Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Andrea dal Monte SAN SAVINO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 159-163).
Andrea dal Monte SAN SAVINO
Sculpteur et architecte, né en 1460, mort en 1529

Bien qu’Andréa fût le fils d’un pauvre laboureur[1] de Monte San Savino, nommé Domenico Contucci, qui lui faisait garder ses troupeaux, néanmoins son aptitude à concevoir de grandes choses, son génie élevé et sa promptitude d’esprit lui permirent de si bien comprendre toutes les difficultés de l’architecture et de la perspective qu’il n’y eût pas d’esprit de son temps meilleur ni plus fin que le sien, qui ne fût plus capable de résoudre plus clairement que lui les questions les plus obscures ; aussi fut-il regardé comme un artiste des plus rares par tous les connaisseurs.

Andrea naquit, dit-on, l’an 1460 et, dans son enfance, pendant qu’il gardait les troupeaux, comme on le raconte aussi de Giotto, il dessinait toute la journée, sur le sable et modelait en terre quelques-uns des animaux confiés à sa garde. Il arriva qu’un jour, un citoyen florentin, que l’on assure être Simone Vespucci, alors podestat de Monte San Savino, passant par le lieu où il gardait son troupeau, remarqua cet enfant qui était occupé à dessiner et à modeler attentivement. L’ayant appelé, après avoir vu son inclination, et ayant appris de lui le nom de son père, il le demanda à Domenico ; il obtint de lui d’emmener Andrea à Florence, en promettant de le mettre à l’étude du dessin, pour voir ce que donnerait cette inclination naturelle aidée par l’étude assidue. De retour à Florence, Simone le mit au métier avec Antonio del Pollaiuolo auprès duquel Andrea apprit si bien qu’en peu d’années il devint un maître excellent[2]. Dans la maison de Simone, au Ponte Vecchio, on voit encore un de ses cartons fait à cette époque et représentant la Flagellation du Christ, et deux têtes en terre cuite admirables, reproduites d’après des médailles antiques, à savoir : un Néron et un Galba empereurs, qui servent à orner une cheminée ; le Galba est actuellement à Arezzo, dans la maison de Giorgio Vasari[3]. Pendant son séjour à Florence, il fit aussi, pour l’église Sant’ Agata de Monte San Savino, un bas-relief en terre cuite, avec saint Laurent, plusieurs autres saints, et divers petits sujets parfaitement exécutés. Peu après, il fit de même une Assomption de la Vierge, où il introduisit sainte Agathe, sainte Lucie et saint Romuald ; cet ouvrage fut plus tard reproduit sur verre par les della Robbia[4].

Continuant à pratiquer la sculpture, il composa, dans sa jeunesse, pour Simone Pollaiuolo, dit le Cronaca, deux chapiteaux de pilastres[5], pour la sacristie de Santo Spirito, qui lui acquirent une grande renommée, et furent cause qu’on lui confia la construction du vestibule, qui est entre la sacristie et l’église[6] ; comme ce local est très étroit, il dut faire effort d’imagination. Il composa donc une ornementation en macigno, d’ordre corinthien, avec douze colonnes, soit six de chaque côté, qui portent une architrave, une frise et une corniche ; au-dessus est une voûte à lunettes, de la même pierre, avec des compartiments richement sculptés. Il est vrai que les compartiments ne répondent pas à l’axe des colonnes ; s’il en était autrement, cette sacristie aurait plus de régularité et serait parfaite dans toutes ses parties.

Après cette œuvre, il fut chargé par la famille des Corbinelli de construire, dans la même église, la chapelle del Sagramento, qu’il exécuta avec une grande perfection, imitant dans ses bas-reliefs Donato et d’autres grands maîtres, et ne s’épargnant aucune fatigue pour se faire honneur. Dans deux niches qui encadrent un magnifique tabernacle, il fit les deux statues de saint Jacques et de saint Mathieu, ayant un peu plus d’une brasse de hauteur ; il y a de plus deux anges en ronde-bosse d’une beauté merveilleuse, qui complètent cette œuvre, et un petit Christ nu qui ne saurait être plus gracieux. Sur la prédelle, et sur le tabernacle, on voit plusieurs petits sujets traités avec tant de délicatesse, que le pinceau ne rendrait pas ce qu’Andrea fit avec le ciseau. Mais, si l’on veut apprécier tout le mérite de cet artiste si rare, il faut considérer l’architecture de cette chapelle, qui est si bien exécutée et assemblée, qu’elle paraît taillée dans un seul bloc. On loue encore beaucoup une grande Piétà en marbre, représentant la Madone et saint Jean pleurant le Christ, qu’il fit en demi-relief, sur le devant de l’autel, et l’on ne saurait imaginer de plus belles pièces coulées que les grilles en bronze, fermant la chapelle, avec quelques cerfs, armes de la famille Corbinelli, qui ornent les candélabres[7]. Ces ouvrages et d’autres ayant répandu au loin sa renommée, il fut demandé par le roi de Portugal à Laurent le Magnifique, dans les jardins duquel il s’était livré à l’étude du dessin. Laurent l’envoya donc en Portugal, où il exécuta pour le roi de nombreux travaux de sculpture et d’architecture, parmi lesquels on distingue un superbe palais flanqué de quatre tours ; une partie de ce palais fut peinte d’après les dessins et les cartons d’Andrea, qui était excellent dessinateur. Pour le même prince, il sculpta en bois un autel, avec quelques Prophètes, et modela en terre une Bataille représentant une victoire remportée par le roi sur les Maures. Cette dernière composition devait être exécutée en marbre[8] ; jamais on ne vit sortir de sa main œuvre aussi fière et aussi terrible, pour les mouvements et les attitudes variées des chevaux, le massacre des morts et la furie des soldats combattants. Il fit encore une statue de saint Marc en marbre, qui fut très estimée. Étant resté neuf ans en Portugal, fatigué de servir le roi et désireux de revoir, en Toscane, ses parents et ses amis, il demanda et obtint son congé, non sans difficulté, laissant quelqu’un pour terminer les travaux qui restaient inachevés. De retour à Florence, il commença en marbre, l’an 1500, un saint Jean baptisant le Christ[9], ce groupe devait être placé au-dessus de la porte du temple de San Giovanni, qui est en face de la Misericordia ; mais il ne le termina pas, parce qu’il fut forcé d’aller à Gênes où il fit en marbre deux figures vraiment dignes d’éloges, un Christ et une Vierge, ou un saint Jean[10]. Le groupe de Florence resta imparfait, et se trouve encore aujourd’hui dans l’œuvre de San Giovanni[11].

Andrea fut ensuite appelé à Rome par le pape Jules II, qui lui commanda deux tombeaux de marbre[12] pour l’église de Santa Maria del Popolo, à savoir : un pour le cardinal Ascanio Sforza et l’autre pour le cardinal de Recanati, très proche parent du pape. Andrea apporta une telle perfection dans ces ouvrages qu’on ne pourrait désirer rien de mieux ; on y trouve la pureté, la beauté et la grâce jointes à l’observation de toutes les règles de l’art.

À Sant’Agostino, il fit en marbre, contre un pilastre intérieur, une sainte Anne tenant à son cou la Vierge et Jésus-Christ, un peu moins grand que nature[13] ; cette œuvre peut passer pour parfaite parmi les modernes. La renommée d’Andrea allait toujours ainsi en croissant, lorsque Léon X, qui avait résolu de faire exécuter à Santa Maria di Loreto, l’ornementation de la chapelle de la Vierge, en marbres travaillés, selon ce qui avait été commencé par Bramante, ordonna qu’Andréa continuât ce travail jusqu’à sa fin[14]. Il y représenta différents épisodes de la vie de la Vierge, à savoir : sur les faces latérales, la Nativité de la Vierge, qu’il acheva à moitié et qui fut terminée par Baccio Bandinelli, et le Mariage de la Vierge, qu’il commença et qui, resté inachevé à sa mort, fut terminé par Raffaello da Montelupo. Sur sa façade antérieure, les deux reliefs de la Visitation de la Vierge et de Joseph allant se faire inscrire au temple, furent faits sur ses dessins par Francesco da San Gallo, qui était encore jeune. Sur le plus grand espace, Andrea représenta l’Annonciation[15], qui eut lieu effectivement dans la chambre enclose par ces marbres. Il consacra un temps incroyable à cette œuvre, en sorte qu’il ne put finir les autres qu’il avait commencées, sauf, sur une face latérale, la Nativité de Jésus-Christ avec les bergers et quatre anges chantant, qu’il termina entièrement ; mais le sujet supérieur, représentant l’Adoration des Mages, fut terminé par Girolamo Lombardo et par d’autres. Sur la face postérieure, il décida de représenter, l’une au-dessus de l’autre, la Mort de la Vierge et sa Mise au Tombeau, qui fut terminée, après sa mort par le Bologna, sculpteur. Au-dessous, il voulut représenter le Miracle de Loreto, c’est à dire le transport par les anges dans cet endroit de la chambre où la Vierge naquit, fut saluée par l’ange, nourrit son Fils jusqu’à l’âge de douze ans et demeura après la mort du Christ. Ce relief fut sculpté par Tribolo, sculpteur florentin, selon qu’Andréa l’avait ordonné. Andrea ébaucha également les Prophètes des niches, mais il n’en termina qu’un seul. Il continua le palais canonical de cette église, suivant que Bramante l’avait commencé, sur l’ordre du pape Léon X ; comme il resta inachevé, la construction en fut continuée, sous Clément VII, par Antonio da San Gallo, et ensuite par Giovanni Boccalino, architecte, jusqu’à l’année 1563.

Comme il avait quatre mois de vacances par an, il les passait à Monte San Savino, à faire de l’agriculture et à goûter un tranquille repos, au milieu de ses parents et de ses amis. Y restant donc l’été, il se bâtit une maison commode, et acheta des terres, puis il fit élever, pour les religieux de saint Augustin, un cloître qui, pour petit qu’il soit, est très bien compris ; il n’est pas absolument carré, parce que les pères voulurent utiliser d’anciennes constructions[16]. Il composa encore, pour la confrérie de Sant’Antonio, qui a une chapelle dans ce cloître, une très belle porte d’ordre dorique, et pareillement la cloison transverse et la chaire de l’église du couvent. Il exécuta pour Montepulciano une grande figure en terre d’un roi Porsenna, qui était remarquable ; mais, comme je ne l’ai pas revue, je crains qu’elle ne soit perdue ; pour un prêtre allemand de ses amis, il fit un saint Roch de terre cuite, en grandeur naturelle, que celui-ci fit poser dans l’église de Battifolle, près d’Arezzo ; ce fut sa dernière œuvre de sculpture[17].

À Arezzo, il donna encore le dessin de la maison de Messer Pietro, astronome distingué, et celui des escaliers[18], qui donnent accès à l’évêché d’Arezzo ; il composa de même, pour l’église de la Madonna delle Lagrime, un ornement magnifique[19], qu’on devait exécuter en marbre, avec quatre figures hautes de quatre brasses, mais la mort l’empêcha de le terminer. Parvenu à l’âge de 68 ans, comme il ne pouvait rester oisif, s’étant un jour mis à transporter des pieux d’un endroit à l’autre, dans sa villa, il contracta une pleurésie, et mourut, au bout de peu de jours, accablé d’une fièvre continue, l’an 1529[20]. Parmi ses disciples, nous citerons Lionardo del Tasso, Florentin, qui fit, à Sant’Ambruogio de Florence, un saint Sébastien, en bois[21], sur la tombe de son maître, et Jacopo Sansovino, Florentin, ainsi nommé à cause de son maître, et dont nous parlerons ailleurs plus longuement.


  1. Le contraire ressort d’un acte du 4 août 1508, par lequel Niccolo di Domenico, père d’Andrea, partage ses biens entre ses différents fils.
  2. Immatriculé à l’Art des tailleurs de pierre le 13 février 1491.
  3. Sculptures perdues.
  4. Ces deux bas-reliefs sont actuellement à la compagnie de Santa Chiara, depuis la suppression du couvent de Sant’Agata.
  5. Exécutés en 1490.
  6. Le modèle fut donné par le Cronaca, en 1489.
  7. La décoration de la chapelle Corbinelli existe encore, sauf les candélabres.
  8. Le bas-relief et la statue de saint Marc existent encore dans l’église du couvent de Saint-Marc, près de Coimbre.
  9. Commandé le 29 avril 1502.
  10. Cathédrale de Gênes, signées : SANSOVINUS FLORENTINUS FACIEBAT.
  11. Terminé par Vincenzo Danti de Pérouse, et posé sur la porte de San Giovanni face au Dôme. Au XVIIie siècle, on y ajouta un ange sculpté par Spinazzi.
  12. Existent encore dans le chœur ; exécutés vers 1506.
  13. Ce groupe est en place.
  14. Il y alla en 1513.
  15. En 1523, pour 525 ducats. Les attributions des autres sculptures ne sont peut-être pas exactes.
  16. En 1523.
  17. N’existe plus.
  18. En 1524.
  19. Commandé le 29 septembre 1528.
  20. Enterré a Sant’Ambruogio, de Florence.
  21. Existe encore à Sant’Ambruogio.