Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/De quelques Membres de l’Académie du Dessin

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 382-384).
De quelques Membres de l’Académie
du Dessin
(Extrait)

Pour dire quelque chose des sculpteurs appartenant à notre Académie et de leurs œuvres, sur lesquels, cependant, je m’étendrai peu, car ces maîtres sont vivants et jouissent, pour la plupart, d’une grande réputation, je commencerai par Benvenuto Cellini[1], comme appartenant aux plus anciens et aux plus respectables. Benvenuto, citoyen florentin, aujourd’hui sculpteur, n’eut point d’égal dans l’orfèvrerie, quand il s’y appliqua dans sa jeunesse, et fut peut-être maintes années sans en avoir, de même que pour exécuter les petites figures en rondebosse et en bas-relief et tous les autres ouvrages de cette profession. Il monta si bien les pierres fines et les orna de chatons si merveilleux, de figurines si parfaites et quelquefois si originales et d’un goût si capricieux, que l’on ne saurait imaginer rien de mieux. Il en est de même des médailles d’or et d’argent qu’il grava, étant jeune, avec un soin incroyable. Il fit à Rome, pour le pape Clément VII, un bouton de chape sur lequel il représenta un Père éternel d’un travail admirable ; il y monta un diamant taillé en pointe, entouré de plusieurs petits enfants ciselés en or avec un rare talent, ce qui lui valut, outre son salaire, une charge de massier. Clément VII lui ayant commandé un calice d’or dont la coupe devait être supportée par des figures représentant les Vertus théologales, Benvenuto conduisit presque entièrement à fin cet ouvrage avec un art merveilleux. De tous les artistes qui, de son temps, s’essayèrent à graver les médailles du pape, aucun ne réussit mieux que lui, comme le savent très bien tous ceux qui en possèdent ou qui les ont vues. Aussi lui confia-t-on la gravure des coins de la Monnaie de Rome, et n’a-t-on jamais vu de plus belles pièces que celles qui furent alors frappées à Rome. Après la mort de Clément VII, Benvenuto retourna à Florence où il fit des coins, avec la tête du duc Alexandre, pour la Monnaie ; ces coins sont d’une telle beauté que l’on en conserve aujourd’hui plusieurs empreintes comme de précieuses médailles antiques, et c’est à bon droite car Benvenuto s’y surpassa lui-même.

S’étant ensuite consacré à la sculpture et à la fonte du bronze, il fit en France quantité d’ouvrages en bronze, en argent et en or, pendant qu’il était au service du roi François Ier. De retour dans sa patrie et étant entré au service du duc Cosme, celui-ci lui commanda d’abord plusieurs pièces d’orfèvrerie et ensuite quelques sculptures ; c’est alors que Benvenuto jeta en bronze Persée venant de couper la tête de Méduse. Cette statue est sur la place du Duc, non loin de la porte du palais, sur un piédestal en marbre orné de magnifiques figurines de bronze de la grandeur d’une brasse et d’un tiers ; étudiée avec le plus grand soin dans toutes ses parties, elle est bien digne de la place qu’elle occupe auprès de la Judith du célèbre Donato. Il est vraiment étonnant qu’après ne s’être exercé pendant tant d’années qu’à ciseler de petites figures, Benvenuto soit parvenu à mener à bonne fin une statue d’une si grande dimension. On lui doit aussi un Crucifix en marbre, en rondebosse et grand comme nature, qui est, dans son genre, le morceau le plus beau et le plus rare que l’on puisse voir. Le duc le conserve précieusement dans son palais et le destine à la chapelle ou petite église qu’il y fait construire. Je pourrais m’étendre davantage sur le compte de Benvenuto qui, dans toute sa conduite, s’est constamment montré intrépide, fier, ardent, énergique, terrible, et qui n’hésite pas à dire le fond de sa pensée aux princes, non moins audacieux avec eux que dans ses ouvrages. Mais je ne dirai rien de plus, attendu qu’il a lui-même écrit sur sa vie et sur ses ouvrages avec beaucoup plus de méthode et d’éloquence que je ne saurais peut-être le faire. Il a composé deux traités, l’un sur la sculpture et l’autre sur l’orfèvrerie, la fonte et le jet des métaux et les autres parties de cet art[2]. Que ce court sommaire de ses œuvres les plus remarquables soit donc suffisant.

Nous avons encore dans notre Académie Jean Bologne[3], de Douai, jeune sculpteur flamand très remarquable, qui, par son mérite, a su entrer fort avant dans les bonnes grâces de nos princes. Il vient de terminer, avec de beaux ornements de métal, la fontaine de la place San Petronio[4], à Bologne, devant le palais de la Seigneurie ; on y voit des sirènes très belles aux quatre coins, entourées d’enfants et de mascarons très curieux. La pièce principale, au milieu de la fontaine, est un Neptune haut de six brasses, qui est d’une belle coulée, bien étudié et parfaitement exécuté. Pour passer sous silence tous les ouvrages que Jean Bologne a exécutés en terre, en cire et en autres matières du même genre, je dirai seulement qu’il a sculpté en marbre une admirable Vénus[5], et presque terminé, pour le duc, un Samson combattant contre deux Philistins[6], de grandeur naturelle. Il a fait en bronze un Bacchus plus grand que nature[7] et un Mercure volant, très ingénieux, qui n’est posé que sur une jambe et sur la pointe du pied[8] ; cette dernière statue fut envoyée à l’empereur Maximilien. Mais si, jusqu’à présent, Jean Bologne a fait de nombreux et beaux ouvrages, il est à penser qu’à l’avenir il en fera encore de plus beaux et de plus nombreux, car le duc qui, dernièrement, lui a donné un logement dans son palais, lui a commandé une Victoire, haute de cinq brasses, surmontant un prisonnier[9], qui doit être placée en face de celle de Michel-Ange, dans la grande salle ; Jean Bologne aura plus d’une occasion encore de déployer amplement son talent dans d’importantes entreprises.


  1. Né le 3 novembre 1500, mort le i3 février 1571. Il ne reste de ses œuvres énumérées ici que les médailles, le Persée et le Christ de l’Escurial.
  2. Imprimés à Florence en 1568. Sa vie, écrite par lui-même, fut imprimée pour la première fois à Florence en 1730.
  3. Né vers 1530, mort le 13 août 1608, et enterré derrière le chœur de l’Annunziata.
  4. Existe encore.
  5. Statue inconnue.
  6. En Espagne.
  7. Perdu.
  8. Au Musée National ; une réplique au Louvre.
  9. Au Musée National ; groupe appelé la Vertu surmontant le Vice.