Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/LORENZO di CREDI

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 169-173).
LORENZO di CREDI
Peintre florentin, né en 1459, mort en 1537

Tandis que Maestro Credi[1], excellent orfèvre dans son temps, travaillait ci Florence, avec autant de crédit que de renom, Andrea Sciarpelloni s’aboucha avec lui pour qu’il apprît son métier à Lorenzo Sciarpelloni, son fils, jeune homme d’un bon esprit et d’excellentes manières. Autant le maître était savant et enseignait volontiers, autant l’élève apprenait avec ardeur et rapidité tout ce qu’on lui montrait, en sorte que Lorenzo ne tarda pas à devenir excellent dessinateur, orfèvre élégant et expérimenté, et à surpasser tous les jeunes gens de son temps, au grand honneur de Credi. Aussi n’appela-t-on plus son élève Lorenzo Sciarpelloni, mais bien Lorenzo di Credi. L’ardeur de Lorenzo augmentant avec les années, il se plaça près d’Andrea del Verrocchio, qui par fantaisie, s’était mis à peindre ; il y eut, pour compagnons et amis en même temps que pour rivaux, Pietro Perugino et le Vinci et s’attacha avec ardeur à la peinture. Comme la manière de Léonard lui plaisait outre mesure, il arriva à l’imiter si bien que personne plus que lui n’approcha du fini précieux de ce maître, comme le prouvent une foule de dessins au crayon, à la plume et à l’aquarelle que l’on conserve de lui[2], entre autres quelques portraits d’après des modèles, en terre, sur toile de lin enduite, imités avec tant de soin et terminés avec une telle patience que l’on peut à peine le croire et que l’on en ferait autant difficilement. Étant donc très aimé de son maître pour ces raisons, quand Andrea alla à Venise pour couler en bronze la statue équestre de Bartolommeo de Bergame, celui-ci lui laissa la gestion de ses affaires, et confia à sa garde ses dessins, ses bas-reliefs, ses statues et en un mot, tout le matériel de son atelier[3]. De son côté, Lorenzo avait une telle affection pour Andrea, son maître, que non seulement il s’employa à Florence avec un zèle incroyable à toutes ses affaires mais encore il se rendit plus d’une fois à Venise pour le voir et lui rendre compte de sa bonne administration, le tout à la grande satisfaction d’Andrea qui aurait institué Lorenzo son héritier, si celui-ci y eût consenti. L’élève d’ailleurs se montra reconnaissant de ces bons sentiments ; car, à la mort de son maître, il alla à Venise, ramena son corps à Florence et remit aux héritiers ce qui appartenait à Andrea, à l’exception des dessins, des peintures, des sculptures et des autres objets d’art.

Ses premières peintures furent un tableau rond représentant la Vierge, qui fut envoyé au roi d’Espagne et dont le dessin est tiré d’un tableau d’Andrea, son maître, puis un tableau infiniment supérieur, reproduit d’un tableau de Léonard de Vinci et envoyé également en Espagne, mais si semblable à celui de Léonard, que l’on ne pouvait reconnaître l’un de l’autre[4]. À côté de la grande église de San Jacopo, à Pistoia, on voit de Lorenzo une Madone sur un tableau parfaitement exécuté[5], et à l’hôpital del Ceppo, il s’en trouve une autre qui est une des meilleures peintures de la ville[6].

Lorenzo fit beaucoup de portraits ; il laissa le sien, qu’il avait peint lui-même, dans sa jeunesse, à Gianicopo de Florence, son élève, ainsi que quantité d’autres choses, parmi lesquelles sont les portraits de Pietro Perugino et d’Andrea del Verrocchio[7], son maître. De lui est aussi le portrait de son savant ami Girolamo Benivieni[8]. Pour la Compagnie de San Bastiano, derrière l’église des Servi, à Florence, il exécuta un tableau qui renferme la Vierge, saint Sébastien et d’autres saint[9] ; à Santa Maria del Fiore, il peignit un saint Joseph[10] pour l’autel consacré à ce bienheureux. Puis il envoya à Montepulciano un tableau, qui est dans l’église de Sant’Agostino[11] : l’on y voit le Christ sur la croix, la Vierge et un saint Jean peints avec un soin extrême. Mais la meilleure œuvre que Lorenzo fit jamais, celle où il a mis le plus d’application, celle où il a fait le plus d’efforts pour se surpasser lui-même, est dans une chapelle de Cestello ; c’est un tableau qui représente la Vierge, saint Julien et saint Nicolas[12]. Qui veut savoir combien il est nécessaire de terminer avec soin une peinture à l’huile, pour en assurer la conservation, n’a qu’à regarder ce tableau qui est exécuté avec une recherche telle qu’on ne saurait la surpasser.

Il peignit, étant encore jeune, un saint Barthélémy[13], sur un des pilastres d’Or San Michele ; pour les religieuses de Santa Chiara, à Florence, un tableau de la Nativité du Christ avec des bergers et des anges[14], dans lequel il s’appliqua, entre autres choses, à rendre les plantes avec tant de vérité qu’elles paraissent naturelles. Dans le même endroit, il fit un tableau de Marie-Madeleine pénitente[15] ; dans le palais d’Ottaviano de’ Medici, un tableau rond représentant la Vierge[16] ; pour San Friano, un tableau[17] ; pour San Matteo, de l’hôpital de Lelmo, plusieurs figures[18] ; pour Santa Reparata, l’ange Michel sur un tableau[19] ; et pour la confrérie dello Scalzo, un tableau remarquable par la finesse de l’exécution[20] Il fit, en outre, un grand nombre de Madones et d’autres peintures qui sont à Florence, dans les maisons de divers citoyens.

Lorenzo, ayant amassé par son travail quelque argent, se retira, en homme qui préfère le repos à la richesse, à Santa Maria Nuova[21], où il vécut et eut un appartement commode jusqu’à sa mort. Il se montra partisan zélé de Fra Girolamo de Ferrare, et sa vie fut toujours celle d’un homme de bien, empressé à rendre service toutes les fois que l’occasion s’en présentait. Finalement, parvenu à l’âge de 78 ans, il mourut de vieillesse et fut enseveli à San Pier Maggiore, l’an 1530[22].

Ses productions sont d’un tel fini que toutes autres peintures, à côté des siennes, paraissent des ébauches grossières et mal nettoyées. Il laissa à sa mort beaucoup d’ouvrages inachevés, et, entre autres, un tableau de la Passion du Christ, fort beau, qui est tombé entre les mains d’Antonio da Ricasoli, et un autre également beau[23], qui a été envoyé à Castiglione par Messer Francesco, chanoine de Santa Maria del Fiore, auquel il appartient. Il ne se souciait pas de faire de grands tableaux, à cause de la peine extrême et du temps qu’il lui fallait pour les terminer et surtout à cause du soin minutieux qu’il mettait à broyer ses couleurs. Il purifiait, en outre, et distillait lui-même ses huiles de noix et composait sur sa palette des tons qu’il conduisait par gradation depuis le plus clair jusqu’au plus obscur, vraiment avec trop de minutie, car parfois sa palette était chargée de vingt-cinq ou trente de ces tons et pour chacun il réservait un pinceau particulier. Il ne souffrait point qu’on fît le moindre mouvement dans son atelier, tant il redoutait la poussière. Cette recherche excessive n’est pas plus louable qu’une négligence contraire, car en toute chose il faut garder un terme moyen et se tenir éloigné des extrêmes, qui sont communément vicieux.



  1. Toute cette histoire est complètement inexacte. Il s’appelait Barducci, et dans le livre de comptes de Santa Maria Nuova, on lit : Lorenzo d’Oderigo Barducci dipintore in bottega d’Andrea del Verrocchio. Dans le testament de Verrocchio il est dit : Laurentius quondam Andrea de Oderich (1488), et dans son propre testament, fait en 1531 : Laurentius olim Andree Credi.
  2. Au Musée des Offices.
  3. Dans son testament, Verrocchio le charge de terminer la statue du Colleone, quia est sufficiens ad id perficiendum.
  4. Ces deux tableaux n’ont pas été retrouvés.
  5. L’oratoire où se trouve ce tableau est actuellement réuni à l’église.
  6. Actuellement dans l’église Santa Maria delle Grazie ; commandée par l’hôpital Santa Mana Nuova, et peinte en 1510.
  7. Ce dernier portrait est aux Offices.
  8. Actuellement chez M. Giuseppe Volpini, à Florence.
  9. Collection Backer, à Londres.
  10. En place.
  11. Tableau perdu.
  12. Au Musée du Louvre.
  13. Tableau encastré dans un pilastre, adroite en entrant.
  14. À l’Académie des Beaux-Arts.
  15. Au Musée de Berlin.
  16. Aux Offices.
  17. Œuvre perdue : sujet inconnu.
  18. Ibid.
  19. Peint en 1523 ; dans la sacristie du Dôme.
  20. Baptême de Jésus-Christ, actuellement aux Offices ; c’est une copie du tableau de Verrocchio, à l’Académie des Beaux-Arts.
  21. Le 1er avril 1531, avec la condition qu’on lui paye une rente de 36 florins, sa vie durant.
  22. Le livre de Santa Maria Nuova : Mori il sopradetto Lorenzo addi XII di giennaio 1536 (style commun 1537).
  23. Une Nativité du Christ, dans la collégiale de Castiglione Fiorentino.