Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Michelozzo MICHELOZZI

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 359-365).
Michelozzo MICHELOZZI
Sculpteur et architecte florentin, né en 1396 { ?), mort en 1472

Dans sa jeunesse, Michelozzo[1] s’adonna, avec Donatello, à la sculpture et aussi au dessin et, quelques difficultés qu’il éprouvât, il tirait parti de la terre, de la cire et du marbre, de telle manière que, dans les œuvres qu’il produisit ensuite, il montra toujours beaucoup de savoir et d’habileté. Mais où il se surpassa, lui et beaucoup d’autres, c’est dans l’architecture, art dans lequel, après Brunellesco, il se montra le plus ordonné de son temps et le plus ingénieux dans la manière de disposer et de distribuer l’intérieur des palais, des couvents et des maisons particulières. Donatello se servit longtemps de lui, parce qu’il avait une grande pratique dans le travail du marbre et dans la fonte du bronze, ainsi que le prouve le tombeau du pape Giovanni Coscia[2], à San Giovanni de Florence. Il en exécuta la plus grande partie, ainsi qu’une statue en marbre de la Foi, haute de deux brasses et demie, en compagnie d’une Espérance et d’une Charité de la même dimension, dues au ciseau de Donatello et qui ne lui sont pas supérieures. Au-dessus de la porte de l’Œuvre, face à San Giovanni, il fit également un petit saint Jean[3], en ronde-bosse, d’un beau travail qui fut beaucoup admiré.

Michelozzo fut si apprécié par Cosme de Médicis, dont il fréquentait la maison, que celui-ci lui fit faire le modèle du palais[4] qui est au coin de la Via Larga, auprès de San Giovannino. Le modèle fait antérieurement par Filippo Brunelleschi, comme on l’a dit dans la Vie de celui-ci, avait paru à Cosme trop somptueux et devant plutôt exciter l’envie de ses concitoyens qu’embellir la cité et apporter à lui-même grande commodité. Celui de Michelozzo lui plut, et fut conduit par ce maître au point de perfection que nous voyons aujourd’hui.

L’an 1433, Cosme ayant été exilé, Michelozzo, qui l’aimait infiniment et lui était fidèlement attaché, le suivit spontanément à Venise et voulut y résider avec lui. Outre de nombreux dessins et modèles d’édifices publics et privés qu’il fit pour des amis de Cosme et d’autres gentilshommes, il construisit, aux frais de Cosme, la bibliothèque de San Giorgio Maggiore, monastère des moines noirs de Sainte-Justine. Le bâtiment terminé, Cosme le remplit de livres. L’année suivante, rappelé dans sa patrie, il revint triomphant, et ramena Michelozzo avec lui.

À cette époque, le palais public de la Seigneurie commençait à menacer ruine, parce que plusieurs colonnes de la cour souffraient, soit du trop grand poids dont elles étaient chargées, soit de la faiblesse des fondations trop obliques, ou peut-être parce qu’elles étaient formées de blocs mal assemblés et mal scellés. Quelle que fût, du reste, la cause, Michelozzo fut chargé d’y remédier, ce qu’il accepta volontiers, parce que, à Venise, près de San Barnaba, il avait eu à parer à un semblable danger. Il reprit en sous-œuvre et refit les colonnes telles qu’elles sont aujourd’hui, après avoir étayé si fortement l’édifice que cette énorme masse ne souffrit aucunement et, depuis, n’a pas bougé d’une ligne. Puis il remplaça les colonnes trop vieilles par de nouvelles, et, pour qu’on les reconnût dans la suite, il les fit à huit pans, avec des chapiteaux dont les feuillages sont sculptés à la moderne, en sorte qu’on les distingue facilement des anciennes, dues à Arnolfo. Ensuite, sur ses conseils, on diminua le poids des murailles, qui chargaient les colonnes ; on refit toute la cour[5], depuis les arcades jusqu’en haut, avec un nouvel ordre de fenêtres semblables à celles qu’il avait faites pour Cosme dans la cour du palais Médicis, et l’on couvrit les murailles de bossages pour y placer les lis d’or[6] qu’on y voit encore aujourd’hui. Michelozzo conduisit tous ces travaux avec beaucoup de célérité.

Au second étage pour donner quelque variété aux ouvertures, il pratiqua des œils-de-bœuf qui éclairent les salles, au-dessous desquelles est actuellement la salle des Deux-Cents. Le troisième étage, où habitait la Seigneurie et le gonfalonier, fut plus orné et disposé en chambres séparées, en file sur un corridor donnant du côté de San Pier Scherragio, tandis qu’auparavant les membres de la Seigneurie n’avaient qu’une seule et même chambre à coucher pour tous. Il y eut huit chambres pour eux et une plus grande pour le gonfalonier, donnant toutes sur le corridor dont les fenêtres s’ouvrent sur la cour. Il divisa le dernier étage en chambres commodes, destinées à la police, aux valets, aux hoquetons, aux musiciens, aux fifres, aux massiers, aux huissiers et aux hérauts. La galerie supérieure fut garnie d’une corniche sur la cour et on y établit un réservoir d’eau de pluie, destiné à alimenter plusieurs fontaines artificielles. Il restaura aussi la chapelle où l’on dit la messe et plusieurs pièces voisines dont il décora les plafonds de lis d’or sur fond d’azur. Tous les vieux plafonds furent refaits et les eaux des puits amenées avec une roue jusqu’au dernier étage. Une seule chose ne put être améliorée : c’est l’escalier public qui, dès le principe, fut mal entendu, mal placé, raide, étroit, obscur, avec des degrés en bois au-dessus du premier étage ; il les remplaça par des degrés de pierre jusqu’à l’étage habité par la Seigneurie.

À l’entrée de la cour, il construisit un perron circulaire, une porte avec des pilastres en pierre de taille, surmontés de beaux chapiteaux sculptés par lui-même, et d’une corniche double qu’il orna des armes de la ville[7]. Il pourvut les escaliers de deux sarrasines, en cas de tumulte, et, au sommet, il fit une porte que l’on appelait la Catena et qui était continuellement gardée par un hoqueton qui l’ouvrait ou la fermait, selon le commandement de ceux qui gouvernaient. Il arma d’énormes tirants de fer la tour du campanile qui s’était lézardée par le poids de la partie qui est en porte-à-faux sur les mâchicoulis qui donnent sur la place. Enfin, il améliora et restaura ce palais de telle sorte qu’il mérita les louanges de tous ses concitoyens, et qu’entre autres récompenses, il obtint le titre de membre du Collegio, tribunal fort respecté à Florence[8].

L’église de San Giorgio ayant été donnée aux Dominicains de Fiesole[9], ils ne l’occupèrent que de la mi-juillet jusqu’à la fin de janvier et la cédèrent aux moines Salvestrini en échange du couvent et de l’église de San Marco qu’ils obtinrent du pape Eugène par l’entremise de Cosme de Médicis et de son frère Laurent. Les Dominicains, profondément attachés à la religion, au service et au culte divin, décidèrent de refaire le couvent entièrement à neuf, sur les plans et les dessins de Michelozzo, dans des conditions d’étendue et de magnificence qui devaient leur donner toutes les commodités désirables. On mit la main à l’œuvre, l’an 1437 et on s’occupa tout d’abord de la partie du couvent qui est au-dessus du vieux réfectoire, vis-à-vis des écuries du duc ; on fit vingt cellules, on mit le toit, on fit au réfectoire le gros œuvre de charpente et on mit cette partie dans l’état où elle est encore aujourd’hui. Ensuite on ne poussa pas la construction plus loin, pour attendre et voir quelle fin devait avoir un procès que Maestro Stefano, général des moines Salvestrini, avait suscité aux frères de San Marco, au sujet de ce couvent. Comme il fut jugé en faveur des frères de San Marco, la construction fut reprise. Mais la grande chapelle, édifiée auparavant par Ser Pino Bonnaccorsi, était venue en possession d’une dame de la famille Caponsacchi[10] et avait passé d’elle à Mariotto Banchi. Après quelques disputes, Mariotto donna la dite chapelle à Cosme de Médicis, après l’avoir enlevée à Agnolo della Casa, à qui les moines Salvestrini l’avaient donnée ou vendue. Cosme acheta ensuite à la Compagnia dello Spirito Santo l’emplacement où est actuellement le chœur, et l’on éleva la chapelle, la tribune et le chœur, sur les dessins de Michelozzo ; ce travail fut entièrement livré, l’an 1439. On fit ensuite la bibliothèque, longue de quatre-vingts brasses, large de dix-huit, toute en voûte au-dessus et en dessous, avec soixante-quatre meubles en bois de cyprès, pleins de très beaux livres. Puis on s’occupa d’achever le dortoir en le ramenant à la forme d’un carré, enfin le cloître et toutes les belles chambres du couvent. On peut regarder ce couvent comme le plus beau et le plus commode qu’il y ait en Italie, grâce au talent et au zèle de Michelozzo, qui l’acheva en 1452[11]. On dit que Cosme dépensa pour cette construction trente-six mille ducats, et que tout le temps qu’elle dura il donna annuellement aux Frères trois cent soixante-six ducats pour leur entretien[12].

Cosme fit également bâtir, sur le dessin de Michelozzo, le noviciat et la chapelle qui porte son nom, à Santa Croce[13], ainsi que le passage qui va de l’église à la sacristie, au noviciat susdit, et à l’escalier du dortoir. Ces travaux ne le cèdent en beauté, en commodité et en richesse à aucun de ceux que le magnifique Cosme fit exécuter par Michelozzo. En particulier, la porte faite en pierre de macigno, qui donne de l’église aux lieux susdits, fut beaucoup admirée pour sa nouveauté et pour le fronton, car, jusqu’alors, on avait rarement vu imiter ainsi la bonne manière antique. Ce fut encore sur l’ordre de Cosme qu’il éleva le palais de Cafaggiuolo in Mugello[14], sous la forme d’une forteresse entourée de fossés, et qu’il termina, deux milles plus loin, dans un lieu connu sous le nom de Bosco a Frati, un couvent[15] pour les moines de San Francesco ; au Trebbio, il fit également plusieurs restaurations. À deux milles de Florence, il construisit le palais de la villa Carreggi[16], remarquable par sa magnificence, et y amena l’eau dans la fontaine qui existe encore aujourd’hui. Pour Giovanni, fils de Cosme de Médicis, il fit, à Fiesole, un palais magnifique et très orné[17], dont les fondations furent faites à grands frais sur la pente de la colline, mais non sans utilité, car il logea dans la partie inférieure les caves, les écuries, les celliers voûtés et d’autres dépendances commodes ; au-dessus, indépendamment des appartements ordinaires, il disposa une librairie et une salle de musique. En somme, Michelozzo montra dans cette construction combien il s’entendait à l’architecture, car, outre tout ce qui a été dit ci-dessus, cette construction, bien que bâtie sur la pente, n’a pas bougé d’une ligne.

Il fit ensuite, aux frais du même, l’église[18] et le couvent[19] de moines de San Girolamo, qui sont presque au sommet de la colline, et dessina le plan d’un hospice que Cosme fit élever à Jérusalem pour y loger les pèlerins qui vont visiter le tombeau du Christ. Pour la façade de Saint-Pierre de Rome, il envoya le dessin de six fenêtres que l’on fit en y mettant les armes de Cosme de Médicis ; trois ont été enlevées de nos jours et refaites par le pape Paul III, avec les armes des Farnèse.

Ayant appris qu’à Assise Santa Maria degli Angeli manquait d’eau, au grand dommage des fidèles qui s’y rendent au pardon du 1er août, Cosme y envoya Michelozzo qui conduisit des eaux, jaillissant à micôte de la montagne, à une fontaine couverte d’une belle et riche loggia soutenue par des colonnes qui portent les armes de Cosme. En même temps, Cosme lui fit faire, au couvent des moines de saint François, quelques embellissements, que Laurent le Magnifique augmenta plus tard, et paver le chemin qui monte de Santa Maria degli Angeli à la ville. Il ne quitta pas la région sans donner le plan de la vieille forteresse de Pérouse.

Finalement de retour à Florence, il bâtit, au coin des Tornaquinci, le palais de Giovanni Tornabuoni[20], entièrement semblable à celui qu’il avait construit pour Cosme, mais avec une façade ordinaire, sans bossages et sans la corniche supérieure.

Après la mort de Cosme, qui avait aimé Michelozzo autant que l’on peut aimer l’ami le plus cher, Pierre, son fils, lui fit construire, à San Miniato al Monte, la chapelle en marbre où est le crucifix[21] ; sur le demi-cintre de l’arc, au derrière de la chapelle, Michelozzo sculpta en bas-relief un faucon avec un diamant, qui sont les armes de Cosme, œuvre vraiment remarquable.

Pierre ayant ensuite résolu de faire construire tout en marbre la chapelle della Nunziata[22], dans l’église des Servi, voulut que Michelozzo, déjà vieux, lui en donnât son avis, parce qu’il aimait beaucoup son savoirfaire et qu’il savait combien il avait été dévoué à Cosme, son père. Cette chapelle fut donc exécutée, sous sa direction, par Pagno di Lapo Partigiani[23], sculpteur de Fiesole, qui retira une grande renommée de ce travail, outre d’autres restaurations qu’il yexécuta.

Filarète rapporte, dans le vingtième livre de son Traité, que Francesco Sforza, quatrième duc de Milan, donna à Cosme un palais de sa capitale[24], et que celui-ci, voulant prouver au duc le prix qu’il attachait à ce présent, non seulement l’orna de marbres et de bois sculptés, mais encore l’agrandit sur le dessin de Michelozzo ; en outre, il l’enrichit d’une foule de peintures[25] dues à Vincenzio di Poppa, peintre très estimé dans ce temps et dans ce pays. Michelozzo lui-même fit le portrait de Cosme. Il y a à Gênes et dans d’autres lieux plusieurs œuvres en marbre et en bronze qu’on reconnaît à la manière comme étant de lui. Il mourut à l’âge de 68 ans[26], et fut enterré à San Marco de Florence, dans le tombeau de sa famille. Son portrait, peint par Fra Giovanni, se voit dans une Descente de Croix placée dans la sacristie de Santa Trinità[27], sous la figure du vieux Nicodème, qui a un chaperon, et descend le Christ de la croix.


  1. Dans une déclaration de ses biens, il s’appelle Michelozzo di Bartolommeo di Gherardo ; quelquefois il ajoute Borgognoni. Il travailla d’abord, non avec Donatello, mais avec Ghiberti. [En 1442, aux portes de San Giovanni.] En 1427, dans le traité avec l’Arte del Cambio, pour la statue de saint Mathieu, il est dit : quando era compagno di Lorenzo di Bartoluccio.
  2. Existe encore. Voir la Vie de Donatello.
  3. Actuellement au Musée National ; restitué à Rossellino, 1477 ; cette statue lui fut payée 25 florins d’or.
  4. Palais Riccardi, aujourd’hui préfecture de Florence.
  5. En 1565, à l’occasion du mariage de François, qui fut ensuite grand-duc, avec Jeanne d’Autriche, cette cour fut garnie des ornements plastiques qu’on y voit maintenant.
  6. Supprimés en 1809 par le gouvernement français.
  7. Ces œuvres n’existent plus.
  8. En 1462.
  9. Ils en prirent possession le 19 juin 1435.
  10. Fille de Pino et fondatrice de la chapelle.
  11. En 1443 ; la tribune et le chœur de l’église furent refaits en 1678.
  12. Au-dessus de la porte de la sacristie, il y a une inscription relatant la consécration et la date A.M.CCC.XLII.
  13. Les constructions de Michelozzo, à Santa Croce, existent encore.
  14. Complètement modernisé.
  15. Existe encore.
  16. Appartenant à la famille Orsi.
  17. Actuellement villa Mozzi.
  18. Existe encore.
  19. Actuellement villa Ricasoli.
  20. Existe encore.
  21. Au milieu de l’église ; ce crucifix fut transporté, en 1671, à Santa Trinità.
  22. Commencée en 1461, avant la mort de Cosme. Ni Michelozzo, ni Portigiani ne sont nommés dans les livres du couvent. On y trouve le nom de Giovanni di Bettino.
  23. Son vrai nom est Portigiani.
  24. En 1456, Contrada de’ Bossi ; ce palais est entièrement modernisé.
  25. Qui n’existent plus.
  26. Il vivait encore en 1470. D’après le Livre des Morts, il est enterré à San Marco le 7 octobre 1472. Il avait donc 76 ans.
  27. Actuellement à l’Académie des Beaux-Arts de Florence. Michelozzo remplaça Brunellesco, après sa mort, comme provéditeur de la coupole et de la lanterne. [Délibération du 11 août 1446.] Il y resta jusqu’en décembre 1451. En 1464, on le trouve à Raguse. Par suite d’un contrat, il devait se rendre pour six mois dans l’île de Chio, au service de Messer Girolamo Giustiniani da Garibaldi, avec une provision annuelle de trois cents ducats d’or. On ne sait pour quelle besogne et si effectivement il fit ce voyage. En 1444, il était capomaestro de la fabrique delà nouvelle église des Servi. Le tombeau de la famille est mentionné au registre des sépultures de San Marco : Ser Nicolao de Michelottiis, notario et civi fiorentino, prò se et suis