Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Giovannantonio da VERZELLI dit le SODOMA

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 315-323).
Giovannantonio da VERZELLI
dit le SODOMA
Peintre, né en 1477, mort en 1549

Si Giovannantonio[1] da Verzelli eût possédé un mérite égal à sa bonne fortune, ce qui lui serait arrivé s’il avait plus étudié, il n’aurait point été réduit, après une vie qui fut extravagante et bestiale, à se conduire comme un fou dans sa vieillesse et à finir misérablement. Ayant été amené à Sienne par des marchands, agents de la famille Spannocchi[2], un hasard heureux, ou fatal peut-être, voulut que, ne trouvant pas de concurrence, pendant un certain temps, dans cette ville, il y fût seul à peindre. Cette circonstance, si elle servit ses intérêts, finit par lui être nuisible, parce que, se laissant aller à la torpeur, il négligea ses études et ne fit que du travail de métier : s’il étudia un peu, ce ne fut guère qu’en dessinant d’après les ouvrages de Jacopo dalla Fonte, qui étaient alors estimés. Au début, faisant quantité de portraits d’après l’original, qui se distinguent par un éclatant coloris qu’il avait apporté de Lombardie, il s’attira à Sienne de nombreuses amitiés, moins parce qu’il fut bon peintre que grâce à la bienveillance que les Siennois ont naturellement pour les étrangers. Il avait, en outre, un caractère gai allant jusqu’à la licence, et savait amuser son monde par des manières peu honnêtes ; comme il avait toujours autour de lui des enfants et des jeunes gens sans barbe qu’il aimait outre mesure, on lui donna le surnom de Sodoma ; et, loin de s’en fâcher, il s’en glorifiait et composait sur ce sujet des couplets et des tercets qu’il chantait en s’accompagnant sur le luth. Il se plaisait à nourrir dans sa maison toutes sortes d’animaux bizarres, tels que des blaireaux, des écureuils, des singes, des chats, des ânes nains, des chevaux de l’île d’Elbe, des geais, des poules naines, des tourterelles indiennes, et, en un mot, toutes les bêtes les plus extraordinaires qu’il pouvait se procurer[3]. Dans cette ménagerie, il y avait encore un corbeau qui avait si bien appris à parler qu’il contrefaisait en différentes choses la voix de son maître, et que souvent l’on s’y méprenait, surtout lorsqu’il répondait aux visiteurs qui frappaient à la porte. C’est un fait que pas un Siennois n’ignore. Tous les autres animaux de Giovannantonio étaient également si apprivoisés qu’ils étaient sans cesse à ses côtés, à jouer et à faire les plus grandes folies du monde, de façon que sa maison ressemblait véritablement à l’arche de Noé. Aussi cette manière de vivre, son étrangeté et les œuvres de peinture (en cela du moins, il faisait quelque chose de bon) lui donnaient un tel renom chez les Siennois, tout au moins dans la plèbe et le vulgaire (car les gentilshommes le connaissaient davantage) que beaucoup le considéraient comme un grand homme.

Fra Domenico da Lecco, Lombard, ayant été élu général des moines de Monte Oliveto, le Sodoma alla le visiter à Monte Oliveto di Chiusuri, principal couvent de cet ordre, situé à quinze milles de Sienne, et il sut si bien dire et faire qu’on lui donna à terminer la Vie de saint Benoît, commencée sur une paroi par Luca Signorelli da Cortona[4]. Pour ce travail, il reçut une très mince rétribution et fut défrayé de ses dépenses, de celles de ses auxiliaires et de ses broyeurs de couleurs. On ne saurait raconter toutes les folies qu’il fit durant ce séjour dans le couvent ; par ses tours plaisants, il amusa de telle sorte les religieux, que ceux-ci ne l’appelaient point autrement que le Mattacio (l’Extravagant). Ses premières œuvres sentant le métier et ayant été faites sans soin, le général s’en plaignit, mais le Mattacio lui répondit qu’il travaillait par caprices, que son pinceau ne dansait bien qu’au son des écus, et que si l’on voulait augmenter son salaire, il se sentait capable de faire beaucoup mieux. Le général lui ayant promis de le payer plus largement à l’avenir, Giovannantonio exécuta trois histoires qui restaient à faire dans les coins, et qui sont effectivement bien supérieures aux précédentes[5]. L’une d’elles représente saint Benoît quittant Norcia et prenant congé de son père et de sa mère, pour aller étudier à Rome ; dans la seconde, on voit saint Maur et saint Placide enfants, confiés par leurs parents à saint Benoît, pour être consacrés à Dieu ; la troisième montre les Goths incendiant le mont Cassin. En dernier lieu, afin de jouer une pièce au général et aux moines, il peignit le prêtre Fiorenzo, ennemi de saint Benoît, essayant de débaucher les religieux, en faisant danser et chanter une troupe de courtisanes autour du monastère de ce saint homme. Le Sodoma, qui était aussi indécent dans ses peintures que dans ses actions, figura une danse de femmes nues d’une obscénité révoltante ; comme on ne l’aurait pas laissé faire, il ne voulut montrer sa fresque à aucun moine pendant qu’il y travaillait. Aussi, lorsqu’elle eut été découverte, le général voulut à toute force qu’elle fût détruite ; le Mattacio, après avoir débité une foule de fariboles, voyant que le général était sérieusement en colère, habilla toutes les nudités de cette peinture qui, à la vérité, est une des meilleures qui soient dans ce couvent. Au-dessous de chacune de ces fresques, il fit deux médaillons renfermant un frère, pour représenter la série des généraux que cet ordre avait eus ; et, comme il n’avait pas leurs portraits exacts, le Mattacio fit la plupart des têtes au hasard, et, pour quelques-uns, représenta des religieux âgés qui étaient alors dans ce couvent, en sorte qu’il en arriva à représenter Fra Domenico da Lecco, qui était alors général de Tordre, comme on l’a dit, et qui lui faisait peindre cette œuvre. Mais, comme on creva les yeux ultérieurement à ces têtes, et que d’autres furent balafrées, Fra Antonio Bentivogli de Bologne les fit toutes enlever, avec assez de raison. Pendant que le Sodoma peignait ces fresques, un gentilhomme milanais[6] vint se faire moine dans le couvent ; il avait une cape jaune à passementeries noires, comme c’était l’usage à cette époque. Le général donna cette cape au Mattacio, qui l’endossa et se peignit ainsi costumé, à l’aide d’un miroir, dans l’histoire où l’on voit saint Benoît, encore enfant, raccommoder miraculeusement un vase que sa nourrice avait brisé. Au pied de son portrait, il représenta son corbeau, un singe et d’autres de ses animaux.

Cette œuvre terminée, il peignit, dans le réfectoire de Sant’Anna[7], couvent du même ordre, situé à cinq milles de Monte-Oliveto, le miracle de la Multiplication des pains et des poissons[8]. Puis il retourna à Sienne, où il orna la façade du palais de Messer Agostino de Bardi, à la Postierla, de fresques où l’on remarquait plusieurs morceaux dignes d’éloges, mais qui ont été en grande partie détériorées par les intempéries de l’air et par le temps.

Sur ces entrefaites, Agostino Chigi, riche et célèbre marchand siennois, se trouvant à Sienne, lia connaissance avec Giovannantonio, soit à cause de ses folies, soit parce qu’il avait renom de bon peintre. L’ayant emmené à Rome, par son crédit, il réussit à le placer au nombre des artistes que Jules II employait à décorer les salles du Vatican, bâties par Nicolas V[9]. Pietro Perugino, qui peignit la voûte d’une salle à côté de la Tour Borgia, travaillait lentement, à cause de son grand âge, et ne pouvait entreprendre d’autres peintures, quoique cela fût convenu ; Giovannantonio eut donc à peindre une salle à côté de celle où travaillait Perugino. Il se mit à l’œuvre et fit l’ornementation de cette voûte, composée de corniches, de feuillages et de frises ; ensuite, dans quelques médaillons assez grands, il fit quelques sujets à fresque, qui sont très remarquables, mais, comme ce fou s’occupait plus de ses animaux et de ses plaisirs que de sa peinture, l’ouvrage n’avançait pas ; aussi, Raphaël, ayant été appelé à Rome par Bramante, et le pape ayant reconnu combien il surpassait les autres peintres, Sa Sainteté ordonna que Perugino et Giovannantonio cessassent de travailler, et que, de plus, tout ce qu’ils avaient fait fût jeté à terre. Mais Raphaël, qui était la bonté et la modestie mêmes, respecta tout ce qu’avait fait Perugino, qui avait été autrefois son maître, et conserva les ornements du Mattaccio. Il ne supprima que le contenu et les figures des médaillons et des cadres, laissant les frises et le reste de l’ornementation qui entourent encore maintenant les figures que Raphaël représenta dans les médaillons, à savoir les figures de la Justice, de la Philosophie, de la Poésie et de la Théologie. Agostino, qui était galant homme, et ne tenant pas compte de l’affront qu’on venait de faire à Giovannantonio, lui donna à peindre, dans la principale chambre qui donne dans le grand salon de son palais de Trastevere, Alexandre consommant son mariage avec Roxane[10]. Cette œuvre renferme une foule d’amours dont les uns délacent la cuirasse d’Alexandre et lui ôtent ses brodequins, son casque et son manteau, tandis que les autres sèment des fleurs sur le lit. Dans la même chambre, près de la cheminée, on voit, de la main de Giovannantonio, un Vulcain fabricant des flèches, qui fut très loué dans son temps. Si le Mattacio, qui avait de bons moments et de remarquables dispositions naturelles, eût alors voulu se livrer à l’étude, comme tout autre l’aurait fait à sa place, il serait allé loin sans doute. Mais toujours occupé de babioles et ne travaillant que par intermittences, il ne se souciait que de se vêtir pompeusement, de porter des pourpoints de brocart, des capes bordées de drap d’or, des barrettes magnifiques, des colliers et d’autres semblables bagatelles convenables à des bouffons et à des saltimbanques, toutes choses qui plaisaient à Agostino et le divertissaient au plus haut point.

Sur ces entrefaites, Jules II étant mort et ayant été remplacé par Léon X, qui aimait assez les gens fantasques et sans cervelle, comme était le Mattacio, celui-ci eut une joie extrême de cette élection, particulièrement parce qu’il avait conservé contre Jules II un vif ressentiment de l’injure qu’il en avait reçue. Pour se faire connaître au nouveau pontife, le Mattacio peignit une Lucrèce nue se poignardant[11] ; ce tableau terminé fut donné par Agostino Chigi au pape qui en récompensa l’auteur en le nommant chevalier. Giovannantonio se crut aussitôt un grand homme et résolut de ne plus travailler que quand la nécessité l’y contraindrait, ce qui, du reste, ne tarda pas à arriver. En effet, notre chevalier sans revenus, avant suivi Agostino Chigi à Sienne, fut forcé d’avoir recours à son pinceau pour vivre. Il fit alors un tableau d’une Déposition de Croix, où l’on remarque la Vierge évanouie et un soldat qui se montre de dos, et dont on voit l’image dans un casque posé à terre et brillant comme un miroir[12] ; cet ouvrage, qui passe avec raison pour l’un des meilleurs qu’ait jamais produits Giovannantonio, fut placé à San Francesco, à main droite en entrant dans l’église. Dans le cloître qui est le long de l’église, il peignit à fresque un Christ à la colonne, flagellé devant Pilate, qu’entoure une foule de Juifs ; on y voit une colonnade en perspective et le portrait du Sodoma qui s’est représenté avec le menton rasé et les cheveux longs, selon la mode du temps[13]. Étant allé ensuite à Florence, un moine des Brandolini, abbé du couvent de Monte Oliveto, qui est hors la Porta San Friano, lui fit peindre quelques fresques dans le réfectoire[14]. Comme il les exécuta sans soin, elles furent si mal réussies qu’elles ne lui attirèrent que de la honte et des moqueries de la part de ceux qui s’attendaient à voir quelque œuvre extraordinaire sortir de ses mains.

Pour la confrérie de San Bastiano in Camollia, à Sienne, il peignit à l’huile, sur un gonfalon de toile qu’on porte dans les processions, un saint Sébastien nu, attaché à un arbre, qui est posé sur la jambe droite et a l’autre en raccourci[15], il lève la tête vers un ange qui lui tend une couronne ; cette œuvre est vraiment belle et digne d’éloges. Sur le revers, on voit la Vierge tenant l’Enfant Jésus, avec au-dessus d’eux saint Roch, saint Sigismond et quelques flagellants agenouillés. Dans la sacristie des religieux del Carmine, il laissa un tableau de la Nativité de la Vierge d’une grande beauté[16] ; il en est de même de la fresque qu’il fit à l’encoignure de la Piazza de’Tolomei, pour l’Art des Cordonniers, et où il figura la Vierge tenant l’Enfant Jésus, saint Jean, saint François, saint Roch et saint Crépin, patron de l’Art, qui a un soulier à la main[17]. Dans l’oratoire de San Bernardino de Sienne, à côté de l’église San Francesco, il peignit à fresque, en concurrence de Girolamo del Pacchia, Siennois, et de Domenico Beccafumi, la Présentation de la Vierge au temple, la Visitation, l’Assomption et le Couronnement[18]. À chaque angle du même oratoire, il plaça un saint vêtu d’habits épiscopaux, saint Louis, saint Antoine de Padoue et autres ; mais la meilleure figure de toutes est un saint François debout et levant la tête vers un petit ange qui semble lui parler ; la tête du saint est vraiment merveilleuse. Dans une petite salle du palais de la Seigneurie, à Sienne, il peignit à fresque plusieurs petits tabernacles enrichis de colonnes et de divers ornements[19]. L’un de ces tabernacles renferme un saint Victor armé à l’antique et l’épée à la main : l’autre un saint Benoît, et un troisième un saint Ansano administrant le baptême ; toutes ces figures sont très belles. À l’étage inférieur du même palais, où l’on vend le sel, il fit une Résurrection du Christ, avec quelques soldats autour du sépulcre et deux petits anges dont les têtes sont très admirées[20]. Plus loin, au-dessus d’une porte, il y a une fresque de lui représentant la Vierge avec l’enfant Jésus et deux saints[21].

À Santo Spirito, dans la chapelle de San Jacopo, que lui firent peindre les Espagnols et où ils ont leur sépulture, il encadra une ancienne peinture de la Vierge d’un saint Nicolas de Tolentino et d’un saint Michel archange tuant Lucifer ; au-dessus, dans une lunette, on voit la Vierge donnant l’habit sacerdotal à un saint et environnée de plusieurs anges. Ce tableau, peint à l’huile et sur panneau, est surmonté d’une fresque qui occupe l’hémicycle de la voûte et montre saint Jacques brandissant une épée et foulant sous les pieds de son cheval des Sarrazins morts ou blessés. Plus bas, aux côtés de l’autel, sont peints à fresque un saint Antoine abbé et un saint Sébastien nu, lié à la colonne, très estimés[22]. Dans la cathédrale de la même ville, à main droite en entrant, on voit de sa main, sur un autel, un tableau à l’huile, représentant la Vierge qui tient l’Enfant Jésus sur ses genoux, entre saint Joseph et saint Calixte[23]. On se rend compte que le Sodoma a traité ce tableau, pour le coloris, avec plus de soin qu’il n’en apportait à ses autres œuvres. Il peignit encore, pour la confrérie della Trinità, une magnifique civière à porter les morts[24] ; et, pour la confrérie della Morte, il en fit une autre qui passe pour la plus belle qu’il y ait à Sienne, et que, moi, je regarde comme la plus belle que l’on puisse rencontrer au monde, d’autant plus qu’on fait rarement de grandes dépenses pour de pareils objets[25].

À San Domenico, dans la chapelle de Sainte-Catherine-de-Sienne, il peignit deux sujets, entre lesquels se trouve un tabernacle où l’on conserve la tête de la sainte renfermée dans une tête en argent[26]. Celui de droite représente sainte Catherine venant de recevoir les stigmates de Jésus-Christ qui est dans les airs, et tombant évanouie entre les bras de deux sœurs qui la soutiennent. Sur celui de gauche, on voit l’Ange de Dieu portant à la sainte l’hostie de la communion, tandis qu’elle aperçoit dans les airs le Christ et la Vierge ; deux de ses compagnons se tiennent derrière. Sur la paroi de droite, il peignit encore un criminel qui, devant être décapité, ne voulut pas se convertir ni se recommander à Dieu, désespérant de la miséricorde divine ; la sainte, à genoux priant pour lui, voit ses prières exaucées par la bonté de Dieu, car la tête du criminel étant tombée, on voit son âme monter au ciel. Ce tableau est rempli d’une foule de figures dont la médiocrité ne doit pas étonner, car j’ai appris de source certaine que Giovannantonio était arrivé à pousser si loin la paresse qu’il peignait sans dessins, sans cartons, directement sur le mur, ce qui est une méthode déplorable : c’est ce que l’on peut vérifier dans cette peinture. Il peignit encore un Dieu le Père[27], sur l’arc antérieur de cette chapelle. Les autres sujets ne furent pas terminés par lui[28], tant parce qu’il ne voulait travailler qu’à sa fantaisie, que parce qu’il était mal payé par celui qui avait commandé cet ouvrage. À Sant’Agostino, il peignit, sur un tableau qui est à main droite en entrant, une Adoration des Mages qui est estimée avec raison[29] ; outre la Vierge, le premier des trois Mages et quelques chevaux, qui sont d’une grande beauté, il y a la tête d’un berger placé entre deux arbres, qui paraît vivant. Au-dessus d’une porte de la ville, appelée la Porta di San Viene, il fit à fresque une Nativité du Christ[30], avec quelques anges dans les airs, dans un grand tabernacle ; l’arc renferme un enfant dans un beau raccourci, faisant allusion à l’Incarnation du Verbe. Il se représenta lui-même dans cette peinture, avec une figure barbue déjà vieille, et tenant un pinceau avec lequel il vient de tracer ce mot : Feci.

Dans la chapelle de la commune, qui est sur la place, au bas du palais, il peignit également à fresque la Vierge tenant l’Enfant Jésus à son cou, portée par des anges et entourée de saint Ansano, saint Vettorio, saint Agostino et saint Jacques[31] ; au-dessus, il fit, dans une lunette pyramidale, un Père éternel environné de quelques anges. Dans ces fresques, on voit que Giovannantonio commençait à n’avoir presque plus le goût de son art, ayant perdu ce je ne sais quoi de bon qu’il possédait auparavant et qui imprimait à ses têtes un certain caractère de grâce et de beauté. On peut, du reste, facilement se convaincre de la supériorité de ses premières productions, en examinant le Christ mort, soutenu par la Vierge, fresque qui est au-dessus de la porte du capitaine Lorenzo Mariscotti à la Postierla[32] ; il a une grâce et un caractère de divinité vraiment merveilleux. Pareillement on estime un tableau à l’huile de la Vierge, qu’il peignit pour Messer Enea Savini dalla Costerella ; et une toile qu’il fit pour Assuero Rettori da San Martino qui représente une Lucrèce romaine se frappant, tandis qu’elle est soutenue par son père et son mari. On y voit de belles attitudes et des têtes très gracieuses[33].

Finalement, Giovannantonio voyant que la faveur des Siennois s’était reportée tout entière sur Domenico Beccafumi, et comme il n’avait à Sienne ni rente, ni maison[34], qu’il avait mangé à peu près tout ce qu’il avait gagné, il se sentit vieux, pauvre et désespéré ; il quitta alors Sienne pour s’en aller à Volterra. Par bonheur, il y trouva Messer Lorenzo di Galeotto de’Medici, riche et honorable gentilhomme qui lui offrit un asile, et auprès duquel il se prépara à séjourner longtemps. Mais il s’ennuya bientôt, étant accoutumé à l’indépendance, et alla à Pise. Grâce à l’entremise de Battista del Cervelliera, il y fit, pour Messer Bastiano della Seta, intendant de la cathédrale, deux tableaux qui furent placés derrière le maître-autel, à côté de ceux du Sogliani et de Beccafumi. L’un de ces tableaux représente le Christ mort, avec la Vierge et les autres Maries, l’autre le Sacrifice d’Abraham[35]. Mais, comme ces peintures furent peu réussies, le dit intendant qui avait primitivement l’intention de lui faire faire quelques tableaux pour l’église, le congédia. Dans le même temps, Giovannantonio acheva un tableau à l’huile qu’il avait autrefois commencé pour Santa Maria della Spina, et qui représente la Vierge tenant l’Enfant Jésus, et ayant devant elle sainte Marie-Madeleine et sainte Catherine agenouillées ; à ses côtés se tiennent debout saint Jean, saint Sébastien et saint Joseph[36]. Dans toutes ces figures, il se comporta mieux que pour les deux tableaux de la cathédrale.

N’ayant ensuite plus rien à faire à Pise, il se rendit à Lucques où, à San Ponziano, couvent de l’ordre de Monte Oliveto, un abbé de sa connaissance le chargea de peindre une Madone dans un escalier qui conduit au dortoir. Cette œuvre terminée, Giovannantonio, épuisé, pauvre et accablé d’années, retourna à Sienne où bientôt il tomba malade. Comme il n’avait personne qui voulut prendre soin de lui, il se retira dans le Grand Hôpital et il y mourut au bout de quelques semaines.

Au temps de sa jeunesse et de sa fortune, Giovannantonio se maria à Sienne avec une jeune fille bien née[37], qui, dès la première année, lui donna une fille ; mais le Sodoma, en véritable brute qu’il était, se dégoûta de sa femme et ne voulut plus la voir. Elle se retira donc chez elle, vivant de son travail et du revenu de sa dot, et supporta, avec une patience exemplaire, les folies et les saletés de son mari, bien digne assurément du surnom de Mattaccio que lui avaient donné les religieux de Monte Oliveto. Le Riccio[38] de Sienne, disciple de Giovannantonio et peintre très habile, se maria avec la fille de son maître, laquelle avait été parfaitement élevée par sa mère. Il hérita de tous les objets d’art qui avaient appartenu à son beau-père. Celui-ci vécut soixante-quinze ans et mourut en 1554[39].


  1. Fils d’Antonio di Jacopo Bazzi, cordonnier, né à Verzelli, d’après ses déclarations.
  2. Riches banquiers de Sienne.
  3. Il en parle dans une déclaration de 1531.
  4. Laissée inachevée par Signorelli, quand il fut appelé à Orvieto, en 1488, pour peindre la chapelle San Brizio du Dôme. Sodoma exécuta vingt-cinq fresques dans le cloître.
  5. En 1505-1506. Il reçut pour toutes ces peintures 241 ducats.
  6. Fra Gio. Ambrogio. Ses effets furent donnés à Sodoma, en plus du prix de ses peintures.
  7. Couvent supprimé.
  8. Fresque en mauvais état ; commandée le 10 juillet 1503 pour vingt écus d’or.
  9. Vers 1508.
  10. Existe encore ; 1513-1514.
  11. Tableau perdu.
  12. Actuellement à l’Institut des Beaux-Arts de Sienne.
  13. De cette fresque, il ne reste que la demi-figure du Christ, actuellement à l’Institut des Beaux-Arts.
  14. Il reste le motif central de la Gène ; le couvent est transformé en hôpital militaire.
  15. Commandé le 5 mai 1525 ; payé 30 ducats d’or ; actuellement aux Offices.
  16. Existe encore, dans la chapelle, à gauche de l’autel.
  17. Fresque commandée en 1530 ; complètement ruinée.
  18. Ces fresques existent encore ; exécutées par intervalle, entre 1518 et 1532.
  19. Peintures commandées en 1529 ; terminées en 1534 ; existent encore.
  20. Peinte en 1535 ; transportée dans la salle du Gonfalonier.
  21. Salle du Conseil municipal, 1535.
  22. Ces peintures existent encore, 1530.
  23. Actuellement dans la chapelle du palais public.
  24. Dans la sacristie de San Donato : attribution contestée.
  25. Elle est actuellement démontée en quatre panneaux, dans l’église San Giovanni e San Gennaro ; payée 98 livres, le 27 mai 1527.
  26. Ces peintures existent encore, 1525-1526.
  27. Détruit par le tremblement de terre de 1798.
  28. Terminés en 1593 par Francesco Vanni, peintre siennois.
  29. Chapelle Piccolomini, à droite.
  30. Existe encore, en mauvais état.
  31. Existe encore ; commandée le 6 mars 1537 pour soixante écus d’or.
  32. Maison Bambagini.
  33. Œuvres perdues.
  34. Il avait deux maisons, dont une apportée en dot par sa femme.
  35. Tous deux en place, 1542.
  36. Au Musée Civique de Pise, 1542 ; payé 520 livres et 10 sous.
  37. Béatrice, fille de Luca Galli, hôtelier de l’Hôtel de la Couronne. Il l’épousa en 1510 : elle avait 450 florins de dot. Il eut un fils, mort jeune, et une fille, Faustine.
  38. Bartolommeo Neroni, mort en 1571.
  39. Mort le 14 février 1549, à 72 ans, d’après une lettre de Ser Alessandro Buoninsegni à son frère, ambassadeur à Naples. Il y est dit : Il cav. Sodoma questa notte si e morto. [Archives de Sienne.]