Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/BACCIO da MONTELUPO et RAFFAELLO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 166-169).
BACCIO da MONTELUPO
et RAFFAELLO
Le premier, sculpteur, né en 1469, mort en 1535 (?) ; le second, son fils,
né vers 1505, mort en 1566

Bien qu’on s’imagine généralement que les paresseux soient incapables de conduire un art quelconque à la perfection, néanmoins, contre l’opinion de tous. Baccio[1] da Montelupo exerça la sculpture avec distinction. Dans sa jeunesse, égaré par les plaisirs, il ne se livrait guère à l’étude et tenait l’art en nulle ou mince estime, malgré les reproches et les instances de ses amis. Survint l’âge de raison, qui apporte la sagesse, et qui lui montra combien il était éloigné de la bonne route ; en sorte que honteux de se voir dépassé par ses rivaux dans son art, il prit le parti de se consacrer au travail avec autant d’ardeur qu’il en avait mis jusqu’alors à l’éviter. Grâce à cette résolution, il arriva en sculpture à un résultat que personne n’aurait osé attendre de lui. Il montra son habileté dans une œuvre en pierre sculptée au ciseau, à Florence, au coin du jardin attenant au palais Pucci, et qui représente les armes du pape Léon X soutenues par deux enfants d’une belle manière et bien exécutés[2]. Il fit un Hercule pour Pier Francesco de’Medici, et l’Art de Porta Santa Maria lui commanda[3] une statue de saint Jean l’évangéliste en bronze[4], qu’il eut peine à obtenir, car plusieurs maîtres présentèrent des modèles en concurrence du sien. Cette statue fut posée ensuite au coin de San Michele in Orto, face à l’office[5] ; il la termina avec un soin extrême. On dit que ses armatures et ses moules étaient d’une grande beauté, et l’on ajoute qu’il effectua l’opération de la fonte avec une facilité merveilleuse. Ces travaux lui valurent le renom de bon et excellent maître, et son saint Jean est aujourd’hui plus que jamais estimé par les artistes. Il travailla également le bois et sculpta plusieurs crucifix de grandeur naturelle, qui sont répandus dans toute l’Italie et dont un, entre autres, se trouve au-dessus de la porte du chœur, dans le couvent de San Marco, à Florence[6].

Ayant pris en aversion le séjour de cette ville, il alla à Lucques, où il laissa quelques ouvrages de sculpture, mais surtout d’architecture, particulièrement le temple de San Paulino, patron des Lucquois, si bien entendu à l’intérieur comme à l’extérieur et si richement orné. Il demeura donc dans cette ville et y mourut à l’âge de 88 ans[7] ; on lui donna une honorable sépulture à San Paulino.

Agostino Busti[8], sculpteur milanais très estimé, fut le contemporain de Baccio. Il commença, dans l’église de Santa Marta, à Milan, le tombeau de Mgr de Foix, qui est resté inachevé[9] ; on voit encore maintenant plusieurs grandes figures terminées et quelques-unes ébauchées, destinées à ce monument, ainsi qu’une foule de sujets en demi-relief de feuillages et de trophées. Il fit encore, pour les Biraghi[10], un autre tombeau, qui fut terminé et édifié à San Francesco, avec six grandes figures, un soubassement historié et d’autres beaux ornements qui témoignent de l’habileté et du talent de ce valeureux artiste.

Baccio, après sa mort, laissa plusieurs fils, et, entre autres, Raffaello[11], qui s’adonna à la sculpture, et non seulement égala son père, mais encore le surpassa de beaucoup. Dès sa jeunesse, il travailla la terre, la cire et le bronze, et acquit la réputation d’un excellent sculpteur ; aussi Antonio da San Gallo l’appela-t-il avec d’autres à Loreto pour achever l’ornementation de la Santa Casa, suivant le plan laissé par Andrea Sansavino. Raffaello y termina complètement le Mariage de la Vierge, commencé par Sansavino, tant d’après les ébauches de ce maître que d’après sa propre inspiration. Cette œuvre terminée, Michel-Ange l’employa dans les travaux de la sacristie neuve et de la bibliothèque de San Lorenzo, qu’il conduisit à fin par l’ordre de Clément VII. Entre autres choses, il le chargea de sculpter, d’après le modèle que lui-même avait fait, le saint Damien en marbre qui est actuellement dans cette sacristie[12]. Après la mort du pape Clément, Raffaello, qui s’était mis au service du duc Alexandre de Médicis, alors en train de construire la forteresse de Prato, fit en pierre grise, à l’encoignure extérieure du boulevard principal de cette citadelle, les armes de l’empereur Charles-Quint soutenues par deux Victoires nues et de grandeur naturelle[13]. Au coin d’un autre boulevard, c’est à dire au midi, du côté de la ville, il plaça les armes du duc Alexandre, supportées également par deux figures[14].

Peu de temps après, il fit un grand crucifix en bois pour les religieuses de Sant’Apollonia, et, pour Alexandre Antinori, noble et riche marchand florentin, qui mariait une de ses filles, un splendide apparat avec des statues, des sujets et d’autres ornements très beaux. Étant allé ensuite à Rome, Michel-Ange lui donna à sculpter deux statues en marbre, hautes de cinq brasses[15], pour le tombeau de Jules II, à San Pietro in Vincula, que Michel-Ange était en train de terminer et d’édifier. Mais Raffaello, étant tombé malade, ne put consacrer son application accoutumée à ces figures dont Michel-Ange fut très peu satisfait. Ayant été appelé ensuite à Orvieto, il fit en marbre, dans une chapelle (où Mosca, sculpteur excellent, avait fait auparavant plusieurs ornements très beaux en demi-relief) l’épisode des rois Mages, qui fut très bien réussie, tant pour la variété des figures que pour le beau style dont il fit preuve. Étant retourné ensuite à Rome, il devint architecte du château Saint-Ange, grâce à Tiberio Crispo, châtelain de cet important édifice. Il y fit de nombreuses réparations, et orna plusieurs chambres de sculptures en pierres et en marbres variés, pour les cheminées, les fenêtres et les portes. En outre, il fit une statue en marbre, haute de cinq brasses, représentant l’Ange du château, qui est au sommet de la tour carrée du milieu, sur laquelle est le drapeau, et qu’il fit en similitude de l’Ange qui apparut à saint Grégoire, quand ce pontife, supplié par le peuple, accablé par une peste effroyable, le vit remettre son épée au fourreau[16]. Peu de temps après, il fut chargé par le très révérend cardinal Salviati et par Messer Baldassare Turini da Pescia d’exécuter la statue de Léon X qui est aujourd’hui à la Minerva de Rome, sur le tombeau de ce pape[17] ; lorsqu’il eut achevé ce travail, il fit un tombeau[18], dans l’église de Pescia, pour Messer Baldassare, et trois figures de marbre en demi-relief dans une chapelle della Consolazione, à Rome.

Vivant plus en philosophe qu’en sculpteur, et aimant la tranquillité, il se rendit à Orvieto où il vieillit avant le temps, en dirigeant la construction de Santa Maria, qui, du reste, lui doit de nombreuses améliorations. Je crois que, s’il eût abordé de grands ouvrages, il aurait obtenu de plus glorieux résultats. Mais, comme il était un homme bon et modeste, qui fuyait les ennuis et se contentait de ce que le sort lui donnait, il laissa échapper maintes occasions de faire des choses d’importance[19].

Il était très bon dessinateur et entendait les choses de l’art mieux que son père Baccio ; dans les ornements d’architecture, il imita la manière de Michel-Ange, comme en témoignent les cheminées, les portes et les fenêtres qu’il fit dans le château Saint-Ange, à Rome, ainsi que plusieurs belles chapelles qui ont été construites d’après ses plans à Orvieto. Mais, pour en revenir à Baccio, sa mort affligea vivement les Lucquois, qui l’avaient connu pour un homme juste, bon et affable pour tous. Ses œuvres datent environ de l’an 1533 de Notre-Seigneur.



  1. Baccio Sinibaldi, d’après une autobiographie de son fils, conservée à la Bibliothèque Magliabecchiana. Fils de Giovanni d’Astore (Estimo de Montelupo).
  2. Existent encore, en mauvais état.
  3. Mise en place le 20 octobre 1515.
  4. Faite en 1515, payée 840 florins d’or.
  5. En place.
  6. Actuellement dans le grand réfectoire.
  7. Il était déjà mort en 1536, puisqu’à cette date sa femme, Lucrezia, se dit veuve.
  8. Dit le Zarabaja ou Bambaja.
  9. La statue de Gaston de Foix est au Musée archéologique de Milan.
  10. Commandé par Daniele di Francesco Birago, mort en 1509. L’église est transformée en bâtiment militaire. Tombeau en place.
  11. Né après 1504 ; à cette date, il n’est pas porté sur la déclaration de son père à l’Estimo.
  12. À gauche de la Vierge de Médicis.
  13. N’existent plus.
  14. En mauvais état.
  15. Michel-Ange lui donne trois statues à terminer, pour le tombeau de Jules II, le 27 février 1542, pour 400 écus. Il fit un Prophète et une Sibylle sur les dessins de Michel-Ange.
  16. Cette statue, mutilée et maintes fois frappée par la foudre, fut remplacée, au XVIIIe siècle, par une autre en bronze, due au fondeur Giardoni.
  17. Existe encore.
  18. Existe encore.
  19. Mort à Orvieto en décembre 1566, enterrédans le Dôme ; sépulture commune avec Mosca.