, qui existe encore : 1396,
  17. Une pierre ronde, à côté du tombeau de la Beata Villana, porte cette inscription : S. Angeli Zenobii Taddei de Gaddis et suorum. C’est la tombe du neveu d’Agnolo Gaddi.