Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/DONATO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 348-359).
DONATO
Sculpteur florentin, né en 1386, mort en 1466

Donato[1], qui fut appelé par les siens Donatello et qui signa de ce nom plusieurs de ses œuvres, naquit à Florence, l’an 1383. S’étant consacré à l’art du dessin, non seulement il devint sculpteur remarquable et statuaire prodigieux, mais encore il se montra habile dans le stucage, adroit dans la perspective et très estimé dans l’architecture. Ses œuvres sont si remarquables par leur grâce, leur dessin et leur beauté, qu’elles furent jugées se rapprochant plus des excellentes productions de l’antiquité que celles de n’importe quel autre. Aussi est-il regardé, à juste titre, comme le premier qui ait su bien employer les sujets traités en bas-reliefs. À voir le jugement, la facilité et la maîtrise dont il fit preuve, on reconnaît qu’il les comprenait parfaitement ; aucun artiste ne l’a surpassé, et de nos jours personne ne l’a égalé.

Dès son enfance, il fut accueilli dans la maison de Ruberto Martelli ; par ses bonnes qualités et son assiduité au travail, il mérita d’être aimé de lui et de toute sa noble famille. Dans sa jeunesse, il exécuta nombre de travaux, dont on ne fit pas grand cas, mais ce qui le fit connaître est une Annonciation[2], en pierre de macigno, qui fut placée dans l’église de Santa Croce, sur l’autel de la chapelle des Cavalcanti ; il y mit un ornement de grotesques composé d’entrelacs variés et dont le couronnement est en quart de cercle et il y ajouta six petits enfants[3] soutenant des guirlandes, qui paraissent avoir peur de tomber du haut et se tiennent embrassés pour se rassurer. Il montra surtout beaucoup d’art dans la figure de la Vierge qui, saisie de crainte à l’apparition imprévue de l’ange, ploie, timidement et avec douceur, son corps dans une respectueuse révérence, en se retournant avec une grâce extrême vers l’ange qui la salue : ; on reconnaît sur son visage l’humilité et la reconnaissance que l’on témoigne à celui qui vous fait un don non attendu et d’autant plus que le don est plus grand. Outre cela, dans les draperies de la Vierge et de l’Ange, qui offrent des enroulements et des plis merveilleux, de même que dans la recherche du nu des figures. Donato montra qu’il s’efforçait de retrouver la beauté des antiques, disparue depuis si longtemps. Dans la même église, au delà de la cloison transverse et à côté d’une peinture de Taddeo Gaddi, il fit un crucifix en bois[4], qui lui coûta une peine extrême, et qui fut cause que Filippo di Ser Brunellesco en sculpta un autre, comme nous l’avons raconté dans sa vie.

Il fit, dans le temple de San Giovanni, le tombeau du pape Giovanni Coscia[5], qui fut déposé par le concile de Constance, œuvre qui lui fut demandée par Cosme de Médicis, grand ami du pape. Donato représenta le mort sous une figure en bronze doré, accompagnée des statues, en marbre, de l’Espérance et de la Charité ; celle de la Foi est due au ciseau de son élève Michelozzo. En face de ce tombeau, on voit, de sa main, une sainte Marie-Madeleine, en bois[6], dont le corps, consumé par le jeûne et l’abstinence, est une merveille d’anatomie, parfaitement comprise dans toutes ses parties. Dans le Mercato Vecchio, au-dessous d’une colonne de granit, il y a, de sa main, une statue de l’Abondance[7] en pierre dure de macigno et qui est isolée de toutes parts ; elle est si bien faite que les artistes et tous ceux qui s’y connaissent la louent grandement. La colonne, sur laquelle cette statue est placée, était autrefois dans le temple de San Giovanni, où il y en a d’autres en granit, qui soutiennent l’ordre intérieur de l’ornementation ; elle fut enlevée et remplacée par une autre colonne cannelée, qui était auparavant au milieu du temple et sur laquelle se trouvait la statue de Mars qui fut enlevée, quand les Florentins se convertirent à la religion chrétienne.

Il fit encore, dans sa jeunesse, pour la façade de Santa Maria del Fiore, un Daniel, prophète[8], en marbre et ensuite un saint Jean, évangéliste, assis, simplement vêtu et haut de quatre brasses. Dans le même lieu, on voit sur un coin, quand on tourne, pour aller Via del Cocomero, un vieillard entre deux colonnes, qui tient plus delà manière antique qu’aucune autre œuvre de Donato et dans la tête duquel on reconnaît les pensées qui viennent avec les années aux hommes accablés par le temps et les fatigues[9]. À l’intérieur de l’église, il sculpta l’ornement de l’orgue[10], qui est au-dessus de la porte de la vieille sacristie, avec ces figures ébauchées comme on l’a déjà dit, qui paraissent vraiment douées de vie et de mouvement. On peut dire qu’il travaillait autant de la tête que des mains. Que d’ouvrages, admirables dans l’atelier, produisent un effet pitoyable dès qu’on les change de place, et même dès qu’on les soumet à un autre jour ! Donato, au contraire, préparait toujours ses figures de telle sorte que, dans l’atelier où il travaillait, elles ne paraissaient pas la moitié aussi belles qu’une fois mises en place. Dans la sacristie neuve, il donna le dessin de ces enfants qui tiennent des festons et font le tour de la frise, ainsi que celui des figures qui composent le vitrail de l’œil-de-bœuf, sous la coupole et qui représentent le Couronnement de la Vierge[11] ; ce dessin est tellement supérieur aux vitraux des autres œils-de-bœuf, qu’on s’en rend compte manifestement.

À Or San Michele, il exécuta en marbre, pour l’Art des Bouchers, la statue de saint Pierre[12], pleine de tant de science et de beauté, et, pour l’Art des marchands de lin, un saint Marc évangéliste[13], qu’il devait faire concurremment avec Filippo Brunelleschi, mais que celui-ci lui abandonna. Quand les consuls de l’Art virent cette figure, que Donatello avait exécutée avec un grand jugement, mais qui, étant modelée en terre, ne pouvait pas être appréciée à sa juste valeur par ceux qui ne s’y entendaient point, ils ne voulurent pas la laisser mettre en œuvre ; Donato leur dit de le laisser faire et qu’il voulait leur montrer, en la reprenant, une nouvelle figure et non plus celle qui ne leur plaisait pas. Il la tint alors renfermée pendant quinze jours, puis la découvrit sans y avoir autrement touché, et chacun de l’admirer.

Pour l’Art des Armuriers, il fit un saint Georges[14] recouvert de son armure, qui paraît vivant et dans la tête duquel on reconnaît la beauté de la jeunesse, le courage militaire et une fierté vraiment terrible ; il a une attitude si merveilleuse qu’on dirait qu’il va se mouvoir. Certes, dans aucune œuvre moderne, on n’a encore vu autant de mouvement et d’animation que la nature et l’art en mirent dans celle-ci par la main de Donato. Sur le soubassement de la niche qui renferme cette figure, il plaça un bas-relief en marbre, qui représente saint-Georges, à cheval, combattant le dragon ; le cheval est très estimé. Dans le fronton, il fit le Père éternel, à mi-corps et en bas-relief ; sur la façade qui regarde l’église de cet oratoire[15], il éleva, pour le Tribunal de la Mercatanzia, un tabernacle en marbre d’ordre corinthien, à l’exclusion de tout style gothique et destiné à recevoir deux statues qu’il refusa d’exécuter, parce qu’on ne tomba pas d’accord pour le prix. Après sa mort, elles furent coulées en bronze par Andrea Verrocchio, comme nous le dirons plus tard.

Il fit ensuite, pour la face antérieure du campanile de Santa Maria del Fiore, quatre statues en marbre, hautes de cinq brasses[16] ; les deux du milieu sont les portraits du jeune Francesco Soderini et de Giovanni di Barduccio Cherichini, qu’on appelle aujourd’hui le Zuccone[17]. Cette dernière, qui est la plus estimée, était regardée comme la plus belle que Donato eût faite, et il avait coutume de jurer par elle, en disant : « Par la foi que j’ai en mon Zuccone ! » Pendant qu’il la faisait, il se prit plusieurs fois à lui crier : « Allons ! allons ! parle, parle donc ! » Du côté de la maison canoniale, au-dessus de la porte du campanile, il fit un Sacrifice d’Abraham et un Prophète, qui furent placés entre deux autres statues.

Pour la Seigneurie de Florence, il jeta en bronze une Judith coupant la tête à Holopherne[18], qui fut placée sous un arc de la loggia et qui est une œuvre vraiment magistrale. Celui qui considérera la simplicité de l’extérieur et du costume de Judith, découvrira aussi manifestement la grande âme de cette femme et l’appui de Dieu, de même que Holopherne paraît accablé de vin et de sommeil et que ses membres frappés par la mort semblent froids et affaissés. Ce groupe fut exécuté par Donato avec tant de soin que la fonte en fut fine et excellente ; il le répara ensuite si bien que c’est une merveille à voir. Pareillement la base, qui est un balustre de granit, simplement orné, est pleine de grâce et plaît infiniment à la vue. Donato fut tellement satisfait de cette œuvre qu’il y voulut mettre son nom Donatelli Opus, ce qu’il n’avait fait pour aucune autre[19].

Dans la cour du palais de la Seigneurie se trouve un David en bronze, nu, de grandeur naturelle, qui vient de trancher la tête à Goliath[20] ; il pose un pied sur elle, et tient son épée de la main droite. Cette figure est si naturelle, elle est pleine de tant de vie et de souplesse, qu’il semble impossible à un homme de l’art qu’elle n’ait pas été moulée sur le vif. Après avoir été dans la cour du palais Médicis, elle a été transportée, pendant l’exil de Cosme[21], à sa place actuelle.

On a encore de lui, dans la salle de l’Horloge, un beau David en marbre, foulant aux pieds la tête de Goliath[22] et tenant la fronde avec laquelle il l’a frappé. Dans la première cour du palais Médicis[23], sont huit médaillons de marbre représentant des camées et des revers de médailles, imités de l’antique ; ils sont murés au-dessus des arcades, entre les fenêtres et l’architrave. Il restaura également le Marsyas antique, en marbre blanc[24], placé à l’entrée du jardin ; on lui doit aussi deux magnifiques bassins en granit qui jettent de l’eau et dont l’un appartient aux jardins des Pazzi, à Florence[25]. Dans le palais Médicis, il y a plusieurs Madones en marbre, en bronze, en bas-relief, et d’autres sculptures de sa main[26].

Cosme appréciait tellement le talent de Donato qu’il le faisait continuellement travailler, et, de son côté, Donato avait une telle affection pour lui qu’à sa moindre indication il comprenait ce qu’il voulait et lui obéissait en toute chose. Dans la maison des Martelli, il y a plusieurs morceaux de lui, en marbre et en bronze, entre autres un David haut de trois brasses[27], et un saint Jean en marbre, entièrement terminé, de la même grandeur. Donato donna toutes ces œuvres libéralement à cette famille, à laquelle il était lié par l’affection et la reconnaissance, pour la protection qu’il en avait reçue jadis.

Il envoya à Naples, pour un archevêque[28], un tombeau en marbre qui est placé dans l’église Sant’Angelo di Seggio di Nido ; trois figures en ronde bosse soutiennent, avec leur tête, le sarcophage, sur le devant duquel se trouve un bas-relief, si beau qu’il mérite d’être infiniment loué. Dans la maison du comte de Matalone, dans la même ville, il y a une tête de cheval, de la main de Donato, si belle que plusieurs la croient antique[29]. À Prato, il fit la chaire en marbre qui est à l’extérieur de l’église[30], et du haut de laquelle on expose la ceinture de la Vierge ; sur le pourtour est sculptée une ronde d’enfants qui ne le cède en perfection à aucune de ses autres œuvres. Il fit de plus, pour soutenir la chaire, deux chapiteaux en bronze, dont l’un existe encore, et l’autre a été enlevé par les Espagnols, qui mirent la ville à sac[31].

Vers cette époque, la Seigneurie de Venise, apprenant sa réputation, lui fit demander s’il voulait se charger d’élever un monument à la mémoire de Gattamelata[32], dans la ville de Padoue. Il accepta volontiers, et fit la statue équestre, en bronze, qui l’on voit sur la place de Sant’ Antonio. Le cheval semble frémir et s’ébrouer, sous la main de son cavalier, dont la tête exprime un grand caractère et une fierté vivement rendue. Dans cette œuvre. Donato montra tant d’art, eu égard à la fonte aussi remarquable par ses dimensions que par sa beauté, que vraiment on peut le regarder comme l’égal de n’importe quel maître ancien, pour le mouvement, le dessin, les proportions et l’exécution. Non seulement il étonna ceux de son temps, mais encore, maintenant, on ne peut la regarder sans admiration. Aussi les Padouans cherchèrent-ils, par tous les moyens, à faire de Donato leur concitoyen, et à le fixer dans leur ville : pour l’occuper, ils le chargèrent d’exécuter, dans l’église des Frères Mineurs, sur la prédelle du maître autel, l’histoire de saint Antoine de Padoue[33]. Ces bas-reliefs sont traités avec tant de science qu’ils transportent d’étonnement tous les hommes du métier, quand ceux-ci considèrent la beauté et la variété des compositions, qui sont remplies d’une foule de personnages pleins d’originalité et de différentes grandeurs, suivant la perspective ; sur le devant de l’autel, il représenta les saintes Maries pleurant le Christ mort. Pour l’un des comtes Capodilista il fit l’ossature d’un cheval[34], qui existe encore, formée de diverses pièces de bois assemblées avec tant de soin que celui qui considérera le mode employé dans cette œuvre pourra se rendre compte des idées originales qui lui passaient par la tête et de la grandeur de son esprit. Dans un couvent de religieuses, il fit un saint Sébastien en bois[35], à la demande de leur chapelain, son ami, qui était Florentin, et qui lui apporta un saint Sébastien vieux et grossier qu’elles avaient, en le priant d’en faire un semblable. Donato, tout en s’efforçant de l’imiter, pour contenter le chapelain et les religieuses, ne put s’empêcher d’y mettre de l’art et de la beauté. Il y ajouta plusieurs autres figures en terre et en stuc, et, d’un morceau de vieux marbre que les religieuses avaient dans leur jardin, il tira une Vierge fort belle. Il y a encore une foule d’ouvrages de sa main par toute la ville. Étant alors regardé comme un homme miraculeux et loué par tout homme d’esprit, il se décida à retourner à Florence, disant que, s’il restait plus longtemps à Padoue, il oublierait tout ce qu’il savait, recevant tant d’éloges de chacun, et qu’il retournerait volontiers dans sa patrie, où, étant sans cesse critiqué, ces critiques le forceraient à travailler davantage et, par conséquent, augmenteraient sa gloire. Il quitta donc Padoue, et, en passant à Venise, il laissa dans l’église des Frères Mineurs[36] un saint Jean-Baptiste en bois, qu’il exécuta avec un soin et une application extrêmes ; pour qu’on se souvînt de sa bonté, il en fit don à la colonie florentine de Venise qui le plaça dans leur chapelle de cette église. Dans la ville de Faenza, il sculpta en bois un saint Jean et un saint Jérôme[37], non moins estimés que ses autres ouvrages.

De retour en Toscane, il fit, dans l’église paroissiale de Montepulciano, un tombeau en marbre[38], orné d’un très beau bas-relief, et, à Florence, dans la sacristie de San Lorenzo, un lavabo également en marbre[39], auquel travailla Andrea Verrocchio. Dans la maison de Lorenzo della Stufa, il y a de lui quelques têtes et figures pleines de vivacité. De Florence, il se rendit à Rome pour chercher à imiter les antiques le plus qu’il pourrait, et, pendant ces études, il exécuta en pierre un tabernacle du Saint-Sacrement qui se trouve actuellement à Saint-Pierre[40].

En retournant à Florence, il s’arrêta à Sienne[41], où il entreprit une porte de bronze pour le baptistère de San Giovanni. Déjà son modèle en bois était achevé et la plupart de ses formes de cire étaient prêtes, avec la chape de coulée, lorsqu’il rencontra Bernadetto, fils de Mona Papera, et orfèvre florentin de ses amis, qui, revenant de Rome, sut si bien dire et faire que, soit pour ses propres affaires, soit pour toute autre raison, il ramena Donato à Florence, cette œuvre resta donc inachevée ; peut-être même ne fut-elle pas commencée. Il ne resta de Donato, dans l’Œuvre de la cathédrale de Sienne, qu’un saint Jean-Baptiste en bronze auquel manque l’avant-bras droit ; on prétend que Donato le laissa en cet état parce qu’il ne put parvenir à se le faire payer entièrement[42].

De retour à Florence, il orna de stucs la sacristie de San Lorenzo, pour Cosme de Médicis, à savoir : quatre médaillons[43] sur les retombées des voûtes, représentant, partie en peintures, partie en bas-reliefs, l’histoire des Evangélistes. Il fit aussi les deux petites portes en bronze de la même sacristie, où sont représentés différents apôtres, martyrs et confesseurs, et, au-dessus, dans deux niches, saint Laurent, et saint Étienne d’une part, saint Cosme et saint Damien de l’autre. Dans la croisée de l’église, il fit en stuc quatre saints, hauts de cinq brasses[44], qui sont exécutés avec une grande habileté professionnelle, et les deux tribunes en bronze[45], sur lesquelles est représentée la Passion du Christ, œuvre qui est remarquable autant par la vigueur du dessin et la richesse de l’invention que par l’abondance des personnages et des édifices ; comme la vieillesse empêcha Donato de les terminer, elles furent conduites à bonne fin par son élève Bertoldo. Hors de Santa Maria del Fiore, il fit deux statues colossales, en brique et en stuc, qui sont placées comme ornement au coin des chapelles[46]. Au-dessus de la porte de Santa Croce on voit encore de lui, aujourd’hui, un saint Louis en bronze[47], entièrement terminé et haut de cinq brasses. Un jour qu’on lui reprochait d’avoir fait une statue aussi sotte, qui était certainement la moins bonne chose sortie de ses mains, il répondit qu’il y avait bonne intention de sa part, et que saint Louis avait été un sot d’abandonner son royaume pour se faire moine.

Il fit le buste en bronze de la femme de Cosme de Médicis[48], qui est actuellement dans la garde-robe du duc Cosme, avec plusieurs autres œuvres en bronze et en marbre de Donato ; entre autres, une Vierge tenant son fils[49], en marbre, de très faible relief et telle qu’on ne saurait voir chose plus belle, d’autant plus qu’elle est entourée d’un cadre de miniatures faites par Fra Bartolommeo et qui sont admirables. Le duc a, également, de la main de Donato un crucifix[50] vraiment miraculeux, qui est dans son cabinet ; dans la même garde-robe, il y a un bas-relief de bronze représentant la Passion de Notre-Seigneur, avec un grand nombre de figures et un autre panneau de métal, qui représente aussi la crucifixion[51]. Dans la maison des héritiers de Jacopo Capponi, qui fut un excellent citoyen et un vrai gentilhomme, on voit une Vierge, en marbre, de demi-relief, qui est très estimée[52]. Messer Antonio de’ Nobili, qui fut dépositaire de Son Excellence, avait dans sa maison un bas-relief en marbre, de la main de Donato, qui contenait une demi-figure de la Vierge[53], si belle que Messer Antonio l’estimait autant que sa fortune. Dans la maison de Giovanni Battista, fils d’Agnolo Doni, gentilhomme florentin, se trouve un Mercure en bronze[54], d’une brasse et demie de hauteur, entièrement en rondebosse et vêtu d’une manière quelque peu bizarre. Bartolommeo Gondi possède une Vierge en demi-relief[55], faite par Donato avec tant d’amour et de soin qu’il est impossible de voir mieux, ni d’imaginer la légèreté avec laquelle Donato a traité l’ajustement de la tête et les vêtements qui la recouvrent. Messer Lelio Torelli, premier auditeur et secrétaire du Duc, et non moins amateur de belles choses qu’excellent jurisconsulte, a un bas-relief de la Vierge[56], en marbre, également de Donatello, dont il serait trop long de raconter toute la vie et les œuvres. Non seulement il mit la main à de grandes œuvres d’art, mais encore if fit des sculptures d’armoiries sur des cheminées et des façades de maisons, comme on peut voir celles de la maison des Sommai[57], qui est en face de la boulangerie della Vacca. Il fit encore, pour la famille des Martelli, un tombeau, qui a la forme d’une corbeille d’osier[58] et qui est sous l’église San Lorenzo, parce que, à l’extérieur, il n’y a aucun tombeau, si ce n’est l’épitaphe de Cosme de Médicis, dont le caveau est d’ailleurs dans les dessous, comme les autres tombeaux.

On dit que Simone, frère de Donato, ayant achevé le modèle du tombeau du pape Martin V, écrivit à son frère de venir voir son projet, avant de le couler en bronze. Donato, s’étant donc rendu à Rome s’y trouva au moment où l’empereur Sigismond y était, pour recevoir la couronne des mains du pape Eugène IV[59] et les deux frères durent organiser l’apparat de cette fête, qui leur fit grand honneur. Il y a encore, dans la garde-robe du seigneur Guidobaldo, duc d’Urbin, une admirable tête en marbre, que l’on croit avoir été donnée aux ancêtres du duc par le magnifique Julien de Médicis, quand il fréquentait cette cour, si pleine de gens de talent.

On peut dire que Donato, par son savoir et son habileté, fut chez les modernes un des premiers à illustrer les arts du dessin et de la sculpture ; il mérite d’autant plus d’éloges que, de son temps, les plus précieux morceaux de l’antiquité étaient encore enfouis sous les ruines, à l’exception des sarcophages et des arcs de triomphe. Il fut une des principales causes qui déterminèrent Cosme de Médicis à amener à Florence les antiques que l’on a vus dans le palais Médicis et que lui-même prit soin de restaurer.

Il était affable et d’une grande libéralité, s’occupant plus de ses amis que de lui-même et si peu intéressé, qu’il mettait son argent dans un panier suspendu au plafond, où chacun de ses amis et de ses élèves pouvait puiser ce qu’il lui fallait, sans le prévenir. Sa vieillesse fut joyeuse et tranquille. Lorsqu’il en arriva à la décrépitude, Cosme et ses autres amis vinrent à son secours ; on dit que Cosme, avant de mourir, le recommanda à son fils Pierre, qui lui donna un domaine à Cafagginolo produisant une rente suffisante pour le reste de ses jours. Donato en montra une joie extrême, car il lui paraissait par ce moyen être plus que certain de ne pas mourir de faim. Mais il ne garda ce domaine qu’un an et, étant retourné auprès de Piero, il le lui rendit, par contrat notarié, affirmant qu’il ne voulait pas troubler son repos par des soucis journaliers et les plaintes de son fermier qui tous les trois jours venait le molester, une fois parce que le vent avait découvert le colombier, une autre fois parce que son bétail avait été saisi, à cause des taxes de la commune, tantôt parce qu’il n’avait ni vin ni fruits, à cause des mauvaises saisons. Donato était tellement excédé qu’il déclarait vouloir mourir de faim plutôt que d’avoir à penser à toutes ces choses. Piero se mit à rire, devant la simplicité de Donato et, pour le libérer de ces ennuis, il accepta le domaine, comme le voulut Donato et lui assigna sur sa banque une rente de la même valeur ou supérieure, mais en argent comptant, qui lui fut payée chaque semaine en proportion. Il s’en déclara content et acheva sa vie, fidèle serviteur et ami de la famille Médicis, heureux et sans soucis. À l’âge de 83 ans, ses membres se paralysèrent tellement, qu’il lui devint impossible de travailler et qu’il fut même forcé de garder le lit, dans une petite maison qu’il possédait dans la Via del Cocomero, près des religieuses de San Niccolo. Son état empirant chaque jour, il s’éteignit peu à peu et mourut le 13 décembre 1466[60].

Il fut enterré dans l’église de San Lorenzo, auprès du tombeau de Cosme de Médicis, comme il l’avait ordonné, afin que son corps ne fût pas séparé de celui de son ami, près duquel il avait constamment été de cœur et d’esprit. Sa mort affligea profondément ses concitoyens, les artistes et tous ceux, en un mot, qui l’avaient connu, et on lui rendit de plus grands honneurs après sa mort que pendant sa vie. Ses obsèques furent magnifiques ; les peintres, les architectes, les sculpteurs, les orfèvres et presque toute la population de la ville accompagnèrent son corps jusqu’à l’église de San Lorenzo, Il ne voulut pas laisser un petit bien qu’il avait près de Prato à ses parents qui vinrent le lui demander, avant sa mort, et il leur dit qu’il préférait le léguer à son fermier, qui avait travaillé pour lui, plutôt qu’à eux qui n’avaient pensé à lui qu’à ce moment-là.

Il laissa ses études et ses dessins à ses élèves, parmi lesquels on compte Bertoldo, son fidèle imitateur, Nanni d’Antonio di Banco qui mourut avant lui, Rossellino, Desiderio et Vellanode Padoue. En somme, après sa mort, tous ceux qui travaillèrent en relief purent se dire avoir été de ses élèves. Le monde resta plein de ses œuvres ; en vérité, on peut dire qu’aucun maître n’a autant produit que lui. Il’ acceptait tout travail, sans regarder s’il était vil ou précieux. Cette prodigieuse variété d’ouvrages, en ronde-bosse, en demi-relief, en basrelief, fut extrêmement utile à l’art ; parce que si, dans les beaux temps de l’antiquité grecque et romaine, il fallut les efforts de beaucoup d’artistes pour amener la sculpture à ce haut point de perfection, Donato, tout seul, la fit revivre de nos jours par la multitude de ses productions. Il posséda au plus haut degré le dessin, l’invention, la pratique, le jugement et, en un mot, tout ce qui caractérise un génie divin. Il avait une faciHté, une hardiesse et une rapidité d’exécution vraiment extraordinaires et ses œuvres ont toujours tenu bien au delà de ce qu’elles promettaient.


  1. Dans ses déclarations au Catasto, il se nomme Donato di Niccolo di Betto Bardi et quelquefois Donatello ; de même dans les documents officiels. Il signait Ses œuvres Donatello fiorentino. Quant à sa date de naissance, elle varie suivant ses déclarations. L’opinion commune est 1386.
  2. Existe encore, côté droit de la grande nef.
  3. Quatre enfants en bois.
  4. Existe encore, dans la petite chapelle des Bardi.
  5. Baldassare Coscia, ou Jean XXIII, mort en 1418. Son tombeau, qui est en place, fut commencé vers 1426 (archives du Dôme).
  6. En place.
  7. N’existe plus ; remplacée par une statue moderne, au XVIIIe siècle.
  8. Cette statue a disparu ; quand la façade provisoire du Dôme fut détruite en 1586, le saint Jean futtransporté à l’intérieur. Commandé en 1408, payé 160 florins d’or et mis en place en 1415.
  9. Statue non retrouvée.
  10. Actuellement au Musée du Dôme ; commandé en 1433.
  11. En 1434, concurremment avec Ghiberti.
  12. En place.
  13. En place 1411-1413.
  14. En 1416 ; actuellement au Musée National ; remplacé dans sa niche par une copie, primitivement il occupait la 3e niche, actuellement vide du côté sud.
  15. Actuellement église San Carlo.
  16. Trois et demie, en réalité. Donatello fit trois statues : saint Jean-Baptiste (signé Donatello) ; le roi David, ou Zuccone (signé Opus Donatelli) ; le prophète Jérémie (signé Opus Donatelli). La quatrième, qui représente le prophète Abdias, est signée Joannes Rossus, c’est-à-dire Giovanni di Bartolo, sculpteur florentin.
  17. Ou le chauve.
  18. Actuellement sous la Loggia de’ Lanzi. Elle était autrefois à la place du David de Michel-Ange ; inscription : Exemplum Sal. Pub. cives posuere MCCCCXCV.
  19. Observation inexacte.
  20. Actuellement au Musée National.
  21. Cosme l’Ancien.
  22. Actuellement au Musée Mational : commandé par la Seigneurie en 1416.
  23. Ou palais Riccardi, actuellement préfecture de Florence. Ces médaillons existent encore.
  24. Au Musée National.
  25. Ce jardin n’existe plus. Ces deux vases sont : l’un au Musée National et l’autre à la villa de Castello.
  26. Qui sont dispersées dans plusieurs musées d’Europe.
  27. Le David resté inachevé, et le saint Jean sont dans la Casa de’ Martelli, Via della Forca.
  28. Le cardinal Rinaldo Brancacci. Michelozzo travailla à ce tombeau qui existe encore.
  29. C’était effectivement un bronze antique qui fut fondu ultérieurement.
  30. Existe encore ; faite avec Michelozzo ; commandée le 14 juillet 1428 par la fabrique. Ghiberti fut arbitre de ce travail qui coûta 300 florins.
  31. En 1512.
  32. Erasme de Narni, condottiere. Cette statue est signée sur la sous-ventrière du cheval : Opus Donatelli Fiorentini. Commandée non par la Seigneurie de Venise, mais par le fils de Gattamelata, en 1444 ; estimée 1650 ducats d’or, en 1453.
  33. Existe encore, avec d’autres œuvres de Donatello [1444-1449].
  34. Conservé au Palais della Ragione.
  35. N’existe plus, de même que la Vierge sous-indiquée.
  36. Santa Maria de’ Frari. Le saint Jean existe encore, signé ; sculpté en 1451.
  37. Existent encore. Le saint Jean à la Libreria, l’autre, dans le couvent des Réformés.
  38. C’est celui de Bartolommeo Aragazzi, secrétaire de Martin V et mort en 1429. Existe encore. Donatello se fit aider dans ce travail par Michelozzo.
  39. Existe encore ; attribué aussi à Rossellino.
  40. Actuellement dans le Tempietto de San Pietro in Montorio.
  41. Plusieurs ouvrages à Sienne : plaque tombale de Giovanni Pecci, évêque de Grosseto, au Dôme ; la porte de San Giovanni, laissée inachevée en 1457 ; d’autres œuvres dans ce baptistère, la Foi, l’Espérance, la Présentation de la tête de saint Jean à Hérode, reliefs en bronze des fonts baptismaux, trois chérubins ; une statue de saint Jean, au Dôme.
  42. Existe encore dans la chapelle de ce saint.
  43. Existent encore, de même que les deux portes de bronze.
  44. N’existent plus.
  45. Existent encore.
  46. N’existent plus.
  47. Placé à l’intérieur de la façade, lors de l’achèvement de celle-ci.
  48. N’existe plus.
  49. Ibid.
  50. Ibid.
  51. Ces deux bas-reliefs, qui sont au Musée National, ne peuvent pas être attribués à Donatello.
  52. N’existe plus.
  53. Ibid.
  54. Au Musée National.
  55. N’existe plus.
  56. Ibid.
  57. N’existe plus.
  58. Ce tombeau existe encore.
  59. Le 31 mai 1433. Il fit alors le tombeau de Giovanni Crivelli, archidiacre d’Aquilée, dans l’église d’Ara coeli, signé Opus Donatelli Fiorentini.
  60. Date exacte, d’après le Livre des Morts de Florence. Sa sépulture disparut en 1547.