Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Don BARTOLOMMEO, Abbé de San Clemente et GHERARDO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 440-444).
Don BARTOLOMMEO, Abbé de San Clemente et GHERARDO
Miniaturistes ; le premier, né en... (?), mort en... (?) ; le second, né 1445, mort en 1497 ;

Don Bartolommeo della Gatta, moine degli Angeli, de l’ordre des Camaldules, à Florence, fut, dès sa jeunesse, très habile dans la miniature et dans l’art du dessin, ainsi que le prouvent les miniatures faites par lui pour les moines de Santa Fiore et Santa Lucilla, dans la Badia d’Arezzo, et en particulier un missel qui fut donne au pape Sixte et dont la première feuille renferme une belle Passion du Christ. Celles qu’on voit à San Martino, dôme de Lucques, sont également de sa main. Peu de temps après avoir achevé ces ouvrages, Bartolommeo fut mis en possession de l’abbaye de San Clemente , à Arezzo,

La peste de 1468 étant survenue et l’ayant forcé à se tenir, comme beaucoup d’autres personnes, renfermé dans son couvent, il se mit à peindre de grandes figures ; et voyant qu’il réussissait dans ce travail, il fit, pour les recteurs de la Confraternità d’Arezzo, un saint Roch recommandant à la Vierge le peuple d’Arezzo[1]; sur ce tableau, il représenta la place de la ville, la maison de la Confraternità, avec quelques fossoyeurs qui reviennent d’enterrer des morts. Il peignit encore un autre saint Roch[2] dans l’église de San Piero, et, sur le même panneau, la ville d’Arezzo telle qu’elle était alors, bien différente de maintenant. Un troisième saint Roch[3], également de sa main, mais bien supérieur aux deux premiers, est aujourd’hui dans la chapelle des Lippi, dans l’église paroissiale d’Arezzo. Le saint Roch est une figure belle et rare, peut-être la meilleure qu’il ait produite ; la tête et les mains ne sauraient être ni plus belles, ni plus naturelles.

Dans la même ville d’Arezzo, il fit un tableau représentant l’archange Raphaël[4], qui est placé à San Piero, église des frères Servi: dans le même lieu, il fit le portrait du bienheureux Jacopo Filippo da Faenza[5].

Étant allé ensuite à Rome, il peignit une histoire[6] dans la chapelle Sixtine, en compagnie de Luca da Cortona et de Pietro Perugino, et, de retour à Arezzo, il fit, dans la chapelle des Gozzari, dans l’Évêché, un saint Jérôme pénitent[7], dont les membres décharnés, les yeux attentivement fixés sur un crucifix et la poitrine meurtrie montrent quels combats il faut subir pour conserver sa virginité.

Il dessina en outre et conduisit à bonne fin une loggia unissant le palais épiscopal à la cathédrale et au milieu de laquelle Messer Gentile Urbinate, évêque, voulait élever son tombeau, projet que la mort l’empêcha de réaliser.

L’abbé mourut en 1461[8], à l’âge de 83 ans, et laissa inachevé le temple della Nostra Donna delle Lacrime, dont il avait fait le modèle, et qui fut ensuite terminé par divers maîtres[9]. Don Bartolommeo a droit à notre admiration comme miniaturiste, architecte, peintre et musicien. Il fut enseveli par ses religieux dans son abbaye de San Clemente.

Il fut imité par Gherardo[10], miniaturiste florentin, et par Attavante, appelé aussi Vante, dont les œuvres sont particulièrement à Venise, et dont nous ne parlerons pas, ne les ayant pas vues.

Vraiment, de toutes les choses que l’on cherche à faire perpétuelles en couleurs, aucune ne résiste aux vents et à la pluie, si ce n’est la mosaïque. C’est ce que reconnut dans son temps Laurent[11] l’Ancien de Médicis ; homme d’esprit et amateur des choses antiques, il chercha à remettre en lumière ce qui était caché depuis de longues années, et, comme il s’intéressait grandement à la peinture et à la sculpture, il ne pouvait laisser de côté la mosaïque. Ayant remarqué que Gherardo, miniaturiste et esprit curieux, cherchait à vaincre les difficultés de cet art, il le favorisa grandement, car il accorda toujours son aide à ceux qui annonçaient quelque génie. L’ayant placé auprès de Domenico Ghirlandajo, il lui fit allouer, par les fabriciens de Santa Maria del Fiore, la décoration des chapelles qui se trouvent dans la croisée de l’église[12], en commençant par celle del Sagramento, où repose le corps de San Zanobi. Si la mort ne l’avait arrêté, il aurait produit d’admirables choses avec Domenico, comme on peut en juger par le début de cette chapelle qui resta inachevée.

Outre ses travaux de mosaïque, Gherardo fut un charmant miniaturiste, et il fit aussi de grandes figures peintes au mur. Hors la Porta alla Croce, il y a de sa main un tabernacle peint à fresque et un autre dans l’intérieur de la ville, en haut de la Via Larga, qui est très estimé[13].

Sur la façade de l’église San Gilio, à Santa Maria Nuova, au-dessous de la peinture de la Consécration de cette église par Martin V, œuvre de Lorenzo di Bicci, il représenta le même pape donnant l’habit et de nombreux privilèges au directeur de l’hôpital[14]. Pour l’église du même hôpital, pour celle de Santa Maria del Fiore et pour Mathias Corvin, roi de Hongrie, il enrichit de miniatures une multitude de livres. Ceux de Gherardo, d’Attavante et d’autres maîtres, que possédait Mathias Corvin, furent achetés, après la mort de ce prince, par Laurent le Magnifique, et augmentèrent la célèbre collection destinée à la bibliothèque que l’on doit au pape Clément VII[15].

De maître miniaturiste étant devenu peintre, Gherardo composa un grand carton pour les Evangélistes qu’il avait à exécuter en mosaïque dans la chapelle de San Zanobi. Avant que Laurent de Médicis lui ait procuré ce travail, pour prouver qu’il entendait la mosaïque et qu’il était capable de travailler sans aide, il fit une tête de San Zanobi[16], grande comme nature, qui est restée à Santa Maria del Fiore, et que l’on expose comme une chose précieuse les jours de solennité[17], sur l’autel dédié à ce saint.

Pendant qu’il travaillait à ces ouvrages, arrivèrent à Florence plusieurs estampes dans la manière allemande, dues à Martin[18] et à Albert Durer. Ce genre de gravure lui plaisant infiniment, il se mit à en copier plusieurs au burin, avec beaucoup de succès. Il peignit aussi quantité de tableaux qu’il envoya hors de Florence. Il y en a un, à Bologne, dans l’église San Domenico, dans la chapelle de sainte Catherine de Sienne, et sur lequel cette sainte est parfaitement représentée[19]. À San Marco de Florence, il fit, au-dessus du tableau du Pardon, un demi-cintre plein de figures très gracieuses[20]. Autant tout le monde était satisfait de ses ouvrages, autant il en était mécontent lui-même, sauf de ses mosaïques. Dans ce genre de peintures, il fut plutôt le concurrent que le compagnon de Domenico Ghirlandaio, et s’il avait vécu plus longtemps, il serait devenu maître excellent, parce qu’il y travaillait volontiers et qu’il avait retrouvé en grande partie les secrets de cet art.

Plusieurs personnes veulent qu’Attavante ait été disciple de Gherardo, comme Stefano[21], autre miniaturiste florentin. Mais je suis certain, étant donné qu’ils vécurent à la même époque, qu’Attavante fut plutôt l’ami, le compagnon, le contemporain de Gherardo, que son disciple. En mourant, Gherardo laissa tous ses outils et ses procédés à Stefano, qui, s’étant mis à faire de l’architecture, abandonna l’art de la miniature et tout ce qu’il possédait dans ce genre à Boccardino l’Ancien[22], qui enlumina la majeure partie des livres qui sont dans la Badia de Florence. Gherardo mourut à l’âge de 63 ans[23]. Ses œuvres datent de l’an 1470 environ.


  1. Actuellement à la Pinacothèque du palais communal d’Arezzo ; daté 1479.
  2. Peinture disparue.
  3. À la Pinacothèque d’Arezzo.
  4. N’existe plus.
  5. Perdu.
  6. La Vocation de saint Pierre. — Conjointement avec Perugino.
  7. Actuellement dans la salle capitulaire de l’évêché.
  8. Comparer cette date avec celle de la peste indiquée plus haut.
  9. Entre autres Antonio da San Gallo.
  10. Fils de Giovanni di Miniato, tailleur de pierres.
  11. Le Magnifique.
  12. La chapelle de San Zanobi fut allouée à Gherardo, conjointement avec Domenico, David Ghirlandajo et Botticelli, le 18 mai 1491. Le 23 décembre 1491, on leur adjoint Monte, frère de Gherardo. Les travaux furent arrêtés par la mort de Laurent le Magnifique, et il n’en reste rien.
  13. Ces tabernacles existent encore en partie.
  14. Peinture perdue.
  15. C’est la Bibliothèque Laurentienne.
  16. Attribution douteuse.
  17. Le jour de la fête de San Zanobi.
  18. Martin Schœngauer.
  19. Tableau de l’école lombarde.
  20. N’existent plus.
  21. Miniaturiste et ingénieur militaire, 1465-1534.
  22. 1460-1520
  23. Mort en 1497, à 52 ans, d’après le testament de son frère Monte, fait en juillet 1497. L’existence de don Bartolommeo della Gatta est plus que problématique, aucun document de l’époque, émanant soit du couvent degli Angeli soit de l’abbave de San Clemente, ne parlant de lui. On sait toutefois qu’à cette époque un certain don Piero d’Antonio Dei, originaire de Florence et abbe de San Clemente d’Arezzo, fut peintre. Gherardo eut deux frères, Bartholommeo, 1442-1494, et Monte, 1449-1529. qui s’occupèrent également de miniatures. Comme œuvres authentiques de Gherardo, il y a un Missel à la Bibliothèque Laurentienne, un Cérémonial au Vatican, fonds Ottonien n° 502, et un Homère à la Bibliothèque de Naples. Attavante naquit, en 1457, de Gabriello di Vante di Francesco degli Attavanti. On perd sa trace après 1512. Ses œuvres authentiques sont nombreuses ; entre autres, le Missel de la cathédrale de Lyon, peint en 1483 ; un missel romain, fait pour Mathias Corvin, actuellement à la Bibliothèque royale de Bruxelles, 1485. Puis le célèbre manuscrit de la Bibliothèque Marcicina ; la Bible de Belem, en Portugal, qui date de 1494. À Florence, deux antiphonaires au Dôme, de 1508 ; un graduel à la Bibliothèque Laurentienne de 1505 ; les Trionfi e Rime de Pétrarque, à la Bibliothèque nationale. À Prato, deux antiphonaires, au Dôme, de 1500. Enfin, au Vatican, la Bible Urbinate, écrite et enluminée de 1476 à 1488, et le Missel de Mathias Corvin, fonds d’Urbin n° 112, qui date de 1488. De Bartholommeo, frère de Gherardo, il ne reste aucun manuscrit enluminé authentique. Mais de Monte, plusieurs ouvrages importants sont conservés au Dôme de Florence et au palais Barberini, à Rome. On lui attribue, avec vraisemblance, la tête de San Zanobi, en mosaïque, conservée au Dôme de Florence.