Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Buonamico BUFFALMACCO

La bibliothèque libre.
Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 187-191).
Buonamico BUFFALMACCO
Peintre florentin né en….. mort après 1351

Buonamico di Cristofano, surnommé Buffalmacco [1], peintre florentin, fut disciple d’Andrea Tafi, et célèbre par ses facéties que Boccace et Sacchetti ont recueillies. On sait comment il fut ami de Bruno et de Calendrino, peintres de joyeuse mémoire, et tous les tours qu’il leur joua, ainsi qu’à son maître. Ses productions, répandues dans toute la Toscane, témoignent qu’il avait beaucoup de jugement dans son art.

Étant devenu bon peintre assez rapidement, il quitta Tafi pour travailler tout seul, et les travaux ne lui manquèrent pas. Un de ses premiers à Florence est dans le monastère des religieuses de Faenza, qui s’élevait sur l’emplacement actuel de la citadelle. Toute l’église est peinte de sa main, et, entre autres sujets tirés de la vie du Christ, on y voit le Massacre des Innocents, composition pleine d’une énergique vérité.

Cette œuvre terminée, il peignit dans la Badia de Settimo et dans la chapelle du cloître dédiée à saint Jacques, quelques épisodes de la vie de ce saint[2]; sur la voûte, il représenta les quatre patriarches et les quatre évangélistes, parmi lesquels il faut remarquer saint Luc soufflant dans sa plume pour la rendre plus nette. Pour donner plus de relief à ses carnations, Buffalmacco avait coutume de peindre entièrement le fond en laque violette, qui, avec le temps, produit un sel qui ronge et mange le blanc et les autres couleurs. Il n’est donc pas étonnant que les peintures susdites soient presque consumées, tandis que beaucoup d’autres plus anciennes se sont parfaitement conservées.

Il fit ensuite, pour la Certosa de Florence, deux tableaux en détrempe[3], dont l’un est dans le chœur et l’autre dans les vieilles chapelles qui sont au-dessous. Dans la Badia de Florence, il peignit à fresque la chapelle des Giochi et Bastari, à côté du chœur, qui fut ensuite cédée à la famille Boscoli. Ces peintures[4] ont duré jusqu’à maintenant et représentent la Passion du Christ. Il suffit de les voir pour se rendre compte que le facétieux Buffalmacco ne se montrait inférieur à aucun des peintres de son temps, lorsqu’il voulait se donner de la peine, ce qui, du reste, lui arrivait rarement. On peut en dire autant de ses fresques du cimetière d’Ognissanti[5], qui représentent la Nativité de Jésus et l’Adoration des Mages, et qui ont été si bien faites qu’elles ont résisté jusqu’à présent aux intempéries. À Bologne, où il se rendit ensuite, il peignit à fresque la voûte de la chapelle des Bolognini[6], à San Petronio, qu’il laissa inachevée, je ne sais pourquoi. On raconte qu’en 1302 il fut appelé à Assise, et que, dans l’église inférieure, il peignit la vie de sainte Catherine, dans la chapelle qui lui est dédiée[7] ; ces fresques se sont bien conservées, et l’on y voit quelques figures dignes d’être louées.

Repassant par Arezzo, il fut arrêté par l’évêque Guido Tarlati, qui, l’ayant entendu vanter comme un homme agréable et un peintre de talent, voulut lui faire peindre, dans l’évêché, la chapelle des fonts baptismaux[8]. Buffalmacco fit encore d’autres travaux de peinture dans le Dôme vieux hors les murs, qu’on a depuis jetés à terre avec l’édifice, et dans l’église San Giustino, sur la niche du chœur.

On raconte qu’étant à Florence, il se trouvait souvent avec ses amis et ses compagnons dans la boutique de Maso del Saggio, qui était courtier, et qu’il fut chargé, avec bien d’autres, de faire les préparatifs de la fête que, le jour des calendes de mai 1304, les habitants du Borgo San Friano donnèrent en barques sur l’Arno. Quand le ponte alla Carraia, qui était alors en bois, se rompit, pour être trop chargé des personnes qui étaient accourues à ce spectacle, il échappa à la mort qui surprit tant d’autres. Au moment où le pont s’écroula sur la machine qui, sur des barques dans l’Arno, représentait l’Enfer, il s’était absenté, étant allé chercher différentes choses qui manquaient à la fête[9]. Il fut ensuite appelé à Pise, où il fit de nombreux travaux ; entre autres, dans l’abbaye San Paolo a Ripa d’Arno appartenant alors aux moines de Vallombrosa, des fresques tirées de l’Ancien Testament et de la vie de sainte Anastasie, qui sont aujourd’hui complètement gâtées[10]. Il s’y fit aider par Bruno di Giovanni, dont le nom se trouve dans l’ancien livre de la compagnie des peintres, et qui peignit, après ces fresques, le tableau de l’autel de sainte Ursule avec toutes les Vierges[11]. Il mit dans la main de la Sainte un étendard portant les armes de Pise, à savoir une croix blanche sur fond rouge. Elle tend l’autre main vers une femme qui, debout entre deux montagnes, et touchant du pied la mer, allonge les deux mains, en ayant l’air de se recommander à la Sainte. Cette femme, qui représente la ville de Pise, a une couronne d’or sur la tête, et sur le dos un manteau portant des cercles et des aigles. Étant tourmentée par la mer, elle semble demander aide et protection à la Sainte. Comme il se plaignait de ne pouvoir donner assez de vie à ses figures, Buffalmacco lui donna le malin conseil de faire sortir de la bouche de la sainte et de la femme qui se recommande à elle des bandes portant des paroles, ce que Buffalmacco avait vu dans les œuvres peintes dans cette ville par Cimabue. Il est étonnant que ce procédé, qui n’était qu’une farce, ait passé en usage, et ait été employé dans une grande partie des fresques du Campo Santo par des peintres de talent. Les travaux de Buonamico ayant plu infiniment aux Pisans, il fut chargé par l’intendant du Campo Santo d’y exécuter quatre fresques tirées de l’histoire du monde, depuis la Création jusqu’à la construction de l’Arche de Noé[12]. Il les entoura d’un cadre portant plusieurs figures, au milieu desquelles il plaça son portrait, une tête couverte d’un capuchon. Dans cette œuvre, il y a un Père éternel qui tient soulevés les cieux et les éléments, en un mot toute la machine de l’univers ; pour expliquer le sujet, Buonamico écrivit au pied un sonnet en vers analogues à la peinture de cette époque, et qu’on peut lire encore à présent. Certes, ce fut une grande idée de représenter ainsi Dieu le Père haut de cinq brasses, avec les hiérarchies, les cieux, les anges, le zodiaque, toutes les choses supérieures, les quatre éléments, et finalement le centre. Pour remplir les deux angles inférieurs, il fit d’un côté saint Augustin et de l’autre saint Thomas d’Aquin.

Dans le même Campo Santo, à l’endroit où se trouve aujourd’hui le tombeau de Matteo Corte, médecin de Pavie, il peignit encore la Passion de Jésus-Christ, avec un grand nombre de figures à pied et à cheval, toutes dans des attitudes belles et variées, puis la Résurrection et l’apparition aux Apôtres[13].

Ces travaux terminés, et comme il avait dépensé rapidement la grande somme qu’il en avait retirée, il revint à Florence aussi pauvre qu’il en était parti. Il y fit le martyre de saint Maurice et de ses compagnons, à Santa Maria Novella, de concert avec son ami Bruno, une Passion du Christ à San Giovanni fra l’Arcore, ainsi que d’autres travaux ou fresques qu’il est inutile de décrire[14]. Il travailla encore à Cortone et à Assise, où il peignit la chapelle du cardinal Egidio Alvaro, dans l’église inférieure[15]. Enfin, après avoir travaillé dans toute la Marca, il s’arrêta à Pérouse, et peignit à fresque dans les deux églises de San Domenico, vieille et nouvelle, différents épisodes de la vie de sainte Catherine[16]. Il se surpassa dans ces fresques qu’on peut regarder comme ce qu’il fit de plus beau. Il fit encore, étant de retour à Florence, quantité de peintures dont on ne parlera pas, pour être bref. Finalement, devenu vieux et infirme, plus riche en dettes qu’en argent, il fut envoyé, dans sa dernière maladie, par la confraternità della Misericordia, à l’hôpital de Santa Maria Nuova. Il y mourut en 1340[17], à l’âge de 78 ans, et fut enterré dans l’Ossa ; c’est ainsi qu’on appelle un cloître de l’hôpital transformé en cimetière des pauvres. Ses œuvres, estimées pendant sa vie, ont toujours été comptées au nombre des choses remarquables de son temps.


  1. Extrait du livre de la Compagnie des Peintres : Buonamico Cristofani dello Buffalmacco MCCCLI. Toutes les anecdotes facétieuses rapportées par Vasari ont été supprimées dans cette traduction.
  2. Peintures détruites.
  3. Peintures perdues.
  4. Détruites à la réfection du chœur en 1591.
  5. N’existent plus.
  6. Attribution fausse, San Petronio n’ayant été commsncé qu’en 1390 ; un document de 1408 atteste qu’à cette date il n’y avait aucune fresque dans la chapelle des Bolognini.
  7. Peintures bien postérieures. Existent encore.
  8. Peintures non retrouvées ; on ignore la place exacte de cette chapelle.
  9. En 1304 ; voir Villani, liv. VIII, chap. IXX.
  10. Ces fresques n’existent plus. Dans le vieux livre des peintres, on lit : Bruno Giovanni, pop. San Simone dipintore, MCCCL.
  11. Actuellement au musée civique de Pise.
  12. Attribution fausse ; peintes par Pietro Puccio, vers 1390, auteur du couronnement de la Vierge, au-dessus de la chapelle Aulla, attribué par Vasari à Taddeo Bartoli. Ces fresques existent encore.
  13. Ces fresques, qui existent encore, ont été complètement repeintes par Rondinosi, en 1667.
  14. Toutes ces peintures ont été détruites.
  15. Attribution douteuse. Ces fresques, déjà mentionnées, sont dans la chapelle Sainte-Catherine, et ont été peintes bien postérieurement.
  16. Chapelle Buontempi ; peintures détruites.
  17. Certainement après 1351.