Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Domenico GHIRLANDAJO

La bibliothèque libre.
Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 444-456).
Domenico GHIRLANDAJO
Peintre florentin, né en 1449, mort en 1494  ;

Domenico[1] di Tommaso del Ghirlandaio qui, pour le mérite, la grandeur et la multitude de ses œuvres, peut être appelé un des principaux et des meilleurs maîtres de son temps, était appelé par la nature à devenir peintre. Malgré l’opposition de celui qui l’avait sous sa garde (comme souvent on empêche de fructifier nos génies, en les occupant à des métiers qui ne leur conviennent pas et en les enlevant à ceux qui leur sont naturellement propres), il s’attira, ainsi qu’aux siens autant de renom que de profit, et il fiat le charme de son siècle. Il fut mis, par son père, au métier d’orfèvre, que celui-ci exerçait avec un certain talent. Tommaso fut le premier qui trouva et fabriqua cet ornement de tête des jeunes filles florentines, qu’on appelle une guirlande, d’où lui resta le nom de Ghirlandajo, non seulement parce qu’il en fut l’inventeur, mais parce qu’il en fabriqua une infinité, toutes fort belles, au point qu’on ne trouvait bien que celles qui sortaient de sa boutique.

Placé donc au métier d’orfèvre, mais ne s’y plaisant pas, Domenico ne cessait de dessiner. Comme il était doué par la nature d’un esprit parfait et d’un goût admirable, avec beaucoup de jugement dans la peinture, tout en s’occupant d’orfèvrerie, il acquit très rapidement une telle facilité dans le dessin qu’il reproduisait, dit-on, les personnes qui passaient devant la boutique et qu’il attrapait du premier coup leur ressemblance, comme on peut s’en rendre compte par ses œuvres où l’on voit quantité de portraits d’une ressemblance extraordinaire.

Il fit ses premières peintures dans l’église d’Ognissanti, où il représenta dans la chapelle Vespucci[2] un Christ mort, avec plusieurs saints, et, au-dessus d’un arc, une Vierge de Miséricorde ; dans cette peinture il y a le portrait d’Amerigo Vespucci[3], qui fit la navigation des Indes. Dans le réfectoire du même couvent, il fit une Cène à fresque[4], et à Santa Croce, en entrant dans l’église, à main droite, l’histoire de saint Paulin[5]. Ayant acquis par là une grande renommée, il peignit, pour Francesco Sassetti, dans une chapelle de Santa Trinità, des sujets tirés de la vie de saint François[6] ; cette œuvre, merveilleusement composée, est exécutée avec un soin et une grâce extrêmes. Il y reproduisit le Ponte a Santa Trinità et le palais degli Spini. Sur la première paroi, on voit saint François apparaissant dans les airs et ressuscitant un enfant ; les femmes qui le voient renaître manifestent leur joie et leur étonnement, après s’être affligées de le conduire au tombeau. Les religieux, qui sortent de l’église avec les fossoyeurs et suivent la croix, sont reproduits très naturellement, ainsi que d’autres personnages parmi lesquels on reconnaît plusieurs citoyens illustres de la cité. Dans un autre compartiment, Domenico montra saint François refusant l’héritage de son père, Pietro Bernardone, en présence de l’évêque, prenant l’habit de bure et se ceignant de la corde. Sur la paroi du milieu, on voit saint François allant trouver, à Rome, le pape Honorius, pour obtenir la confirmation de la règie de son ordre et lui offrant les roses de janvier. Dans cette scène est représentée la salle du Consistoire, avec les cardinaux assis tout autour et à laquelle aboutissent des escaliers ornés de rampes et occupés par des figures à mi-corps ; parmi celles-ci on remarque le portrait de Laurent l’Ancien de Médicis. Domenico peignit également saint François recevant les stigmates et, dans la dernière scène, sa mort et les frères qui le pleurent ; on en voit un lui baiser les mains avec une affection qu’il serait impossible de mieux exprimer en peinture. Il y a, en outre, un évêque en costume qui, les lunettes sur le nez, chante les vigiles avec tant de naturel, qu’on se rend compte qu’il est peint, simplement parce qu’on ne l’entend pas. Il reproduisit dans deux cadres, qui sont à droite et gauche du tableau de l’autel, les traits de Francesco Sassetti et de Madonna Nera, sa femme[7], à genoux, avec leurs fils, [ceux-ci dans l’histoire de l’enfant ressuscité] et de belles jeunes filles de la même famille, dont je n’ai pu retrouver les noms, revêtues des costumes de l’époque. Sur la voûte, il fit quatre Sibylles et, en dehors de la chapelle, dans l’arc de la paroi antérieure, la Sibylle de Tibur faisant adorer le Christ à l’empereur Auguste[8] ; cette fresque est exécutée avec grande habileté professionnelle et une admirable fraîcheur de coloris. Domenico accompagna ce travail d’un tableau peint de sa main en détrempe, qui représente une Nativité du Christ[9], belle à combler d’étonnement tous les connaisseurs ; il y mit son propre portrait et quelques têtes de bergers, qui sont considérées comme des choses divines.

Il peignit, pour le maître-autel des Jésuites, un tableau[10] enfermant une Vierge tenant l’Enfant Jésus et accompagnée de saints à genoux, entre autres, saint Just, évêque de Volterra[11], à qui l’église est dédiée, San Zanobi, évêque de Florence, un ange Raphaël et un saint Michel couvert d’une armure magnifique. En vérité, Domenico mérite d’être loué pour ce fait, car il fut le premier qui commença à imiter en couleurs certaines garnitures et ornements d’or, qu’on n’avait pas reproduits jusqu’alors et il supprima, en grande partie, ces ornements en relief que l’on faisait à l’or mordant, ou au bol d’Arménie, ce qui était plutôt le fait de fabricants de baldaquins que de bons peintres. Infiniment plus belle que les autres figures est celle de la Vierge, ayant son Fils au cou et entourée de quatre petits anges. Ce tableau qui, pour une œuvre en détrempe, ne saurait être mieux exécuté, fut placé dans l’église des Jésuites, hors de la Porta a Pinti ; mais, après la ruine de cette église, on le posa dans celle de San Giovannino, à l’intérieur de la Porta a San Pier Gattolini, où est le couvent de cet ordre.

Dans l’église de Cestello, il fit un tableau, terminé par David et Benedetto, ses frères, qui représente la Visitation de la Vierge[12], où l’on remarque plusieurs têtes de femmes fort gracieuses. Dans l’église degli Innocenti, il fit en détrempe une Adoration des Mages[13], très estimée, dans laquelle sont de très belles têtes, d’une phisionomie variée, tant de jeunes gens que de vieillards ; on reconnaît particulièrement dans celle de la Vierge toute la beauté pudique et gracieuse que l’art est capable de donner à la mère du Fils de Dieu. Dans le couvent de San Marco, il laissa un tableau[14], dans le transept de l’église, et une Cène[15] peinte à fresque dans l’Hôtellerie. Giovanni Tornabuoni a, dans sa maison, un tableau rond renfermant l’Adoration des Mages[16], qui est exécuté avec grand soin. Au petit hôpital[17], pour Laurent le Magnifique, il peignit une scène de Vulcain, dans laquelle on remarque plusieurs figures nues fabricant, au marteau, des foudres pour Jupiter. À Florence, dans l’église d’Ognissanti, il fit, à fresque, en concurrence de Sandro Botticello, un saint Jérôme[18] entouré de quantité d’instruments et de livres d’étude. Les religieux d’Ognissanti, ayant voulu changer de place le chœur de leur église, ont armé de solides ferrements cette figure et celle de Botticello et les ont transportées, sans aucune lésion, au milieu de l’église[19], près de la porte qui conduit au chœur. Il peignit encore l’arc au-dessus de la porte de Santa Maria Ughi[20] et un petit tabernacle pour l’Arte di Linaiuoli, de plus, un saint Georges, très beau, qui tue le dragon[21], dans la même église d’Ognissanti. Vraiment Domenico entendit parfaitement la manière de peindre sur le mur et travailla avec une grande facilité, quoique avec beaucoup de fini.

Ayant été ensuite appelé à Rome[22] par le pape Sixte IV, pour peindre avec d’autres maîtres dans la chapelle qui porte son nom, il y représenta le Christ faisant quitter leurs filets à Pierre et à André[23], ainsi que la résurrection du Christ[24], fresque entièrement détruite aujourd’hui, parce qu’elle était au-dessus d’une porte où il fallut remettre une architrave qui se brisa.

À cette époque était à Rome Francesco Tornabuoni, honorable et riche marchand et ami intime de Domenico. Sa femme étant morte en couches et Francesco lui ayant fait élever, dans la Minerva, par Andrea Verrocchio, le tombeau qui convenait à son rang, il voulut, de plus, que Domenico peignît toute la paroi où était adossé le tombeau[25], et y fit, en outre, un petit tableau en détrempe. Domenico représenta alors sur la muraille quatre sujets, dont les deux premiers étaient tirés de la vie de saint Jean-Baptiste et les deux derniers de celle de la Vierge ; ces œuvres furent très admirées.

Francesco éprouva tant de douceur dans le commerce de Domenico, que, lorsque celui-ci revint à Florence, avec honneur et profit, Francesco le recommanda à Giovanni, son parent, en lui écrivant combien Domenico l’avait bien servi et combien le pape avait été satisfait de ses peintures. Ce qu’apprenant Giovanni résolut de l’employer à quelque travail magnifique, qui devait honorer sa mémoire à lui, et attirer à Domenico autant de profit que de renommée.

Par hasard, la grande chapelle de Santa Maria Novella, couvent des frères prêcheurs, autrefois peinte par Andrea Orcagna, était gâtée par l’eau en plusieurs endroits, parce que le toit de la voûte était mal couvert. Déjà divers citoyens avaient voulu la réparer, ou la faire peindre de nouveau, mais les Ricci, à qui elle appartenait, s’y étaient constamment refusés, ne pouvant supporter eux-mêmes une si grande dépense et ne voulant pas permettre à un autre de la faire, pour ne pas perdre leurs droits de patronage et d’armoiries qu’ils tenaient de leurs ancêtres. Giovanni se mit d’accord avec les Ricci, en leur promettant de prendre la dépense à son compte, de leur faire un don quelconque de remerciement et de placer leurs armes dans le lieu le plus apparent et le plus honorable de la chapelle. Ces conditions ayant été stipulées par un contrat très rigoureux, Giovanni alloua l’entreprise à Domenico, avec les anciennes peintures qui existaient et ils s’accordèrent pour un prix de 1.200 ducats d’or larges, avec 200 en plus, dans le cas où l’œuvre lui plairait. Domenico se mit donc à l’ouvrage et ne s’arrêta pas avant de l’avoir terminé en quatre ans, l’an 1485[26], à la grande satisfaction de Giovanni qui se reconnut bien servi et avoua ingénument que Domenico avait bien gagné les 200 ducats de surplus, mais en lui demandant de se contenter du premier prix. Domenico, qui estimait plus la gloire et l’honneur que les richesses, le tint aussitôt pour quitte, lui affirmant qu’il se sentait plus heureux de l’avoir satisfait que de recevoir son argent. Giovanni fit ensuite faire deux grands écus en pierre, l’un portant les armes des Tornaquinsi, l’autre des Tornabuoni, et qu’il fit placer sur les pilastres extérieurs de la chapelle. De plus l’arc fut garni des autres armes de sa famille, distinctes par noms, à savoir outre les deux susdites, celles des Gianichotti, des Popoleschi, Marabottini et Cardinali. Lorsqu’il peignit le tableau de l’autel, il le surmonta d’un arc contenant, dans le cadre doré, un beau tabernacle pour le Saint-Sacrement, sur le fronton duquel cadre il fit un petit écusson d’un quart de brasse avec les armes des propriétaires de la chapelle, c’est-à-dire des Ricci.

Ce fut une belle histoire quand on découvrit la chapelle ; les Ricci cherchèrent avec grand bruit leurs armoiries, et, ne les voyant pas, allèrent, munis de leur contrat, se plaindre au tribunal des Huit. Les Tornabuoni montrèrent que, suivant les termes du contrat, ils les avaient placées dans le lieu le plus apparent et le plus honorable, et, comme les Ricci se récrièrent, disant qu’on ne les voyait pas, on leur répliqua qu’ils avaient tort et qu’il devaient être enchantés d’être voisins du Très Saint-Sacrement. C’est ainsi que les magistrats décidèrent que les choses devaient être comme elles sont maintenant. En faisant ce récit, nous avons voulu montrer que la pauvreté est toujours la dupe de la richesse, et que celle-ci, accompagnée de la prudence, arrive toujours à ses fins, sans être blâmée de personne.

Pour revenir aux belles œuvres de Domenico, il y a, dans cette chapelle d’abord, sur la voûte, les quatre Évangélistes, plus grands que nature, et, sur la paroi de la fenêtre, les histoires de saint Dominique, de saint Pierre martyr, de saint Jean quand il va dans le désert, l’Annonciation de la Vierge, et plusieurs saints, protecteurs de Florence, agenouillés, au-dessus des fenêtres. En bas, à droite, se trouve le portrait d’après nature de Giovanni Tornabuoni, et à gauche, celui de sa femme ; on les dit tous deux très ressemblants. Sur la muraille de droite, l’histoire de la Vierge est distribuée en sept compartiments, dont les six inférieurs aussi larges que la demi paroi, le dernier supérieur étant enfermé dans l’arc de la voûte et deux fois aussi large que chacun de ceux qui sont au-dessous. Il y en a autant pour l’histoire de saint Jean-Baptiste, à gauche.

Le premier compartiment de la paroi droite représente Joachim chassé du temple ; son visage exprime la patience, comme on voit sur ceux des Juifs la haine et le mépris que leur inspiraient les hommes qui venaient au temple, sans avoir d’enfants. Dans cette histoire, il y a, du côté de la fenêtre, quatre personnages peints d’après nature ; celui qui est vieux, rasé, avec un capuchon rouge, est Alesso Baldovinetti, qui enseigna la peinture et la mosaïque à Domenico ; celui qui a la tête nue, la main sur le flanc et une petite veste bleue sous un manteau rouge, est Domenico lui-même, l’auteur des fresques, et qui s’est peint au miroir ; celui qui a une longue chevelure noire et de grosses lèvres est Bastiano da San Gimignano, son disciple et beau-frère ; enfin, celui qui tourne le dos au spectateur et qui est coiffé d’un petit béret, est le peintre David Ghirlandaio, son frère. Tous ceux qui les ont connus disent que leurs portraits sont vivants.

Dans le deuxième compartiment est la Nativité de la Vierge. On y voit, entre autres choses notables dans les constructions et la perspective, une fenêtre qui éclaire la chambre, et qui vraiment trompe celui qui la regarde. Sainte Anne est au lit[27], et quelques femmes viennent la visiter, pendant que les servantes lavent la Vierge avec précaution : celle-ci apporte de l’eau, celle-là prépare les langes, en un mot, chacune s’utilise comme elle peut, tandis que celle qui tient la petite fille la fait rire avec une grâce toute féminine et digne du reste de l’œuvre. Il y a en outre d’autres sentiments exprimés dans les autres figures. Dans le troisième compartiment, on voit la Vierge montant les degrés du temple : il y a dans ce tableau un édifice qui s’éloigne de l’œil d’une manière très bien entendue, et un homme nu qui fut beaucoup admiré dans ce temps (car on en faisait peu), encore qu’il soit loin de l’entière perfection que l’on a obtenue dans nos jours.

À côté est le Mariage de la Vierge, où Domenico montra la colère de ceux brisant les verges qui n’ont pas fleuri, comme celle de Joseph : ce panneau est rempli de figures dans un édifice bien approprié. Dans le cinquième compartiment, on voit arriver les Mages à Bethléem, avec un grand nombre d’hommes, de chevaux et de dromadaires.

Le suivant, qui est le sixième, représente la cruauté d’Hérode envers les Innocents, où l’on voit une remarquable mêlée de femmes, de soldats et de chevaux, qui les heurtent et les frappent. En vérité, de toutes les peintures de Domenico dans cette chapelle, celle-ci est la meilleure ; elle est exécutée avec jugement et un grand art. On y reconnaît la dureté impie de ceux qui, commandés par Hérode, sans faire attention aux mères, tuent ces pauvres petits enfants ; l’un d’eux, encore attaché à la mamelle, meurt des blessures qu’il a reçues à la gorge, en tétant non moins de sang que de lait, peinture vraiment naturelle et capable de faire revivre la pitié là où elle serait morte. Il y a encore un soldat qui a enlevé de force un enfant et, tandis qu’il le serre en courant et s’apprête à l’égorger, il est saisi aux cheveux par la mère qui le tient avec rage ; il a l’échiné courbée en arc, et l’on peut voir en eux trois beaux effets ; la mort de l’enfant qui est étouffé, la fureur du soldat qui, se sentant arrêté si violemment, se venge sur l’enfant, enfin la mère qui, voyant la mort de son fils, pleine de rage et de douleur, s’efforce de ne pas laisser partir le misérable sans châtiment. Toutes ces passions sont rendues plutôt en philosophe qu’en peintre, et montrent au connaisseur que Domenico était certes excellent à son époque.

Dans le septième compartiment, qui a double largeur et forme lunette, sous l’arc de la voûte, on voit la mort de la Vierge et son Assomption, avec un grand nombre d’anges, de figures, de paysages et d’autres ornements, que Domenico excellait à produire abondamment, dans sa manière facile et pratique.

Sur l’autre paroi, où sont les histoires de saint Jean, dans le premier compartiment, tandis que Zaccharie sacrifie au temple, l’ange lui apparaît et le frappe de mutisme pour le punir de son incrédulité. Pour montrer qu’aux sacrifices de tous les temps assistent toujours les personnes les plus notables, et pour rendre son histoire plus remarquable, Domenico y représenta un bon nombre de citoyens de Florence qui gouvernaient cet État, et, entre autres, tous les Tornabuoni, jeunes et vieux. En outre, pour montrer que son époque était riche en toute sorte de mérites, et particulièrement dans les lettres, il y plaça quatre personnages à mi-corps, réunis et causant, au bas de la composition, qui ne sont autres que les hommes les plus instruits qui vivaient alors à Florence. Le premier, revêtu d’un habit de chanoine, est Messer Marsile Ficin ; le second, couvert d’un manteau rouge et le cou entouré d’un ruban noir, est Cristofano Landino ; le troisième est Démétrius de Grèce, qui se retourne vers eux, et, au milieu, celui qui lève un peu la main est Messer Ange Politien.

Le deuxième compartiment, à côté de l’autre, représente sainte Elisabeth visitant la Vierge ; beaucoup de dames l’accompagnent, en costumes du temps, entre autres Ginevra Benci, qui était alors une très belle jeune fille[28].

Le troisième compartiment, au-dessus du premier, renferme la Naissance de saint Jean, dans laquelle il y a une intention remarquable. Tandis que sainte Elisabeth est au lit, que des voisines viennent la visiter, et que la nourrice assise allaite l’enfant, une femme le lui demande avec gaîté, pour montrer aux autres la nouveauté de ce qui vient d’arriver à la maîtresse de la maison, dans sa vieillesse. Finalement, on voit une belle campagnarde, qui apporte de la villa des fruits et des flacons, suivant l’usage florentin.

Dans le quatrième compartiment, à côté du précédent, Zaccharie encore muet et tout étonné, dans son âme intrépide, d’avoir eu un fils, pour répondre à ceux qui lui demandent son nom, regarde son fils que tient une femme respectueusement agenouillée devant lui, et écrit sur une feuille placée sur son genou : Giovanni sarà il suo nome, non sans l’admiration de ceux qui l’entourent et qui paraissent se demander si ce qu’ils voient est vrai ou non.

Dans le cinquième compartiment, saint Jean prêche à la foule ; on y remarque l’attention qu’éprouve le peuple, quand il entend des choses nouvelles, et particulièrement, dans les têtes des scribes qui écoutent saint Jean, un certain mépris pour cette loi nouvelle, et comme s’ils l’avaient en haine. Des hommes et des femmes sont assis ou debout, dans des costumes variés.

Dans le sixième compartiment, on voit saint Jean baptiser le Christ. Dans son attitude respectueuse, il montre entièrement la foi que l’on doit porter à ce saint sacrement, et, pour profiter de cette occasion, Domenico représenta plusieurs hommes déjà nus et déchaussés, qui attendent d’être baptisés et montrent leur foi et leur désir peints sur leurs visages. Il y en a un qui ôte ses souliers et qui est la promptitude même.

Dans le dernier compartiment, c’est-à-dire dans la lunette de la voûte, est le somptueux festin d’Hérode, et la danse d’Hérodiade, avec une infinité de serviteurs occupés diversement, et un grand édifice tracé en perspective, qui montre ouvertement la grande habileté de Domenico, non moins que les autres peintures.

Domenico exécuta en détrempe le tableau[29] complètement isolé du maître-autel, et les autres figures qui sont dans les six compartiments ; outre la Madone, qui est assise dans les airs tenant son Fils, et les saints qui les entourent, outre le saint Laurent et le saint Étienne qui sont vraiment vivants, il ne manque que la parole au saint Vincent et au saint Pierre, martyr. À la vérité, une partie de ce tableau resta inachevée, à cause de la mort de Domenico ; il l’avait déjà conduit si avant qu’il ne lui restait plus qu’à terminer quelques figures de la face postérieure, où est peinte la Résurrection du Christ, et trois des figures qui sont dans les compartiments. Le tableau dans son entier fut terminé par Benedetto et David Ghirlandai, ses frères.

Cette chapelle fut considérée comme une œuvre très belle, grandiose et en même temps gracieuse, à cause de la vivacité des couleurs, de la perfection du travail, du peu de retouches à sec, en outre de l’invention et de la composition de toutes les parties. Certes, Domenico mérite de grands éloges en tous points et particulièrement pour la vivacité de ses têtes qui, étant reproduites d’après des originaux, représentent à celui qui les verra les vivantes images de quantité de personnes signalées.

Pour le même Giovanni Tornabuoni, il couvrit de peintures, au Chiasso Maceregli, sa villa située à peu de distance de la ville, une chapelle placée au bord du Terzolle, actuellement à demi-ruinée par le voisinage du cours d’eau, et dont les peintures, bien qu’étant restées longtemps à découvert et continuellement baignées par la pluie ou brûlées par le soleil, ont résisté comme si elles avaient été constamment à couvert, si grande est la valeur de la fresque quand elle est exécutée avec jugement et non retouchée à sec[30].

Il fit encore, dans le palais de la Seigneurie, plusieurs figures de saints florentins[31], avec de beaux ornements, dans la salle où est la merveilleuse horloge de Lorenzo della Volpaia.

Il était tellement ami du travail et désireux de satisfaire toute personne, qu’il avait dit à ses élèves d’accepter toutes les commandes que l’on apporterait à son atelier, si viles qu’elles fussent, ajoutant que s’ils refusaient de s’en charger, il les exécuterait lui-même, de manière que personne ne s’en allât mécontent de chez lui. Il se plaignait quand il avait ci s’occuper de choses domestiques, et, pour cela, il avait chargé son frère David de veiller au soin de sa maison. Il lui disait : « Laisse-moi travailler, veille à nos affaires : maintenant que je commence à connaître la mode de cet art, je regrette que l’on ne m’ait point donné le circuit des murs de Florence à couvrir de peintures. » Il montrait ainsi un courage invincible et un esprit résolu dans toutes ses actions. À Lucques, il exécuta un tableau renfermant un saint Pierre et un saint Paul, dans l’église San Martino[32], et, hors de Florence, à la Badia de Settimo, deux tableaux en détrempe, dans le transept de l’église, dont il couvrit de fresques la paroi de la grande chapelle[33]. À Florence, il peignit un grand nombre de tableaux ronds[34], carrés et d’œuvres diverses qu’on ne peut voir, car elles sont dans des maisons particulières. À Pise, il peignit, entre autres choses, la niche du maître-autel de la cathédrale et la façade de l’Œuvre, où il représenta le roi Charles recommandant la ville de Pise[35]. À San Girolamo, église des jésuites[36], il fit deux tableaux en détrempe, celui du maître-autel et un autre. Dans le même endroit, il y a encore de sa main un tableau renfermant saint Roch et saint Sébastien, qui fut donné aux pères par je ne sais quel membre de la famille Médicis ; aussi y ont-ils ajouté les armes du pape Léon X[37].

On dit que, lorsqu’il étudiait les antiquités de Rome, arcs, thermes, colonnes, obélisques, amphithéâtres et aqueducs, il les dessinait si justes, sans règle ni compas et sans les mesurer, que, lorsqu’on mesurait ensuite ses dessins, on les trouvait parfaitement exacts. Reproduisant ainsi à l’œil le Colisée, il plaça une figure debout au bas, dont la mesure donnait exactement celle de l’édifice ; après sa mort, différents maîtres vérifièrent ce fait sur son propre dessin.

Il fit, dans le cimetière de Santa Maria Nuova, au-dessus d’une porte, un saint Michel à fresque[38], en armes et très beau, avec des réverbérations de lumière sur l’armure, chose qui était peu usitée avant lui. À la Badia de Passignano, occupée par des moines de Vallombrosa, il peignit plusieurs œuvres[39], en compagnie de son frère David et de Bastiano da San Gimignano. De retour à Florence, il peignit un tableau pour le seigneur de Carpi, et en envoya un autre[40] à Rimini, à Carlo Malesta, qui le mit dans sa chapelle, à San Domenico. Ce dernier tableau était en détrempe, avec trois personnages très beaux[41] et de petits sujets en dessous : le revers est occupé par des figures en couleur de bronze simulé avec un grand art. Il fit encore deux autres tableaux[42], dans l’abbaye de San Giusto, de l’ordre des Camaldules, hors de Volterra, qui lui furent demandés par Laurent le Magnifique, pour son fils, le cardinal Jean de Médicis, qui avait cette abbaye en commende, et qui, plus tard, devint pape sous le nom de Léon X. Appelé ensuite à Sienne, par l’entremise de Laurent le Magnifique, qui se porta garant pour la somme de 20.000 ducats, il entreprit de faire en mosaïque la façade du Dôme[43], et il commença le travail avec un grand courage et dans une excellente manière. Mais la mort l’arrêta et l’œuvre resta inachevée, de même que la mort de Laurent empêcha de terminer la décoration en mosaïque de la chapelle San Zanobi, à Florence, que Domenico avait entreprise en compagnie du miniaturiste Gherardo[44]. Au-dessus de la porte latérale de Santa Maria del Fiore, qui conduit aux Servi, on voit de Domenico une Annonciation, en mosaïque[45], d’une telle beauté que les maîtres modernes n’ont encore rien produit de mieux. Il avait coutume de dire que la peinture était dans le dessin et que la mosaïque était la vraie peinture pour l’éternité.

Il eut pour élève Bastiano Mainardi, de San Gimignano[46], qui, étant devenu habile dans la fresque, l’aida à peindre la chapelle de Santa Fina[47], à San Gimignano, qui est une belle chose. Domenico jugeant que Bastiano, par ses bons soins et sa gentillesse, était digne d’avoir une de ses sœurs[48] en mariage, leur amitié se changea en parenté. Il lui fit peindre, mais toutefois après avoir composé lui-même le carton, à Santa Croce, dans la chapelle qui appartient aux Baroncelli et aux Bandini, une Madone montant au ciel et, dans le bas, un saint Thomas recevant la ceinture ; c’est une belle œuvre à fresque[49].

Domenico et Bastiano peignirent ensemble à Sienne, dans une chambre du palais degli Spannocchi, plusieurs sujets en détrempe, remplis de petites figures[50], et à Pise, outre la niche déjà mentionnée du Dôme, tout l’arc de cette chapelle plein d’anges, et de même les volets de l’orgue[51]; ils commencèrent aussi à dorer le plafond.

Au moment où ils allaient entreprendre de grands travaux à Pise et à Sienne, Domenico fut atteint d’une fièvre dont la violence fut telle qu’elle l’enleva en cinq jours. Pendant sa maladie, les Tornabuoni lui envoyèrent 100 ducats d’or pour lui témoigner leur amitié et pour reconnaître les bons offices qu’il avait constamment rendus à Giovanni Tornabuoni et à toute leur famille. Il vécut quarante-quatre ans et fut enseveli à Santa Maria Novella, avec beaucoup de larmes et de regrets, par ses frères et par Ridolfo, son fils. Lorsqu’ils apprirent sa mort, nombre d’excellents peintre étrangers écrivirent à ses parents, en s’attristant de cette mort cruelle. Ses élèves furent David et Benedetto, Bastiano Mainardi, Michel-Ange Buonarroti, Francesco Granacci, Nicolo Cieco, Jacopo del Tedesco, Jacopo del Indaco, Baldino et d’autres maîtres, tous Florentins. Il mourut l’an 1493.

Domenico enrichit l’art de la peinture en travaillant la mosaïque d’une manière plus moderne que ne le fit aucun Toscan, parmi tant de maîtres qui s’y essayèrent. C’est ce que montrent ses œuvres, si peu nombreuses qu’elles soient. Aussi mérita-t-il, pour une si grande richesse d’art, d’être grandement honoré et d’être célébré avec des louanges extraordinaires après sa mort[52].


  1. Domenico Bigordi, né en 1449, d’après la déclaration de son père, faite tn 1480. Tommaso était courtier et non pas orfèvre
  2. Les fresques de la chapelle Vespucci existent encore.
  3. Ainsi que ceux de sa famille.
  4. Existe encore, datée MCCCCLXXX.
  5. N’existe plus.
  6. Ces fresques existent encore.
  7. Au-dessous de laquelle, on lit MCCCCLXXXV, et, sous son mari : XV DECEMBRIS.
  8. Cette fresque est en mauvais état.
  9. Actuellement à l’Académie des Beaux-Arts, datée MCCCCLXXXV.
  10. Actuellement aux Offices.
  11. Archevêque de Lyon.
  12. Actuellement au Musée du Louvre ; peint en 1491, pour la chapelle de Lorenzo Tornabuoni.
  13. En place, datée MCCCCLXXXVIII.
  14. Disparu.
  15. Existe encore.
  16. Ce tableau, après être resté dans le palais Pandolfini, Via San Gallo, fut ensuite vendu en Angleterre. On croit le retrouver dans une peinture analogue appartenant à M. le docteur H. Haertel, à Leipsick, datée MCCCCLXXXVII.
  17. Près de Volterra ; peinture en mauvais état.
  18. Existe encore ; signé 1480.
  19. En 1564.
  20. Église détruite en 1785.
  21. N’existe plus.
  22. Il y est, en 1475, avec David, son frère.
  23. Existe encore.
  24. Repeinte par Arrigo Fiammingo, sous Grégoire XIII.
  25. Les peintures de Domenico à la Minerva n’existent plus.
  26. Commencé en 1485, le travail fut terminé en 1490. Toutes ces fresques existent encore, mais quelques-unes sont très altérées.
  27. Dans les ornements du lit, il y a inscrit : BIGHORDI, et au-dessous GRILLANDAI.
  28. Elle épousa, en 1472, un Niccolini.
  29. Il a été scié ; la partie antérieure est au musée de Munich. Le revers, représentant la Résurrection du Christ (de la main de ses frères), est au musée de Berlin.
  30. La chapelle et les peintures n’existent plus.
  31. Existent encore.
  32. Actuellement dans la sacristie.
  33. Ces differentes peintures n’existent plus.
  34. Une Adoration des Mages, datée 1492, aux Offices ; un tableau analogue dans le palais Pitti.
  35. Ces peintures sont détruites, ou peu s’en faut.
  36. Église supprimée ; les deux tableaux sont dans l’église Sant’Anna et représentent des Vierges tenant l’Enfant Jésus, entre différents saints.
  37. Également à Sant’Anna.
  38. N’existe plus.
  39. Actuellement disparues.
  40. Représentant divers saints ; actuellement au palais public de Rimini.
  41. Saint Vincent, saint Sébastien et saint Roch.
  42. Il en reste un représentant divers saints ; commandé en 1492 par don Giustio Bonvicini, abbé de San Giusto.
  43. Il s’agit de David, frère de Domenico, d’après un contrat de 1493.
  44. Voir la Vie de Gherardo.
  45. Existe encore ; datée MCCCCLXXXX, commandée par l’Œuvre, délibération du 10 juillet 1489.
  46. Mort en 1513.
  47. Existe encore.
  48. Alessandra.
  49. Existe encore.
  50. Peintures inconnues.
  51. Peintures perdues.
  52. Domenico Ghirlandajo mourut le 11 janvier 1494. Extrait du registre des frères de San Paolo, conservé aux Archives de Florence. Domenico di Tommaso di Churrado Bighordi, dipintore, detto del Grillandaio, mori sabato mattina a di XI di gennaio 1493, di febre pestilenziale, secondo si disse, perche mori in 4 di : e quelli che erano sopra la Peste non vollono vi s’andassi al morto, e non vollo [no] si sotterrasse il di. Sotterossi sabato sera in Santa Maria Novella tra le 24 e l’una ora… Il s’était marié deux fois et eut neuf enfants, cinq filles et quatre fils ; le second, Ridolfo, fut peintre très estimé, 1483-1561. Les œuvres de David, 1451-1525, et de Benedetto, 1458-1497, sont rares.