Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Antonio da SAN GALLO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 249-259).
Antonio da SAN GALLO
Architecte florentin, né en 1455, mort en 1546

Antonio[1], fils de Bartolomeo Picconi, tonnelier à Mugello, apprit dans son enfance le métier de menuisier ; mais il quitta Florence, ayant appris que Giuliano da San Gallo, son oncle, était occupé à Rome, avec Antonio, son frère. S’étant donc mis de grand cœur à étudier l’architecture et travaillant avec ses oncles, il annonçait les grandes espérances qu’il tint dans son âge mûr et dont nous voyons les preuves dans les monuments qu’il construisit par toute l’Italie. Or il arriva que Giuliano, ne pouvant plus travailler, à cause de sa maladie de la pierre, fut forcé de retourner à Florence. Antonio se fit alors connaître de Bramante qui, étant vieux et paralysé des mains, ne pouvait plus produire comme autrefois, et se fit aider par Antonio dans l’établissement des plans qui se faisaient alors. Antonio les exécuta avec tant de soin et de fini que Bramante, l’estimant son égal dans une certaine proportion, lui laissa le soin de veiller sur quantité de travaux dont il était chargé, se contentant de lui donner l’idée première et de lui indiquer toutes les inventions et compositions qu’il avait à mettre en œuvre. Ainsi, l’an 1512, il le chargea de bâtir la galerie qui conduisait aux fossés du château Saint-Ange, entreprise pour laquelle Antonio reçut pour la première fois une provision de dix écus par mois, mais qui resta inachevée, à cause de la mort de Jules II.

Comme Antonio avait acquis la réputation d’un homme savant en architecture, et qu’il avait une excellente manière dans la construction, le cardinal Alexandre Farnèse, depuis pape sous le nom de Paul III, eut l’idée de faire restaurer son vieux palais de Campo di Fiore, qu’il habitait avec sa famille. Antonio, désireux de gagner en réputation, présenta plusieurs projets assez différents, parmi lesquels l’un comportait une distribution en deux appartements, et qui plut au cardinal, car il avait deux fils, les seigneurs Pier Luigi et Ranuccio, qu’il pensait devoir s’accommoder, après lui, de cette disposition. Le projet fut mis aussitôt à exécution, et chaque année on en fit une partie.

À la même époque, comme on construisait une église sous le vocable de Santa Maria di Loreto[2], au Macello de’Corbi, à Rome, près de la colonne Trajane, elle fut conduite à bonne fin par Antonio avec une magnifique ornementation. Peu de temps après il alla à Gradoli, sur les domaines du révérendissime cardinal Farnèse, où il fit construire pour celui-ci un palais magnifique et commode[3]. Ce voyage fut d’une grande utilité, car Antonio donna le dessin de la forteresse de Capraruola et restaura celle de Capo di Monte, qu’il entoura de murailles basses et solides. Le cardinal Farnèse, se voyant si bien servi par Antonio, lui voua une profonde amitié et lui accorda sa faveur dans toutes ses entreprises.

Le cardinal Alborense, voulant laisser un souvenir de soi dans l’église de sa nation, fit construire et terminer par Antonio son tombeau et une chapelle de marbre à San Jacopo degli Spagnuoli. Pellegrino de Modène couvrit de peintures toutes les parois entre les pilastres de cette chapelle, et sur l’autel on mit une belle statue de saint Jacques, sculptée en marbre par Jacopo del Sansovino. L’architecture de cette chapelle est très estimée, surtout à cause de la voûte de marbre qui est divisée en compartiments octogones, très beaux.

Il ne se passa pas beaucoup de temps que Messer Bartolomeo Ferratino, pour sa commodité, l’agrément de ses amis et pour laisser un souvenir perpétuel de lui, fit construire par Antonio, sur la place d’Amelia, un palais remarquable[4], dont Antonio ne retira pas peu d’honneur ni de profit. Puis Antonio di Monte, cardinal de Santa Prassedia, qui était alors à Rome, voulut qu’il bâtît un palais[5] qu’il habita, et qui donne sur la place Agone, où est la statue de Maestro Pasquino. Au milieu de la façade qui donne sur la place, Antonio éleva une tour à trois étages, percée de fenêtres et ornée de pilastres, sur laquelle Francesco dell’Indaco peignit en clair-obscur une foule de sujets et de figures, à l’intérieur et à l’extérieur. Comme Antonio s’était mis étroitement au service du cardinal d’Arimini, celui-ci lui fit construire, à Tolentino della Marca, un palais pour lequel, non content de l’avoir richement récompensé, il lui témoigna toute sa vie une grande reconnaissance.

Pendant que, grâce à ces travaux, la renommée d’Antonio se répandait au loin, il advint que la vieillesse et les infirmités envoyèrent Bramante dans l’autre monde. Le pape Léon X établit immédiatement, comme architectes de la construction de Saint-Pierre, Raphaël d’Urbin, Giuliano da San Gallo, oncle d’Antonio, et Fra Giocondo de Vérone. Ce dernier quitta bientôt Rome[6], et Giuliano, étant vieux, obtint la permission de pouvoir retourner à Florence. Aussitôt Antonio pria instamment le cardinal Farnèse, son protecteur, de supplier le pape de lui accorder la place de son oncle Giuliano, ce qui fut facile à obtenir, d’abord à cause du talent d’Antonio, qui était digne de ce poste, et par suite du bienveillant accord qui régnait entre le pape et le cardinal. Antonio resta donc chargé, avec Raphaël, de cette entreprise qui se continua très lentement[7].

Le pape étant ensuite allé à Civita Vecchia, pour la fortifier en compagnie d’une foule de seigneurs, parmi lesquels se trouvaient Giovan Paolo Baglioni et Vitelli, Pietro Navarra en personne et Antonio Marchisi, architecte militaire venu de Naples tout exprès, comme on discutait beaucoup et que les opinions étaient partagées, celui-ci proposant un dessin et celui-là un autre, Antonio présenta un projet qui fut approuvé et adopté par Léon X, les seigneurs et les architectes, comme le plus beau et le plus fort de tous.

Il eut ensuite l’occasion de remédier à une grande erreur commise par Raphaël. Pendant la construction des loges et des chambres du Vatican, pour complaire à quelques-uns de ses amis, Raphaël avait laissé, dans les soubassements, beaucoup de vides, au grand dommage du bâtiment, à cause du poids énorme qu’il y avait par dessus, de telle sorte que l’édifice commençait à menacer ruine, et se serait sans doute écroulé, si Antonio n’eût rempli les vides, après les avoir étayés avec des étançons et des gîtes, en renforçant le tout, et n eût donné à l’ensemble une fermeté et une solidité qu’il n’avait jamais eues.

Pendant ce temps, la nation florentine avait commencé, d’après les dessins de Jacopo del Sansovino, dans la Strada Giulia, une église qui empiétait trop sur le lit du Tibre, ce qui nécessita une dépense de douze mille écus pour jeter les fondations dans le fleuve, travail qui était au-dessus des forces du Sansovino, mais qui fut exécuté par Antonio d’une façon remarquable et des plus solides. Il éleva les constructions de quelques brasses au-dessus de l’eau et fit un modèle si remarquable que cet ouvrage aurait excité une admiration universelle s’il eût été conduit à fin[8].

Il restaura, pour le compte du pape, qui l’emmena un été à Montefiascone, la forteresse[9] bâtie jadis par le pape Urbain. Il éleva ensuite, sur l’ordre du cardinal Farnèse, dans l’île Visentina du lac de Bolsena, deux petits temples[10], dont l’un est octogone en dehors et rond en dedans, st l’autre octogone en dedans et carré au dehors, avec une niche à chacun des quatre coins. Ces deux édifices témoignent quelle variété Antonio savait mettre dans les termes de l’architecture. Pendant qu’on y travaillait, il retourna à Rome, où il commença, au coin de Santa Lucia, où est la Nouvelle Monnaie, le palais de l’évêque de Cervia, qui ne fut pas achevé. Près de Corte Savella, il construisit la magnifique église de Santa Maria di Monte Ferrato et la maison d’un Marrano, derrière le Palais Cibo, près des maisons de Massimi.

Sur ces entrefaites mourut Léon X et avec lui tombèrent en sommeil les beaux arts qui avaient été remis en honneur sous son règne et sous celui de son prédécesseur, Jules II. Ils étaient tellement odieux à Adrien VI, qui succéda à Léon X, que, si le sceptre apostolique était resté longtemps entre ses mains, il serait arrivé à Rome, sous son pontificat, ce que l’on vit autrefois, quand toutes les statues, bonnes ou mauvaises, échappées aux ravages des Goths, furent condamnées au feu par certains pontifes. Déjà Adrien, peut-être pour les imiter, avait parlé de vouloir jeter à terre la chapelle du divin Michel-Ange, laquelle, disait-il, n’était qu’un bain d’hommes nus. Il méprisait toutes les bonnes peintures et les statues qu’il appelait des objets lascifs, infâmes et abominables. Ce qui fut cause que non seulement Antonio, mais encore que les autres beaux génies s’arrêtèrent. Tant que ce pontife vécut, on ne travailla à rien, sinon à la construction de Saint-Pierre, à laquelle il devait au moins s’intéresser, puisqu’il se montrait tant ennemi des choses mondaines. Antonio, forcé de s’occuper d’ouvrages peu importants, restaura les nefs collatérales de San Jacopo degli Spagnuoli et pratiqua de belles fenêtres dans sa façade. Puis il exécuta, en travertin, le tabernacle de l’imagine di Ponte[11], qui, bien que petit, a beaucoup de grâce, et dans lequel Perino del Vaga peignit ensuite une charmante petite fresque.

Le ciel, enfin touché de compassion, voulut, avec la mort d’un homme, ressusciter mille vies. Il mit donc à la place d’Adrien un homme plus digne de ce haut rang et devant gouverner dans un autre esprit les choses de ce monde. Le nouveau pape Clément VII, plein de générosité, voulut suivre les traces de Léon X et des autres ascendants de sa glorieuse famille. Antonio fut aussitôt employé par Sa Sainteté qui le chargea de refaire une cour du palais, sur laquelle donnent les loges peintes sous la direction de Raphaël. Il la rendit aussi commode que belle, en élargissant et en redressant les avenues étroites et tortueuses qui y conduisaient jadis. Mais ce lieu a changé d’aspect, parce que le pape Jules III enleva, pour en orner sa villa, les colonnes de granit qui s’y trouvaient et altéra toute la disposition. Dans le même temps Antonio fit la façade de l’ancienne Monnaie in Banchi, en tirant parti de la rotondité du coin, ce que l’on estime être un travail difficile, vraiment miraculeux ; il y plaça les armoiries du pape[12]. Il acheva ensuite de renforcer les fondations des loges du Vatican, travail que la mort de Léon X avait interrompu et que la négligence d’Adrien VI avait empêché de continuer ; grâce à la volonté de Clément VII, ce travail fut conduit à bonne fin.

Sa Sainteté, ayant résolu d’entourer de fortifications Parme et Plaisance, après l’examen de nombreux projets présentés par divers architectes, y envoya Antonio et avec lui Giuliano Leno, pour en surveiller l’exécution. Ils s’acquittèrent parfaitement de cette construction, avec l’aide d’Antonio Labacco, de Pier Francesco[13] de Viterbe, ingénieur très habile, et de Michele San Micheli, architecte véronnais. Antonio retourna ensuite à Rome, les autres restant sur place, et le pape lui fit construire, au Vatican, les chambres où se font les consistoires publics, au-dessus de la Forge. Clément VII en fut tellement satisfait, qu’il lui fit encore faire, au-dessus, les chambres des camériers de Sa Sainteté. Surmontant le toit de ces chambres, il y en a encore d’autres très commodes qu’Antonio construisit également ; cette opération présentait beaucoup de danger, tant il fallait renforcer les fondations. Il est vrai qu’Antonio s’y entendait, attendu que ses constructions n’ont jamais montré la moindre fissure, et qu’il n’y a pas eu, parmi les modernes, d’architecte plus sûr ni plus expérimenté dans les liaisons de maçonneries.

Au temps du pape Paul II, l’église della Madonna di Loreto, qui était petite et couverte d’une rustique toiture posant sur des piliers en briques, fut refaite de la grandeur dont on la voit aujourd’hui, grâce au génie de Giuliano da Maiano. L’ordre extérieur fut continué par le Pape Sixte IV et ses successeurs, et la construction entière n’avait donné aucun signe de ruine, jusqu’au temps de Clément VII, où, l’an 1526, elle s’ouvrit brusquement, dételle sorte que non seulement les grands arcs de la tribune, mais encore tout le reste de la bâtisse annonçaient une chute prochaine, les fondations n’étant ni assez larges ni assez profondes. Antonio, envoyé à Loreto par le pape, pour remédier au mal, se mit à étayer toute la construction et à soutenir les arcades par de fortes armatures ; puis il refit les fondations et renforça les murs et les piliers, à l’intérieur et à l’extérieur. Après leur avoir donné une solidité à toute épreuve, il changea et améliora l’ordonnance générale, orna les croisées et les nefs de magnifiques profils et enrichit d’un soubassement, non moins beau, les quatre grands piliers de la tribune. Ce travail de restauration mérite certainement d’être célébré comme étant la meilleure œuvre qu’Antonio ait jamais faite.

De retour à Rome, il trouva que cette ville avait été mise à sac et que le pape s’était réfugié à Orvieto ; la cour pontificale y souffrait grandement du manque d’eau. Il y construisit alors un puits tout en pierre de taille[14], large de vingt-cinq brasses ; deux escaliers en spirale, pratiqués l’un au-dessus de l’autre, dans le tuf, conduisent jusqu’au fond les bêtes de somme qu’on emploie à puiser l’eau ; par l’une de ces pentes, elles arrivent jusqu’au pont où on les charge ; et, remontant par l’autre pente qui tourne au-dessus de la première, elles sortent sans être obligées de rebrousser chemin, par une porte différente et opposée à celle d’entrée. Lorsque Clément VII mourut, il ne restait plus à achever que l’ouverture de ce puits merveilleux ; le pape Paul III la fit terminer, mais en ne suivant pas le projet d’Antonio. Certes, les anciens ne firent jamais de construction pareille à celle-ci, ni comme conception, ni comme travail, car le vide central est tel qu’il donne du jour jusqu’au fond aux deux escaliers, grâce à des fenêtres ménagées à cet effet. Tout en s’occupant de cet ouvrage, Antonio donna le plan de la citadelle d’Ancone qui plus tard fut mis à exécution[15].

Dans le temps où Alexandre de Médicis était duc de Florence, son oncle Clément VII, ayant résolu de construire dans cette ville une forteresse inexpugnable, le seigneur Alessandro Vitelli, Pier Francesco de Viterbe et Antonio da San Gallo construisirent celle qui est entre la Porta al Prato et la Porta San Gallo[16], avec tant de célérité que jamais construction semblable, ancienne ou moderne, n’a été si rapidement menée. Sous la tour del Toso, dont les fondations furent exécutées les premières, on plaça avec pompe quantité d’inscriptions et de médailles ; cette citadelle, célèbre dans le monde entier, passe pour imprenable.

En même temps, Antonio appela à Loreto les sculpteurs Tribolo, Raffaelo da Montelupo, le jeune Francesco da San Gallo et Simone Cioli, qui terminèrent les bas-reliefs de marbre commencés par Andrea Sansovino. Le Mosca, Florentin, vint également et sculpta des guirlande d’une beauté divine. Ainsi l’ornementation de la maison de la Vierge fut entièrement achevée par les soins d’Antonio, bien qu’il fût obligé de diriger à la fois, dans des villes éloignées l’une de l’autre, des travaux de la plus haute importance, savoir la forteresse de Florence, celle d’Ancone, la restauration de Loreto, l’agrandissement du Vatican et le puits d’Orvieto ; il sut faire en sorte que le travail ne s’arrêta jamais dans aucun, seulement, quand il ne pouvait s’y rendre à temps, il se servait de l’aide de Batista son frère.

Clément VII mort et Paul III Farnèse nommé souverain pontife, Antonio, qui avait été l’ami du pape quand celui-ci n’était que cardinal, vit son crédit s’augmenter. Sa Sainteté ayant nommé le seigneur Pier Luigi, son fils, duc de Castro, envoya Antonio dans cette ville pour dresser le plan de la citadelle que le duc y fit construire, celui du palais de l’Osteria qui est sur la place, et la Monnaie qui est bâtie en travertin, comme celle de Rome. Castro[17] doit, en outre, à Antonio les dessins d’une foule de palais et de maisons que des personnes du pays et d’autres provinces construisirent avec une incroyable magnificence, sans doute pour complaire au pape. Celui-ci faisant élever les bastions de Rome qui sont très forts, Antonio bâtit la Porta di Santo Spirito comprise entre deux d’entre eux ; par sa solidité et sa magnificence, elle peut être comparée à tout ce que l’antiquité a produit de plus beau dans ce genre[18]. Après la mort d’Antonio, il y en eut qui, poussés par l’envie plutôt que par une raison judicieuse, essayèrent d’obtenir sa démolition ; mais cela ne fut heureusement pas permis. Sous sa direction, on reprit, en sous-œuvre, presque toutes les fondations du palais pontifical qui menaçait ruine en beaucoup d’endroits, et l’on renforça particulièrement un des côtés de la chapelle Sixtine où sont les fresques de Michel-Ange, ainsi que la façade antérieure. Ce travail, qui n’amena pas la moindre fissure, offrait plus de péril que de gloire. Il agrandit aussi la grande salle qui précède la Sixtine, y ouvrit ces deux immenses fenêtres qui l’éclairent si merveilleusement et orna la voûte de compartiments en stuc d’une telle richesse que l’on peut regarder cette salle comme la plus belle et la plus splendide qu’il y eût alors au monde. Pour aller facilement à Saint-Pierre, il pratiqua des escaliers si commodes et si bien faits qu’on n’en connaît pas de plus réussis, ni anciens, ni modernes ; il bâtit pareillement la chapelle Pauline, où se trouve le Saint-Sacrement, qui est toute gracieuse et riante. À la suite de différends entre le pape et les Pérugins, Antonio construisit, à Pérouse, une forteresse[19] pour l’édification de laquelle on jeta par terre les maisons des Baglioni, et qui fut rapidement terminée. Il construisit également celle d’Ascoli ; quelques jours lui suffirent pour la mettre en état de recevoir une garnison, tandis que les Ascolans croyaient que cette entreprise exigerait des années.

Il refit les fondations, à Rome, de sa maison de la Strada Giulia, pour la défendre des crues du Tibre et non seulement commença, mais conduisit à bonne fin le palais qu’il habitait, près de San Biagio, qui appartient aujourd’hui au cardinal Riccio da Montepulciano ; il l’a terminé à grands frais, outre ce qu’Antonio y avait déjà dépensé et qui monte à plusieurs milliers d’écus.

Mais de toutes les œuvres d’utilité et d’agrément qu’on lui doit, aucune n’est comparable à son modèle de la vénérable et étonnante construction de Saint-Pierre de Rome, qui fut au début dirigée par Bramante, mais modifiée et augmentée par Antonio dans un cadre nouveau et extraordinaire, avec des proportions et une décoration aussi remarquable dans l’ensemble que dans le détail. On peut s’en rendre compte par le modèle fait en bois et entièrement terminé par son élève, Antonio Labacco, qui, de plus, le grava, avec le plan complet de l’édifice, après la mort de San Gallo. Mais on ne l’a pas suivi, par l’ordre de Michel-Ange Buonarroti, comme nous le dirons dans la Vie de celui-ci. Michel-Ange et beaucoup d’autres qui l’avaient vu trouvèrent qu’il offrait trop de ressauts, que les colonnes et les profils étaient trop petits, et qu’il y avait trop d’arcades sur arcades, de corniches sur corniches. Ils n’approuvèrent pas non plus que les deux campaniles, les quatre petites tribunes et la grande coupole fussent entourés de cette guirlande de colonnes maigres et multipliées ; ils condamnaient encore, et nous en faisons autant, toutes ces aiguilles formant amortissement, qui se rapprochent plus de la manière gothique que de l’ancienne et bonne manière, que les meilleurs architectes observent aujourd’hui. Peu de temps après la mort d’Antonio, Labacco ayant terminé tous les modèles, il se trouva que celui de Saint-Pierre, rien qu’en menuiserie, avait coûté 4.184 écus d’or ; on le voit aujourd’hui dans la grande chapelle de Saint-Pierre[20]. San Gallo augmenta l’épaisseur des piliers, afin qu’ils pussent supporter gaillardement le poids de la coupole, et rendit les fondations si solides qu’il est certain que l’édifice ne menacera plus jamais ruine, comme cela advint du temps de Bramante. Les matériaux qu’il enfouit sous le sol forment une masse tellement prodigieuse que, si on les étendait au dehors, l’esprit le plus hardi en serait effrayé.

Depuis l’antiquité romaine, les habitants de Terni et ceux de Narni étaient en guerre, au sujet du lac de Marmora, comme ils le sont encore maintenant. Lorsque le lac débordait sur le territoire de Narni et que les habitants voulaient ouvrir des tranchées, ceux de Terni ne voulaient y consentir d’aucune manière. Ces querelles avaient eu lieu sous le gouvernement des empereurs païens, tout aussi bien que sous celui des papes, car, du temps de Cicéron, celui-ci fut envoyé par le Sénat pour arranger le différend, mais il ne put y réussir. L’an 1546, les deux partis adverses envoyèrent des députés prier le pape Paul III de les mettre d’accord ; Sa Sainteté leur donna pour arbitre Antonio, qui termina la difficulté en décidant que le lac devait déboucher du côté où est le mur, et le travail fut exécuté avec grande peine[21]. Il arriva, par suite des grandes chaleurs et d’autres incommodités, qu’Antonio, qui était devenu vieux et maladif, contracta une fièvre dont il mourut à Terni[22], en peu de jours, au profond chagrin de ses amis et de ses parents. Il en résulta un grand dommage pour plusieurs travaux en cours, et en particulier pour le palais Farnèse près du Campo di Fiore. Le pape Paul III, quand il était le cardinal Alexandre Farnèse, l’avait conduit abonne fin ; sur la façade antérieure il avait commencé la série des premières fenêtres, la grande salle de l’intérieur, et il avait mis en train un côté de la cour. Mais cette construction n’était pas si avancée qu’on en vît la fin ; quand Alexandre fut nommé pape, Antonio modifia le plan primitif, ayant à faire, disait-il, non plus un palais de cardinal, mais un palais pontifical. Ayant donc jeté à terre quelques maisons qui l’entouraient et les escaliers anciens, il refit à nouveau ces derniers et les rendit plus doux ; il augmenta les dimensions de la cour dans tous les sens, et en fit autant du palais, faisant les salles plus grandes, un plus grand nombre de chambres, plus ornées avec de magnifiques plafonds sculptés et d’autres ornements. Il avait déjà terminé la façade antérieure jusqu’à la hauteur des deuxièmes fenêtres, et il n’y avait plus qu’à y mettre la corniche qui supportât la toiture tout autour. Le pape, qui avait l’esprit grand, avec un excellent jugement, voulait une corniche plus belle et plus riche qu’aucune autre qui ait jamais été posée à un palais. Il ordonna donc que tous les meilleurs architectes de Rome présentassent un projet, outre ceux qu’Antonio avait faits, pour s’arrêter au plus beau, qui serait toutefois mis en œuvre par Antonio. Un matin donc, on lui présenta au Belvédère, et en présence d’Antonio, des dessins qui avaient été faits par Perino del Vaga, Fra Bastiano del Fiombo, Michel-Ange Buonarroti et Giorgio Vasari, qui était alors jeune et au service du cardinal Farnese. À la vérité, Michel-Ange n’apporta pas le sien, parce qu’il était indisposé, mais le fit porter par Giorgio Vasari, qui était allé chez lui pour lui montrer son dessin et savoir ce qu’il en pensait. Sa Sainteté considéra longuement tous les dessins, et les loua, comme étant ingénieux et beaux, mais elle mit celui du divin Michel-Ange au-dessus de tous. Ce fut celui qu’on exécuta plus tard, comme nous le dirons dans la Vie de Michel-Ange, qui refit tout le palais dans une forme presque toute nouvelle.

Batista Gobbo, frère d’Antonio, était aussi un bon architecte ; il consacra tout son temps aux travaux d’Antonio, qui cependant ne se conduisit pas très bien avec lui. Batista survécut peu d’années à son frère. Le corps de celui-ci fut ramené de Terni à Rome, et après de pompeuses obsèques auxquelles assistèrent tous les artistes et une foule d’autres personnes, il fut déposé à Saint-Pierre, près de la chapelle du pape Sixte.

Pour dire vrai, Antonio fut un excellent architecte qui mérite, comme ses ouvrages l’attestent, d’être loué et célébré autant que n’importe quel autre architecte ancien ou moderne.



  1. Né en 1483, suivant la déclaration à l’Estimo de son père, Bartolommeo d’Antonio. Son nom de famille était Cordiani.
  2. Commencée en 1507.
  3. Existe encore.
  4. Dans la Contrada Porcelli.
  5. Existe encore.
  6. Erreur ; il y mourut le 1er juillet 1515.
  7. Nommé le 22 janvier 1517, avec douze ducats 1/2 par mois. À partir du 1er mai 1518, il reçoit quinze ducats jusqu’à sa mort.
  8. Il fut terminé par Giovanni della Porta.
  9. Actuellement en ruines.
  10. Existent encore.
  11. Existe encore (Via de’Coronari).
  12. Actuellement le Banco di San Spirito.
  13. Né à Viterbe vers 1470, mort à Florence en 1534.
  14. Commencé en 1527, existe encore.
  15. En 1532.
  16. La première pierre fut posée le 15 juillet 1534.
  17. Cette ville fut détruite par le pape Innocent X, en 1649 ; il ne reste plus rien des travaux de San Gallo.
  18. Cette porte n’a jamais été terminée.
  19. La première pierre fut posée le 28 juin 1540. Terminée en 1543, elle fut détruite en 1848.
  20. Conservé dans l’octogone de Saint-Grégoire.
  21. Il en parle dans une lettre au duc Cosme, datée de Rome, le 22 mars 1546.
  22. Le 29 septembre 1546.